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L'indignation de la jeunesse du Venezuela détournée sur le terrain du démocratisme

posté le 14/04/14 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  luttes sociales 

L’évolution de la situation au Venezuela après un mois d’affrontements et de manifestations de rues sporadiques n’a malheureusement pas confirmé les potentialités contenues à l’origine de ce soulèvement des jeunes, excédés et révoltés par la misère, la hausse du coût de la vie (avec un taux d’inflation atteignant officiellement 56%), la précarité, l’insécurité, la terreur permanente et l’avenir bouché en contradiction totale avec la propagande du régime post-chaviste. Si le bilan de la répression s’est depuis considérablement alourdi (18 morts et 260 blessés à la date du 5 mars) depuis les textes traduits ci-après, la bourgeoisie a opéré une véritable mise sous contrôle du mouvement, notamment au moyen de ses fractions d’opposition au régime, de gauche comme de droite. La classe dominante s’est employé a dénaturer ce mouvement sur le terrain du démocratisme et du nationalisme, ce dont témoignent les immenses drapeaux nationaux déployés dans les cortèges des manifestants. Les manipulations et les grandes manœuvres des intérêts impérialistes concurrents ont pris le pas sur la colère de la rue et le mouvement étudiant vénézuélien a démontré qu’il n’avait pas surmonté ses faiblesses de 2007 et s’est fait prendre une fois encore aux pièges qui lui étaient tendus et aux discours mensongers de l’opposition démocratique pour désamorcer son caractère explosif en le coupant de ses racines prolétariennes et en se livrant aux politiciens et à d’autres exploiteurs.

Nous publions ci-dessous la traduction de deux prises de position déjà publiées sur notre site en espagnol1 : il s’agit d’une part de la contribution d’un sympathisant proche du CCI qui a rédigé et distribué un tract "à chaud" dans les jours qui ont suivi la répression des jeunes le 12 janvier par le gouvernement Madero et ses sbires, l’autre un texte de présentation de ce tract écrit par notre section au Venezuela. Tous deux posent l’enjeu essentiel de la situation : le lien nécessaire et vital entre le mouvement de révolte des jeunes et le combat plus général de résistance du prolétariat sur son terrain de classe, même si ce lien a été saboté par l’union de toutes les forces de la bourgeoisie pour détourner la colère de la jeunesse de cet objectif et si le mouvement a été rapidement récupéré par la bourgeoisie.

Ces prises de position ont également le mérite de briser le relatif black-out qui a pesé en Europe pendant des semaines sur ce mouvement alors. La bourgeoisie cherchait à masquer une fois de plus le point de départ de cette rébellion massive des jeunes générations contre des conditions d’existence de plus en plus intolérables, préférant mettre l’accent sur la lutte entre "chavistes" et "ani-chavistes", entre le pouvoir et "l’opposition démocratique".

Présentation du tract par Internacionalismo, organe de presse du CCI au Venezuela

Le tract ci-dessous, écrit et diffusé par un sympathisant du CCI, prend position face à la brutale répression déchaînée par le régime chaviste (actuellement dirigé par le successeur de Chavez, Nicolas Maduro), contre une mobilisation massive appelée par les étudiants le 12 février dernier au centre de Caracas pour exiger la libération de quatre de leurs camarades emprisonnés et pour protester contre la pénurie, le coût élevé de la vie et l’insécurité dans les villes. L’action répressive du régime "social-bolivarien" s’est traduit à l’heure actuelle par un bilan de trois morts, des dizaines de blessés et d’arrestations.

La mobilisation des étudiants a été le détonateur d’une immense indignation qui fermentait depuis longtemps au sein des masses laborieuses et de la population durement frappées par la grave crise économique qui secoue le pays. De larges secteurs de la population au niveau national ont soutenu l’action décidée par les jeunes, s’unissant dans un mouvement de protestation généralisée contre le régime et pour manifester leur rage et leur indignation face au niveau élevé de l’inflation sans aucune compensation sur les traitements et les salaires des travailleurs ; la pénurie accrue des produits de première nécessité (alimentation, médicaments, produits d’hygiène, notamment) ; le haut niveau d’insécurité publique qui s’est sinistrement traduit par près de 200 000 assassinats pendant les quinze ans du régime chaviste ; la détérioration des services publics de santé, la précarité du travail et la grotesque propagande chaviste au niveau national et international pour essayer de vendre "les bienfaits" du "socialisme-boivarien". En réalité, cela illustre de façon tragique la barbarie et la misère que le capitalisme en décomposition offre à l’humanité2.

