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L’islamophobie médiatique en France : l’art et la manière d’affoler les consciences

posté le 05/11/18 par https://paris-luttes.info/l-islamophobie-mediatique-en-10934 Mots-clés  médias  antifa 

L’islam au sein des médias français est un sujet incontournable et en permanence ressassé. Les journalistes depuis des décennies nous abreuvent du « problème musulman » et le mettent au premier plan de nos préoccupations. Des « affaires du voile » aux mosquées salafistes, de l’antiterrorisme à la lutte contre l’immigration dite clandestine, le traitement de l’actualité est sérieusement impacté par une islamophobie ostentatoire. Ce traitement est directement à mettre en relation avec l’histoire coloniale en « terre musulmane » qui se poursuit aujourd’hui avec les interventions militaires en Syrie et en Irak. Il est également à rattacher à la gestion policière des quartiers populaires qui a besoin de l’idéologie raciste pour se perpétuer.

L’islamophobie en France est le produit d’un long passé d’oppression de peuples perçus comme réfractaires à la civilisation et au progrès. Elle s’est exprimée dans le cadre de la politique d’annexion à la France de plusieurs pays aujourd’hui indépendants. Le droit colonial fut l’une des expressions les plus visibles de ce racisme à travers la création du statut d’indigène régi par des lois d’exception se démarquant du droit commun égalitariste.

L’Algérie est un parfait exemple pour comprendre ce système : l’ordonnance royale du 24 février 1834 accorde la nationalité aux « indigènes musulmans », déclarés « sujets français ». Ces indigènes ne jouissent d’aucun droit politique et sont soumis officiellement à partir de 1881 à des infractions spéciales pouvant être punies par l’internement administratif, des amendes collectives ou encore le séquestre, c’est-à-dire la confiscation des terres. Ils sont également soumis à partir de 1911 aux obligations militaires. Outre l’aspect inégalitaire du droit colonial en Algérie, on note une vision globalisante de la société autochtone réduite à sa dimension religieuse, ici donc à l’islam. L’indigène n’est rien d’autre qu’un musulman et il est discriminé en tant que tel, qu’il soit ou non croyant.

On note également une discrimination particulièrement forte vis-à-vis des femmes algériennes durant la période coloniale. Celle-ci est relatée avec beaucoup de précision par le psychiatre et militant du FLN Frantz Fanon dans son ouvrage L’an V de la Révolution algérienne rédigée en 1959 : « les responsables de l’administration française en Algérie […] vont porter le maximum de leurs efforts sur le port du voile […] comme symbole du statut de la femme algérienne. L’administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l’écart, cloîtrée… On décrit les possibilités immenses de la femme, malheureusement transformée par l’homme algérien en objet inerte, démonétisé, voire déshumanisé. Le comportement de l’Algérien est dénoncé très fermement et assimilé à des survivances moyenâgeuses et barbares ». Le traitement médiatique de l’islam en France nous renvoie totalement à cette situation.

Il est possible d’en faire une chronologie depuis la fin des années 1970. À partir de 1979, année de la dite révolution islamique en Iran, on assiste en France à une islamisation des regards qui impacte l’ensemble des questions politiques. Les grèves menées entre 1982 et 1984 dans les usines Citroën à Aulnay-Sous-Bois et Talbot à Poissy en sont le théâtre. Alors que les ouvriers luttent contre les plans de licenciement qui touchent ces chaînes de production, le ministre de l’intérieur Gaston Defferre fustige sur Europe 1 des « grèves saintes » menées par « des intégristes chiites »1.

En février 1989, l’affaire impliquant l’écrivain Salman Rushdie éclate au moment de la parution de son livre « Les versets sataniques ». Alors que l’ayatollah Khomeyni, « guide de la révolution iranienne » appelle à le tuer, le journal L’Express se montre radical : « l’islam est une religion de combat, qui méprise les faibles et les tièdes »2. Quelques mois plus tard, l’épisode des « tchadors de Creil » est exhibée par Antenne 2 et Le Nouvel Observateur. Elle concerne trois élèves du collège Gabriel-Havez exclues pour les foulards qu’elles portent, jugés contraires à la laicité par leur proviseur.

Dans la foulée, plusieurs intellectuels parmi lesquels Alain Finkielkraut et Élisabeth Badinter rédigent dans Le Nouvel Observateur une lettre ouverte au ministre de l’Éducation Lionel Jospin. Voici un extrait de leur diatribe : « Tolérer le foulard islamique, ce n’est pas accueillir un être libre (en l’occurrence une jeune fille), c’est ouvrir la porte à ceux qui ont décidé, une fois pour toutes et sans discussion, de lui faire plier l’échine. Au lieu d’offrir à cette jeune fille un espace de liberté, vous lui signifiez qu’il n’y a pas de différence entre l’école et la maison de son père. En autorisant de facto le foulard islamique, symbole de la soumission féminine, vous donnez un blanc-seing aux pères et aux frères, c’est-à-dire au patriarcat le plus dur de la planète »3. La journaliste Elisabeth Schemla pose de son côté cette question dans Le Nouvel Observateur du 26 octobre : « Ne faut-il pas se battre contre l’islam pour maintenir la laicité ? »4.

Ces emballements se poursuivent dès le début des années 90 avec le déclenchement de la guerre contre l’Irak et les victoires du Front Islamique du Salut (FIS) aux élections algériennes. Jean-Marie Cavada, présentateur TF1 du débat « Le syndrome Saddam : la France, ses musulmans et l’Irak » retransmis le 30 janvier livre une vision grotesque du problème : « la guerre a provoqué une fracture entre l’ensemble de l’opinion et les arabo-musulmans français »5. La guerre civile en Algérie, consécutive au coup d’État militaire fomenté suite à la victoire des islamistes au premier tour des législatives fait s’interroger les journalistes sur les « réseaux » qu’entretiendrait le FIS au sein de la communauté algérienne de France. Une association constituée par quelques étudiants appelée Fraternité Algérienne en France (FAF) attire alors l’attention de l’émission « Le droit de savoir » diffusée sur TF1 en février 1992 qui se pose la question « Y a-t-il une poussée islamiste en France ? ». Son porte-parole Moussa Kraouche y est qualifié de « représentant officieux du FIS à Paris »6. Progressivement, la « question » du voile est raccordée à cette thématique. […]


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