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L'Egypte nous montre l'alternative : socialisme ou barbarie

posté le 25/07/13 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  luttes sociales 

Face à l’agitation sociale en Égypte, l’armée a prouvé qu’elle reste la fraction la plus à même d’assurer le pouvoir et la défense des intérêts globaux de la bourgeoisie nationale.

Partout dans le monde, le sentiment que l’ordre actuel des choses ne peut plus continuer comme avant grandit. Suite aux révoltes du "Printemps arabe", au mouvement des Indignados en Espagne et celui des Occupy aux Etats-Unis, en 2011, l’été 2013 a vu des foules énormes descendre dans la rue en Turquie et au Brésil.

Des centaines de milliers de personne, voire des millions, ont protesté contre toute sorte de maux : en Turquie c’était la destruction de l’environnement par un "développement" urbain insensé, l’intrusion autoritaire de la religion dans la vie privée et la corruption des politiciens ; au Brésil, c’était l’augmentation des tarifs des transports en commun, le détournement de la richesse vers les dépenses sportives de prestige alors que la santé, les transports, l’éducation et le logement périclitent – et encore une fois, la corruption des politiciens. Dans les deux cas, les premières manifestations ont rencontré une répression policière brutale qui n’a fait qu’élargir et approfondir la révolte. Et dans les deux cas, le fer de lance du mouvement n’était pas les "classes moyennes" (c’est-à-dire, en langage médiatique, n’importe quelle personne qui possède encore un emploi), mais la nouvelle génération de la classe ouvrière qui, bien qu’éduquée, n’a qu’une maigre perspective de trouver un emploi stable et pour qui vivre au sein d’une économie "émergente" signifie surtout observer le développement de l’inégalité sociale et la richesse répugnante d’une minuscule élite d’exploiteurs.

En juin et juillet, c’était encore au tour des Égyptiens de descendre par millions dans les rues, revenant à la Place Tahrir qui fut l’épicentre de la révolte de 2011 contre le régime Moubarak. Eux aussi étaient poussés par de vrais besoins matériels, dans une économie qui n’est pas tant "émergente" que plutôt stagnante ou en régression. En mai, un ancien ministre des finances, un des principaux économistes égyptiens, soulignait dans un entretien au Guardian, que "L’Egypte souffre de sa plus grave crise économique depuis la Grande Dépression. Dans ses effets sur les plus démunis, la situation économique du pays est la pire depuis les années 1930". Et l’article de continuer : "Depuis la chute de Hosni Moubarak en 2011, l’Egypte a connu une chute dramatique des revenus à la fois de l’investissement étranger et du tourisme, suivie par une chute de 60% dans les réserves de devises, un déclin de 3% de la croissance, et une dévaluation rapide de la livre égyptienne. Tout cela a causé une augmentation vertigineuse des prix de la nourriture et du chômage, et une pénurie de carburant et de gaz pour la cuisine (...) Actuellement, selon les chiffres du gouvernement égyptien, 25,2% des Égyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et 23,7% ne sont que guère au-dessus".

Le gouvernement islamiste "modéré" dirigé par Morsi et les Frères musulmans (avec le soutien des islamistes "radicaux") s’est rapidement révélé tout aussi corrompu que l’ancien régime, alors que ses tentatives d’imposer une "moralité" islamique étouffante a provoqué, comme en Turquie, un ressentiment énorme parmi la jeunesse urbaine.

Mais alors que les mouvements en Turquie et au Brésil, qui en pratique sont dirigés contre le pouvoir en place, ont généré un véritable sentiment de solidarité et d’unité parmi tous ceux qui participaient à la lutte, la perspective en Égypte est bien plus sombre : celle de la division de la population derrière différentes fractions de la classe dominante, voire la descente dans une guerre civile sanglante. La barbarie qui a englouti la Syrie ne nous montre que trop clairement ce que cela pourrait être.

Le piège de la démocratie

On a affublé les événements de 2011 en Égypte et en Tunisie du nom de "révolution". Mais une révolution est autre chose que des manifestations des masses dans les rues – même si cela est un point de départ nécessaire. Nous vivons une époque où la seule révolution possible est mondiale, prolétarienne et communiste : une révolution non pas pour changer de régime mais pour démanteler l’Etat ; non pas pour une gestion plus "juste" du capitalisme, mais pour le renversement du rapport social capitaliste tout entier ; non pas pour la gloire de la nation mais pour l’abolition des nations et la création d’une communauté humaine planétaire.

