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Iran : Trump, Macron et les néocons va t’en guerre

posté le 02/10/18 Mots-clés  antifa 

La réciprocité est une grande règle qui préside à la conduite des relations internationales, surtout dans le domaine du protocole et des usages. Donald Trump était officiellement invité à Paris à l’occasion des festivités du 14 juillet 2017. Aujourd’hui, c’est tout naturellement à Emmanuel Macron d’être l’hôte de marque des États-Unis à la faveur de la visite officielle de trois jours (23-25 avril 2018) qu’il effectue dans ce pays, la première de son quinquennat1. Ce déplacement intervient alors que plusieurs conflits durs empoisonnent le climat social en France.

Comme les symboles comptent parfois autant que la substance dans les usages diplomatiques, Emmanuel Macron offre en cadeau à Donald Trump un jeune chêne, signe de la vigueur des relations entre les deux pays. Pour ce qui est du contexte géostratégique de cette visite, elle intervient quelques jours après les frappes tripartites contre de prétendus sites clandestins de production d’armes chimiques en Syrie, juste après l’annonce par Kim Jong-un, le leader nord-coréen de la suspension des essais nucléaires et balistiques en même temps qu’une nouvelle orientation économique pour son pays ainsi qu’une rencontre entre les deux présidents coréens (27 avril 2018) et quelques semaines avant une décision importante de l’administration américaine sur l’accord nucléaire avec l’Iran du 14 juillet 2015.

C’est dire que les deux présidents ne manquent pas de sujets de discussion touchant aux grands équilibres mondiaux ! Sur la base d’une relation particulière entre les deux présidents, Emmanuel Macron entend s’attaquer aux racines du mal (la liste des différends est longue) à travers cette visite officielle qui se veut refondatrice du lien transatlantique2.

MACRON-TRUMP : UNE RELATION PARTICULIÈRE3

En dépit de tout ce qui les oppose, existe, encore à ce stade, une estime mutuelle entre Emmanuel Macron et Donald Trump.

Une opposition de style. En dépit des apparences trompeuses et des échanges d’aimabilités diplomatiques facilités par la parfaite maîtrise de la langue anglaise de Jupiter (Cf. son discours devant le Congrès), « tout sépare les deux hommes sans les opposer ». D’un côté, un tonitruant magnat de l’immobilier, un démagogue assumé chantre de « l’America First » et de l’unilatéralisme. De l’autre, un brillant énarque, représentant de ces élites haïes des populistes, héraut d’une Europe ouverte et du multilatéralisme. Mais, ces visons aux antipodes n’empêchent pas des convergences de fond structurelles sur des sujets comme la Syrie (appui français aux frappes du 14 avril 2018 sur des sites chimiques et participation de Paris aux travaux du « Small Group »)4 ; le Mali (la France reçoit un appui logistique non négligeable de Washington) ; la lutte contre le terrorisme (depuis les attentats du 11 septembre 2001 la coopération entre Services fonctionne parfaitement) ; la Corée du nord (même si la France a été dépassée par le rapprochement entre les deux pays)…

Une estime mutuelle. Même si Emmanuel Macron a porté des jugements sévères sur la présidence tweeter de Donald Trump (entretien au magazine Times de novembre 2017), la communication est bonne entre les deux chefs d’État. Avant les frappes conjointes en Syrie, ils se sont entretenus quotidiennement au téléphone pendant ce psychodrame. Jupiter l’aurait conduit à plus de discrétion dans son expression publique et à plus de retenue dans la séquence militaire. Après quelques débuts difficiles (la fameuse poignée de main virile de l’ambassade des États-Unis à Bruxelles en marge du sommet de l’OTAN du 25 mai 2017), le courant passe depuis la visite officielle de Donald Trump à l’occasion du centenaire de l’entrée en guerre des États-Unis dans le premier conflit mondial et la participation du couple présidentiel aux cérémonies du 14 juillet 2017, à un dîner à quatre au restaurant le Jules Vernes à la tour Eiffel.

D’instinct les deux animaux politiques se flairent et se reconnaissent. Ils ont été élus à la surprise générale après avoir cassé les codes politiques de leurs pays respectifs. C’est ce que Jupiter déclare lors de son entretien à Fox News à la veille de sa visite : nous sommes tous deux des « francs-tireurs » entretenant une relation personnelle forte. Emmanuel Macron sait déchiffrer le côté théâtral de son interlocuteur et sait jouer. Il incarnerait le meilleur espoir de canaliser les ardeurs de son homologue, de le modérer sur certains points. En un mot, ils seraient les meilleurs amis du monde5.

