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La persistance contre-révolutionnaire du Léninisme

posté le 17/11/16 par GCI Mots-clés  histoire / archive 

Non seulement ceux qui nous critiquent, mais aussi des lecteurs et de proches camarades ont été surpris que nous insistions une fois de plus sur le léninisme, le bolchevisme, le stalinisme... considérant que tout cela est terminé, dépassé, que tout cela a été rendu caduque par la “chute du mur” et qu’il n’en reste tout au plus que des réminiscences anachroniques. Cette appréciation se base sur ce que les politiciens disent d’eux-mêmes ou, ce qui revient au même, sur les régimes politiques ou partis formels qui se déclarent léninistes ou marxistes-léninistes, plutôt que sur la réalité de la domination capitaliste et sur l’apport qu’a représenté pour cette dernière la contre-révolution léninisto-stalinienne en tant que “science de la manœuvre politique, tactique et stratégique” qui justifie tout et son contraire.

Le léninisme ne se limite pas aux régimes marxistes-léninistes qui, il n’est pas inutile de le rappeler, et jusqu’à une époque très récente, s’étendirent à plus de la moitié de l’humanité. Lénine a été l’auteur le plus lu de tous les temps. Le marxisme-léninisme est une méthode essentielle et globale qui permet de dominer le prolétariat, c’est, comme disait Trotsky, une véritable “science de la manœuvre” qui permet de liquider l’action directe révolutionnaire au nom d’intérêts dits supérieurs. Si, au sens le plus large, toutes les forces et partis dont l’objectif est de contrôler les prolétaires constituent le parti historique de la social-démocratie (oui, du vieux parti bourgeois pour neutraliser les prolétaires), le triomphe de la contre-révolution léniniste a fait de cette science la forme la plus développée de domination des prolétaires, la méthode la plus perfectionnée pour imposer au prolétariat la mobilisation productive et nationale impérialiste, au nom du futur socialisme.

Le léninisme est utilisé non seulement par les staliniens, les trotskystes, les zinoviévistes, les gramsciens... qui, il est vrai, sont de moins en moins présents, mais également, de façon consciente ou non, par les nationalistes, les socialistes, les libertaires, les libéraux, les populistes, la gauche et la droite. Pas besoin de lire Lénine pour trouver cette dualité caractéristique poussée à sa plus pure expression au nom, non pas du parti mais du socialisme, du progrès, de la nation, de la démocratie, de l’égalité.... Pas besoin non plus d’être membre d’un parti pour défendre cette conception ; aujourd’hui, elle refleurit dans les ONG, les syndicats, les structures d’aide sociale et médicale que l’Etat instaure comme tactique contre-insurrectionnelle dans les quartiers pauvres (dans les “favelas”, les banlieues, les “suburbs”, les bidonvilles...) dans le pseudo socialisme latino-américain, parmi les piqueteros argentins ou au sein du mouvement des travailleurs sans terre du Brésil...

On nous dira que ce dualisme est essentiel à toutes les formes de domination capitaliste et que ces dernières ne sont pas le fruit du léninisme, ni de la social-démocratie. C’est bien vrai, parce que la démocratie elle-même, pour dissoudre la classe dans l’individu citoyen, a besoin de lui et, en ce sens, tout parti intéressé au développement et au progrès du capital doit l’utiliser. Néanmoins, en tant que prolétaires exploités en lutte contre le capital et ses États, ce sont les formes précises dans lesquelles cette domination se structure qui nous intéressent au premier plan, et plus particulièrement les formes de domination destinées aux prolétaires conçues pour canaliser ceux qui se battent contre cette société. Ce qui nous intéresse par- dessus tout c’est donc le rôle des partis bourgeois pour le prolétariat, c’est-à-dire la social-démocratie et son perfectionnement marxiste-léniniste. En approfondissant la question, nous constatons qu’il ne s’agit pas d’une forme de domination quelconque mais que nous sommes face à la forme la plus perfectionnée qui soit, au-delà de la terminologie utilisée.

