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Il n’y aurait que des capitalistes qui vivraient de l’exploitation ?

posté le 15/10/17 Mots-clés  réflexion / analyse 

Il n’y aurait que des capitalistes qui vivraient de l’exploitation ?

Par Jan Waclav Makhaïski (novembre 1905)

dimanche 15 octobre 2017

Les socialistes russes ont montré mieux que quiconque ce qu’était le socialisme. Les socialistes ont le devoir d’accomplir la révolution bourgeoise là où elle n’a pas encore eu lieu, ont proclamé les sociaux-démocrates, et tous les socialistes russes assument ce devoir avec ferveur. Aucun socialiste n’y voit matière à trahison. Ils ont justement le devoir d’agir de la manière suivante : promettre aux ouvriers la révolution prolétarienne dans un avenir lointain, et, pour le moment, accomplir la révolution bourgeoise. Ils se sont mis à convaincre les esclaves du régime bourgeois, que la prison dans laquelle ils naissent ne sera détruite le plus rapidement que lorsqu’ils l’auront agrandie et renforcée de leurs propres mains.

Les socialistes russes répètent avec beaucoup de succès ce qu’ont déjà dit les socialistes partout dans le monde au siècle dernier. Les socialistes assurent aux ouvriers qu’ils les mènent directement au paradis socialiste ; mais en réalité, ils ne font, par leur travail, que conserver, développer et affermir le régime existant de pillage séculaire.
Qu’est-ce donc que le socialisme ? C’est un sermon sur le bonheur, sur une vie juste, sur l’égalité universelle des prochaines générations ; un sermon tel qu’il oblige ceux qui s’y laissent prendre à élargir et raffermir le pillage séculaire, afin de soi-disant atteindre plus rapidement ce bonheur futur.

Le socialisme est une foi semblable à celle qu’ont offerte toutes les religions aux esclaves. Le socialisme est la religion créée pour les esclaves du régime bourgeois.
Les socialistes ont imaginé que pour renverser l’oppression séculaire, il fallait avant tout que les esclaves acquièrent, comme ils disent, la certitude de la possibilité d’une vie juste sur terre tout en admettant que le pillage ne cesse pas pour autant dans l’immédiat, si forte que soit cette foi. Il faut au préalable, disent-ils tous, répandre à travers le monde entier l’idéal socialiste, ce qu’on appelle la conscience socialiste, c’est-à-dire justement la certitude inébranlable en l’avènement inévitable du régime socialiste. Pareils aux curés, ils appellent depuis près d’un siècle les affamés à se nourrir de la foi socialiste, de la nouvelle parole divine ; ils consolent tous les esclaves, tous les opprimés, en leur assurant que les générations futures obtiendront sans aucun doute toutes les richesses de la terre. Ainsi l’enseignement socialiste, tout comme les religions qui l’ont précédé, ne fait qu’endormir les masses exploitées, les retenir de toute révolte générale.

Quels que soient les livres, les brochures, les programmes ou les journaux que l’on consulte, qu’ils soient sociaux-démocrates ou anarchistes, anciens ou récents, partout les socialistes s’efforcent de suggérer aux ouvriers que leurs seuls exploiteurs, leurs seuls oppresseurs, ne sont que les détenteurs du capital, les propriétaires des moyens de production. Pourtant, dans tous les pays et États, il existe une immense classe de gens qui ne possèdent ni capital marchand ni capital industriel et, malgré tout, vivent comme de vrais maîtres.
C’est la classe des gens instruits, la classe de l’intelligentsia.
Ils ne possèdent ni terre ni usine, et cependant jouissent de revenus comparables à ceux des capitalistes, moyens ou grands. Ils ne possèdent rien, mais, tout comme les grands et moyens capitalistes sont des « mains blanches », comme eux exemptés leur vie durant de travail manuel ; et s’ils participent à la production, ce n’est qu’en qualité d’ingénieurs, de directeurs, de gérants ; ils apparaissent donc vis-à-vis des ouvriers, esclaves du travail manuel, en maîtres et dirigeants identiques en tout point aux capitalistes-entrepreneurs.
Les socialistes ont de tout temps répandu parmi les ouvriers un immense mensonge : il n’y aurait que des capitalistes qui vivraient de l’exploitation et du pillage. Pourquoi ce mensonge ? Qu’apporte-t-il aux socialistes ? Il préserve toute la société cultivée du monde des attaques d’esclaves insurgés, car les ouvriers socialistes qui en sont victimes ne s’en prennent qu’à la seule vieille classe de pillards. Aussi ce mensonge garantit-il la survie parasitaire de la société dominante, puisqu’il ne vise que le seul mode ancien de rapine.

Les prophètes du capitalisme assimilaient au « peuple laborieux entier » les millionnaires ; les socialistes agissent de même en mêlant impudemment aux rangs du « prolétariat travailleur et exploité » toute une classe de vrais « maîtres aux mains blanches », vivant la vie rassasiée des maîtres et jouant le rôle honorable et dominateur de commandant des esclaves, des travailleurs manuels. Cette armée de cols blancs se sert des révoltes ouvrières pour marchander, auprès des maîtres, des revenus propres sans cesse plus grands ; et en cas d’éviction de la classe des capitalistes — ce dont rêvent les socialistes — cette armée de cols blancs ne tarderait pas à occuper les places des entrepreneurs privés, de commander directement, et pour son propre compte, les ouvriers, et à s’approprier sans partage toutes les richesses du monde. Tout comme les capitalistes se sont réconciliés avec les aristocrates, l’intelligentsia, tout le monde cultivé, se réconcilierait rapidement avec les anciens maîtres, pour un ordre socialiste, et la servitude des ouvriers ne ferait que se renforcer.

Les ouvriers sont privés depuis des siècles non seulement des moyens de production, mais également de la capacité de diriger et de gérer l’industrie contemporaine sans cesse plus perfectionnée, car avant même de naître ils sont condamnés à rester ignorants, à ne posséder aucune des connaissances humaines, aucune des sciences modernes. Avant de prendre en main la production, les ouvriers doivent obtenir, par la lutte, le droit pour eux et pour leurs enfants d’acquérir ces connaissances par le même moyen que ces messieurs les « mains blanches ». Ce droit, les ouvriers ne le gagneront que lorsqu’ils auront fait monter la rétribution de leur travail jusqu’au niveau de celle des cols blancs, qui confère actuellement à ces derniers la possibilité d’entretenir leurs enfants au cours de leurs longues études.
Tant que les ouvriers n’auront pas arraché des mains du monde instruit ces connaissances, tant qu’ils resteront tels qu’ils sont actuellement, condamnés à un travail manuel servile et à être éduqués en esclaves, ils seront toujours commandés par leurs maîtres — les intellectuels aux mains blanches — que cela soit dans un État social-démocrate ou bien dans une communauté anarchiste.
Jan Waclav Makhaïski.

[Extrait de Le socialisme des intellectuels, 1898-1918.]
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