MACRON-TRUMP : LES RACINES DU MAL

Malgré les échanges d’amabilités et de belles photos6, la relation entre Donald Trump et Emmanuel Macron (« bromance » pour « brother » et « romance »7) reste marquée par plusieurs désaccords sur les sujets internationaux et économiques qui n’ont pas encore affecté les échanges bilatéraux.

Iran. Principal point d’achoppement, la question de l’avenir de l’accord sur le programme nucléaire de Téhéran menace de rompre la lune de miel qui se prolonge entre les deux présidents, tous les deux arrivés au pouvoir en 2017. Signé le 14 juillet 2015 par l’Iran, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Union européenne, le JCPOA (Plan d’action global conjoint) a mis en place un encadrement des activités nucléaires iraniennes en échange d’une levée progressive des sanctions contre Téhéran. Donald Trump, qui n’a pas mâché ses mots depuis son élection sur cet accord, a donné aux signataires européens jusqu’au 12 mai pour « réparer les affreuses erreurs » de ce texte, faute de quoi il refusera de prolonger l’assouplissement des sanctions américaines contre la république islamique. Pour tenter de convaincre le président américain de préserver cet accord, Emmanuel Macron propose depuis plusieurs mois, avec ses partenaires allemands et britanniques, d’adopter de nouvelles sanctions contre les activités balistiques de l’Iran et son rôle dans la région, pour l’heure en vain. Il déclare qu’il n’y a pas de plan B mais propose de conclure un nouvel accord8.

Commerce international. La question du commerce a poussé Emmanuel Macron, pour la première fois, à hausser véritablement le ton fin mars contre son homologue américain, qui a décidé d’imposer des taxes sur les importations d’acier et d’aluminium. « On parle de tout par principe avec un pays ami qui respecte les règles de l’OMC. On ne parle de rien par principe lorsque c’est avec un fusil sur la tempe », a-t-il déclaré. Face à une stratégie américaine qu’il juge « mauvaise », l’Union européenne « doit être unie et déterminée, elle n’est pas la variable d’ajustement du commerce mondial, elle n’en est pas non plus le maillon faible ou le défenseur naïf », a-t-il ajouté. Donald Trump a donné fin mars à l’Union européenne et six pays jusqu’au 1er mai pour négocier des exemptions permanentes aux tarifs de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium qu’il a décidé d’instaurer pour mettre un terme aux « agressions » commerciales dont Washington est selon lui victime. La question est importante tant elle remet en question les règles du commerce international voulues par les Américains et qu’ils rejettent aujourd’hui sans la moindre concertation préalable avec leurs partenaires de l’OMC.

Climat. Neuf mois après son appel « Makeourplanetgreatagain », Emmanuel Macron tente, une nouvelle fois, de convaincre Donald Trump de rester engagé par les dispositions de l’accord de Paris conclu lors de la COP21 mais les chances d’y parvenir paraissent minces. Depuis son annonce fracassante de se désengager de cet accord qui doit permettre de contenir le réchauffement de la planète sous la barre des 2° C, le président américain n’a pas modifié d’un iota sa position à l’égard de ce texte qu’il juge « mauvais ». Les Etats-Unis pourraient revenir au sein de l’accord si ce dernier était révisé, a-t-il répété à plusieurs reprises, une hypothèse rejetée par les autres pays signataires, au premier rang desquels la France qui a exclu tout « détricotage ». Donald Trump estime que ce texte nuit aux intérêts économiques américains, est destructeur d’emplois et désavantage les Etats-Unis par rapport à la Chine notamment.

Responsables de 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les Etats-Unis se sont engagés dans le cadre de cet accord à réduire d’ici 2025 de 26 à 28% leurs émissions par rapport à 2005. Dans une interview à CBS en décembre, Emmanuel Macron s’était dit « assez certain que [son] ami le président Trump [allait] changer d’avis dans les mois ou les années à venir ». Pour l’heure, la résistance s’organise aux Etats-Unis dans la société civile, certains Etats et des entreprises faisant entendre leur voix discordante. Fin mars, l’ONU a estimé qu’« indépendamment de la position du gouvernement, les Etats pourraient être en mesure d’atteindre leurs engagements en tant que pays ». La question est d’importance, mettant en exergue la capacité ou non d’un État de respecter ou non ses engagements (Pacta sunt servanda). Fait intéressant à relever, le médiatique ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot n’a pas été convié à faire le voyage à Washington9.

