Pendant des milliers d’années, les gens ont été forcés de fuir la guerre, la persécution, la famine et les catastrophes naturelles telles que la sécheresse, les inondations, les éruptions volcaniques, etc… Mais ces mouvements n’étaient pas un phénomène permanent et ils affectaient le plus souvent une petite partie de la population déjà sédentaire. Avec le début de l’agriculture, la culture des plantes et la domestication des animaux, l’humanité a développé pendant des milliers d’années un mode de vie sédentaire. Sous le féodalisme, les paysans étaient attachés à la terre, et restaient serfs, de la naissance à la mort, sur la terre qui appartenait à leur seigneur. Mais, avec l’apparition du capitalisme, autour des XIVe et XVe siècles, les conditions ont changé radicalement.
Depuis sa période d’ascendance…
Le capitalisme s’est propagé par la conquête, par la violence intense et massive à travers le globe. Tout d’abord en Europe, où le fait de clôturer les terrains communaux a forcé les paysans qui vivaient en autarcie à quitter la terre communale pour s’agglutiner dans les villes à la recherche d’un emploi dans les fabriques. Marx a décrit l’accumulation primitive comme le procès de « la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production… De grandes masses d’hommes ont été soudainement dépouillés de leurs moyens de subsistance et propulsés comme ‘vendeurs d’eux-mêmes’ sur le marché du travail ».1 Cette séparation du paysan d’avec son sol, d’avec ses moyens de production, a signifié le déracinement de millions de personnes. Parce que le capitalisme a besoin de « l’abolition de toutes les lois qui empêchent les travailleurs de se déplacer d’une sphère de la production à une autre et d’une production à une autre ».2
En même temps que le capitalisme en Europe obligeait les paysans à vendre leur force de travail, il a commencé à étendre son règne colonial dans le monde entier. Et, pendant des siècles, les chasseurs d’esclaves ont enlevé des millions de personnes, principalement en Afrique, afin de fournir de la main d’œuvre bon marché pour les plantations et les mines, principalement en Amérique. Lorsque l’esclavage a pris fin, beaucoup d’esclaves travaillant sur les plantations ont été remplacés par des travailleurs sous contrat. Tout au long de son expansion, le capitalisme a déraciné et déplacé des gens, soit en les forçant à quitter leur campagne pour trouver à vendre leur force de travail à un capitaliste, soit en enlevant la force de travail et en la transformant en esclaves bons à échanger sur un autre continent. De la même manière que le capitalisme a besoin d’une mobilité très grande sinon infinie pour ses produits, et du libre accès au marché, il imposa également la plus grande mobilité dans l’accès à la main-d’œuvre. Le capitalisme doit pouvoir mobiliser la force de travail mondiale sans restriction afin d’utiliser toutes les forces productives de la planète (dans les limites imposées par un système de production de plus-value). « Ces forces de travail, cependant, sont la plupart du temps liées aux traditions rigides des formes de production précapitalistes ; le capitalisme doit d’abord les en ‘libérer ‘ avant de pouvoir les enrôler dans l’armée active du capital. Le processus d’émancipation des forces de travail des conditions sociales primitives et leur intégration dans le système de salaire capitaliste sont l’un des fondements historiques indispensables au capitalisme ».3 La mobilité a une signification particulière pour le capitalisme. « Le capitalisme crée nécessairement de la mobilité au sein de la population, chose qui n’était pas requise dans les systèmes économiques précédents, et qui aurait été impossible à mettre en œuvre à une grande échelle ».4
Le prolétariat est ainsi obligé de se déplacer sans cesse, toujours à la recherche d’une occasion, d’un endroit pour vendre sa force de travail. Être un salarié implique d’être obligé de se déplacer sur de longues et de courtes distances, et même de se déplacer dans d’autres pays ou continents, partout où un ouvrier peut vendre sa force de travail. Que ce soit sous des formes violentes ou par « simple » coercition économique, le capitalisme, depuis ses débuts, a exploité la force de travail de l’ensemble de la planète, il a été global. En d’autres termes : la classe ouvrière, de par la nature des conditions du capitalisme, est une classe de migrants, et c’est pourquoi les ouvriers n’ont pas de patrie. Toutefois, les distances que doit parcourir un ouvrier migrant dépendent de la situation économique et d’autres facteurs tels que la famine, la répression ou la guerre.