Ainsi “le moindre mal” est une variante de toute l’histoire de l’oppression et de la domination de classe. La classe dominante essaye toujours d’utiliser et de canaliser ses propres exploités contre d’autres secteurs en disant qu’ils sont pires, elle prône toujours le changement afin que tout reste pareil. La social-démocratie a toujours utilisé cet expédient contre l’autonomie du prolétariat et l’action directe. Mais le mérite de son application ciblée contre la force révolutionnaire du prolétariat mondial insurgé des années 1917 /1919 et pour sa canalisation vers le frontisme revient au léninisme au pouvoir (1918-1923) et à la propagande marxiste-léniniste qui s’ensuivit. Le raffinement suprême dans la liquidation de la force révolutionnaire est précisément sa transformation historique et son embrigadement dans le front unique, puis le front populaire, le front national et, pour finir, sa soumission à la guerre impérialiste et son massacre généralisé.

Depuis lors, pour assurer sa domination, la dictature du capital, la démocratie, crée toujours l’épouvantail du fascisme afin de s’assurer une légitimité antifasciste et liquider toute expression autonome sur base d’un front (qui comme tout front populaire inclut le terrorisme d’État). Les physionomies ou appellations peuvent varier mais toutes les formes de domination et liquidation du prolétariat autonome utilisent les bases de la social-démocratie et leur perfectionnement effectué par Lénine et ses différentes et nombreuses variantes.

LE TERRORISME D’ÉTAT CONTRE LE PROLÉTARIAT

Dès le départ, la contre-révolution a dissimulé le fait que la terreur “ rouge ” appliquée sous Lénine n’était pas principalement dirigée contre la bourgeoisie mais contre le prolétariat. Ceci est la conséquence logique du programme de développement du capitalisme appliqué dès le début par Lénine et les siens : la défense des intérêts élémentaires du prolétariat s’oppose toujours à la politique capitaliste. C’est pourquoi, bien qu’on réprime également certains secteurs de la bourgeoisie et autres partis capitalistes, de plus en plus de forces bourgeoises seront cooptées ou neutralisées et le terrorisme d’État s’appliquera massivement contre le prolétariat rural et urbain.

Dès la création de la Tcheka en décembre 1917, l’ennemi est désigné : “ le sabotage et la contre-révolution ” ; visant au premier chef tous ceux qui s’opposent à la politique nationaliste des Bolcheviks et sabotent le développement de l’organisation capitaliste et taylorienne de la production. La traduction exacte du terme Tcheka est : “ commission extraordinaire panrusse pour lutter contre la contre-révolution, le sabotage et la spéculation ”.

Plus la politique nationaliste et impérialiste se réaffirme, et plus s’élargit la cooptation au sein de l’appareil d’État d’anciens fonctionnaires et militaires tsaristes et d’anciens bourgeois pour gérer le capital, plus la répression contre le prolétariat s’accroît. Si les premières victimes du terrorisme d’État, particulièrement parmi le prolétariat agricole, se produisent en pleine guerre civile (entre la terreur blanche et la terreur rouge) et si l’on peut prétexter ou alléguer une grande confusion dans le conflit entre deux projets capitalistes, c’est ensuite dans le secteur économique que se concentre le terrorisme d’État, dans la répression contre toute tentative prolétarienne de vivre moins mal. Sont accusés de spéculation, de sabotage et de contre-révolution tous ceux qui échangent de la nourriture, qui résistent aux réquisitions, qui obtiennent un morceau de viande, tous ceux qui font grève à l’usine, qui résistent au recrutement forcé dans l’armée et, de manière générale, tous ceux qui prônent la lutte contre les mesures d’intensification de l’exploitation que le léninisme imposent contre les intérêts prolétariens. Mais ce sont ceux qui appellent ouvertement à la résistance contre la politique clairement bourgeoise des Bolcheviks, et particulièrement ceux qui, comme ils l’ont toujours fait, continuent d’agir de manière organisée contre l’État, qui sont réprimés de la façon la plus sélective et la plus violente. Les partis et groupes les plus réprimés par le tsarisme sont les premiers à être réprimés par les Bolcheviks qui, il ne faut pas l’oublier, peuvent compter sur la collaboration de nombreux anciens officiers tsaristes, sur des militaires expérimentés. Dans de nombreux cas, les militants révolutionnaires sont enfermés dans les mêmes prisons et les mêmes cachots que ceux où ils étaient jetés à l’époque du Tsar.
Dès la création de la Tcheka en décembre 1917, sous la direction de Dzerjinski (ex-S.R. de gauche), la répression devient terrible, tant qualitativement que quantitativement : la torture se généralise dès le départ ainsi que la politique de disparitions et de liquidation physique des personnes. Contrairement au mythe, c’est sous Lénine que l’Union Soviétique a connu la période de répression ouverte la plus massive de son histoire, par le nombre de morts directs.