Jérusalem. La décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël et d’y transférer son ambassade, qui a mis le feu aux poudres dans la région début décembre, a été dénoncée par Emmanuel Macron – dans des termes modérés. « C’est une décision regrettable, que la France n’approuve pas et qui contrevient au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU », avait réagi le chef de l’Etat. En décembre, au côté du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Paris, il avait estimé que les Etats-Unis s’étaient avec cette décision « marginalisés ». « Je l’ai dit à mon ami Donald Trump (…) au moment où de manière unilatérale, il a annoncé la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, je pense qu’il n’a pas aidé à la résolution du conflit, à la situation, je ne pense même pas qu’il ait aidé à l’amélioration de la situation sécuritaire, pour vous parler très franchement », a-t-il renchéri en mars. « A un moment donné du processus, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la Palestine, adviendra, mais ça doit venir au bon moment »10. Là encore, nous sommes au cœur de l’unilatéralisme américain. Amérique qui attend de ses partenaires et adversaires le strict respect des engagements qu’ils ont souscrits mais qui s’autorise à les fouler aux pieds sans la moindre retenue.

Comme on peut le constater, la liste des désaccords sur la substance est conséquente. En quoi, la visite du président de la République a-t-elle pu contribuer à les réduire, voire à les surmonter sur le long terme et non par des communiqués lénifiants mais creux ? La presse américaine semble plus sceptique sur la capacité d’influence jupitérienne que son homologue française.

MACRON-TRUMP : LA MÉSENTENTE CORDIALE

Le moins que l’on puisse dire est que le pari de Jupiter, en dépit d’une préparation du terrain et d’une visite dense, est manqué tant la diplomatie tactile a ses limites. Cette visite constitue une claque pour l’ambassadeur de France à Washington.

Le pari de Jupiter. Les visites d’État à Washington étant rares – la première d’un dirigeant étranger depuis l’installation du 45ème président des Etats-Unis à la Maison Blanche-, Donald Trump avait tout intérêt à mettre les petits plats dans les grands pour accueillir Emmanuel Macron pour sa première visite officielle outre-Atlantique. La rareté fait le prix. En effet, Jupiter est le seul chef d’État ou de gouvernement européen à entretenir une relation virile mais confiante avec son homologue américain. Angela Merkel et Theresa May n’apprécient guère le machisme de l’homme à la mèche blonde englué dans toutes sortes de scandales politiques et sexuels. Bruno Le Maire, le ministre courtisan par excellence, explique à qui veut l’entendre qu’Emmanuel Macron « a même réussi à devenir le seul interlocuteur de Trump en Europe. Une belle prouesse ».

D’autres s’empressent d’ajouter que cette visite ressemble au mariage de la carpe et du lapin au-delà de l’opération séduction jupitérienne qui cherche à étendre l’influence de la France aux États-Unis, voire à se substituer à la Perfide Albion. Le couple Trump-Macron a remplacé le tandem Obama-Merkel, qui avait structuré les relations transatlantiques pendant huit ans. Leur relation tourne à une bataille d’egos et de communication… sans résultat tangible11. Quant à Angela Merkel, qui s’est rendue à Washington le 27 avril 2018, le moins que l’on puisse dire est qu’elle fait dans la sobriété sauf pour ce qui est de la diplomatie économique qu’elle pratique avec discrétion et efficacité.

La préparation du terrain. En parfait communicant qu’il est, Emmanuel Macron a choisi de parler à l’Amérique profonde, à la veille de sa visite officielle depuis son bureau de l’Élysée, via la chaîne de télévision très prisée qu’est Fox News (entretien de 30 minutes en anglais). Une sorte de présentation de sa position sur les principaux sujets de discussion avec son homologue américain.