Les mouvements sociaux que nous voyons aujourd’hui sont encore loin de la conscience d’eux-mêmes et de l’auto-organisation nécessaires pour créer une telle révolution. Certes, ce sont des pas dans cette direction, qui expriment un effort profond du prolétariat de se trouver, de retrouver son passé et son avenir. Mais ce sont des pas hésitants, qui pourront être facilement dévoyés par la bourgeoisie, dont l’idéologie est profondément enracinée et constitue un énorme obstacle dans les esprits des exploités eux-mêmes. La religion est certes un de ces obstacles idéologiques, un "opium" qui prêche la soumission envers l’ordre dominant. Mais encore plus dangereuse est l’idéologie démocratique.

En 2011, les masses dans la Place Tahrir exigeaient la démission de Moubarak et la "fin du régime". Et on a effectivement poussé Moubarak dehors – surtout après le surgissement d’une vague puissante de grèves à travers le pays, ajoutant une dimension de plus à la révolte sociale. Mais le régime capitaliste est plus que le simple gouvernement en place : au niveau social, c’est tout le rapport basé sur le travail salarié et la production pour le profit. Au niveau politique, c’est la bureaucratie, la police, et l’armée. Et c’est aussi la façade de la démocratie parlementaire, où régulièrement au bout de quelques années, on offre aux masses le choix d’une nouvelle bande d’escrocs pour les plumer. En 2011, l’armée – que beaucoup de manifestants croyaient "unie" au peuple – est intervenue pour virer Moubarak et organiser les élections. Les Frères musulmans, qui tiraient leur grande force des régions rurales les plus arriérées mais qui étaient également le parti le mieux organisé dans les centres urbains, ont gagné les élections et, depuis, ont fait la plus claire des démonstrations possibles que changer de gouvernement par les élections ne change rien. Et pendant ce temps, le véritable pouvoir est resté en place comme dans tant d’autres pays : celui détenu au sein de l’armée, la seule force réellement capable d’assurer l’ordre capitaliste sur le plan national.

Lorsque les masses se sont déplacées de nouveau vers la Place Tahrir en juin, elles étaient pleines d’indignation contre le gouvernement Morsi et contre la réalité quotidienne de leurs conditions de vie face à une crise économique qui n’est pas simplement "égyptienne" mais mondiale et historique. Malgré le fait que beaucoup d’entre eux ont pu voir le vrai visage répressif de l’armée en 2011, l’idée que "le peuple et l’armée ne font qu’un" était très répandue, et a trouvé une nouvelle vie lorsque l’armée a commencé à prévenir Morsi qu’il devrait écouter le peuple ou faire face aux conséquences. Quand Morsi a été renversé par un coup d’Etat militaire quasiment sans effusion de sang, les scènes de célébrations ont été importantes sur la Place Tahrir. Est-ce que cela veut dire que le mythe démocratique ne tient plus les masses ? Non : l’armée prétend agir au nom de la "vraie démocratie" trahie par Morsi, et promet d’organiser de nouvelles élections.

Ainsi le garant de l’Etat, l’armée, intervient de nouveau, afin d’empêcher que la colère des masses ne se retourne contre l’Etat lui-même. Mais elle le fait cette fois-ci au prix de divisions profondes qu’elle a semées au sein de la population. Que ce soit au nom de l’Islam ou de la légitimité démocratique du gouvernement Morsi, un nouveau mouvement de protestation est né, qui exige le retour du régime Morsi et qui refuse de travailler avec ceux qui l’ont démis. La réponse de l’armée fut rapide : un massacre impitoyable des manifestants devant le QG de la Garde républicaine. Il y a eu aussi des accrochages, dont certains mortels, entre des groupes rivaux de manifestants.

Le danger de guerre civile et la force capable de l’empêcher

Les guerres en Libye et en Syrie ont démarré avec des manifestations populaires contre les régimes en place. Mais dans les deux cas, la faiblesse de la classe ouvrière et la force des divisions tribales et sectaires ont fait que ces révoltes furent rapidement englouties par des conflits armés entre factions bourgeoises. Et dans les deux cas, ces conflits locaux ont immédiatement acquis une dimension internationale : en Libye, la Grande- Bretagne et la France, discrètement soutenues par les États-Unis, sont intervenues pour armer et "guider" les forces rebelles ; en Syrie, le régime Assad a survécu grâce au soutien de la Russie, de la Chine, de l’Iran, du Hezbollah et autres vautours du même acabit, alors que l’Arabie saoudite et le Qatar ont armé les rebelles avec le soutien plus ou moins ouvert de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Dans les deux cas, l’élargissement du conflit a accéléré la chute dans le chaos et l’horreur.

