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Israël-Palestine : le fiasco diplomatique de Donald Trump

posté le 27/12/17 Mots-clés  antifa 

En reconnaissant unilatéralement Jérusalem comme capitale d’Israël, le président américain voulait rebattre les cartes de la négociation israélo-palestinienne moribonde. Il a mis en difficulté ses principaux alliés arabes, condamné son rôle dans les pourparlers et subi aux Nations unies deux fiascos diplomatiques retentissants.

Donald Trump a peut-être été, dans sa vie précédente, un promoteur immobilier à succès et un animateur de télévision fort en gueule mais, depuis son entrée à la Maison Blanche, il se révèle un piètre géopoliticien et, surtout, un désastreux diplomate. L’affaire de Jérusalem illustre ces travers jusqu’à la caricature.

En reconnaissant unilatéralement, le 6 décembre, la ville comme capitale d’Israël, décision qui violait une pile de résolutions des Nations unies et quelques principes fondamentaux du droit international, il prétendait rebattre les cartes de la négociation internationale moribonde et ouvrir la voie à « l’accord des accords », qu’il se vante depuis son élection de pouvoir sceller entre Israéliens et Palestiniens. En offrant, au passage, un cadeau apprécié aux évangélistes messianiques sionistes qui constituent le cœur de son électorat.

La réaction à cette décision, globalement négative, y compris chez certains des plus vieux alliés des États-Unis, et très hostile, dans l’ensemble du monde arabe et musulman, en particulier en Palestine, a confirmé que ce n’était pas la stratégie la plus habile pour relancer les pourparlers de paix au Proche-Orient. En outre ce choix, qui risquait aux yeux des musulmans de remettre en question le statut de leurs lieux saints de Jérusalem, a placé d’emblée en porte-à-faux l’un des alliés régionaux majeurs de Washington, l’Arabie saoudite, partenaire actif du futur plan de paix américain et phare autoproclamé de l’islam.

Ce premier faux pas diplomatique a été suivi, en deux semaines, de deux épisodes qui ont confirmé l’isolement voire, selon Emmanuel Macron, la marginalisation des États-Unis dans le dossier israélo-palestinien. Le 18 décembre, Washington a dû recourir au veto, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, pour s’opposer au vote d’une résolution proposée par l’Égypte, au nom de la Ligue des États arabes. Ce texte réaffirmait clairement le consensus international sur Jérusalem et indiquait que « toute décision ou action qui visent à modifier le caractère, le statut, ou la composition démographique de la ville sainte de Jérusalem n’ont aucun effet juridique et sont nulles et non avenues ».

Le problème, pour Washington, c’est que les quatorze autres membres du Conseil – dont des alliés fidèles comme la France, le Royaume-Uni, le Japon, l’Italie et des pays amis comme la Suède, l’Éthiopie, l’Ukraine, l’Uruguay, le Sénégal, avaient approuvé cette résolution.

Dénonçant ce vote comme une « insulte » pour son pays, qui ne « l’oubliera[it] pas », l’ambassadrice des États-Unis à l’Onu, Nikki Haley, avait même tenté d’expliquer que la décision de Donald Trump était « conforme » aux résolutions pertinentes du Conseil. « Ce qui dérange, avait-elle ajouté, c’est que les États-Unis ont eu le courage de reconnaître une réalité internationale, à savoir que Jérusalem est la capitale politique, administrative et spirituelle du peuple juif. »

Trois jours plus tard, une nouvelle épreuve attendait la diplomatie américaine aux Nations unies. À la demande de la Palestine qui bénéficie du statut d’observateur à l’Onu, la Turquie et le Yémen avançaient un nouveau projet de résolution, devant l’Assemblée générale, cette fois. Reprenant l’essentiel du texte égyptien, le nouveau document rappelait que « Jérusalem est une question qui relève du statut final et qui doit être réglée par la voie de la négociation, comme le prévoient les résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations unies. »

