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Hélas, je ne lis nulle part que tous les drapeaux sont à brûler

posté le 28/06/15 par Antigone Mots-clés  alternatives 

Hélas, je ne lis nulle part que tous les drapeaux sont à brûler

Drapeau, pavillon, étendard... il est un symbole, l’affirmation d’une puissance (d’une "présence" dit-on aujourd’hui), un signe d’appartenance et d’identité. Il incarne aussi une histoire collective, celle qui a permis à la classe dirigeante d’accéder au pouvoir, celle qui lui donne une légitimité pour faire ce qu’elle veut (ou presque) pour le conforter. Ainsi avec l’usage, la valeur du drapeau s’est sacralisée, même dans sa version laïque. Les emblèmes nationaux, royaux ou républicains, se sont substitués aux symboles religieux. Ce sont eux qui permettent aujourd’hui aux rituels de s’accomplir lors des commémorations officielles : garde-à-vous, montée des "couleurs", salut au drapeau...

Le drapeau a servi à toute époque de point de ralliement, ancré au cœur même d’un pouvoir à défendre, à protéger, à fortifier, un peu comme le roi sur un échiquier. Le drapeau abrite l’Etat et les lois de l’Etat le protègent contre "l’outrage", contre les velléités d’un ennemi intérieur ou extérieur. Mais le drapeau réunit pour séparer. Il y a toujours un drapeau de part et d’autre d’une frontière. Sans Etat, il n’y aurait pas besoin de frontières. Sans frontières, il n’y aurait pas besoin de drapeau. Sans drapeau...

Au fil des années, depuis le développement de la télévision, le modèle américain s’est imposé partout dans les protocoles. Un drapeau national est placé en arrière plan de toute allocution du chef de l’Etat ; mais il accompagne aussi la communication des représentants de l’Etat, du ministre... jusqu’au conseiller municipal ! Il flotte sur les bâtiments publics sur lesquels s’exerce la tutelle de l’Etat. Impossible de vivre quelque part sans se trouver à un moment ou à un autre confronté à ce symbole de l’ordre établi, le drapeau.

Le drapeau se confond tellement avec l’autorité en place que les pirates et les révolutionnaires ont cru bon de se donner un drapeau alternatif à celui du pouvoir qu’ils contestaient. Même les peuples autochtones (Berbères, Inuits, Cheyennes, Mayas, Mapuches, Rroms, etc.) ont confectionné leur propre drapeau. Mais à vouloir créer des contre-pouvoirs, on en arrive immanquablement à reproduire les formes mêmes du pouvoir (et/ou de la délégation de pouvoir). Ce drapeau est donc devenu à son tour tantôt l’incarnation d’une entité (territoriale, politique ou syndicale), tantôt la revendication d’une autonomie politique, tout le contraire d’une aspiration à la liberté. A tel enseigne que quand une révolte s’incarne dans un drapeau, elle est déjà moribonde, promise à des intérêts qui la dépassent. La liberté n’a nul besoin de drapeau.

Quand j’observe les drapeaux du monde qui figurent dans mon atlas de géographie du temps où j’allais à l’école primaire, je remarque qu’un certain nombre n’ont plus cours. La planche du début du XXe siècle contient encore plus de drapeaux disparus, et en remontant le temps, on va de surprise en surprise... Le drapeau est l’ancêtre du blason féodal. Il s’est imposé à la faveur de la montée en puissance des Etats, des marchés financiers et de la bourgeoisie, pendant les siècles d’expansion impérialiste.

Ces morceaux d’étoffe auxquels des millions de personnes ont, en leur temps, juré fidélité et sacrifié leur vie, mais qui valaient aussi la mort pour ceux qui crachaient dessus, ne sont donc pas éternels et finissent un jour par tomber en désuétude ou être victimes d’un changement de régime. Dans le monde actuel, interconnecté, cosmopolite, le drapeau est un anachronisme vivant, la réminiscence d’un ordre immobile révolu et dont on devra un jour se débarrasser. Son absurdité nous apparaît comme évidente si l’on dépasse le stade de la décoration de papier-peint ou de la confection de pyjamas.

L’actualité étant assez pauvre, les questions identitaires ont mis en avant un certain nombre de drapeaux sur le devant de l’actualité : le drapeau des confédérés américains, les drapeaux islamistes, les drapeaux des nations du Commonwealth... Dans chacun des cas, il s’agit d’adapter les symboles de la reconnaissance aux usages actuels. La démarche paraît dérisoire, mais l’enjeu ne l’est pas pour ceux qui détiennent le pouvoir si l’on considère que cet enjeu s’inscrit dans un cadre à la fois culturel et commercial. Il s’agit autant de vendre une adhésion que de la faire adopter pour longtemps, de l’imprimer dans les esprits, même des tout jeunes enfants et des analphabètes.

La gauche dite radicale, au nom de l’antifascisme, se joint en ce moment aux protestations concernant le drapeau sudiste et partage le point de vue de la gouverneure de Caroline du sud. Les manifestants demandent que ce drapeau soit descendu du mât parce qu’il symbolise un passé ségrégationniste, esclavagiste. Mais ils veulent quoi à la place ? La "bannière étoilée" ? Le drapeau "yankee" que brandissent les vétérans du Vietnam, de la guerre du Golfe, etc. ? La seule attitude à avoir est de ne pas participer à ces histoires de drapeaux et de tous les mépriser. Hélas, je ne lis nulle part que tous les drapeaux sont à brûler...

Le Monde d’Antigone
(27 juin 2015)
http://monde-antigone.centerblog.net/


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