Le même danger existe en Egypte aujourd’hui. L’armée n’est absolument pas prête à lâcher le pouvoir. Pour l’instant, les Frères musulmans ont promis de réagir pacifiquement au coup d’Etat militaire, mais à côté de l’islamisme "pragmatique" d’un Morsi, il y a des factions plus extrêmes qui sont déjà adossées au terrorisme. La situation ressemble de manière sinistre à celle de l’Algérie après 1991, quand l’armée a renversé un gouvernement islamiste "porté par les urnes", provoquant ainsi une guerre civile sanglante entre l’armée et des groupes islamistes armés comme le FIS. Comme d’habitude, la population civile en avait été la principale victime : on a estimé le nombre de morts entre 50 000 et 200 000.

La dimension impérialiste est également présente en Egypte. Les États-Unis ont exprimé leur regret à propos du coup d’État militaire, mais leurs liens avec l’armée sont anciens et profonds, et ils n’aiment pas le moins du monde le type d’islamisme prôné par Morsi ou par Erdogan en Turquie. Les conflits qui s’étendent aujourd’hui depuis la Syrie vers l’Irak et le Liban pourraient également atteindre une Égypte déstabilisée.

Mais la classe ouvrière en Égypte est une force bien plus formidable qu’en Syrie ou en Libye. Elle a une longue tradition de luttes combatives contre l’État et ses syndicats officiels qui remonte au moins jusqu’aux années 1970. En 2006 et en 2007, des grèves massives se sont étendues à partir des usines textiles hautement concentrées, et cette expérience de défiance ouverte envers le régime a alimenté le mouvement de 2011, fortement marqué par l’empreinte de la classe ouvrière à la fois dans ses tendances à l’auto-organisation qui sont apparues sur la Place Tahrir et dans les quartiers, comme dans la vague de grèves qui ont finalement convaincu la classe dominante de se débarrasser de Moubarak. La classe ouvrière en Égypte n’est pas immunisée contre les illusions démocratistes qui imprègnent tout le mouvement social, mais il ne sera pas facile non plus pour les cliques bourgeoises de la convaincre d’abandonner ses intérêts de classe et de l’attirer dans le cloaque de la guerre impérialiste.

La capacité potentielle de la classe ouvrière de barrer le chemin à la barbarie se voit non seulement dans son histoire de grèves autonomes et d’assemblées générales, mais aussi dans les expressions explicites de conscience qui sont apparues dans les manifestations de rue : dans des pancartes qui proclament "Ni Morsi, ni les militaires !", ou "La révolution, pas un coup d’État !", ainsi que dans des prises de position plus directement politiques comme la déclaration des "camarades du Caire" publiée récemment sur le site libcom : "Nous voulons un avenir qui ne soit gouverné ni par l’autoritarisme minable et le capitalisme de copinage des Frères musulmans, ni par l’appareil militaire qui maintient sa poigne de fer sur la vie politique et économique, ni par un retour aux anciennes structures de l’ère Moubarak. Même si les rangs des manifestants qui descendront dans la rue le 30 juin ne sont pas unis autour de cet appel, il doit être le nôtre – cela doit être notre position parce que nous n’accepterons pas un retour aux périodes sanglantes du passé".1

Cependant, tout comme « le printemps arabe » a trouvé son véritable sens avec le soulèvement de la jeunesse prolétarienne en Espagne, qui a donné lieu à un questionnement bien plus profond de la société bourgeoise, la capacité de la classe ouvrière en Égypte de barrer la route à de nouveaux massacres ne pourra être réalisée qu’à travers la solidarité active et la mobilisation massive des prolétaires dans les vieux centres du capitalisme mondial.

Il y a cent ans, face à la Première Guerre mondiale, Rosa Luxembourg rappelait solennellement à la classe ouvrière que le choix offert par un ordre capitaliste sur le déclin était entre le socialisme ou la barbarie. L’incapacité de la classe ouvrière de mener à bien les révolutions qui ont répondu à la guerre de 1914-18 a eu comme conséquence un siècle de véritable barbarie capitaliste. Aujourd’hui, les enjeux sont plus élevés encore, parce que le capitalisme s’est donné les moyens de détruire toute vie sur la terre entière. L’effondrement de la vie sociale et le règne des bandes armées meurtrières – c’est ça, le chemin de la barbarie qui est illustré par ce qui se passe aujourd’hui en Syrie. La révolte des exploités et des opprimés, la lutte massive pour défendre la dignité humaine et un véritable avenir – c’est ça, la promesse des révoltes sociales en Turquie et au Brésil. L’Égypte se tient à la croisée des chemins des ces deux choix radicalement opposés, et dans ce sens il est symbolique du dilemme auquel est confrontée toute l’espèce humaine.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

1 http://www.libcom.org/forums/news/we-can-smell-tear-gas-rio-taksim-tahrir-29062013


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