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Infos juridiques pour contester les amendes pénales Covid

posté le 04/05/21 par contestataires Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  solidarité 

Voici un texte qui contient des arguments de droit en cas de contestation d’une amende COVID, ainsi qu’un flyer qui explique la procédure à suivre en cas d’amende. Les juristes qui les ont rédigés souhaitent que ces documents circulent au maximum, comme outils à la disposition de toutes et tous.

Solidarité avec toustes les contestataires, qu’iels soient dans les rues, dans les bois ou face aux tribunaux. En espérant que ce travail puisse être utile, sans illusion aucune sur la justice de classe et la démocratie bien sûr.

Comment contester les « amendes pénales » Covid ?

Si vous voulez comprendre la procédure, les risques et les avantages en cas de contestation d’une proposition de transaction, lisez le document « Que faire si je reçois une « amende pénale » COVID ?

Si vous avez décidé de refuser la proposition de transaction pénale et de contester les faits, vous pouvez faire valoir deux types d’arguments.

1.Les arguments de fait

Il s’agit de tous les éléments qui contredisent ce qui est rapporté dans le PV (procès-verbal) de la police. Les arguments de fait dépendent de chaque situation, et du degré de précision du PV.

Le PV de la police ne vaut que comme simple renseignement pour les infractions COVID et doit en principe être confirmé par d’autres éléments pour devenir une preuve. En pratique cependant, les magistrats « suivent » ce que dit le PV, sauf si vous pouvez prouver de manière convaincante votre version des faits.

Si vous disposez d’éléments sérieux qui contredisent le PV, ceux-ci devront être pris en compte par le ministère public et ensuite par le juge.

Vous pouvez prouver votre version des faits par votre récit complet et précis, par des témoignages d’autres personnes, par des images (photos, vidéos), par des écrits (preuve d’achat, attestations, certificat médical, …), etc.

2.Les arguments de droit

Les arguments de droit consistent à mettre en évidence l’illégalité des mesures sur la base desquelles on vous a verbalisé·e, ou la mauvaise application de la procédure. Ils ne sont pas souvent accueillis par les tribunaux, à quelques exceptions près.

Si vous avez décidé de contester la proposition de transaction pénale, vous pouvez reprendre les arguments ci-dessous qui correspondent à votre cas et à ce qui figure dans le PV, et ensuite insérer des arguments de fait tels que décrits ci-dessus.

Si vous êtes convoqués devant un Tribunal, les arguments restent valables mais il est conseillé de consulter un avocat.

En italiques : les parties à modifier ou compléter en fonction de votre cas et de ce que dit le PV.

Voici les principaux arguments de droit à faire valoir :

• Arguments 1 et 2 : l’illégalité des mesures
• Argument 3 : on ne peut pas soumettre tout rassemblement à une autorisation préalable
• Argument 4 : visite domiciliaire illégale (en cas de « fête illégale »)
• Argument 5 : illégalité de l’interdiction de voyager
• Argument 6 : le PV a été envoyé tardivement par le Procureur du Roi

1. Absence de base légale valable

Les différents arrêtés reposent sur trois bases légales : l’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile, les articles 11 et 42 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police et les articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile.

La loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile ne couvre pas le risque épidémiologique. En effet, de manière générale, la loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile a pour vocation de répondre “aux risques” d’une société moderne, sans que ne soit évoqué le risque sanitaire.

Le résumé de la loi indique :

« La législation portant organisation des services de secours se devait de s’adapter aux nouveaux défis et risques rencontrés dans une société moderne.
Fort de ce constat et des expériences malheureuses du passé, et plus particulièrement de la catastrophe de Ghislenghien, un projet de réforme et de refonte de la sécurité civile a été établi. Il a vocation à consolider l’ancrage fédéral de la matière et à permettre une amélioration significative des secours aux citoyens ».

Ni le résumé, ni l’exposé des motifs ne font référence à une situation de risque sanitaire due à une épidémie. Il est uniquement explicitement fait référence aux risques liés aux incendies, explosions, catastrophes ou incidents.

Les missions générales des services opérationnels de la sécurité civile énumérées à l’article 11 de la loi du 15 mai 2007 n’incluent pas non plus la lutte contre des épidémies :

« § 1er. Les missions générales des services opérationnels de la sécurité civile sont : 1° le sauvetage de personnes et l’assistance aux personnes dans des circonstances dangereuses et la protection de leurs biens ;
2° l’aide médicale urgente telle que définie à l’article 1er de la loi du 8 juillet 1964 relative à l’aide médicale urgente ;
3° la lutte contre l’incendie et l’explosion et leurs conséquences ;
4° la lutte contre la pollution et contre la libération de substances dangereuses en ce compris les substances radioactives et les rayons ionisants ;
5° l’appui logistique.
§ 2. Font intégralement partie des missions énumérées au § 1er, 1°, 3°, 5° : la prévision, la prévention, la préparation, l’exécution et l’évaluation.
Au sens du présent paragraphe, on entend par :
1° prévision : toutes les mesures pour inventorier et analyser les risques ; 2° prévention : toutes les mesures visant à limiter l’apparition d’un risque ou à minimiser les conséquences de la concrétisation de celui-ci ;
3° préparation : toutes les mesures pour assurer que le service est prêt à faire face à un incident réel ; 4° exécution : toutes les mesures qui sont prises quand l’incident se produit réellement ; 5° évaluation : toutes les mesures pour améliorer la prévision, la prévention, la préparation et l’exécution en tirant des conclusions de l’incident.
§ 3. Sans préjudice des compétences des autres services publics, les zones de secours veillent à l’application des réglementations concernant la prévention de l’incendie et de l’explosion. »

Les situations d’épidémie ne sont pas non plus visées dans le commentaire de cet article 11 qui donne des exemples concernant la mission de « sauvetage de personnes et l’assistance aux personnes dans des circonstances dangereuses et la protection de leurs biens ». Les travaux parlementaires prennent le temps de citer des situations spécifiques telles que la destruction de nids de guêpes sans mentionner la situation plus générale des épidémies.

D’autres dispositions parlent explicitement du risque épidémiologique, c’est le cas notamment de la nouvelle loi communale qui prévoit, en son article 135, §2, 5° que les communes ont pour mission de faire jouir la population d’une bonne police, notamment en prenant le soin de prévenir, ou de faire cesser des fléaux calamiteux tels que les épidémies.

Ce n’est pas le cas des articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 qui doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive.

Le fait que la loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile ne vise pas les situations d’épidémie ou de risque sanitaire est clairement confirmé par l’adoption de la loi de pouvoirs spéciaux du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19.

L’article 2 de cette loi indique :

« Afin de permettre à la Belgique de réagir à l’épidémie ou la pandémie du coronavirus COVID-19 et d’en gérer les conséquences, le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, prendre les mesures visées à l’article 5, § 1er, 1° à 8°.
[…] »

L’article 5 de la loi de pouvoirs spéciaux prévoit :

« § 1er. En vue de réaliser les objectifs visés à l’article 2, alinéa 1er, le Roi peut prendre des mesures pour :
1° combattre la propagation ultérieure du coronavirus COVID-19 au sein de la population, y compris le maintien de la santé publique et de l’ordre public ;
[…] »

On le voit, le législateur a estimé qu’il n’existait pas de cadre législatif pour permettre de lutter contre la propagation du COVID-19.

Les travaux parlementaires ne mentionnent absolument pas la loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile, ce qui montre également que le législateur n’estime pas que cette législation s’applique à la présente situation d’épidémie.

Cependant, l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (dans sa version consolidée) indique qu’il se base sur ces articles de la loi de 2007, dont l’objet n’est pourtant pas de prévenir ou gérer des épidémies.

Si l’on devait considérer que les missions de protection civile incluent les situations d’épidémie, quod non, il conviendrait de constater que les articles 181 et 182 de loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile n’envisagent que des mesures de réquisition et d’évacuation et non d’autres mesures sanitaires spécifiques à des situations d’épidémie.