Différentes sources coïncident pour affirmer que, durant ce qu’on considère officiellement comme l’époque de la Terreur, c’est-à-dire une période de 18 mois s’étendant de septembre 1918 à janvier 1920, il y eut un million et demi de morts. La déclaration du Comité Central de l’Exécutif des Soviets du 2 septembre 1918 légitimant ce qu’il nommait la “ terreur de masse ” et qui dans la pratique fut la terreur contre les masses, avait été approuvée au départ pour lutter contre les opposants à la paix de Brest-Litovsk, particulièrement contre la rébellion ouverte des Socialistes- révolutionnaires de gauche. Elle se poursuivait contre tous ceux -taxés d’“ agent de la bourgeoisie ”- qui appelaient à continuer la révolution (en prônant la “ révolution permanente ” ou la “ troisième révolution ”), comme les Bolcheviks insurrectionnalistes l’avaient fait jusqu’en octobre 1917, en opposition à la majorité des Bolcheviks (opposée à l’insurrection, à la révolution socialiste et soutenant le gouvernement provisoire).

Les Bolcheviks déclaraient que la révolution était terminée, qu’il fallait maintenant travailler et collaborer à la reconstruction avec les différentes forces du capital et de l’État mondial. Un peu plus d’un mois plus tard, Lénine s’en justifiait dans la Pravda : “ Lorsque les gens nous reprochent notre cruauté, nous nous demandons comment ils peuvent oublier les principes les plus élémentaires du marxisme ” (publié le 26 octobre 1918). Si pour justifier l’injustifiable, Lénine se prend pour le plus grand interprète de Marx sur terre, il est logique que Djerzinsky, le premier chef de la Tcheka, déclare que “ la contrainte prolétarienne sous n’importe quelle forme, en commençant par la peine capitale, constitue une méthode pour créer l’homme communiste ”.

Un an et demi plus tard, lorsque l’État décide de supprimer la peine de mort (interdiction officielle, surtout de façade et de toute façon maintenue pour les cours martiales : on a ainsi déporté vers les zones de front les condamnés à exécuter), il le fait afin de pouvoir utiliser toute la force de travail disponible et la mettre au service du développement économique. On consolide ainsi l’idéologie léniniste de l’indispensable développement du capitalisme comme étape vers le socialisme, on applique le “ génial ” slogan de Lénine qui dit que le socialisme c’est “ le pouvoir des soviets et l’électrification de la campagne ”. L’application stricte du travail forcé est nécessaire à la réalisation des tâches démocratiques bourgeoises dans un pays en ruines. Par l’idéologie et la terreur d’État, on imposera au prolétariat l’effort productif maximum.

Les camps de travail forcés commenceront à fonctionner dès 1918, année où plusieurs camps sont créés. Le 8 août 1918, Trotsky rédige et signe, en tant que commissaire du peuple à l’armée et à la marine, un ordre du tribunal révolutionnaire de guerre dont voici un extrait : “Le camarde Kamenchikov, que j’ai nommé commandant de la garde chargé de protéger la ligne de chemin de fer Moscou-Kasan, a donné l’ordre de créer des camps de concentration à Murom, Arsamas et Swiachsk. Dans ces camps ont été internés tous les agitateurs troubles, les officiers contre-révolutionnaires, les saboteurs, les spéculateurs, les parasites, à l’exception de ceux qui ont été fusillés séance tenante sur les lieux de leur crime, ou qui ont été condamnés à d’autres peines par le tribunal révolutionnaire.” En 1920, huit camps de concentration supplémentaires seront ouverts. En 1922, la direction de la police politique en contrôlera cinquante-six. Au même moment, la condamnation aux “travaux forcés”, défendue par Lénine et Trotsky, continuera à se généraliser jusqu’à se transformer en condamnation spécifiquement destinée à “ceux qui ne veulent pas travailler et [aux] saboteurs”, c’est-à-dire la résistance prolétarienne. Avec ou sans peine de mort officielle, et en plus des exécutions officieuses ou relevant de la loi martiale, les condamnés crèvent du régime d’incarcération dans les camps, du climat extrême des régions délibérément choisies à cet effet, de la privation de nourriture, des tortures contre la moindre désobéissance et évidemment du travail forcé… “L’obligation, et par conséquent la coercition, est la condition indispensable du réfrènement de l’anarchie bourgeoise…"

