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« Ils ont tué une femme, pas son combat »

Ça y est, nous y sommes. Le déconfinement est en route, la machine à expulser redémarre : à l’intérieur des centres fermés, les tickets tombent. Angoisse et panique se sont emparées des détenu·e·s.

Michelle est enfermée depuis maintenant 7 mois. 7 mois de crainte, de tension et d’incertitude engendrant une détresse psychologique immense. Michelle a quitté son pays suite à des violences de genre dont elle a été victime. Elle était battue par son mari et a ensuite été chassée et battue par les frères de celui-ci. Arrivée en Belgique afin de demander la protection, elle n’a jusqu’à présent connu que les barreaux, le rejet, le mépris.

Son cas nous rappelle trop bien celui de Semira Adamu, devenue figure de résistance contre une politique profondément raciste et patriarcale. Sa mort avait provoqué un émoi politique et médiatique. Pour que l’on en parle, il lui aura fallu subir une agonie de 11 minutes. 11 minutes sous un coussin, maintenue par un gendarme, et ses 8 collègues qui sont restés spectateurs.

6000 personnes étaient alors présentes lors de ses funérailles. « Plus jamais ça », pouvait-on entendre. Doit-on rappeler que les centres fermés continuent de saccager et de détruire des vies ? Doit-on rappeler les passages à tabac ? Les insultes racistes au quotidien ? Le manque de nourriture – quand celle-ci n’est pas avariée – et la pression psychologique ? Énumérer les conditions ne devrait pas être nécessaire, l’enfermement se suffit à lui-même. L’enfermement tue, littéralement.

Aujourd’hui, les Semira Adamu sont nombreuses. Il y a deux ans, à l’occasion des 20 ans de sa mort, des militant·e·s scandaient ce slogan : « ils ont tué une femme, pas son combat ». Car le combat est loin d’être terminé. Michelle n’est pas « juste victime » de ce système : elle est aussi une résistante. Elle se bat et lutte tous les jours depuis des mois. Derrière les murs, les détenu·e·s crient leur colère et dénoncent l’injustice… Mais ne suscitent pas l’indignation nécessaire pour les mener vers la liberté.

Depuis l’affaire Semira Adamu, la «  technique du coussin  » est interdite. Cependant, l’utilisation de la contrainte physique ou de la violence lors des rapatriements n’est toujours pas explicitement proscrite. Au contraire, elle a été remaniée dans une nouvelle directive (la directive de la Commission Bossuyt) qui rend cette violence légale. Des techniques d’immobilisation restent autorisées, notamment l’usage des menottes et d’un gilet. Ces pratiques sont d’ailleurs régulièrement employées. Rappelons que l’expulsion est violente par essence : en les déportant sous la contrainte, on enlève à ces personnes la liberté fondamentale de choisir. Choisir où circuler, où s’installer.

« Ce qui est difficile, ce sont les menottes, celles que l’on te met quand on t’amène à l’aéroport. Ils nous détruisent, j’ai peur. » Michelle a reçu son deuxième ticket. Elle s’est opposée à son expulsion. La crainte d’un troisième ticket plane : et si la prochaine fois, l’escorte policière était au rendez-vous ? Et si la pression tant physique que psychologique était suffisamment forte cette fois pour taire ses protestations ? Michelle serait alors renvoyée dans un pays où elle craint véritablement pour sa vie. Brussels Airlines, complice des expulsions, a d’ores et déjà appelé Michelle dans le centre fermé afin qu’elle accepte de partir, « sans que cela ne tache leur publicité » ont-ils dit. Un départ volontaire fait moins de bruit qu’un départ avec escorte.

Les frontières sont injustes, elles érigent des murs visibles et invisibles qui divisent et stigmatisent. Ces frontières appuient les rapports de domination qui sont à l’œuvre dans nos sociétés : domination de classe, de race, de genre.

Lorsque les détenu·e·s sont expulsé·e·s, l’État belge, l’Union européenne et les ONG se préoccupent bien peu, voire pas du tout de leur sort. Ils et elles sont loin désormais. Il n’ y a plus personne pour dire et dénoncer. Dire les faits, dénoncer l’inacceptable. Las de l’inaction perpétuelle des gouvernant·e·s, nous appelons à la colère de chacun·e, à la mobilisation des collectifs, pour refuser ces politiques racistes et ainsi, honorer la mémoire de Semira, et de tou·te·s les autres. Celles et ceux qui ont payé de leur vie le silence politique et médiatique. Celles et ceux dont les libertés ont été bafouées. Celles et ceux aujourd’hui enfermé·e·s, demain peut-être expulsé·e·s. Pour que le « plus jamais ça » scandé pour Semira Adamu soit enfin entendu. Ne laissons pas l’État déconfiner les rafles, l’enfermement et les expulsions.

Pour la destruction des murs et des frontières. Pour la Liberté.

Signataires :

Lisette Lombé (artiste), Le MRAX (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie), la Compagnie Acteurs de l’Ombre, Migrations Libres, Asbl Le Coron – Village du Monde, Migrant Libre, le Goupe montois de soutien aux sans-papiers, Réseau ADES, Asbl Sercom, le Steki, le CFO (Collectif des Femmes qui l’Ouvrent), les JOC (Jeunes organisés et combatifs), le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage), Collectif CRER (Contre les Rafles, les Expulsions et pour la Régularisation), la CLAC (Collectif de Lutte Anticarcérale), Getting the voice out, Campagne Brussels Airlines Stop Deportations, Nemesis fighting club, Jean-Paul Foki (citoyen), Doris Pipers (citoyenne et anthropologue), Nordine Saïdi (militant décolonial et membre de Bruxelles Panthères), David Jamar (Sociologue à l’UMONS), Jean-Marc Brogniez (citoyen et écrivain)

Ce texte est une carte blanche parue en partie dans plusieurs médias mainstream ici et .


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