L’article 181 de la loi du 15 mai 2007 prévoit :

« § 1er. Le ministre ou son délégué peut, lors des interventions effectuées dans le cadre des missions visées à l’article 11, en l’absence de services publics disponibles et à défaut de moyens suffisants, procéder à la réquisition des personnes et des choses qu’il juge nécessaire.
Le même pouvoir est reconnu au bourgmestre ainsi qu’au commandant de zone et, par délégation de ce dernier, aux officiers lors d’interventions de ces services dans le cadre de leurs missions. Le Roi fixe la procédure et les modalités de la réquisition.
§ 2. Supportent les frais liés à la réquisition des personnes et des choses et remboursent ces frais aux ayants droit :
1° l’Etat, lorsque c’est le ministre ou son délégué qui procède à la réquisition ;
2° la commune lorsque c’est le bourgmestre qui procède à la réquisition ;
3° la zone lorsque c’est le commandant de zone ou les officiers qui procèdent à la réquisition. Les frais ne sont pas dus lorsqu’ils résultent de la réparation des dommages occasionnés aux personnes et aux choses requises et résultant d’accidents survenus dans le cours ou par le fait de l’exécution des opérations en vue desquelles la réquisition a eu lieu, lorsque l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime.
§ 3. Pendant la durée des prestations, le contrat de travail et le contrat d’apprentissage sont suspendus au profit des travailleurs qui font partie de ces services ou qui font l’objet d’une réquisition. »

L’article 182 prévoit lui que :

« Le ministre ou son délégué peut, en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure ; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population.
Le même pouvoir est reconnu au bourgmestre. »

Les situations d’épidémie impliquent de nombreuses mesures sanitaires que des mesures de réquisitions et d’évacuation ne sont pas propres à régler : gestes barrières, contacts physiques entre les personnes, mise en quarantaine des personnes infectées, etc.

Ces dispositions légales n’autorisent donc pas le Ministre ou le Bourgmestre à prendre des mesures sanitaires en dehors de mesures de réquisition et d’évacuation, ni à ériger le non-respect de ces mesures sanitaires en infraction pénale.

Le Tribunal de première instance de Bruxelles, dans son jugement du 31 mars 2021, suit le même raisonnement lorsqu’il déclare que “la loi du 15 mai 2007 vise des situations bien spécifiques qui ne recouvrent pas la situation de gestion d’une pandémie, cette situation n’est pas visée par la loi ni ne ressort de ses motifs ; soutenir que cette loi offrirait une base légale suffisante aux arrêtés ministériels litigieux reviendrait à conférer à une loi d’habilitation ordinaire une portée générale identique à celle que pourrait avoir une habilitation de pouvoirs spéciaux sans les garde-fous qui l’entourent”.

L’article 182, qui vise l’évacuation, ne prévoit clairement aucune modalisation des mesures. Les termes ne permettent pas la prise de mesures qui modulent ou conditionnent l’accès à certains lieux ou les possibilités de déplacement.

Concernant la loi du 31 décembre 1963, l’article 4 dispose que :

“Le Ministre ayant l’Intérieur dans ses attributions organise les moyens et provoque les mesures nécessaires à la protection civile pour l’ensemble du territoire national. Il coordonne la préparation et l’application de ces mesures, au sein tant des divers départements ministériels que des organismes publics. Cette coordination vise également toutes les mesures relatives à la mise en œuvre des ressources de la Nation qui doivent être prises, même en temps de paix, en vue d’assurer la protection civile en temps de guerre. Le Ministre exerce ses attributions à l’égard des problèmes de la protection civile traités dans les organisations internationales et à propos des échanges internationaux utiles dans ce domaine”.

Or, l’article 6 de cette même loi dispose que :

“ Le Ministre ayant l’Intérieur dans ses attributions, ou son délégué, peut en temps de guerre ou lorsqu’il y a menace d’événements calamiteux de catastrophes et de sinistres, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure ; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population”.

L’on constate que cette disposition ne constitue pas non plus une base légale suffisante, et ce pour les mêmes raisons.

Concernant la loi du 5 août 1992, l’article 11 dispose que :

“Sans préjudice des compétences qui leur sont attribuées par ou en vertu de la loi, le ministre de l’Intérieur et le gouverneur exercent à titre subsidiaire les attributions du bourgmestre ou des institutions communales lorsqu’ils manquent, volontairement ou non, à leurs responsabilités, lorsque les troubles à l’ordre public s’étendent au territoire de plusieurs communes, ou lorsque, bien que l’événement ou la situation soit localisée dans une seule commune, l’intérêt général exige leur intervention”.

La disposition précise bien que cette compétence s’exerce à titre subsidiaire. Elle doit donc être de circonstance et temporaire. Or, en l’espèce, les caractères subsidiaire et temporaire ne sont absolument pas présents.

Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (dans sa version consolidée) a été pris sans la moindre habilitation légale.

En outre, ces restrictions violent aussi un autre principe constitutionnel : l’interdiction de suspendre la Constitution (article 187 de la Constitution).

L’article 159 de la Constitution dispose que :

« Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois. »

L’application de l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (dans sa version consolidée) doit donc être écartée sur base de l’article 159 de la Constitution.

Les poursuites sont donc irrecevables car ces faits ne sont pas sanctionnés pénalement.

2. Violation du principe de légalité en matière pénale

En matière pénale, le principe de légalité des incriminations au sens formel est un principe fondateur de nos démocraties :

« Au sens formel, le principe de légalité en droit pénal signifie donc que seule la loi peut créer des incriminations et établir des peines. La formule « nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege » traduit cette philosophie légaliste héritée des lumières qui voyait dans ce principe une garantie fondamentale des libertés ».

Les articles 12 et 14 de la Constitution garantissent à tout citoyen qu’il ne pourra voir des comportements érigés en infraction pénale sans que les aspects essentiels de la poursuite et de la peine n’aient été décidés par une assemblée délibérante démocratiquement élue.

Comme indiqué ci-dessus, le Ministre érige par l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (dans sa version consolidée) une série de comportements en infraction sans trouver la moindre habilitation dans la loi à cet égard.

Si l’on devait considérer qu’une habilitation puisse être implicitement trouvée, fût-ce en germe, au sein de la loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile, il faudrait toutefois constater que le Ministre a fait usage de cette habilitation d’une manière contraire au principe de légalité.

En effet, le Ministre adopte des mesures sanitaires dont il sanctionne pénalement le non-respect alors que les aspects essentiels à cet égard n’ont pas été préalablement fixés par le législateur.

En l’espèce, le législateur n’a prévu aucun cadre déterminant quelles sont les mesures sanitaires qui peuvent être prises dans le cadre d’une épidémie et dont le non-respect peut être sanctionné pénalement.

Ainsi, plus particulièrement, il appartenait au législateur, et à lui seul, de définir dans quelle mesure des mesures sanitaires qui contreviennent frontalement aux libertés individuelles telles que les interdictions de rassemblements ou les interdictions de voir les membres de sa famille ou des amis, pouvaient intervenir et être sanctionnées pénalement.

De même, si l’on peut concevoir que dans le cadre d’une épidémie s’étalant sur plusieurs mois, des déplacements doivent pouvoir être autorisés et d’autres interdits alors qu’ils présentent les mêmes risques sanitaires, et ce afin d’assurer le respect de droits fondamentaux ou le fonctionnement de l’économie, le Ministre ne pouvait pas lui-même opérer des choix entre ces différents déplacements sans qu’un cadre déterminant les éléments et les critères essentiels ne soit fixé par le législateur.

De manière générale, il revenait au législateur de définir les aspects essentiels des comportements qu’il comptait ériger en infraction, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

En érigeant les différents comportements précités en infraction, le Ministre méconnait les limites de l’habilitation qu’il pense pouvoir puiser dans les articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile. Par ailleurs, il viole également les articles 12 et 14 de la Constitution qui réservent au législateur le soin de fixer les éléments essentiels concernant les poursuites et les peines.

Le législateur a ainsi privé une catégorie de personnes de l’intervention d’une assemblée démocratiquement élue de manière contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

En outre, la Cour constitutionnelle rappelle que le principe de légalité exige que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable.

Le législateur doit définir des infractions avec clarté et précision pour que le citoyen puisse connaître et comprendre ce que la loi pénale interdit « à la seule lecture de la loi ».

