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Je suis Charlie versus Je ne suis pas Charlie

posté le 29/09/18 par https://blogs.mediapart.fr/andfre-versaille/blog/020917/je-suis-charlie-versus-je-ne-suis-pas-charlie Mots-clés  médias 

On a beaucoup ergoté sur le sens du slogan Je ne suis pas Charlie et les critiques n’ont pas manqué non plus contre ceux qui déclaraient : « Je suis Charlie, mais… », comme si face au drame qui venait de frapper la France, l’union nationale se devait d’être totale, unanime et sans nuances.

- Pourtant, le slogan Je suis Charlie était polysémique : il y avait ceux qui s’identifiaient totalement à « l’esprit Charlie », c’est-à-dire celui de la liberté d’esprit radicale et de l’impertinence, longue tradition gauloise de la satire ; d’autres qui ne se reconnaissaient pas dans cet esprit mais qui, scandalisés par la tuerie, voulaient manifester leur solidarité envers les victimes ; puis ceux qui voyaient dans ces tueries un attentat contre la laïcité et la liberté d’expression.

- Quant aux Je ne suis pas Charlie, on ne peut pas les amalgamer non plus. Il y avait ceux qui étaient horrifiés par ces attentats mais pour qui le blasphème contre le Prophète était insupportable : un non possumus absolu qui les empêchait de rejoindre une foule qui considérait le blasphème comme partie intégrante de la liberté d’expression, donc légitime ; à l’autre bout de la chaîne, il y avait ceux qui n’étaient pas révoltés par ces massacres, considérant que, depuis la publication des fameuses caricatures danoises en 2005, Charlie Hebdo s’avérait résolument islamophobe et que, compte tenu du climat international, les rédacteurs étaient au moins partiellement responsables de ce qui leur était arrivé. On notera cependant que, consciemment ou non, ces « compréhensifs » avaient, soit amalgamé les victimes juives de l’épicerie casher aux « blasphémateurs », soit les avaient simplement passés par pertes et profits.

* Ouvrons une parenthèse : cet oubli des Jui-ve-f-s est assez récurrent chez beaucoup de musulman-e-s, y compris parmi ceux qui s’engagent à mener en France le combat contre l’islamisme radical. Ainsi, le 31 juillet 2016, le Journal du Dimanche, publia une Tribune intitulée :

« Nous, Français et musulmans, sommes prêts à assumer nos responsabilités[1] » et dans laquelle les 41 signataires critiquaient l’organisation actuelle de l’islam de France : L’islam est devenu une affaire publique, proclamaient-ils, et il faut maintenant « mener enfin la bataille culturelle contre l’islamisme radical […] Il faut agir et prendre nos responsabilités ». La position est intéressante et brise le silence dans lequel les autorités musulmanes de France se réfugiaient depuis tant de temps. Encourageant, donc. Oui mais. La Tribune commence par le paragraphe suivant : « Après l’assassinat de caricaturistes, après l’assassinat de jeunes écoutant de la musique, après l’assassinat d’un couple de policiers, après l’assassinat d’enfants, de femmes et d’hommes assistant à la messe… L’horreur, toujours plus d’horreur et la volonté très claire maintenant de dresser les Français les uns contre les autres. Pour détruire la concorde nationale qui tient encore. »

Dans cette énumération des victimes qui semble s’être voulue exhaustive, on remarque un oubli : les écolières et les professeurs juifs de l’école Ozar Hatorah à Toulouse, assassinés par Mohammed Merah, et les quatre Juifs de l’Hyper casher tués par Amedy Coulibaly. Que pas un des 41 signataires, qui ont chacun dû lire au moins une fois ce texte, n’ait remarqué cet oubli en dit long sur le regard que des musulmans peuvent encore porter sur les Juifs…

Refermons la parenthèse, et reprenons.

- À l’extrémité de cette frange musulmane, il y avait celleux qui déclaraient ouvertement ne pas se reconnaître dans « cette France-là » et encore moins dans le droit à la liberté d’expression et les valeurs démocratiques. Parmi eux, certains allaient jusqu’à applaudir à ces massacres. Ce n’était pas nouveau : nous avons vu que sur les réseaux sociaux et ailleurs Mohammed Merah, regardé comme un héros et un martyre à la fois, était glorifié comme tel ; ce fut également le cas pour Mehdi Nemrouche, le tueur du musée juif de Bruxelles. Ils ne sont pas les seuls.

Et puis, il y avait tous les petits « Je ne suis pas Charlie ». Là encore comment conclure ?

Comme on pouvait s’y attendre, pour des raisons de « maintien de la paix sociale à l’école », les autorités avaient volontairement minimisé les remous provoqués par les « Je ne suis pas Charlie » qui eurent lieu dans plusieurs établissements scolaires, et enjoins les proviseurs de les passer sous silence afin de « ne pas envenimer la situation », parce que ce serait « une façon de participer à la stigmatisation des musulmans ».

Il est probable qu’il s’agissait moins de ne pas stigmatiser ces jeunes que d’étouffer de probables incidents.

À l’inverse, nous savons aussi qu’en face, assoiffés de sensationnalisme, des médias ont multiplié les gros plans sur ces « terroristes en herbe ». Non sans résultats. On se rappelle qu’un élève fut traîné au commissariat pour « apologie du terrorisme ». Il s’agissait d’un enfant de… huit ans.

- Quoi qu’il en soit, comment faire la part entre la rébellion supposée propre à la jeunesse envers l’autorité et une réelle approbation de ces massacres ? On nous dit que ces « Je ne suis pas Charlie » étaient des manifestations de haine. C’est très vraisemblable, mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que beaucoup de ces jeunes se sentant eux-mêmes haïs, pouvaient difficilement se sentir solidaire de Charlie (j’y reviendrai dans un prochain billet).

Au nom de quoi, d’ailleurs, faudrait-il à tout prix exiger pour Charlie un respect universel ? Au moment même où nous prêchons le droit à l’irrespect, voilà que nous refusons l’irrespect inattendu de certains jeunes à notre irrespect convenu, oubliant que leur culture ne les a prédisposé ni à cet humour ni à cette satire qui pour eux se réduisent à l’injure faite à leur sacré.

Lundi prochain, je vous entretiendrai du terrorisme tenu pour une réaction d’opprimé-e-s.

Lundi 4 septembre : Du terrorisme tenu pour une réaction d’opprimés
Mardi 5 septembre : Du sentiment de l’humiliation et de l’auto-victimisation
Mercredi 6 septembre : Du monde islamique vu comme un gigantesque Clichy sous-bois

[1] http://www.lejdd.fr/Societe/Religion/TRIBUNE-Nous-Francais-et-musulmans-sommes-prets-a-assumer-nos-responsabilites-800095


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