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La coresponsabilité des alliés et des nazis dans l'holocauste

posté le 28/10/13 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  réflexion / analyse 

Nous republions ci-dessous un article extrait de notre brochure : Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital.

Alors que, de 1945 à aujourd’hui, la bourgeoisie n’a eu de cesse de nous exhiber, de façon obscène, les montagnes de squelettes trouvés dans les camps d’extermination nazis et les corps affreusement décharnés des survivants de cet enfer, elle fut très discrète sur ces mêmes camps pendant la guerre elle-même, au point que ce thème fut absent de la propagande guerrière du "camp démocratique".

Les Alliés dissimulent l’existence des camps

La fable que nous ressert régulièrement la bourgeoisie selon laquelle ce n’est qu’avec la libération des camps en 1945 que les Alliés se seraient véritablement rendus compte de ce qui se passait à Dachau, Auschwitz ou Treblinka, ne résiste pas à la moindre étude historique. Les services de renseignement existaient déjà et étaient très actifs et efficaces comme l’attestent des centaines d’épisodes de la guerre où ils jouèrent un rôle déterminant ; et l’existence des camps de la mort ne pouvait échapper à leur investigation. Cela est confirmé par toute une série de travaux d’historiens de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi le journal français Le Monde, par ailleurs très actif dans la campagne "anti-négationniste", écrit dans son édition du 27 septembre 1996 : "Un massacre [celui perpétré dans les camps] dont un rapport du parti social-démocrate juif, le Bund polonais, avait, dès le printemps 1942, révélé l’ampleur et le caractère systématique, fut officiellement confirmé aux officiels américains par le fameux télégramme du 8 août 1942, émis par G. Riegner, représentant du Congrès Juif mondial à Genève, sur la base d’informations fournies par un industriel allemand de Leipzig du nom d’Edouard Scholte. A cette époque on le sait, une grande partie des juifs européens promis à la destruction étaient encore en vie." On voit donc que les gouvernements Alliés au travers de multiples canaux, étaient parfaitement au courant des génocides en cours dès 1942. Pourtant les dirigeants du "camp démocratique", les Roosevelt, Churchill et consorts, firent tout pour que ces révélations, pourtant incontestables, ne fassent l’objet d’aucune publicité et donnèrent à la presse de l’époque des consignes d’extrême discrétion sur ce sujet. En fait, ils ne levèrent pas le moindre petit doigt pour tenter de sauver la vie de ces millions de condamnés à mort. C’est ce que confirme ce même article du journal Le Monde : "(...) l’Américain D. Wyman a montré, au milieu des années 1980, dans son livre l’Abandon des juifs (Calmann/Lévy), que quelques centaines de milliers d’existences auraient pu être épargnées sans l’apathie, voir l’obstruction, de certains organes de l’administration américaine (comme le Département d’Etat) et des Alliés en général." Ces extraits de ce très bourgeois et démocratique journal ne font que confirmer ce qu’a toujours affirmé à ce propos la Gauche communiste, en particulier dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi1. Et c’est ce texte qui est aujourd’hui désigné à la vindicte comme étant, ce qui est un mensonge infâme, à l’origine des thèses "négationnistes"2. Le silence de la coalition impérialiste opposée à l’Allemagne hitlérienne montre déjà ce que valent ces vertueuses et tonitruantes proclamations d’indignation devant l’horreur des camps après 1945.

Ce silence s’expliquerait-il par l’antisémitisme latent de certains dirigeants Alliés comme l’ont soutenu des historiens israéliens après la guerre ? Que l’antisémitisme ne soit pas l’apanage des tenants des régimes fascistes est, comme nous l’avons évoqué plus haut, une chose certaine. Mais ce n’est pas là la véritable explication du silence des Alliés dont d’ailleurs certains des dirigeants étaient juifs ou très proches des organisations juives, comme Roosevelt par exemple. Non, là encore, l’origine de cette remarquable discrétion réside dans les lois qui régissent le système capitaliste, quels que soient les oripeaux, démocratiques ou totalitaires, dont il drape sa domination. Comme pour l’autre camp, toutes les ressources du camp Allié étaient mobilisées au service de la guerre. Pas de bouches inutiles, tout le monde doit être occupé, soit au front, soit dans la production d’armements. L’arrivée en masse des populations en provenance des camps, des enfants et des vieillards qu’on ne pouvait pas envoyer au front ou à l’usine, des hommes et des femmes malades et épuisés qu’on ne pouvait immédiatement intégrer dans l’effort de guerre, aurait désorganisé ce dernier. Dès lors, on ferme les frontières et on empêche par tous les moyens une telle immigration. Le ministre de sa très gracieuse et très démocratique majesté britannique, A. Eden décida en 1943 (c’est-à-dire à une période où la bourgeoisie anglo-saxonne n’ignorait rien de la réalité des camps), à la demande de Churchill, "qu’aucun navire des Nations unies ne peut être habilité à effectuer le transfert des réfugiés d’Europe." Et Roosevelt ajoutait que "transporter tant de monde désorganiserait l’effort de guerre" (Churchill, Mémoires, T.10). Voilà les sordides raisons qui conduisirent ces "grands démocrates" et "antifascistes" patentés à garder le silence sur ce qui se passait à Dachau, Buchenwald et autres lieux de sinistre mémoire ! Les considérations humanitaires qui étaient censées les animer n’avaient pas leur place devant leurs sordides intérêts capitalistes et les besoins de l’effort de guerre.