En l’espèce, la succession rapide d’arrêtés ministériels, modifiant les règles qu’ils contiennent à un rythme soutenu, n’offre pas une visibilité claire sur les mesures en vigueur, tant celles-ci varient dans un laps de temps réduit. L’arrêté ministériel du 28 mars 2020 a été modifié 14 fois en cinq mois. Dans ces conditions, il est déraisonnable de demander au citoyen d’être au courant de ces évolutions nombreuses, d’autant plus que la formulation des arrêtés ministériels, procédant par modifications successives d’un texte, sont rendus pratiquement illisibles pour des non-juristes.

Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (dans sa version consolidée) est contraire au principe de légalité.

L’article 159 de la Constitution dispose que :

« Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois. »

L’application de l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (dans sa version consolidée) doit donc être écartée sur base de l’article 159 de la Constitution.

Les poursuites sont donc irrecevables car ces faits ne sont pas sanctionnés pénalement.

3. On ne peut pas soumettre tout rassemblement à une autorisation préalable (Violation de la liberté d’expression et de manifestation).

L’action pour laquelle il est envisagé d’infliger une sanction relève de la liberté d’expression et de manifestation, valeurs fondamentales dans une société démocratique protégées notamment par la Constitution (art. 19 et 26) et la Convention européenne des droits de l’homme (art. 10 et 11).

Selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’obligation de demander une autorisation préalable pour manifester ne peut pas devenir un obstacle qui viderait la liberté d’expression de sa substance. Les autorités publiques doivent faire preuve de tolérance vis-à-vis des manifestations pacifiques, même lorsqu’elles se déroulent sans autorisation formelle ou lorsqu’elles ne respectent pas les formalités prévues par la réglementation locale. La liberté de manifester vaut également pour les personnes qui organisent une contre-manifestation. Tant que les (contre-)manifestants n’ont pas d’intentions violentes, les autorités doivent tolérer leur expression et les perturbations mineures qu’engendre inévitablement toute réunion tenue sur la voie publique.

Selon cette même Cour, infliger une sanction, même légère, à des manifestants pour avoir exprimé pacifiquement leur point de vue dans l’espace public revient à violer leur liberté d’expression et de réunion, même si la manifestation, ou la contre-manifestation, n’était pas formellement autorisée ou avait été annoncée après le délai réglementaire.

D’après la jurisprudence de la CEDH, les États ont une obligation de tolérance quant aux rassemblements organisés dans l’espace public : « une situation illégale, telle que l’organisation d’une manifestation sans autorisation préalable, ne justifie pas nécessairement une ingérence dans l’exercice par une personne de son droit à la liberté d’expression (…) Si les règles régissant les réunions publiques, telles qu’un système de notification préalable, sont essentielles pour le bon déroulement des manifestations publiques, étant donné qu’elles permettent aux autorités de réduire au minimum les perturbations de la circulation et de prendre d’autres mesures de sécurité, leur mise en œuvre ne doit pas devenir une fin en soi (…). En particulier, en l’absence d’actes de violence de la part des manifestants, il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion garantie par l’article 11 de la Convention ne soit pas vidée de sa substance (Oya Ataman, précité, § 42, Bukta et autres, précité, § 37, Nurettin Aldemir et autres, précité, § 46, Achougian, précité, § 90, Éva Molnár, précité, § 36, Barraco, précité, § 43, Berladir et autres, précité, § 38, Fáber, précité, § 47, İzci c. Turquie, no 42606/05, § 89, 23 juillet 2013, et Kasparov et autres, précité, § 91) ».

Concernant le droit de manifester et ses restrictions, il faut rappeler que la CEDH a déclaré que « une interdiction générale des manifestations ne peut se justifier que s’il existe un risque réel qu’elles aboutissent à des troubles qu’on ne peut empêcher par d’autres mesures moins rigoureuses ».

Compte tenu de tous ces éléments, il faut considérer que la proposition de transaction viole le principe de liberté d’expression et de manifestation pacifique, non seulement parce qu’elle n’est pas « nécessaire dans une société démocratique », mais aussi parce qu’elle tend à dissuader les citoyens d’exprimer pacifiquement leur opinion dans l’espace public.

En outre, la proposition de transaction fondée sur l’interdiction de rassemblement est illégale parce que les libertés d’expression et de manifestation (consacrées par des traités internationaux dont la Convention européenne des droits de l’Homme) ont une valeur juridique supérieure à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, tel que modifié par l’AM du 26 mars 2021.

Je vous demande également de supprimer mes données personnelles de vos fichiers, ainsi que des banques de données des autorités auxquelles vous les auriez transférées. En effet, il est inacceptable et illégal (notamment au regard de mon droit à la vie privée protégé par la loi du 8 décembre 1992 et l’article 8 de la CEDH) que je puisse être fiché pour un acte qui ne mérite aucune sanction parce qu’il relève de ma liberté d’expression.

Les principes de proportionnalité et de nécessité impliquent, tant en droit interne qu’au niveau européen, que ces restrictions soient adéquates aux objectifs poursuivis, “nécessaires dans une société démocratique” et non excessives. Pour ce faire, il est important que les pouvoirs publics exposent clairement les motifs de ces restrictions, établissent la pertinence et l’adéquation des mesures par rapport à l’objectif poursuivi, justifient la nécessité de ces mesures, “notamment par rapport à l’existence de voies moins attentatoires que celles envisagées et la prise en compte de l’ensemble des droits et libertés concernés par ces mesures”.

Afin de remplir la condition de nécessité, les restrictions doivent être justifiées par “un besoin social impérieux et par des motifs suffisants et pertinents”. La nécessité s’apprécie in concreto (état de la situation aux moments des faits).

La CEDH rappelle également que “la liberté de réunion pacifique, l’un des fondements d’une société démocratique, est assortie d’un certain nombre d’exceptions qui appellent une interprétation étroite et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de façon convaincante”.

Enfin, les sanctions prévues dans les mesures sont aussi à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence par rapport au but qu’elle poursuit.

L’application de ces principes “ suppose que les mesures adoptées soient limitées quant à leur portée et leur durée, et qu’en cas de choix entre plusieurs mesures efficaces, l’approche qui a le moindre impact négatif du point de vue des droits humains soit choisie”. En outre, “avoir l’objectif de protéger la vie n’autorise pas des mesures qui porteraient une atteinte disproportionnée aux autres droits fondamentaux”. En effet, il n’existe pas de hiérarchie entre les libertés fondamentales.

Concernant la motivation de ces restrictions, il convient de rappeler que l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs impose aux autorités administratives de motiver tout acte administratif. La motivation exigée consiste en “l’indication, dans l’acte, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Elle doit être adéquate”. Enfin, “l’urgence n’a pas pour effet de dispenser l’autorité administrative de la motivation formelle de ses actes”.

En l’espèce, dans un premier temps, si dans l’urgence et l’inconnu, ces restrictions étaient peut-être bien nécessaires, on peut regretter que, plus d’un an après et malgré les mesures prises, on soit toujours dans la même situation. Le temporaire devient permanent. Le critère de la protection de la santé publique ne peut justifier à lui seul les restrictions au droit de se rassembler et/ou de manifester. On le comprend, nous allons devoir cohabiter avec le Covid-19 encore quelques temps. Cette situation implique une adaptation proportionnée, une évaluation permanente et une réelle réflexion sur ces restrictions, et cela en toute transparence vis-à-vis des citoyens. On le rappelle, les restrictions sont l’exception, la règle étant la liberté. En outre, les conséquences de ces mesures commencent à se ressentir : au niveau économique, psychologique et social (explosion du chômage, dépressions, fermetures des écoles, augmentation de la violence intrafamiliale, etc.), mais aussi au niveau de nos droits fondamentaux. Concernant le droit de se rassembler et/ou manifester, les limitations sont telles qu’elles s’apparentent plus à une interdiction pure et simple. Elles sont, de plus, incohérentes : on peut, par exemple, se réunir à 15 dans une église, lieu clos, mais pas à plus de 4 dans un lieu extérieur.