Tout au long du XIXe siècle, dans la phase ascendante du capitalisme, cette migration avait lieu principalement vers les zones d’expansion économique. La migration et l’urbanisation allaient de pair. Dans de nombreuses villes européennes, au cours des années 1840-1880, la population doublait en 30-40 ans ; en quelques décennies et parfois moins, des petites villes concentrées autour de mines de charbon, de fer ou de nouvelles usines se gonflaient en villes énormes
… jusqu’au XXe siècle
Dans le même temps, alors que le capitalisme est en permanence en proie à des crises économiques, un « surplus » de force de travail grossit la masse de chômeurs à la recherche d’un emploi. Dans la phase ascendante, les crises du capitalisme étaient principalement cycliques. Lorsque l’économie entrait en crise, beaucoup de travailleurs pouvaient émigrer, et, quand une nouvelle phase d’expansion arrivait, l’industrie avait besoin de travailleurs supplémentaires. Des millions d’ouvriers pouvaient émigrer librement, sans restriction majeure (principalement parce que le capitalisme était encore en expansion), particulièrement aux États-Unis. Entre 1820 et 1914, quelque 25,5 millions de personnes en provenance d’Europe ont émigré aux États-Unis ; au total, environ 50 millions ont quitté le continent européen. Mais ces vagues de migrations principalement économiques ont ralenti considérablement avec la Première Guerre mondiale, avec la modification des conditions historiques globales, en particulier lorsque la crise économique (qui jusque-là était conjoncturelle) est devenue durable sinon permanente. De massive et presque sans entraves, la migration a été progressivement filtrée, sélectionnée, de plus en plus difficile, voire illégale. Depuis la Première Guerre mondiale, s’est ouverte une période de contrôles plus stricts aux frontières, pour les migrants économiques.
La décadence du système produit un nombre sans fin de réfugiés de guerre
Pourtant, nous devons distinguer la migration économique et celle pour fait de guerre : chaque réfugié est un migrant, mais chaque migrant n’est pas un réfugié. Un migrant est quelqu’un qui quitte sa région à la recherche d’un travail. Un réfugié est quelqu’un dont la vie est menacée immédiatement et qui se déplace pour trouver un endroit où il sera plus en sécurité.
Les guerres et les pogroms ne sont pas un phénomène nouveau. Toute guerre implique la violence, obligeant les gens à fuir les lieux de combat pour rester en vie. Ainsi, les réfugiés de guerre existent depuis que les guerres existent et les réfugiés de guerre sont apparus bien avant que le capitalisme n’oblige les ouvriers à migrer économiquement. Cependant, la guerre a changé quantitativement et qualitativement avec la Première Guerre mondiale. Jusque-là, le nombre de réfugiés de guerre était relativement faible. Le nombre de victimes de pogroms, tels les pogroms contre les Juifs (en Russie ou ailleurs) était également assez faible. Dans les siècles précédents, le problème des réfugiés était un problème temporaire et limité. Depuis le début du XXe siècle, avec l’avènement de la décadence du capitalisme, à chaque guerre mondiale et, après 1989, avec la multiplication des guerres « locales » et « régionales » sans fin, la question des réfugiés de guerre a pris une autre dimension. Le nombre de réfugiés et de migrants économiques dépend ainsi des conditions historiques, des à-coups de la crise économique et à quel point la guerre se généralise.
Nous prévoyons de publier un certain nombre d’articles sur la question des réfugiés et des migrants, qui vont examiner ces questions sous plusieurs angles. Nous avons déjà publié un article sur la migration et nous avons le projet de revenir sur cette question de manière plus détaillée ultérieurement. Nous commençons cette série avec le développement de la spirale de violence au XXe siècle et ses conséquences qui se traduisent par une fuite en avant dans la guerre, en examinant plus précisément les différentes phases qui vont de la Première à la Seconde Guerre mondiale, et ce que cela a entraîné ; puis, nous examinerons la période qui va de la Guerre Froide à nos jours. Dans un autre article, nous examinerons de plus près la politique de la classe dirigeante et quelles sont les conséquences qui en découlent pour la lutte de la classe ouvrière.
Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org
1 Karl Marx, Le Capital, volume I, chapitre XXVI, Le secret de l’accumulation primitive.
2 Marx, Le Capital, volume III, chapitre X.
3 Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital, chapitre XXVI.
4 Lénine, Le développement du capitalisme en Russie, La ‘mission’ du capitalisme.