Comme cela s’est produit lors d’autres mouvements sociaux dans le monde, la bourgeoisie chaviste au pouvoir a eu recours à son moyen d’action préféré : la répression ouverte et impitoyable contre les manifestants ; utilisant non seulement les forces de répression de l’État mais aussi des milices civiles armées et rétribuées par l’État appartenant aux dénommés Comités bolivariens, chargés d’intimider, de créer un climat de terreur, y compris en tirant sur des manifestants désarmés. Ce sont eux les responsables de plusieurs morts et de plusieurs dizaines de blessés. En permettant à ces forces para-policières d’agir librement, l’État tente de masquer sa propre responsabilité dans la répression des manifestants. Ces actes de "révolutionnaires bolivariens" ne doivent pas nous surprendre. La bourgeoisie tout au long de son histoire a utilisé des éléments déclassés et lumpenisés pour renforcer ses troupes de choc contre le prolétariat : on l’a vu aussi bien avec les réseaux fascistes (les "chemises noires" de Mussolini, les "chemises brunes" du nazisme) que sous les régimes staliniens comme à Cuba avec les Comités de Défense de la Révolution (CDR) ou sous les régimes dictatoriaux des pays arabes (Libye, Syrie, Égypte,…) ou encore plus récemment dans les pays alliés au "Socialisme du XXIe siècle" comme au Nicaragua, en Équateur, en Bolivie, etc.

La bourgeoisie est consciente de la gravité de la crise économique du pays, manifestation de la crise économique que vit le capitalisme à l’échelle mondiale. Les moyens économiques du régime n’ont fait que précipiter une crise imminente. Malgré les importantes recettes pétrolières, le régime chaviste ne peut plus supporter le niveau abyssal des dépenses publiques qu’exige le maintien de sa politique populiste depuis quasiment trente ans, ni continuer à fournir du pétrole bon marché pour soutenir une géopolitique qui s’affaiblit chaque jour un peu plus. Dans ce contexte, les conditions sont remplies pour que chavistes et opposants convergent dans la protestation contre le régime. Pour essayer d’éviter cela, un black-out a été imposé aux médias et sur internet pour que ne soient pas divulguées les informations sur les mobilisations de protestation, pendant que les médias contrôlés par l’État cherchaient à monter la population pro-chaviste contre les étudiants et les mobilisations, criminalisant les protestataires et se présentant comme le garant de la "paix sociale".

Malgré les obstacles dressés par l’État, vu le contexte économique, politique et social, ce nouveau mouvement étudiant contient des potentialités qui lui permettraient de dépasser sa composante initiale en se propageant au niveau national.

Pour y parvenir, il doit éviter de tomber dans les mêmes pièges que le mouvement de 20073 qui a été dévoyé et affaibli par tous les faux amis que sont les partis et les forces d’opposition au régime, qui ne sont que l’autre face de la même pièce représentant l’appareil politique du capital national, mais qui ne représentent aucune sortie possible d’une crise qui nous enfonce dans la barbarie et la précarité. C’est pour cela que nous donnons notre plein accord avec le camarade qui a écrit ce texte quand il dit que la seule issue pour ce mouvement est l’union avec les secteurs ouvriers qui, malgré la répression et le harcèlement des syndicats, sont restés debout et en lutte au cours des dernières années : les travailleurs du secteur du fer, du secteur pétrolier, du secteur de la santé, les fonctionnaires, etc.