Partant de ce constat, on peut déduire le caractère disproportionné des mesures et de ses sanctions pénales. En effet, le Gouvernement a choisi la voie la plus liberticide qui soit, et cela sans réelle limite de temps, les restrictions étant systématiquement prolongées. Le Tribunal de première instance de Bruxelles siégeant en référé (jugement du 31-3-2021) fait le même constat en déclarant que “lorsque tant de libertés fondamentales sont limitées depuis plus d’une année, il s’agit en l’espèce de constater que le maintien de telles restrictions sur la durée et, à ce stade, sans limite dans le temps (la prorogation systématique de la durée des mesures par voie d’arrêtés n’est que l’apparat d’une durée illimitée), constitue nécessairement une aggravation des inconvénients qu’elles engendrent pour les destinataires de ces libertés”.

En tout état de cause, un test de proportionnalité doit être effectué par le Parlement entre ces restrictions au droit de se rassembler et l’objectif poursuivi par le Gouvernement, à savoir la protection de la santé publique (l’objectif légitime n’est pas contesté). En effet, d’autres solutions pourraient être envisagées, comme l’obligation de se faire tester avant tout rassemblement, autoriser de plus grands rassemblements tout en respectant les distanciations sociales, autoriser les rassemblements extérieurs (les contaminations se faisant rarement à l’extérieur : voyez par exemple https://www.lesoir.be/364945/article/2021-04-06/une-contamination-sur-1000-lieu-en-exterieur-selon-une-etude ), etc. En outre, “ la publication de la motivation écrite de la proportionnalité des mesures devrait être obligatoire”. En effet, la transparence est fondamentale, ne serait-ce que pour l’adhésion de la population aux mesures.

Enfin, l’interdiction de se rassembler peut aussi porter atteinte à la liberté de culte. Selon le Conseil d’Etat « la liberté religieuse est un droit fondamental qui occupe une place prépondérante dans la Constitution. Toute limitation à l’exercice individuel mais aussi collectif du culte ne doit pas seulement correspondre à un besoin social impérieux, tel que la lutte contre l’épidémie de coronavirus Covid-19, mais elle doit aussi être proportionnée à l’objectif poursuivi (article 19 de la Constitution, combiné avec l’article 9 de la C.E.D.H. et l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Prima facie, l’interdiction de tout exercice collectif du culte (sous réserve de quelques exceptions pour la célébration de mariages, d’enterrements ou de cérémonies enregistrées) porte une atteinte disproportionnée à la liberté religieuse ».

Pour conclure, selon différents organismes de protection des droits humains, “nous ne comprendrions pas – et nous n’accepterons pas – que le prochain Conseil de sécurité n’autorise pas (...) la tenue de rassemblements publics pacifiques alors qu’il est autorisé depuis des semaines maintenant d’affluer dans les rues commerçantes. Nous vous rappelons le droit constitutionnel à l’action collective (y compris le droit de manifester dans l’espace public) et la liberté d’association et de réunion publique. Il s’agit de principes fondamentaux qui ne peuvent être restreints qu’exceptionnellement et temporairement. Hormis les précautions générales qui sont exigées de tous les citoyens (distance physique, hygiène, masques…), les restrictions à ces droits fondamentaux ne sont plus acceptables. Il y a une urgence démocratique, sociale et culturelle”.

4. Visite domiciliaire : violation du principe d’inviolabilité du domicile

Le principe de l’inviolabilité du domicile est contenu dans l’article 15 de la Constitution qui prévoit :

« Le domicile est inviolable ; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ».

En matière pénale, les exceptions à ce principe sont limitativement énumérées dans le Code d’instruction criminelle ainsi que dans la loi du 7 juillet 1969 (loi fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou arrestations).

Dans le cadre des mesures Covid, la circulaire COL06/2020 spécifie que, sauf la compétence du juge d’instruction, on ne peut pénétrer dans un lieu privé qu’en cas de constat d’une infraction en flagrant délit ou moyennant le consentement écrit et préalable de la personne qui a la jouissance effective des lieux.

La circulaire précise : « dans le cadre de la recherche et de la constatation des infractions à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, les dispositions du Code d’instruction criminelle et de la loi du 7 juin 1969 permettant de pénétrer dans un lieu privé en cas de flagrant délit, ne peuvent être appliquées sans accord explicite et préalable du Procureur du Roi. En effet, le recours en l’espèce à cette prérogative ne rencontrera pas les exigences de proportionnalité auxquelles une ingérence dans la vie privée doit répondre, raison pour laquelle une appréciation par le magistrat du parquet s’impose. Ce dernier appréciera, entre autres, s’il existe des indices sérieux qu’une infraction à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 est en train de se commettre. »

Elle conclut en indiquant que « des constatations des infractions à l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 qui ne sont pas conformes à ce qui précède, ne peuvent pas donner lieu à une proposition de transaction pénale (immédiate) ou à des poursuites. Les procès-verbaux éventuellement établis seront classés sans suite. »

En ce qui me concerne, la visite domiciliaire qui a eu lieu est illégale : en effet, les policiers ont pénétré dans le domicile sans qu’aucune personne ayant la jouissance des lieux n’ait donné son autorisation écrite préalable.

Ensuite, le constat d’un flagrant délit doit préexister à l’entrée dans un domicile, le flagrant délit ne pourrait être constaté a posteriori, une fois les policiers entrés dans le domicile.

Il n’y a pas non plus de flagrant délit si les policiers se fondent uniquement sur des indices ou des présomptions pour penser qu’un délit pourrait avoir été commis.

En ce qui me concerne, le procès-verbal ne donne aucun élément permettant de constater l’état de flagrant délit avant de pénétrer de force dans le domicile.

Enfin, quand-bien-même on devrait considérer le fragrant délit établi (ce qui est contesté) le procès-verbal ne mentionne pas l’accord préalable d’un magistrat /ou/ les policiers n’ont pas contacté de magistrat pour obtenir un accord préalable à leur entrée.

Pour toutes ces raisons, la visite domiciliaire qui a eu lieu est illégale et viole, outre les normes législatives et de politique criminelle d’application, le principe de l’inviolabilité du domicile prévu à l’article 15 de la Constitution.

5. L’interdiction de déplacements de et vers l’étranger viole le droit de l’Union européenne, n’a aucune base légale et méconnaît les principes de proportionnalité et de motivation.

5.1. Violation du droit de l’Union européenne

L’interdiction de déplacements de et vers l’étranger figurant dans l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (AM) modifié sur ce point à de nombreuses reprises, viole :

- les articles 7 et 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ;

- les articles 18, 20, 21 et 77 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) ;

- les articles 25 à 29 du Règlement UE 2016/399 concernant un Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (Code frontières Schengen) ;

- les articles 27 à 32 de la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, tels qu’ils doivent être interprétés à la lumière de la recommandation 2020/912 du Conseil européen du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels et la possible levée de cette restriction et de la recommandation du 1er février 2021 amendant la précédente recommandation, des principes de proportionnalité et de non-discrimination et de l’appréciation manifestement déraisonnable des faits.

D’une part, parce que en contradiction avec les prescriptions des dispositions invoquées, cet AM établit une interdiction pure et simple des voyages dits « non essentiels » de ou vers la Belgique, sans respect des principes posés par ces articles, par les principes de proportionnalité et de non-discrimination et sans, par ailleurs, prévoir de dispositions similaires pour les voyages à l’intérieur des frontières de la Belgique, fût-ce de et vers des zones rouges.

D’autre part, et à tout le moins, car en contradiction avec les prescriptions des dispositions invoquées, cet AM établit une interdiction pure et simple des voyages dits « non essentiels » de ou vers la Belgique, sans distinguer entre les différentes catégories de voyages non essentiels et, en particulier, en incluant dans cette notion, au même titre que les voyages purement touristiques, les voyages permettant de rendre visite dans un autre État membre de l’UE à des membres de la famille directe (y inclus parents au premier degré) des candidats voyageurs.

5.1.1. Rappel des dispositions et principes applicables.

Selon l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ».

Selon l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « 1. Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres... ». Cette notion de "citoyen de l’UE" découle directement de l’article 9 du Traité sur l’Union européenne qui stipule que « est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre ».

Selon l’article 18 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), « Dans le domaine d’application des Traités, et sans préjudices des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent prendre toute réglementation en vue de l’interdiction de ces discriminations ».

Selon l’article 20.2. du TFUE, « Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les Traités. Ils ont, entre autres :

a. Le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ... ».