« Déplorant au plus haut point les récentes décisions relatives au statut de Jérusalem », le projet turco-yéménite affirmait, comme la résolution égyptienne, « que toute décision ou action qui visent à modifier le caractère, le statut ou la composition démographique de la Ville sainte de Jérusalem sont nulles et doivent être rapportées en application des résolutions sur la question adoptées par le Conseil de sécurité et, à cet égard, » demandait « à tous les États de s’abstenir d’établir des missions diplomatiques dans la Ville sainte de Jérusalem […] ». Certes, comme toutes les résolutions de l’Assemblée générale, ce texte n’est pas contraignant mais, aux yeux des Palestiniens et de leurs amis, il permettra aux partisans de Washington et à leurs adversaires de se compter et d’établir, de fait, un nouveau rapport de force sur ce dossier parmi les 193 États membres de l’Onu.

Depuis Ashdod, où il inaugure un hôpital, Benjamin Netanyahou veut croire que « l’attitude de nombreux pays à l’égard d’Israël est en train de changer, sur tous les continents, hors des murs de l’Onu. À la fin, ce changement traversera les murs du siège de l’Onu – la maison des mensonges. L’État d’Israël rejette ce vote avant même qu’il ait lieu. Jérusalem est notre capitale. Nous allons continuer d’y construire et des ambassades étrangères, dans le sillage de l’ambassade américaine, vont y déménager. Cela va se produire ».

Les Palestiniens, eux, sont confiants. Remis au centre du jeu diplomatique au Proche-Orient par l’initiative unilatérale de Trump alors que la question israélo-palestinienne était éclipsée depuis des années par les conflits en Irak et en Syrie, ils voient dans cet épisode une justification supplémentaire de leur stratégie de recours aux Nations unies, dénoncée aussi bien par Washington, qui ne veut pas perdre le contrôle du dossier, que par Israël qui refuse toute intrusion d’un protagoniste autre qu’américain dans ses rapports avec les Palestiniens. Dans les couloirs des Nations unies, où la petite délégation palestinienne s’active, les premiers comptages donnent un large avantage aux votes en faveur de la résolution.

Pour, au moins, limiter les dégâts, Washington va tout tenter pendant trois jours. Tweets, mails, lettres, plaidoyers téléphoniques, pleuvent sur les délégations. Pressions et menaces se multiplient à l’encontre des indécis. En particulier des bénéficiaires de l’aide économique américaine. « Ils prennent des centaines de millions de dollars et même des milliards de dollars et ensuite ils votent contre nous, tempête Donald Trump.

Laissez-les voter contre nous, nous économiserons beaucoup, cela nous est égal. » « Le président observera attentivement ce vote et il a demandé que je lui signale les pays qui auront voté contre nous. Nous noterons les noms », menace même Nikki Haley, dans une lettre qui circule parmi les délégations. Peine perdue.

Lorsque le tableau électronique des votes s’allume jeudi matin dans la salle de l’Assemblée générale, il révèle que la résolution est adoptée par 128 voix contre 9 et 3 abstentions et que 21 pays n’ont pas pris part au vote. Plus intéressant, parmi ceux qui ont voté la résolution figurent, une nouvelle fois, les vieux alliés de Washington : Royaume-Uni, France, Allemagne, Japon, Corée du Sud, mais aussi les quatre principaux bénéficiaires (avec Israël) de l’aide financière américaine : Afghanistan, Irak, Égypte, Jordanie. Autrement dit, les menaces de Nikki Haley n’ont pas pesé lourd face à l’indignation provoquée par le geste de Washington. D’ailleurs, les spécialistes imaginent mal le département d’État prendre le risque de déstabiliser des pays aussi stratégiques en les privant de l’aide américaine.

Certes l’Australie, le Canada, l’Argentine, le Mexique ont choisi de s’abstenir, comme six pays de l’Union européenne (Croatie, République tchèque, Hongrie, Lettonie, Pologne, Roumanie), mais Washington n’a réussi à enrôler que sept pays, en plus d’Israël, pour s’opposer à la résolution : Guatemala, Honduras, îles Marshall, Micronésie, Nauru, Palaos et Togo. Des États d’un poids géopolitique modeste.

