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J’ai perdu l’ouïe

posté le 26/09/17 par Groupe Anathème Mots-clés  art 

Depuis peu je n’entends plus rien, je suis devenu sourd, c’est triste à mon jeune âge. C’est arrivé il y a peu, avant j’entendais tout, j’écoutais même de trop. Je tendais l’oreille aux dames, aux malheureux copains et finalement elle s’est brouillée mon ouïe.
Les gens ils m’en racontaient de trop des petites fables sur eux-mêmes et j’ai craqué. J’étais en soirée, j’ai entendu un sot me parler du dernier son qui ne raconte rien, je ne lui ai pas répondu et je suis allé voir ailleurs. Ce pouvait être la fin de l’histoire, mais la maison était vraiment grande et avant d’atteindre le silence des rues une cruche s’est interposée.
- Salut ! Tu t’appels comment ?
Que tu es criarde, me dis-je. Doit-on tout le temps parler si fort ? Est-ce une manière d’exister après une journée sans poésie ? Je ne sais pas, mais ils crient beaucoup les hommes modernes.
- Je m’appel...
- Moi c’est Morgane ! Tu n’as pas l’air bien. Tu t’en vas ? Moi je suis à l’université ! Tu fais quoi toi ? Ah ! Je t’ai dit je pars bientôt en vacance... blablabla...blabla...
Mais tu ne me parles pas ma chère Morgane, tu parles de toi-même. Tu te racontes comme tout un chacun et au terme de la conversation, si je peux l’appeler ainsi, tu ne sauras rien de moi. Ça ne fait rien, tu te fichais bien de ce que je suis, tu es égocentrique ma pauvre. Peut-être bien qu’il ne faut pas que je te raconte quelque chose. Tu finirais par apprécier le silence qui déguise si bien ceux qui sont bêtes.
Elle m’oppresse cette meuf, elle n’arrête pas de parler et il n’y a pas d’échappatoire. Tant pis, je vais lui mettre une claque.
- Morgane ! Mais je te chercher partout ! Viens voir il y a Bertrand qui va sauter à poil dans la piscine.
Une deuxième cruche me sauvait la peau. Quelle belle agilité ! Par une bêtise elle écartait de mon chemin une autre bêtise. Morgane, qui ne saura jamais comment je me nomme, me quittait pour aller voir « Bébér » assurer le spectacle assourdissant. Moi, je pouvais poursuivre ma fuite. J’arrivais dans le hall d’entrée et je sentais mes oreilles gratter quand je vis une bande obstruer la sortie, ils discutaient bruyamment. Ils s’invectivaient en tous sens et par de grand rire ils célébraient leur ignorance.
- Gros ! Gros ! J’étais là avec la go et puis je l’ai baisé...
- Fais tourner le joint ! Je vais acheter des nouvelles pompes demain, surenchérissait un autre.
- Quelqu’un a vu les Marseillais hier soir ? Demandait un grand dadet.
- Mais je te jure, ce type c’est un bouffon ! Commentait un clown.
- Dans la vidéo que j’ai vu il y ... et le chat il...
À cet instant je n’entends plus très bien le cours de ce qu’ils appellent une conversation. J’entends par intermittence, c’est bizarre. Un bruit de fond comme celui d’une télé qui déconne braille dans mes oreilles. Qu’est-ce ce qui se passe ? Je comprends pas.
- Hé mec ! M’interpelle un des types. Tu fous quoi ? Tu pars ? Tu vas lire un livre ?
Hilarité générale et gros blanc soudain. Cette fois c’est la bonne, j’entends plus. Ils m’ont pété les tympans, c’est pas possible d’être aussi efficace. Je les vois toujours en face de moi, à se congratuler, à rire aux éclats, mais je ne les entend plus, j’angoisse seul dans ma tête. Ils essayent de me parler avec leurs grands geste et ils me font peur avec leur vulgarité « made in fast food », il faut que je m’en aille. Vite ! Je les bouscule, je fais des coudes et je parviens à m’enfuir dans la nuit. Je cours comme poursuivi par des ilotismes. Je cherche la quiétude de mon chez moi et au bout d’une vingtaine de minutes menaçantes je suis claquemuré entre mes peurs et mes émois. Il faut que je dorme, demain tout ira mieux.
Le lendemain, je n’entends toujours pas, il faut que j’aille chez un médecin, c’est trop grave là. Je m’habille, je file, capuchon rabattu jusqu’aux yeux, chez mon bon vieux docteur philosophe. L’homme affable, toujours égal à lui-même, me reçoit courtoisement. Je le sais même sans l’entendre car il est comme ça le médecin. Il me montre un tabouret dans son cabinet. Je m’y installe convaincu que bientôt mon mal va disparaître et il m’examine. Il écoute d’abord le coeur des gens le docteur, c’est comme ça qu’il sait comment ils vont les Hommes. Je vais bien, il passe à mes oreilles et là l’effroi se lit sur son visage, il me regarde fixement dans les yeux, il est terrorisé le pauvre. Il finit par faire la moue et va au-devant d’une feuille de papier, il griffonne quelques mots et l’apporte à l’approbation de mon regard. Il est écrit cette triste sentence à laquelle je ne peux qu’adhérer : « vous faîtes une réaction aigu aux cons ».

Groupe Anathème.


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