Selon l’article 21.1. du TFUE, « Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les Traités et par les dispositions prises pour leur application ».

Selon l’article 1 du Règlement Schengen, « Le présent règlement prévoit l’absence de contrôle aux frontières des personnes franchissant les frontières intérieures entre les États membre de l’Union ».

L’article 25 du Règlement Schengen prévoit certaines exceptions en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.

L’article 26 du Règlement Schengen prévoit les critères pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures. Il prévoit que l’État membre qui souhaite réintroduire un contrôle temporaire de ses frontières intérieures doit « évalue(r) la proportionnalité de la mesure par rapport à cette menace » en tenant compte en particulier de « l’incidence probable de toute menace pour son ordre public ou sa sécurité intérieure, y compris du fait d’incident ou de menace terroriste, dont celle qui représente la criminalité organisée » et « l’incidence probable d’une telle mesure sur la libre circulation des personnes au sein de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures ».

L’article 27 du Règlement Schengen prévoit une obligation de notification aux autres États membres et à la Commission des mesures de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures.

Il importe de rappeler que le Règlement Schengen organise les modalités du rétablissement dérogatoire par un État des contrôles aux frontières intérieures. Il est donc sans préjudice du maintien de la liberté de circulation des personnes contrôlées qui est régie par la directive 2004/38.

L’article 27 de la directive 2004/38 prévoit la possibilité d’imposer certaines restrictions à la liberté de circuler pour des raisons d’ordre public et de sécurité intérieure. L’alinéa 2 de l’Article 27 précise que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné, et que des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. Ainsi pour qu’un État membre puisse restreindre la liberté de circuler d’un citoyen, il est nécessaire que le comportement de la personne concernée représente une menace réelle, actuelle et grave pour les intérêts de la société.
L’article 29 de la directive 2004/38 précise ces restrictions possibles en cas d’épidémies tout en précisant que ces restrictions sont possibles pour autant qu’elles fassent, dans le pays d’accueil, l’objet de dispositions de protection à l’égard des ressortissants de l’État membre d’accueil.

La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne notamment dans l’affaire Emir Gül (arrêt du 7 mai 1986), est venu y préciser que "la faculté des États membres de limiter la libre circulation des personnes pour des motifs de santé publique" est limité à la possibilité "de pouvoir refuser l’accès ou le séjour sur leur territoire à des personnes dont l’accès ou le séjour sur ce territoire constituerait, en tant que tel, un danger pour la santé publique" (§ 17) conforme en cela à l’esprit de la Directive.

La recommandation UE 2020/912 du Conseil européen du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l’UE et la possible levée de cette restriction prévoit, en son article 1 que « Les États membres devraient lever progressivement la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l’Union européenne à compter du 1er juillet 2020, de manière coordonnée et à l’égard des résidents des pays tiers dont la liste figure à l’annexe 1 ».

Cette recommandation ne vise pas les mesures d’interdiction de voyages au sein de l’Union européenne.

La Cour de Justice de l’UE a également établi le principe de la responsabilité générale incluant toutes les violations du droit de l’Union imputables à l’État membre (arrêt du 5 mars 1996 dans les affaires jointes C-46/93, Brasserie du pêcheur, et C-48/93, Factortame). Elle a notamment souligné dans l’arrêt C 445/06 Danske Slagterier, du 24 mars 2009, la responsabilité d’un État du fait de dispositions contraires aux grandes libertés de circulation protégées du Traité sur le fonctionnement de l’UE.

5.1.2. Application en l’espèce – A titre principal.

Il ressort des textes légaux et de la jurisprudence cités ci-dessus que la liberté de circuler sur le territoire de l’Union européenne, sans avoir à subir de contrôles aux frontières, est un droit fondamental des citoyens européens.

Il ne peut être limité que dans des hypothèses extraordinaires, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, pour autant que ces mesures soient absolument nécessaires à la poursuite de ces objectifs de protection, qu’elles soient proportionnées et adaptées au but poursuivi, dument justifiées et respectueuses du principe de non- discrimination entre les citoyens des différents États de l’Union.

Il est de jurisprudence constante de la CJUE que toute dérogation à une liberté fondamentale est d’interprétation stricte (il s’agit d’ailleurs d’un principe général d’interprétation des lois et dispositions réglementaires : les exceptions sont de stricte interprétation). Il est également de jurisprudence constante que l’existence et la mise en œuvre, aux fins du même objectif, de mesures moins restrictives de la liberté permet de disqualifier le caractère proportionné de la mesure en cause.

L’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 (tel que modifié en particulier par l’arrêté ministériel du 26 janvier 2021 et prolongé par celui du 6 mars 2021), interdit purement et simplement tout voyage dit « non essentiel » de ou vers la Belgique, même à l’égard de pays faisant partie de l’Union européenne et de l’espace Schengen. Il prévoit ainsi une interdiction générale, même pour un individu pour lequel il serait établi, par exemple sur la base d’un test négatif, qu’il ne présente aucun risque sanitaire réel à titre individuel, solution absurde s’il en est.

Il ne prévoit, en revanche, aucune mesure d’interdiction des mêmes voyages à l’intérieur des frontières nationales belges. La différence de traitement entre les voyages à l’intérieur des frontières belges, même vers des zones où la situation sanitaire est périlleuse et les voyages vers des pays voisins, situés à l’intérieur de l’espace Schengen, même vers des zones où la situation est moins grave que dans certaines parties du territoire national, n’est nullement expliquée par les motifs des actes attaqués, spécialement dans les motifs de l’arrêté du 6 février 2021.
Celui-ci se contente de viser l’article 191 du TFUE qui, selon arrêté du 6 février 2021, « consacre le principe de précaution dans le cadre de la gestion d’une crise sanitaire internationale et de la préparation active à la potentialité de ces crises ; que ce principe implique que lorsqu’un risque grave présente une forte probabilité de se réaliser, il revient aux autorités publiques d’adopter des mesures urgentes et provisoires » alors que l’article 191 du TFUE prévoit seulement que « la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants : ... la protection des personnes ... » et que « la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur payeur » ce qui ne peut, en rien, justifier l’adoption d’une mesure interdisant purement et simplement les voyages vers d’autres pays faisant partie de l’espace Schengen, spécialement alors qu’aucune mesure restrictive n’est prise pour les voyages à l’intérieur des frontières nationales.

L’exposé des motifs de l’arrêté ministériel du 26 janvier 2021 fait référence à l’apparition de nouveaux variants, plus contagieux, du coronavirus COVID-19, qui présentent donc un risque de contamination accru sur fond d’une situation sanitaire qui, quoique relativement stable, reste « grave et précaire », pour toute justification de la mesure générale d’interdiction des voyages non essentiels de ou vers la Belgique.

Aucune justification n’est donnée quant au fait que :

(1) les mesures antérieures, qui ont permis la stabilisation de la situation sanitaire sur le territoire belge seraient insuffisantes ;

Cette affirmation n’est nullement démontrée. Rien n’établit que les voyages non essentiels à l’étranger, vers des pays européens dont la situation sanitaire est similaire à la nôtre, serait à l’origine d’une aggravation de la situation. Au contraire, la légère recrudescence à laquelle notre pays a dû faire face s’est produite alors que ces voyages étaient interdits depuis plusieurs semaines et aucune véritable aggravation n’a été constatée au retour des vacances de Noël.

(2) les mesures de testing et de quarantaine, moins restrictives et déjà en place seraient insuffisantes à atteindre les buts de protection de la santé publique poursuivis ;

Dans le cadre de la procédure ayant mené à l’arrêt n°249.913 du 25 février 2021 du Conseil d’Etat, le SPF Intérieur avait fait valoir que l’interdiction des voyages non essentiels était justifiée par le fait qu’un grand nombre de Belges qui avaient voyagé à l’étranger pendant les vacances de Noël n’avaient pas respecté les mesures de testing et de quarantaine. On ne voit cependant pas comment pareille motivation permettrait de justifier une interdiction pure et simple de voyages à l’étranger plutôt que l’instauration d’une mesure de contrôle aux frontières permettant de vérifier que ces procédures de testing et de quarantaine seront respectées. Au demeurant, si l’Etat Belge n’est pas capable de vérifier que les personnes qui sortent ou rentrent de Belgique respectent ces procédures, comment serait-il capable de vérifier que c’est pour une raison essentielle – et non une raison prétendument non essentielle – qu’ils le quittent ? De plus, cette motivation revient à affirmer que puisque certaines personnes ne respectent pas les règlements, il faut, plutôt que les y contraindre, sanctionner tous ceux qui les respectent.