Les Alliés ne se contentèrent pas d’entretenir soigneusement le silence durant toute la guerre sur les génocides perpétrés dans les camps ; ils allèrent beaucoup plus loin dans le cynisme et l’abjection. Si d’un côté ils n’ont jamais hésité à faire tomber un déluge de bombes sur les populations allemandes, pour l’essentiel ouvrières, de l’autre ils se sont refusés à tenter la moindre opération militaire en direction des camps de la mort. Ainsi, alors que dès le début 1944 ils pouvaient sans difficultés bombarder les voies ferrées menant à Auschwitz, ils se sont volontairement abstenus. Non seulement cet objectif était à ce moment-là à portée de leur aviation mais deux évadés du camp leur avaient décrit en détail le fonctionnement de celui-ci et la topographie des lieux.

Quand le camp démocratique préfère laisser crever les juifs plutôt que de s’en encombrer

Dans l’article cité plus haut, Le Monde rapporte : "des dirigeants juifs hongrois et slovaques supplient les Alliés de passer à l’action, alors que les déportations des juifs de Hongrie ont commencé. Ils désignent même un objectif : le carrefour ferroviaire de Kosice-Pressow. Les Allemands pouvaient, il est vrai, assez rapidement réparer les voies. Mais cet argument ne vaut pas pour la destruction des crématoires de Birkenau, qui aurait incontestablement désorganisé la machine d’extermination. Rien ne sera fait. En définitive, il est difficile de ne pas reconnaître que même le minimum n’a pas été tenté, noyé qu’il a été par la mauvaise volonté des états-majors et des diplomates."

Mais contrairement à ce que déplore ce journal bourgeois, ce n’est pas par une simple "mauvaise volonté" ou "lourdeur bureaucratique" que le "camp démocrate" fut complice de l’holocauste. Cette complicité fut, comme on va le voir, totalement consciente. Les camps de déportation furent au début essentiellement des camps de travail où la bourgeoisie allemande pouvait bénéficier à moindre coût d’une main-d’œuvre réduite à l’esclavage, tout entière consacrée à l’effort de guerre. Même si déjà à l’époque il existait des camps d’extermination, ils étaient jusqu’en 1942 plus l’exception que la règle. Mais à partir des premiers revers militaires sérieux subis par l’impérialisme allemand, en particulier face au formidable rouleau compresseur mis en place par les Etats-Unis, le régime nazi ne pouvait déjà plus nourrir convenablement la population et les troupes allemandes. Il décida de se débarrasser de la population excédentaire enfermée dans les camps, et dès lors, les fours crématoires se répandirent un peu partout et accomplirent leur sinistre besogne. L’horreur indicible de ce qui se perpétrait dans les camps pour alimenter la machine de guerre allemande était le fait d’un impérialisme aux abois qui reculait sur tous les fronts. Cependant bien que l’holocauste fut perpétré sans le moindre état d’âme par le régime nazi et ses sbires, il ne rapportait pas grand-chose au capitalisme allemand qui était, comme on l’a vu, lancé dans une course désespérée pour réunir les moyens nécessaires à une résistance efficace face à une avancée de plus en plus irrésistible des Alliés. C’est dans ce contexte que plusieurs négociations furent tentées par l’Etat allemand, en général directement par les SS, auprès des Alliés dans le but de chercher à se débarrasser, avec profit, de plusieurs centaines de milliers, voire de millions de prisonniers.

L’épisode le plus célèbre de ce sinistre marchandage fut celui qui a concerné Joël Brand, le dirigeant d’une organisation semi-clandestine de juifs hongrois. Ce dernier, comme l’a raconté A. Weissberg dans son livre : L’histoire de J. Brand, et comme cela a été repris dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi, fut convoqué à Budapest pour y rencontrer le chef des SS chargé de la question juive, A. Eichmann. Celui-ci le chargea de négocier auprès des gouvernements anglo-américains la libération d’un million de juifs en échange de 10 000 camions. Eichmann était prêt à réduire ses prétentions, voire à accepter d’autres types de marchandises. Les SS, pour preuve de leur bonne foi et du caractère on ne peut plus sérieux de leur offre, se déclarèrent prêts à libérer sans contrepartie 100 000 juifs dès qu’un accord de principe serait obtenu par J. Brand. Dans un premier temps, celui-ci connut les pires difficultés (jusqu’à subir une incarcération dans des prisons anglaises du Proche-Orient) pour rencontrer des représentants des gouvernements Alliés. Ces difficultés n’étaient pas le fruit du hasard : à l’évidence, une rencontre officielle avec cet "empêcheur de tourner en rond" était à éviter.