Pour l’ambassadeur palestinien à l’Onu, Riyad Mansour, « les États-Unis viennent d’essuyer un revers cinglant ». « Cette décision réaffirme que la juste cause des Palestiniens bénéficie du soutien du droit international, estime Nabil Abou Roudeina, porte-parole du président palestinien. Nous allons poursuivre nos efforts à l’Onu et dans d’autres forums internationaux pour mettre fin à l’occupation israélienne et créer un État avec comme capitale Jérusalem-Est. »

C’est cette stratégie que le président de l’Autorité palestinienne est venu exposer une nouvelle fois à Emmanuel Macron, vendredi 22 décembre à l’Élysée, avant le départ du chef de l’État français pour le Niger. Aux yeux des dirigeants palestiniens, les États-Unis ont démontré qu’ils étaient un « médiateur malhonnête », leur rôle dans le processus de paix est terminé. « Nous n’accepterons aucun plan de la part des États-Unis », a d’ailleurs déclaré Mahmoud Abbas, au terme de son entretien avec Emmanuel Macron.

En fait, c’est une initiative européenne, impulsée par Paris, qu’espère le président palestinien. Sur ce point, la réponse française est demeurée évasive. Peut-être pour préserver les discussions prévues à Bruxelles pour le 22 janvier, lorsque Mahmoud Abbas viendra rencontrer les dirigeants européens. Emmanuel Macron a simplement rappelé qu’il « n’y a[vait] pas d’alternative à la solution à deux États et pas de solution à deux États sans accord entre les parties, sur Jérusalem ».

« La Palestine n’est pas seule, a-t-il ajouté, et nous ferons en sorte qu’elle vive dans des frontières sûres et reconnues, en sécurité au côté d’Israël et avec Jérusalem comme capitale des deux États. » En revanche, le président français a renouvelé, à la déception de son interlocuteur, son refus de reconnaître unilatéralement l’État de Palestine. « Reconnaître notre État, c’est investir dans la paix, c’est aussi investir dans un avenir stable et sûr pour la région tout entière », a plaidé Mahmoud Abbas. « Je ne crois pas que ce serait efficace, a répondu Emmanuel Macron. Ce serait une réaction à la décision américaine qui a provoqué des troubles dans la région. Je répliquerais à une erreur par une erreur de même type. »

Pour l’instant, en dehors d’une sortie véhémente de Nikki Haley, déclarant le vote des Nations unies « nul et non avenu », la seule réaction notable de l’administration Trump à ce triple fiasco diplomatique a été l’annonce d’un report à la fin du premier trimestre 2018 de la présentation du plan de paix américano-saoudien, initialement attendue en janvier. Les réactions très hostiles des Palestiniens aux ballons d’essai lancés par Riyad, mais surtout la nécessité de revoir profondément le statut de Jérusalem, à la lumière de la décision américaine, du mécontentement du monde musulman et des nouveaux équilibres révélés par les votes de l’ONU, exigent une nouvelle période de réflexion et de consultation.

En Israël, où Donald Trump et Nikki Haley sont désormais tenus pour des héros, le gouvernement se déclare officiellement « satisfait » de la situation révélée par le vote de l’Assemblée générale. D’autant que rien ne contraint les États membres à l’appliquer. Quant au premier ministre, Benjamin Netanyahou, toujours empêtré dans les affaires de corruption qui le cernent, il estime, additionnant les votes « contre », les abstentions et les absents, qu’un « nombre croissant de pays refusent de participer à ce théâtre de l’absurde ».

« La maison des mensonges », « ce théâtre de l’absurde » ? Netanyahou a-t-il oublié l’histoire de son propre pays ? C’est cette même instance, l’Assemblée générale des Nations unies, qui a adopté le 29 novembre 1947 la résolution 181 qui partageait la Palestine en un État juif et un État arabe, déclenchant des manifestations de joie dans la communauté juive de Palestine et ouvrant la voie, six mois plus tard, à la proclamation par David Ben Gourion de la naissance de l’État d’Israël.


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