(3) une distinction pourrait être faite entre les voyages de ou vers l’étranger (même à de très courtes distances – rares sont les Belges qui habitent à plus de 50 kilomètres d’une des frontières nationales) et les voyages de ou vers d’autres villes du territoire national (même lorsqu’elles sont distantes de plus de deux cents kilomètres du lieu de résidence du citoyen concerné) ;

Dans le cadre de la procédure ayant mené à l’arrêt n°249.913 du 25 février 2021 du Conseil d’Etat, le SPF Intérieur avait fait valoir que l’interdiction des voyages non essentiels vers l’étranger était justifiée par le fait que, dans le cadre national, une même réglementation s’appliquait partout, si bien qu’elle était facilement contrôlable, alors que tel n’était forcément pas le cas à l’étranger puisque chaque Etat à sa propre réglementation. D’une part, cet argument est faux puisque les régimes applicables en Belgique différent selon les régions et communautés (heure du couvre-feu, régime applicable dans les écoles et instituts, mesures applicables aux loisirs des enfants de moins de douze ans, obligation de port du masque, etc.). D’autre part, il ne justifierait, en soi, que l’interdiction de voyages vers des Etats où le régime appliqué est moins strict que le nôtre, alors que le premier ministre lui-même répète à l’envi que beaucoup d’Etats européens appliquent des régimes plus stricts que le nôtre. Comment justifier une interdiction de voyages vers la France parce que, par exemple, les restaurants seraient ouverts au Luxembourg ou une interdiction de voyages vers l’Allemagne parce que, par exemple, les remonte-pente seraient ouverts en Autriche ?

(4) un rétablissement de certains contrôles aux frontières (règlement Schengen), permettant de s’assurer que les voyageurs se soumettent aux procédures de testing et de quarantaine, ne serait pas suffisant à atteindre le but poursuivi sans porter atteinte à la liberté de circuler (directive 2004/38, TFUE, Charte des droits fondamentaux) ;

(5) la mesure s’applique indistinctement à tous les voyages de ou vers les autres Etats membres, sans distinction selon les zones, alors qu’il est patent que certaines sont moins impactées par le virus que notre pays et nonobstant l’adoption des classements des régions par l’ECDC (Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies), censé être commun à tous les Etats membres.

Quant aux arrêtés ministériels du 6 février 2021 et du 6 mars 2021, ils ne contiennent pas plus de justification – si ce n’est une adaptation des statistiques -, ne relevant d‘ailleurs pas de circonstances différentes de celles qui prévalaient le 26 janvier 2021 et on cherche dès lors vainement les circonstances qui justifieraient, dès le 6 février 2021 puis le 6 mars 2021, la prolongation d’abord du 1er mars au 1er avril2021, ensuite du 1er avril 2021 au 18 avril 2021, d’une mesure aussi attentatoire à une liberté fondamentale, appliquée sans aucune distinction sauf entre le territoire national et le territoire des autres pays de l’Union européenne et de l’espace Schengen.

Il en va d’autant plus ainsi que les études réalisées par Sciensano montrent que dès le mois de février 2021, le variant dit britannique représentait déjà plus de 50% des nouvelles infections et indiquent que celui-ci sera devenu le virus prédominant à la fin du mois de mars 2021. Cette constatation ruine à elle seule la motivation des arrêtés ministériels du 6 février 2021 et du 6 mars 2021 liant l’interdiction des voyages non-essentiels à la volonté d’empêcher l’apparition et le développement de ce variant sur le territoire belge.

En bref, alors que les décisions critiquées devraient reposer sur une motivation qui démontrerait que les mesures prises, malgré leur caractère gravement attentatoire à plusieurs libertés fondamentales, doivent impérativement être adoptées car d’autres mesures moins restrictives ne permettraient pas la protection de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, elles sont complètement lacunaires, pour ne pas dire absentes, à cet égard.

Dès lors, en interdisant purement et simplement les voyages non essentiels en dehors des frontières nationales, même à destination des pays de l’espace Schengen, même pour un individu qui ne présenterait aucun risque concret à titre individuel, sans porter aucune interdiction pour les voyages effectués à l’intérieur des frontières nationales, sans motivation suffisante, sans que la proportionnalité et l’adéquation au but poursuivi en soit démontrée, et même simplement alléguée, les décisions critiquées violent les dispositions de droit de l’Union européenne précitées.

Dans plusieurs déclarations, la Commission européenne a d’ailleurs, malgré la retenue dont elle fait habituellement montre en pareilles circonstances, exprimé ses plus vives inquiétudes et sa préoccupation quant au respect par l’Etat belge de ses obligations européennes et des recommandations qu’elle a elle-même adoptées, spécialement au regard du principe de proportionnalité (voyez par exemple :

https://www.rtbf.be/info/monde/detail_coronavirus-interdiction-de-voyages-non-essentiels-le-respect-de-la-proportionnalite-preoccupe-la-commission-europeenne?id=10698453

https://www.lavenir.net/cnt/dmf20210308_01561500/interdiction-des-voyages-non-essentiels-la-commission-europeenne-surprise-par-la-nouvelle-prolongation-belge

https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2021/03/20/la-commission-europeenne-attend-une-levee-de-linterdiction-de-vo/ )

De ce seul fait, il existe une apparence manifeste d’incompatibilité de la mesure en cause avec le droit de l’UE.

5.1.3. Application en l’espèce – À titre subsidiaire.

La liste des voyages essentiels autorisés en dérogation à l’interdiction de base figurant dans l’arrêté du 26 janvier 2021 comprend, outre des voyages professionnels, des exceptions visant certains voyages privés. Il en est notamment ainsi pour : 3° les voyages pour des raisons familiales impératives, à savoir :

- les voyages justifiés par le regroupement familial au sens de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers ;

- les visites à un conjoint ou partenaire, qui ne vit pas sous le même toit, dans la mesure où une preuve crédible d’une relation stable et durable peut être fournie ;

- les voyages dans le cadre de la coparentalité ;

- les voyages dans le cadre des enterrements ou des crémations de parents ou d’alliés au premier et au deuxième degré ou de proches, dans la mesure où une preuve crédible d’une relation stable et durable avec ce proche peut être fournie ;
- les voyages dans le cadre de mariage civils ou religieux de parents ou alliés au premier et au deuxième degré ;

4° les voyages effectués pour des motifs humanitaires, en particulier :

- les voyages pour des motifs médicaux ou la poursuite d’un traitement médical ;

- les déplacements pour fournir une assistance ou des soins à une personne âgée, mineure, handicapée ou vulnérable,

- les visites dans le cadre de soins palliatifs ;

7° les voyages pour apporter des soins aux animaux.

Les principes de proportionnalité et de non-discrimination, déjà consacrés par le président du Tribunal de première instance de Liège, dans le cadre d’une action entreprise par les agents immobiliers qui faisaient valoir qu’il n’était pas justifiable de leur interdire de faire visiter des immeubles à des candidats acquéreurs ou locataires alors d’autres professionnels avaient cette autorisation (Réf. Liège, 8 février 2021, RG 20/131/C, encore inédit), devraient commander qu’en tout cas l’interdiction ne porte pas sur les voyages qui ont pour but la visite à un parent y compris du premier ou du deuxième degré (parents ou enfants, grands-parents ou petits enfants, frères et sœurs) ou même pour but une assistance quelque qu’elle soit à un parent qui ne serait ni âgé, ni mineur, ni handicapé, ni vulnérable, ni ... animal.