Sans les formes de coercition gouvernementale qui constituent le fondement de la militarisation du travail, le remplacement de l’économie capitaliste par l’économie socialiste ne serait qu’un mot creux… Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d’exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l’État socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail… mais afin d’ordonner la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l’éduquer… en un mot, d’incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan unique.” (Trotsky - Terrorisme et communisme, 1920) A la mort de Lénine, les prisons que les prolétaires avaient vidées en 1917 renferment dans leurs immondes entrailles 87.800 prisonniers politiques, dont déjà un grand nombre de militants ayant participé à l’insurrection d’octobre, y compris des militants de la gauche communiste du parti bolchevique lui-même.

L’appareil politique, la terreur de l’État et les camps de travail deviennent ainsi la clé de la contre “révolution russe” et du développement du capitalisme (que Lénine et Radek appelleront “socialisme en un seul pays”, expression officialisée au 6° Congrès en 1928, théorisée par Boukharine et perpétuée par Staline). Lors du second anniversaire de 1917, la Pravda écrit fièrement : “ ‘tout le pouvoir aux soviets’ s’est transformé en ‘tout le pouvoir aux Tchekas’ ”.

LES PREMIERS PAS DU TERRORISME D’ÉTAT

La première action de la Tcheka sera d’écraser une grève d’employés et de fonctionnaires à Petrograd. La première grande rafle aura lieu dans la nuit du 11 au 12 avril 1918 contre des organisations qui se définissent anarchistes, et surprendra par une dureté inusitée. Lors de cette rafle, plus de 1.000 flics de la Tcheka prendront d’assaut 20 maisons d’anarchistes de Moscou, emprisonneront 520 personnes, dont 25, accusées d’être des “bandits”, seront assassinées. Cette appellation sera par la suite couramment utilisée contre les militants qui continuent à lutter contre le capitalisme et l’État. Le nombre de tchékistes passera de 120 en décembre 1917 à 30.000 un an plus tard.

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Testament d’un répresseur
léniniste repenti.

Le 16 février 1923, en plein boulevard Nikitsky, à Moscou, un membre de la Commission Gouvernementale d’Investigation et de la Direction Politique de l’Etat se suicide d’une balle dans la tête. Il laisse pour testament la lettre suivante :

“ Camarades ! Une mise au courant rapide des
affaires de notre principale institution pour la
défense des conquêtes du peuple travailleur,
une étude des documents d’enquête et des
procédés appliqués consciemment par nous,
pour affermir notre situation, sur les indica-
tions du camarade Unschlicht qui les considère
comme indispensables aux intérêts du Parti,
m’ont obligé à sortir pour toujours de ces hor-
reurs, de ces canailleries que nous pratiquons
au nom des grands principes du communisme
et auxquelles j’ai participé inconsciemment à ti-
tre d’ouvrier du Parti communiste. En rachetant
mon erreur par ma mort, je vous adresse une
dernière prière. Reprenez-vous pendant qu’il en
est encore temps, ne déshonorez pas par vos
méthodes notre grand maître Marx et n’éloignez
pas les masses du socialisme ”.

La lettre fut reproduite par un correspondant de Poslednia Novosti d’après la citation de Serge Petrovitch Melgounov, du livre de Jacques Baynac, “ La terreur sous Lénine ”.


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