« Mon objectif est de mettre en avant la longue histoire entre nos deux pays, fondée sur les valeurs auxquelles nous sommes attachés, en particulier la liberté et la paix », déclare le président français à Chris Wallace. « Je défendrai le multilatéralisme devant le Congrès, ce qui veut dire jouer tous ensemble pour réduire l’influence de quelques États voyous et dictateurs brutaux ». Sa « relation spéciale » avec le président américain tiendrait à trois raisons. Premièrement, « probablement parce que nous sommes tous deux des francs-tireurs, nous ne faisons pas partie du système politique traditionnel ». Deuxièmement, nous sommes sur la même ligne sur des dossiers internationaux importants, en particulier la lutte antiterroriste et le combat contre l’État islamique (EI). Et troisièmement, nous avons une « relation personnelle forte ». La poignée de main musclée de leur première rencontre ? « C’était très direct, un moment très naturel et amical », assure Jupiter, qui concède avoir « observé certaines victimes » de la manière dont Trump tire vers lui ceux qu’il salue. Le passage qui intéresse le plus la chaîne engagée derrière le président américain avait déjà été dévoilé en hors-d’œuvre. « Ce n’est pas à moi de juger ou d’expliquer à votre peuple ce que devrait être votre président ou si, à cause des enquêtes et des polémiques, il est moins crédible. Je ne me demande jamais s’il achèvera son mandat », assure le président français. « Je travaille avec lui car nous sommes tous les deux engagés au service de nos pays ». Sur la Syrie, Emmanuel Macron réitère la nécessité pour les États-Unis et les Occidentaux de « rester présents, pas nécessairement avec des troupes américaines, ce peut être aussi via la diplomatie ».

Pour « bâtir la nouvelle Syrie », le rôle des États-Unis, des alliés, des pays de la région « et même de la Russie et de la Turquie » sera très important. « Si nous partons après la défaite de l’EI, nous laisserons le terrain au régime iranien, à Bachar el-Assad et à ces gens-là, qui prépareront la prochaine guerre et alimenteront les nouveaux terroristes ». La menace américaine d’imposer des tarifs douaniers à l’Europe sur l’acier (25%) et l’aluminium (10%) à compter du 1er mai promet quelques échanges directs entre Trump et Macron : « J’espère qu’il ne les mettra pas en oeuvre et accordera une exemption à l’UE », dit le Français. « On ne livre pas une guerre commerciale à ses alliés. Où sont vos priorités ? Vous avez besoin d’alliés et nous sommes votre allié » Il ajoute : « Je suis un type facile à comprendre, je suis très simple et direct : vous ne pouvez pas faire la guerre à tout le monde, la Chine, l’Europe, la Syrie, l’Iran… Allons ! Ça ne marche pas comme ça ». De même sur l’accord nucléaire avec l’Iran, que Washington menace de dénoncer le 12 mai prochain : « Cet accord est-il parfait ? Non, dit le président. Mais quelle est votre meilleure option ? Je ne la vois pas. Je n’ai pas de plan B sur la question nucléaire. C’est pourquoi je dis : gardons le cadre qui existe car c’est mieux qu’une situation à la nord-coréenne. Pour autant, je ne suis pas satisfait de la situation en ce qui concerne l’Iran. Je veux lutter contre leur programme de missiles balistiques et contenir leur influence régionale », assure-t-il, préconisant de « compléter » l’accord sans le détruire. Emmanuel Macron prêche aussi la prudence sur la Corée du Nord, tout en faisant crédit à « la pression » de l’Administration Trump et au rôle de la Chine. Emmanuel Macron : « Je n’ai pas de plan B sur l’accord nucléaire avec l’Iran ». « Nous ne devons jamais être faibles avec Vladimir Poutine. Si on est faible, il en profite ». Sur ce dernier, le président français mâche moins ses mots que son homologue américain : « C’est un homme fort, un président fort, il veut une grande Russie, son peuple est fier de ses politiques. Il est extrêmement dur avec les minorités et ses opposants. Sa conception de la démocratie n’est pas la mienne, mais j’ai une discussion permanente avec lui. Ne soyons pas naïfs : il est obsédé par le fait d’interférer dans nos démocraties. Nous ne devons jamais être faibles avec Vladimir Poutine. Si on est faible, il en profite, c’est le jeu. Il produit beaucoup de « fake news », il a une puissante propagande et il cherche à fragiliser nos démocraties parce qu’il pense que c’est bon pour son pays. Je le respecte, je le connais, je veux travailler avec lui en sachant tout cela ».

La fin de l’entretien est consacrée à l’explication des réformes menées en France au public américain. Emmanuel Macron se dit guidé par ce qui est « juste et efficace » dans son programme « d’émancipation » visant à créer « une France plus forte et mieux adaptée aux nouveaux défis, en particulier ceux du digital et de l’économie verte ». « Aucune chance » que les grèves et les protestations « légitimes » le fassent fléchir, assure-t-il. « Si l’on suit les sondages, on ne réforme jamais ». Or, « lucide et engagé », le président déclare, en écho à celui qui l’accueille lundi en visite d’État à Washington : « I’m here to make my country great again » (Je suis là pour rendre sa grandeur à la France)12.