En effet, on ne distingue pas en quoi ces voyages, et notamment ceux répondant à une situation familiale normale construite sur plusieurs Etats membres, i) ne seraient pas essentiels et ii) seraient moins essentiels que ceux qui sont autorisés ou en quoi ils présenteraient un danger sanitaire plus important que ceux qui sont autorisés, a fortiori si le voyageur peut attester, notamment sur la base d’un test négatif, qu’il ne présente pas, à titre individuel, un risque sanitaire. Il est d’ailleurs évident qu’un voyage familial à l’étranger présente un risque de contamination bien moindre qu’un voyage vers la côte belge ou vers les Ardennes, spécialement si on contraint 11 millions de Belges (selon le GEMS, 8 millions de Belges voyageraient annuellement mais ce chiffre inclut les voyages à l’intérieur des frontières nationales) à prendre leurs vacances, pendant des congés scolaires, à l’intérieur d’un des deux pays les plus densément peuplés de l’Union européenne.

5.2. Absence de base légale

Les décisions et interdictions qui portent atteinte aux droits des demandeurs violent l’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile, des articles 11 et 42 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police et des articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile car aucune de ces lois n’habilite le Ministre de l’intérieur à interdire purement et simplement les voyages non essentiels de et vers la Belgique, particulièrement envers des pays faisant partie de l’espace Schengen.

L’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile autorise le Ministre ayant l’intérieur dans ses attributions à organiser la protection civile sur le territoire national.

Les articles 11 et 42 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police attribuent certaines compétences au Ministre de l’Intérieur.

L’article 181 de la loi du 15 mai 2007 attribue au Ministre de l’intérieur un pouvoir de réquisition civile dans le cadre des missions générales des services opérationnels de la sécurité civile énoncés à l’article 11 de la même loi.

L’article 182 de la même loi prévoit que « Le Ministre ou son délégué peut, en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposées, menacées ou sinistrées, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure ; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population. Le même pouvoir est reconnu au bourgmestre ».

Dans le cadre de la procédure ayant mené à l’arrêt n°249.913 du 25 février 2021 du Conseil d’Etat, le SPF Intérieur avait fait valoir que « tout déplacement », à défaut de précision, englobait nécessairement aussi les voyages de et vers l’étranger. Les demandeurs font observer que la loi du 15 mai 2007 ne comprend le mot « frontière » qu’à deux reprises et ce, dans le même article 180 :

§1er. Lorsqu’un dommage environnemental affecte ou est susceptible d’affecter une ou plusieurs régions ou d’autres Etats membres de l’Union européenne, l’Etat, les zones ou les communes collaborent, notamment par un échange adéquat d’informations, afin de veiller à ce que les mesures appropriées concernant le dommage environnemental ou la menace imminente de dommage environnemental soient prises.

§2. Lorsqu’un dommage environnemental ou une menace imminente au sens du §1er se produit, l’Etat, les zones ou les communes fournissent des informations suffisantes aux instances compétentes des régions ou des autres Etats membres de l’Union européenne potentiellement affectés.

§ 3. Lorsque l’Etat, les zones ou les communes identifient, à l’intérieur de leurs frontières, un dommage environnemental, dont la cause est extérieure à leurs frontières, elles peuvent en informer les instances compétentes des régions concernées ou des Etats membres de l’Union européenne concernés et la Commission européenne. Elles peuvent formuler des recommandations quant aux mesures à prendre et demander le remboursement des coûts des mesures qu’elles auraient prises ».

L’article 187 de la loi prévoit les peines applicables en cas de refus ou de négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application des articles 181 et 182.

Si certains auteurs et certains arrêts ou jugements ont pu considérer que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 pouvait autoriser le Ministre de l’intérieur à interdire à la population tout déplacement ou mouvement (voyez cependant, en sens inverse, Pol. Hainaut, J.L.M.B., 2020, p. 1692 ; Pol. Fr. Bruxelles, 12 janvier 2021, J.L.M.B., 2021, p. 277), cela ne peut s’entendre qu’à l’intérieur du territoire national et certainement pas de ou vers l’étranger.

Il est constant que les pouvoirs attribués par les lois citées au ministre de l’intérieur sont des compétences subsidiaires, dont il a été écrit qu’elles autorisaient le Ministre, lorsque les bourgmestres et communes sont en défaut de le faire, d’apporter des restrictions au droit à la liberté individuelle, à la protection du domicile, au respect de la vie privée, au droit à l’instruction ou encore à la liberté de rassemblement, pour des raisons touchant à la sécurité civile (voyez par exemple P. GOFFAUX, Dictionnaire de droit administratif, p. 491 ; G. NINANE, « La pandémie de Covid-19 et le pouvoir de police administrative de l’état d’urgence du ministre de l’intérieur », J.L.M.B., 2021, p. 23) mais il s’agit de mesures qui, vu leur objet (assurer la sureté du territoire national), sont nécessairement limitées au territoire national. On ne voit pas en quoi les dispositions précitées pourraient autoriser le Ministre de l’Intérieur à interdire purement et simplement des voyages de ou vers l’étranger en dérogation avec les droits fondamentaux des citoyens européens.

Dès lors, une interdiction, telle celle qui est comminée par les décisions critiquées, non de se déplacer à l’intérieur du territoire national mais à l’extérieur de celui-ci ou en venant de l’extérieur de celui-ci, d’ailleurs de façon générale et sans aucune motivation précise ou particulière qui indique le danger que courrait le territoire national ou les personnes qui y résident en sortant du territoire ou en y entrant/revenant, ne repose sur aucune base légale.

5.3. Absence de proportionnalité et de motivation des mesures d’interdiction

Les décisions et interdictions qui touchent les demandeurs violent le principe de proportionnalité, ne sont pas motivées et reposent sur une appréciation manifestement déraisonnable des faits.

Ces décisions interdisent en effet de façon générale tout voyage dit « non essentiel » de ou vers l’étranger d’une part sans distinguer selon la situation sanitaire dans lesdits pays étrangers ni le risque effectif présenté à titre individuel, d’autre part alors qu’aucune restriction n’est imposée pour les voyages à l’intérieur des frontières nationales qui répondraient à la même définition.

Par ailleurs, les arrêtés du 6 février 2021 et du 6 mars 2021, qui prolongent l’interdiction générale de tous les voyages non essentiels vers les pays étrangers du 1er mars 2021 au 1er avril 2021, puis jusqu’au 18 avril 2021, ont été adoptés dès le 6 février 2021 et le 6 mars 2021 sans qu’aucune donnée concrète ne permette de justifier que la prolongation de cette mesure au-delà du 1er mars 2021, puis du 1er avril 2021, est nécessaire, en l’absence de toute évaluation de la situation pendant la seconde quinzaine du mois de février 2021, puis du mois de mars 2021 et donc en l’absence de toute circonstance pouvant justifier pareille prolongation.

Les motifs pertinents de l’arrêté ministériel du 6 février 2021 (repris dans l’arrêté ministériel du 6 mars 2021) par rapport à la mesure d’interdiction des voyages non essentiels, prolongée alors jusqu’au 1er avril 2021, sont les suivants (vérifier leur pertinence par rapport à la situation factuelle et les dispositions invoquées dans le PV) :

« Considérant que notre pays est en niveau d’alerte 4 (alerte très élevée) au niveau national depuis le 13 octobre 2020 ;

Considérant que la moyenne journalière des nouvelles contaminations avérées au coronavirus Covid-19 en Belgique sur les sept derniers jours est remontée à 2.348 cas confirmés positifs à la date du 6 février 2021 ;

Considérant qu’à la date du 6 février 2021, au total 1.736 patients atteints du coronavirus Covid-19 sont pris en charge dans les hôpitaux belges ; qu’à cette même date au total 304 patients sont pris en charge dans des unités de soins intensifs ; ...

Considérant que la situation épidémiologique demeure grave et précaire ...

Considérant que ces chiffres, bien que relativement stables, restent trop élevés ; que certains de ces chiffres augmentent même légèrement ;

Considérant que la menace de nouveaux variants et mutations est réelle ; que le variant B.1.1.7. circule en Belgique ; que ce variant est déjà plus répandu dans d’autres Etats membres de l’Union européenne ; que toute nouvelle propagation de ce variant ou une introduction de nouveaux variants ne peuvent être limitées que par le maintien des mesures ; ... ».

Comme on le voit, la seule partie de cette motivation qui peut être en relation avec l’interdiction critiquée par les demandeurs est que le variant B.1.1.7. circule en Belgique et qu’il est déjà « plus répandu dans d’autres Etats membres de l’Union européenne », sans d’ailleurs aucune autre précision, ni mention des zones qui, à l’intérieur de la Belgique, y seraient particulièrement exposées.