Comme nous le disions en 2007, nous saluons le surgissement spontané de ce nouveau mouvement de la jeunesse étudiante dont la confrontation avec l’État contient des éléments qui l’inscrivent parmi les luttes prolétariennes contre le système capitaliste. Ces éléments sont ceux qui étaient aussi présents dans les mouvements sociaux qui ont secoué le monde depuis le "printemps arabe" de 2011 jusqu’aux récents mouvements au Brésil et en Turquie, en passant par le mouvement des Indignados en Espagne et des Occupy aux États-Unis.4

Internacionalismo, organe de presse CCI au Venezuela, le 23 février 2014

Tract : La répression sanglante du 12 février 2014

Depuis peu, l’expérience la plus achevée du "Socialisme du XXIe siècle", selon le jugement des nostalgiques du stalinisme, est secouée par une vague d’émeutes qui s’est étendue dans toute la république et qui a comme acteur principal une masse de jeunes, issus de toutes les couches sociales, qui condense la nature opprimée d’une population attaquée par la décomposition d’un modèle social qui se nourrit de la forme la plus cruelle du capitalisme (le capitalisme d’État sous sa forme caricaturale) et qui a affecté la vie nationale au cours de ces 15 dernières années. La rage contenue à l’intérieur d’un cercle infernal délimité par l’insécurité, par la pénurie de quasiment tout ce qui est strictement nécessaire pour mener une vie plus ou moins décente, par l’absence d’un quelconque motif de rêver ou d’entretenir le moindre espoir d’amélioration des conditions de vie, par un sentiment de frustration que procure le confinement dans une réalité sociale où ont disparu les valeurs qui ont animé l’humanité pour poursuivre un cours qui lui permette de partir à l’assaut du ciel.

Le 12 février, plus que le hochet patriotique de la Journée de la Jeunesse, les jeunes ont appelé, en marge de toute action politicarde puante, à une manifestation pour réclamer la libération d’un groupe d’étudiants détenus dans la province de Tachira, enfermés dans des centres de détention de haute sécurité avec un motif d’inculpation les qualifiant de terroristes, démonstration de l’escalade répressive que le "socialisme bolivarien du XXIe siècle" est venu déchaîner contre les protestations qui ont pris corps tout au long de l’année 2013 sur tout le territoire national, incluant, de manière informelle, divers secteurs de la classe ouvrière et en particulier des travailleurs des industries de base (Sidor, Venalum, Alcasa, Ferrominera, Bauxilum, etc.) et plus récemment des ouvriers de l’industrie pétrolière de la raffinerie de Jóse qui ont été emprisonnés sous prétexte d’être des traîtres à la patrie. Les qualificatifs de traîtres, terroristes, apatrides, lèche-bottes des Yankees, agents de l’impérialisme, le chavisme et ses tueurs à gages des Comités les utilisent indistinctement contre n’importe quelle manifestation de mécontentement ou contre toute lutte revendicative que mènent les travailleurs, pas seulement contre les étudiants.

Le 12 février 2014, les jeunes qui protestaient se sont retrouvés pris dans la ligne de tir et le champ miné que le chavisme et son opposition capitaliste (le MUD5, Léopoldo Lopez et les fractions de gauche défroquées du stalinisme main dans la main aujourd’hui avec la droite) dans un partage des tâches non concerté, ont créés pour stériliser la contestation, les détournant des chemins qui pouvaient les conduire à se rassembler avec les secteurs prolétariens qui se trouvaient du même côté de la barricade que les étudiants et qui pouvaient apporter l’organisation politique et la direction capable de contenir la vague de répression et d’exploitation de l’État capitaliste bolivarien. Le régime craint le caractère explosif que prennent les luttes animées par de jeunes prolétaires et des mouvements étudiants, qui ont connu à travers des expériences récentes et particulièrement celles de 2007, la capacité et le renforcement croissant qu’offrent de telles mobilisations qui représentent un danger potentiel d’entraîner derrière elle le ras-le-bol et les frustrations d’une population bombardée par un déluge de mystifications que la propagande officielle a déversé à pleins seaux sur elle.