Le contenu de la visite. Comme dans ce genre de visite d’État, il importe de distinguer entre deux volets. Le volet protocolaire, même si le symbole est important dans la diplomatie, qui restera dans l’histoire et dans les médias : dîner à quatre, dîner officiel à la Maison Blanche, échange de cadeaux et aimabilités appuyées, poignées de main plus ou moins chaleureuses ou viriles, discours officiels (devant le Congrès), diplomatie gastronomique (gigot jambalaya, tarte aux nectarines)13. Il donne la tonalité de la visite14. Le volet politique dont nous ne savons toujours pas tout ce qui s’est dit tant lors des discussions en tête-à-tête ou en format élargi aux proches collaborateurs. L’on nous dira ce que l’on veut bien nous dire surtout sur les sujets de désaccord (commerce international, climat, nucléaire iranien…)15. Le procédé le plus classique consiste à insister sur les points de consensus (Syrie, coopération militaire, renseignement) pour masquer les points de consensus, les communicants du président ayant une certaine dextérité en la matière. D’autant que la diplomatie du bon docteur Coué d’Emmanuel Macron atteint rapidement ses limites face au poids de l’administration et des lobbies particulièrement puissants aux États-Unis. Ses excellentes relations personnelles ne permettent, au mieux, que quelques amodiations à la marge de la position américaine mais pas de tsunami diplomatique. Il ne faut pas croire au père Noël. Un supertanker ne peut être facilement dérouté de son cap. Nous touchons ainsi aux leurres du bougisme16. Ainsi qu’aux limites d’une diplomatie de la canonnière (Syrie)17, d’une diplomatie de la sanction (Russie)18 qui est à l’opposé de la position traditionnelle de la France. La conférence de presse conjointe a mis en exergue les fossés existants entre les deux présidents sur le commerce international et surtout sur l’Iran, Donald Trump ne faisant pas dans la dentelle. C’est une vérité d’évidence que l’on ne peut minorer artificiellement. Le camouflet fut de taille pour Jupiter obligé d’avaler son chapeau19. On doit bien rire sous cape à Berlin et à Londres – sans parler de Moscou – de celui qui disait, à ses conseillers, avant son départ pour Washington : « je suis content d’être l’un des rares chefs d’État à avoir une relation à peu près équilibrée avec Donald Trump ». Pour l’Iran, il repassera. Sa réplique molle a été aussitôt stigmatisée à Téhéran où l’on croit encore à la valeur des accords internationaux signés, ratifiés et appliqués (Pacta sunt servanda, une fois encore). Dans ces conditions, comment convaincre le dirigeant nord-coréen de se priver de son assurance tout-risque que constitue son arsenal nucléaire s’il n’a aucune certitude sur la levée des sanctions par les États-Unis ?20 Au-delà du cas spécifique de l’Iran, c’est tout le système de la sécurité collective mis en place en 1945 qui est remis en cause par la position américaine avalisée de facto par la France.

Sans parler de la confiance, ingrédient indispensable à la paix et à la sécurité internationales, qui est minée par de tels comportements irresponsables. Petites causes, grands effets. Le moins que l’on puisse dire est les brillants experts français en droit international sont muets comme des carpes en dépit des coups de canifs portés à la Charte de l’ONU.

Les limites de la diplomatie tactile. Rabroué vertement par Donald Trump, Emmanuel Macron se paie deux séances de rattrapage devant le Congrès (avec « standing ovations »)21 et l’université Georges Washington (avec des étudiants séduits). Mais, tout ceci ne peut masquer les limites, pour ne pas dire l’échec de la visite. Sur le nucléaire iranien, Jupiter dit tout (il n’y a pas de plan B à l’accord du 14 juillet 2015) et son contraire (il présente les contours d’un éventuel plan B). La diplomatie du en même temps a ses raisons que la raison ne connaît. Bien évidemment, cette volte-face n’est passée inaperçue ni à Téhéran et à Moscou, ni dans certaines capitales européennes comme à Berlin22.