Pareille motivation est donc impuissante à justifier une interdiction générale de tout voyage de ou vers l’étranger, sans qu’aucune distinction ne soit faite entre les pays ou régions où ledit variant serait, le cas échéant, plus répandu encore qu’en Belgique et, d’ailleurs, sans qu’aucun chiffre ne soit communiqué à cet égard. En quoi le fait que certains variants du virus seraient présents dans certains autres Etats membres pourrait-il justifier une interdiction de voyages de ou vers tous les Etats membres et non seulement vers les autres Etats en question, par ailleurs non précisés ?

Cette absence de justification est d’autant plus inadmissible qu’aucune analyse systématique n’est faite de la présence certaine et confirmée par les tests dudit variant sur le territoire belge, particulièrement dans certaines régions ou provinces, et plus dans certaines que dans d’autres, et que, dans ces conditions, aucune restriction n’est imposée en ce qui concerne les voyages à l’intérieur des frontières nationales et notamment de et vers les zones les plus contaminées alors que la Belgique présente des écarts majeurs de taux de contamination par habitant selon les provinces.

Cette argumentation avait déjà été présentée dans le cadre de la procédure ayant mené à l’arrêt n°249.913 du 25 février 2021 du Conseil d’Etat.

Force est de constater que, un mois plus tard, le SPF Intérieur n’est toujours pas en mesure de présenter une justification plus pertinente. Il en est d’autant plus ainsi que le variant B.1.1.7. est maintenant bien établi en Belgique (plus de 50,7% entre le 5 et le 28 février 2021 et près de 70% au 19 mars 2021 : https://www.rtbf.be/info/societe/detail_coronavirus-en-belgique-ce-vendredi-19-mars-ca-peut-devenir-une-troisieme-vague-mais?id=10722861 ) et que le motif tendant à éviter son implantation est donc maintenant privé de l’essentiel de sa pertinence dès lors qu’il est constant qu’il est devenu ou deviendra dans les tous prochains jours le virus prédominant en Belgique.

Par ailleurs, les décisions critiquées se fondent exclusivement sur la situation sanitaire de la Belgique dans le cours des trois premières semaines de février 2021, laquelle est d’ailleurs décrite comme étant « stable » et ne contient aucune disposition qui permette d’augurer ce qui pourrait se passer sur le territoire national du 1er avril au18 avril 2021.

Ils ne peuvent, dès lors, justifier une prolongation de la mesure d’interdiction de voyage non essentiel de et vers l’étranger au-delà du 1er avril 2021 et jusqu’au 18 avril 2021.

Cette mesure est uniquement adoptée pour empêcher les résidents Belges de profiter des vacances scolaires de Pâques pour rendre visite à leur famille directe dans un autre Etat membre, dans le respect des gestes barrières et tout en évitant les rassemblement à l’intérieur, alors qu’il n’est nullement prouvé que les dernières vacances de Noël où ces déplacements transfrontaliers étaient possibles, moyennant certaines conditions, ont engendré une aggravation de la pandémie, ni que l’interdiction totale des congés de carnaval, y inclus l’impossibilité faite aux citoyens européens de rendre visite à leur famille dans un autre Etat, ait eu l’effet escompté.

6. Procès-verbal envoyé tardivement, après l’avoir demandé : violation du droit à un procès équitable

« L’article 6 §3, a) et b) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme prévoit :

« 3. Tout accusé a droit notamment à :

a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense »

La Cour européenne des droits de l’homme a précisé à cet égard :

« La Cour n’accepte pas l’affirmation du gouvernement selon laquelle la qualification juridique de l’infraction n’avait que peu d’importance tant que la condamnation alternative était fondée sur les mêmes faits. Elle rappelle que la Convention exige que l’accusé soit informé non seulement en détail des faits qu’il aurait commis, c’est-à-dire des faits qui sous-tendent l’accusation, mais aussi de la qualification juridique qui lui est donnée ».

De manière générale, la Cour européenne des Droits de l’Homme considère que le droit à la contradiction et à l’égalité des armes dans les procédures pénales exige que l’accusation et la défense aient la possibilité de prendre note et de commenter tous les arguments et documents présentés par l’autre partie.

En droit interne, la doctrine a confirmé que cette disposition doit être interprétée comme un devoir d’information à l’égard de l’accusé. En effet, l’accusé n’est pas tenu de recueillir ou de compléter les informations nécessaires par le biais d’une analyse personnelle.

Suite aux faits du … , j’ai reçu un courrier du ministère public daté du … concernant une « amende pénale » et mentionnant une « infraction aux mesures pour limiter la propagation du coronavirus », sans aucune autre précision. L’article 216 bis, §1er, al. 2 C.I.Cr. indique pourtant que « le procureur du Roi fixe les modalités et le délai de paiement et précise, dans l’espace et dans le temps, les faits pour lesquels il propose le paiement ».

J’ai reçu le courrier en date … et j’ai appelé le numéro figurant sur la lettre pour savoir ce qui m’était reproché, et recevoir le procès-verbal de constatation de l’infraction. Il m’a été dit que je recevrais le PV. Le … , n’ayant toujours pas reçu le PV, j’ai rappelé le numéro pour m’enquérir des suites réservées à ma demande. On m’a alors indiqué que je recevrais le PV dans les … jours ouvrables, ce qui m’a inquiété étant donné que je ne disposais que jusqu’au … pour faire valoir une contestation.

J’ai finalement reçu le PV le … . J’ai alors rappelé le Parquet pour être certain d’avoir encore le temps de présenter mes arguments de défense avant que le dossier ne soit transmis suite au non-paiement du montant de la transaction. A ma grande surprise, on m’a alors indiqué que j’avais 30 jours pour contester à dater du …, et que j’étais hors délai.

À ce jour, si des poursuites ont été engagées suite au dépassement du délai initial de 30 jours pour le paiement ou la contestation, elles violeraient manifestement l’article 6, §3, a) et b) de la Convention européenne des droits de l’homme. D’une part, le courrier de demande de paiement ne contenait aucune information quant aux faits reprochés, et, d’autre part, malgré les démarches que j’ai entreprises après réception de votre courrier, vos services n’ont pas donné de suites dans le délai de 30 jours initialement imparti. Ces deux éléments combinés m’ont privé du droit d’être informé dans un court délai et de façon précise des faits qui fondent l’« amende pénale » qui m’est réclamée et ne m’ont pas permis d’exposer dans les temps les moyens de défense présentés dans ce courrier.

6.1. Les arguments de fait.

Comme indiqué plus haut, vous devez expliquer votre version des faits avec tous les éléments de preuve dont vous disposez (vous devez joindre les preuves à l’envoi de la contestation).

Vous pouvez reprendre ce texte pour l’insérer à la suite de votre explication des faits :

« En conclusion, mon récit contredit de manière claire et précise les faits rapportés dans le procès-verbal.

ou

En conclusion, tant mon récit que les témoignage de…/l’attestation de…/ le certificat de… /les images montrent une autre version des faits claire et précise, différente de celle reprise dans le procès-verbal.

En matière pénale, il revient à la partie poursuivante de lever tout doute quant aux faits reprochés au moyens d’éléments de preuve complets. Si ces éléments laissent subsister un doute, celui-ci doit bénéficier à l’accusé.

En outre, le procès-verbal n’a pas de force probante particulière, et ne vaut qu’au titre de renseignement, n’étant pas suffisamment précis ni corroboré par d’autres éléments. Or, « la preuve se distingue du renseignement. Cette distinction est capitale. Le renseignement, c’est tout élément susceptible de déboucher sur la découverte d’une infraction ou la preuve de celle-ci, mais insuffisant en lui-même pour asseoir la conviction du juge. Le renseignement est donc dépourvu en tant que tel de valeur probante mais il constitue une information qui peut conduire à la découverte ou à l’obtention d’autres éléments de preuve. » (J. De Codt, « Preuve pénale et nullités », R.D.P.C., p. 638.

Pour toutes ces raisons, je conteste la version des faits reprise dans le procès-verbal. »


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