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LÉNINE = TROTSKY = STALINE. ALL FASCISTS ARE BASTARDS !!

posté le 28/04/17 par dbz12 Mots-clés  répression / contrôle social 

Dans l’univers léniniste un doute radical est perpétuellement suspendu sur la véritable identité des classes et groupes qui manifestent la moindre « spontanéité », c’est-à-dire qui échappent au contrôle de l’avant-garde. Ayant catalogué la Russie paysanne comme « le pays le plus petit bourgeois d’Europe », absurdité manifeste, Lénine avait tendance à considérer toute la population avec méfiance et suspicion. Ouvriers et paysans n’étaient plus des classes ayant une structure en soi et des buts pour soi, mais une apparence trouble et confuse, derrière laquelle se cachait le Malin – le « capitalisme » – toujours prêt à reparaître à la surface. Les paysans n’étaient plus des paysans, mais des « petits patrons » et des capitalistes en herbe, incarnant la forme la plus subtile de l’« ennemi de classe » : « Il est mille fois plus facile de vaincre la grande bourgeoisie que de vaincre les millions et les millions de petits patrons ; or ceux-ci, par leur activité quotidienne, invisible, insaisissable, dissolvante, accomplissent ce qui est nécessaire à la bourgeoisie, restaurent la bourgeoisie (...). Ils entourent de tous côtés le prolétariat d’une ambiance petite bourgeoise, ils l’en pénètrent, ils l’en corrompent, ils suscitent constamment au sein du prolétariat les défauts propres à la petite bourgeoisie : manque de caractère, dispersion, individualisme...  » (31, p. 39).

L’adversaire n’était plus le « capitalisme », les gardes blancs, les corps expéditionnaires, mais la réalité toute entière : « L’ennemi, c’est la grisaille quotidienne de l’économie dans un pays de petits agriculteurs, où la grosse industrie est ruinée et où l’élément petitbourgeois qui nous entoure comme l’air pénètre fortement dans les rangs du prolétariat » (33, p. 17). Si la réalité s’inscrivait en faux contre l’utopie, ce n’était pas parce que celle-ci était un rêve irréalisable, mais parce que celle-là était « petite-bourgeoise ». Tout ce qui ne cadrait pas avec l’orthodoxie du moment était taxé de « petit-bourgeois » et voué à l’anathème. C’est que rien de bon, rien de « véritablement prolétarien » ne pouvait émaner de cette « grisaille quotidienne », de cette société « petite-bourgeoise » où chaque paysan était « à moitié travailleur, à moitié spéculateur » (29, p. 37). Et le prolétariat lui-même n’était pas à l’abri de cet hermaphroditisme sociologique.

Encerclée par ces millions de moujiks métamorphosés en petits-bourgeois et en « restaurateurs du capitalisme », la classe ouvrière elle-même pouvait à tout instant perdre son identité et se laisser « corrompre » par l’ennemi, et cela d’autant plus facilement qu’elle était non seulement « particulièrement fatiguée, épuisée, excédée par trois ans et demi de misères sans précédent » (39, p. 284), mais aussi « affaiblie et jusqu’à un certain 15 point déclassée par la destruction de sa base vitale : la grande industrie mécanisée » (32, p. 490). En effet, pendant la courte période où l’expression « dictature du prolétariat » avait eu quelque sens, l’activité industrielle (« condition objective du socialisme ») avait dû se réduire au cinquième de la normale et la classe ouvrière (« condition subjective ») avait perdu la moitié de ses effectifs. Le « déclassement » du prolétariat deviendra désormais l’argument de choix dans la lutte de Lénine contre la gestion ouvrière et le rétablissement de la démocratie soviétique. Ayant cessé de représenter le prolétariat, le parti se mit à nier avec obstination l’existence même de la classe à laquelle il se substituait d’office. « Par suite des lamentables conditions de notre réalité », disait Lénine en 1921, « les prolétaires sont obligés de recourir à un gagne-pain non prolétarien, à des procédés petits-bourgeois de spéculation ; ils sont obligés de voler ou bien d’exécuter des travaux privés à l’usine socialiste pour se procurer des articles à échanger contre des denrées agricoles (...). C’est en qualité de spéculateur ou de petit producteur que le prolétaire agit dans la sphère économique » (32, p. 439). En procédant ainsi, expliquait Boukharine en 1920, les ouvriers « se déclassent d’eux-mêmes » et se transforment en « petits bourgeois » : « seuls les plus mauvais éléments de la classe sont restés dans les usines », les meilleurs ayant été absorbés par le parti qui représentait désormais la « vraie » classe ouvrière. Mais c’est Lénine qui a donné la formule la plus extrême de cette étonnante résurrection du « substitutionnisme » que dénonçait Trotsky en 1904 :