En 2007, le mouvement de protestation avait été poussé sur le terrain stérile de la défense d’une chaîne de télévision (RCTV), scénario dans lequel étaient en concurrence deux visions du capitalisme, et finalement le mouvement de protestation avait été réduit à une caricature dans laquelle le rôle principal a été tenu par la futilité propre aux vedettes médiatisées. Et finalement, la journée du 12 février 2014, le discours officiel, après avoir criminalisé avec son jargon habituel le mouvement de protestation des jeunes, a proposé le scénario suivant, en se partageant le travail avec l’opposition, pour essayer d’entraîner le mouvement dans la stérilité : le ministère de la Justice a lancé un mandat d’arrêt contre Leonardo Lopez en menaçant aussi de lever l’immunité parlementaire de l’opposante Corina Machado avec les charges d’association avec des délinquants en bande organisée et désigné une commission d’enquête criminelle pour avoir appelé les jeunes à la manifestation.

Ni Lopez, ni Machado n’ont appelé à la moindre mobilisation et leur présence fugace à la manifestation s’est réduite à chauffer leur voix d’orateur capitaliste pour essayer de surfer sur la combativité des jeunes, mais à l’instant même où la canaille chaviste, dans sa charge sanglante contre les manifestants, se déchaînait avec l’intervention concerté des Comités de la mort, de la Garde nationale bolivarienne (GNB) et de la police nationale bolivarienne (PNB), ils se sont volatilisés, on ne les a plus vus, ni eux ni les autres caïds de la MUD. La tâche pénible d’affronter la répression de l’État capitaliste bolivarien sur les barricades et de ramasser les cadavres, ce sont les jeunes qui les ont assumées. Les défenseurs du capitalisme de la MUD de même que les dirigeants chavistes se sont réservés, eux, le pompeux rôle principal à jouer auprès de médias.

À l’heure actuelle, le mouvement de protestation ne doit pas répéter les erreurs de 2007, développer sa lutte sur un terrain qui n’est pas le sien sous peine de se laisser entraîner dans le précipice de la frustration et de la défaite cuisante. Le seul milieu naturel dans lequel la protestation actuelle des jeunes pourrait prendre des forces serait en se reliant aux secteurs prolétariens de la société qui, tout au long de l’année 2013 se sont maintenus debout et ont lutté contre les attaques de l’État capitaliste bolivarien qui ne peut pas se généraliser sans poser le potentiel d’extension contenu dans le mouvement de protestation des jeunes. Ces secteurs renferment les germes d’un contenu révolutionnaire capable de féconder le mouvement actuel de protestation permettant la construction d’une solide plateforme politique et organisationnelle qui la transformerait en bastion de classe avec la force pour abattre ce système capitaliste pourri que le chavisme et ses acolytes s’efforcent de maintenir debout. Ces secteurs, ce sont les ouvriers des industries de base travaillant dans la région de Guayana, les travailleurs du pétrole disséminés sur tout le territoire national et les travailleurs du secteur public qui ont coupé les ponts avec le syndicalisme qui les reliait au chavisme. Voilà quel est le terrain sur lequel peut se livrer la meilleure bataille.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

1 http://es.internationalism.org

2 Voir l’article : Venezuela : avec ou sans Chavez, de plus en plus d’attaques contre les travailleurs,

[http://fr.internationalism.org/icconline/201304/6971/venezuela-ou-sans-chavez-plus-plus-d-attaques-contre-travailleurs] (avril 2013) ou en espagnol : El Legado de Chávez : Un proyecto de defensa del capital. Un gran engaño para las masas empobrecidas. [http://es.internationalism.org/en/node/3694]

Pour une vision plus générale, lire nos Thèses sur la décomposition

[http://fr.internationalism.org/book/export/html/805]

3 Voir notre article en espagnol : Movimiento estudiantes en Venezuela : los jóvenes intentan salir de la trampa de la polarización chavismo – oposición".

[http://es.internationalism.org/ccionline/2007/estudiantes_venezuela.htm]

4 Pour un bilan de ces mouvements, voir notre "Dossier spécial sur le mouvement des Indignés et des Occupy", publié sur notre site le 6 juin 2011.

5 Mesa de la Unidad Democrática (Table de l’Unité Démocratique) : Coalition plus ou moins radicale de partis d’opposition à Chavez créée en janvier 2008 mais dominée par une tendance de centre gauche et social-démocrate, faisant aussi cause commune avec les partis de droite, traditionnellement opposés au populisme chaviste.


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