Cette visite démontre amplement la duplicité du langage diplomatique jupitérien en particulier sur l’Europe, terme que l’on n’a peu, pour ne pas dire pas entendu sur les rives du Potomac. On ne peut vanter les immenses mérites de la « souveraineté européenne » à Athènes, Paris et à Strasbourg et se comporter comme un vulgaire « souverainiste » (que l’on critique sans cesse) lorsque l’on se rend à Washington pour baiser la babouche du maître du monde. On ne peut vanter les immenses vertus du multilatéralisme pour gouverner les relations internationales et pratiquer l’unilatéralisme le plus cru, le cavalier seul que l’on dénonce chez les autres. On ne peut célébrer la gloire du couple franco-allemand et ignorer superbement Berlin lors des rencontres avec les grands de ce monde. En forçant le trait, on peut dire que Jupiter a creusé la tombe de l’Europe à Arlington, a enterré le cadavre chaud de cette vieille dame sans fleurs, ni couronnes.

La porte pour l’ambassadeur-gaffeur. Claque pour Jupiter mais aussi claque magistrale pour son ambassadeur de France dignitaire à Washington, Gérard Araud qui conclut son séjour sur une bérézina flagrante, et cela à quelques semaines d’une retraite amplement méritée. Ce diplomate atypique s’est fait remarquer par ses diatribes incroyables contre les dirigeants libyen, syrien et russe lorsqu’il était ambassadeur auprès de l’ONU à New-York. Il a eu le grand mérite de porter, à son paroxysme, la diplomatie de l’invective et de l’insulte. Ce polytechnicien-énarque néo-conservateur bon teint n’a toujours rien compris à l’essence même de la diplomatie. Lui qui avait envoyé un tweet ravageur après l’élection de Donald Trump en contradiction avec les usages de la profession, tweet qu’il avait été contraint de retirer sur ordre de Paris. Il avait également menacé de démissionner en cas de victoire de Marine Le Pen aux dernières élections présidentielles de mai 2017. On peut toujours rêver. Mais, il n’a jamais été sanctionné pour toutes les fautes lourdes qu’il a commises au cours des dernières années. Et cela pour diverses raisons tenant à son appartenance à l’élite administrative, à son macronisme appuyé et à bien d’autres réseaux. Comprenne qui pourra ! Mais, ne rêvons pas, cela continuera à l’avenir comme dans le passé moralisation de la vie publique ou pas. La poudre de perlimpinpin a encore de beaux jours devant elle dans la République en marche arrière… des castes et des intouchables.

Mais, nous sommes pleinement rassurés par les communicants de Jupiter qui expliquent sans trembler que le président français est resté cohérent et qu’il n’y a pas eu de reculade de sa part. L’honneur est sauf. Une belle Marseillaise et les citoyens français pourront dormir du sommeil du Juste avant de nouveaux exploits au Kremlin…

« Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau » écrit Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique en 1840. Or, c’est bien ce dont le monde de ce début du XXIe siècle a besoin pour relever les multiples défis auxquels il est confronté. La visite d’Emmanuel Macron aux États-Unis participe à l’évidence de cette approche réformatrice de la gouvernance mondiale mise en place après la Seconde Guerre mondiale avec l’adoption de la Charte de Sans Francisco sous la férule américaine. Le défi américain était de taille23. Malheureusement pour les Candide, Emmanuel Macron croit pouvoir être en même temps martial et moral. Il pensait ramener à la raison Donald Trump sur l’Iran et le climat. La cible est manquée. La diplomatie ne s’apparente pas à un tour de magie, à un jeu de bonneteau. Elle suppose un travail patient autour de quelques objectifs simples avec quelques alliés sûrs. Les cavaliers seuls conduisent droit dans le mur : « les illusions de la puissance, la déroute de l’influence »24.

La conférence de presse conjointe montre un Donald Trump ravi (il enlève les pellicules du col du veston de Jupiter de manière peu élégante25) et un Emmanuel Macron à l’air renfrogné (il peine à faire contre mauvaise fortune bon cœur) tel le premier de la classe qui obtient une très mauvaise note. On jugera sur les résultats, mais pour l’instant, cette visite d’État symbolise la soumission la plus complète du président français face au complexe militaro-industriel américain et les délires d’un président autoritaire26. Peut-être le président de la République va-t-il commencer à comprendre que la diplomatie est une exigeante leçon de modestie et d’humilité ! En fin lettré qu’il est, le chef de l’État gagnerait à méditer cet avertissement de Georges Bernanos : « l’humilité épargne les affres de l’humiliation ». À Washington, Macron est devenu micron. En fait d’amener Donald Trump a quia, c’est Emmanuel Macron qui est allé à Canossa. Jupiter a avalé son chapeau dans ce que l’on peut qualifier d’humiliation française !


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