« Très souvent, quand on dit “ouvriers”, on pense que cela signifie prolétariat des usines. Pas du tout. Chez nous, depuis la guerre, des gens qui n’avaient rien de prolétaire (sic) sont venus aux fabriques et aux usines ; ils y sont venus pour s’embusquer. (C’étaient donc des « embusqués » qui avaient fait la Révolution d’Octobre...). Et aujourd’hui, les conditions sociales et économiques sont-elles, chez nous, de nature à pousser de vrais prolétaires (sic) dans les fabriques et les usines ? Non. C’est faux. C’est juste d’après Marx. Mais Marx ne parlait pas de la Russie : il parlait du capitalisme dans son ensemble, à dater du XVe siècle. Ç’a été juste pendant six cents ans, mais c’est faux pour la Russie d’aujourd’hui (sic). Bien souvent, ceux qui viennent à l’usine ne sont pas des prolétaires, mais toutes sortes d’éléments de rencontre » (33, p. 305).

Le marxisme constituait la « seule science véritable », mais ses critères étaient inapplicables au régime dont il était l’idéologie officielle... Face aux ouvriers frappés d’irréalité, « affaiblis par le déclassement et susceptibles de flottements menchévistes et anarchistes », c’est-à-dire nostalgiques des promesses de 1917, le parti représentait la seule « force réelle du prolétariat » (33, p. 17). Ainsi Rome n’était plus dans Rome, le « vrai » prolétariat avait disparu des usines, les ouvriers réels n’étaient plus de « vrais prolétaires » : ceux-ci s’étaient réfugiés dans le parti, où les ouvriers réels étaient en minorité. Lorsque Lénine écrivait ses phrases hallucinantes, le nombre total de bolcheviks travaillant effectivement dans l’industrie n’était que de 90.000, soit 18 % des effectifs du parti : pour les trois quarts, celui-ci était un parti de fonctionnaires pour qui, comme dirait Marx, le maintien de la dictature était « une question de couteau et de fourchette ». C’est à eux que Lénine demandera de mener le grand combat contre la bureaucratie devenue entre temps un « fléau ».

Pour maintenir la pureté de l’utopie face à la réalité impure, il fallait tout d’abord institutionnaliser la terreur. L’abandon du « communisme de guerre », l’adoption de la N.E.P., le rétablissement de la liberté du commerce, à partir de 1921 semblaient donner raison aux mencheviks et aux socialistes révolutionnaires. La réponse de Lénine ne se fit pas attendre : « Permettez-nous, pour cela de vous coller au mur (...) Nos tribunaux révolutionnaires doivent fusiller ceux qui auront publiquement fait acte de menchevisme » (33, p. 288). Ensuite, il fallait accentuer le caractère fermé du parti : « le parti ne peut ouvrir largement ses portes, car à l’époque de la désagrégation du capitalisme il est absolument inévitable (sic) qu’il absorbe les pires éléments » ; « cerné par l’ennemi, notre parti doit resté étroit » (30, p. 428). Enfin, le Parti devait lui-même renoncer à la démocratie interne pour se soumettre à la discipline monolithique d’une colonne militaire marchant « au milieu des ennemis ». En effet, la vie politique étouffée dans le pays risquait de renaître à l’intérieur du parti unique : celui-ci ne pourrait conserver son monopole qu’en interdisant les « fractions » qui risquaient de lui transmettre les « flottements », les fièvres et les révoltes du monde extérieur. L’interdiction des fractions au lendemain de la révolte de Cronstadt rendait urgente la mise en application du « principe bureaucratique » d’organisation formulé en 1902. Le parti s’était déjà substitué à la classe ; l’appareil du parti allait bientôt se substituer au parti : chargé d’extirper l’opposition et de pousser au maximum la centralisation et la discipline, l’appareil devait prendre bientôt sous son contrôle la dernière force politique qui substituait dans le pays, le parti, et devenir le seul détenteur du pouvoir réel. Pour imposer sa domination, Staline n’aura pas besoin de se réclamer d’une nouvelle théorie ou de faire état de ses services plutôt médiocres. Il lui suffira d’utiliser à plein rendement et sans scrupule l’instrument que Lénine avait forgé.

Kostas PAPAÏOANNOU


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