Quand il put enfin discuter des propositions allemandes avec Lord Moyne, le responsable du gouvernement britannique pour le Proche-Orient, celui-ci lui opposa un refus catégorique qui n’avait rien de personnel (il ne faisait qu’appliquer les consignes du gouvernement britannique) et qui était encore moins l’expression d’un "refus moral face à un odieux chantage". Aucun doute n’est en effet possible à la lecture du compte rendu que fit Brand de cette discussion : "Il le supplie de donner au moins un accord écrit, quitte à ne pas le tenir, ça ferait toujours 100 000 vies sauvées, Moyne lui demande alors quel serait le nombre total ? Eichmann a parlé d’un million. Comment imaginez-vous une chose pareille, Mister Brand ? Que ferai-je de ce million de juifs ? Où les mettrai-je ? Qui les accueillera ? Si la terre n’a plus de place pour nous, il ne nous reste plus qu’à nous laisser exterminer, dit Brand désespéré." Comme le souligne très justement Auschwitz ou le grand alibi à propos de ce glorieux épisode de la seconde boucherie mondiale : "Malheureusement si l’offre existait, il n’y avait pas de demande ! Non seulement les juifs, mais aussi les SS, s’étaient laissés prendre à la propagande humanitaire des alliés. Les alliés n’en voulaient pas de ce million de juifs ! Pas pour 10 000 camions, pas pour 5 000, même pas pour rien."

La propagande démocratique pour mystifier le prolétariat

Une certaine historiographie récente tente de montrer que ce refus était avant tout dû au veto opposé par Staline face à ce type de marchandage. Ce n’est là qu’une tentative de plus pour chercher à masquer et à atténuer la responsabilité des "grandes démocraties" et leur complicité directe dans l’holocauste. C’est ce que révèle la mésaventure survenue au naïf J. Brand dont on ne peut sérieusement contester le témoignage. De plus, durant toute la guerre, ni Roosevelt ni Churchill n’ont eu pour habitude de se laisser dicter leur conduite par Staline. Avec le "petit père des peuples", ils étaient plutôt au diapason, faisant preuve du même cynisme et de la même brutalité. Le très "humaniste" Roosevelt opposera d’ailleurs le même refus à d’autres tentatives ultérieures des nazis, en particulier lorsque, fin 1944, ils essayèrent encore de vendre des juifs à l’ "Organisation des Juifs américains", transférant pour preuve de leur bonne volonté près de 2 000 juifs en Suisse, comme le raconte dans le détail Y. Bauer dans un livre intitulé : Juifs à vendre (Editions Liana Levi).

Tout ceci n’est ni une bavure ni le fait de dirigeants devenus "insensibles" à cause des terribles sacrifices qu’exigeait la conduite de la guerre contre la féroce dictature fasciste comme veut le faire croire la bourgeoisie. L’antifascisme n’a jamais exprimé un réel antagonisme entre d’un côté un camp défendant la démocratie et ses valeurs, et de l’autre un camp totalitaire. Il n’a été dès le départ qu’un "chiffon rouge" agité devant les yeux des prolétaires pour justifier la guerre à venir en masquant son caractère classiquement inter-impérialiste pour le repartage du monde entre les grands requins capitalistes (c’est ce que l’Internationale Communiste avait mis en avant dès la signature du Traité de Versailles et qu’il fallait absolument gommer de la mémoire ouvrière). Il a été surtout le moyen de les embrigader dans la plus gigantesque boucherie de l’histoire. Si, pendant la guerre, il fallait faire le silence sur les camps et fermer soigneusement les frontières à tous ceux qui tentaient d’échapper à l’enfer nazi pour "ne pas désorganiser l’effort de guerre", après la fin de la guerre il en a été tout autrement. L’immense publicité faite soudain, à partir de 1945, aux camps de la mort représentait une formidable aubaine pour la bourgeoisie. Braquer tous les projecteurs sur la réalité monstrueuse des camps de la mort permettait en effet aux Alliés de masquer les crimes innombrables qu’ils avaient eux-mêmes perpétrés. Ce battage assourdissant permettait aussi d’enchaîner solidement une classe ouvrière (qui risquait de renâcler contre les immenses sacrifices et la misère noire qu’elle continuait de subir même après la "Libération") au char de la démocratie. Celle-ci était présentée par tous les partis bourgeois, de la droite aux staliniens, comme une valeur commune aux bourgeois et aux ouvriers, valeur qu’il fallait absolument défendre pour éviter, à l’avenir, de nouveaux holocaustes.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

1- L’article, attribué à Bordiga, est disponible en langue française sur le site : marxists.org. [NdR]

2- Cf. "Campagnes anti-négationnistes, une attaque contre la Gauche communiste", dans le chapitre VI de notre brochure : Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital.


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