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La réhabilitation sur l’honneur d’un faussaire libertaire

posté le 01/07/15 par Himalove Mots-clés  réflexion / analyse 

Critique du livre « Comme un chat ; souvenirs turbulents d’un anarchiste – faussaire à ses heures – vers la fin du vingtième siècle » par Floréal CUADRADO. Editions du Sandre, 678 pages, 22 euros.

« Le faux est un moment du vrai » Friedrich Hegel.

A lui tout seul, l’ouvrier du Livre Floréal CUADRADO fut, à la fin des années soixante-dix, « une annexe du ministère des Affaires étrangères », délivrant des centaines voire des milliers de faux papiers (de très bonne facture dixit la Justice) à ceux et celles qui en avaient besoin.

La liste est longue des opposants politiques, qui au travers de réseaux comme celui du tiers-mondiste assassiné, Henri CURIEL (1914-1978), recoururent aux services de ce faussaire hors pair.

L’habile fabriquant de faux documents, surnommé « le Diplomate » par ses camarades, raconte qu’au sommet de son art, il fut dangereusement sollicité par de nombreuses organisations terroristes voire des services secrets (p.432).

Ce qui lui permet lors de l’unique procès d’assises (1), à Douai, au printemps 1989, où l’ancien membre des GARI (2) fut déféré d’être à la fois condamné et amnistié.

A l’époque, l’écrivain Gilles Perrault, témoin de moralité, déclare : « Son travail de faussaire ne se substituait pas à l’autorité de l’Etat. Simplement, il faisait ce que la République française, connue pour être une terre d’asile, aurait dû faire et qu’elle ne faisait plus. »

Sauvé in extremis – pourrait-on dire – par l’utilité et la qualité reconnues de son labeur ; gracié, peut-être, par les « révolutionnaires », jadis, en cavale, aujourd’hui, au pouvoir (3)...

Combien un faussaire de cette trempe serait utile pour régulariser démocratiquement les vagues de malchanceux qui viennent mourir sur nos plages italiennes, mais là, hélas ! n’est pas le sujet du livre ni l’ambition de l’auteur.

Le maître faussaire n’est guère partageux en ce qui concerne son savoir-faire.

Un brin réactionnaire, son ouvrage ressemble – sans le vouloir – à une mise en garde pédagogique contre toute forme de discours radical.

Floréal ne commettra jamais le geste absolu d’Albert LIBERTAD de déchirer son extrait de naissance ni celui de brûler comme les jihadistes, en Syrie, un passeport français.

La question de l’identité semble hanter le fils d’immigré (voir le fac-similé de son certificat de nationalité au beau milieu du livre).

Le faux dynamiteur de symboles mais le vrai romancier n’a de cesse, dans cette fresque picaresque qui nous emmène jusqu’en Amérique du sud, de se distinguer du monde des voyous – quitte à se rapprocher dangereusement de l’Etat, de la sainte famille, du respect du père et d’un ministère moral du travail.

Courtisé par l’establishment, le faussaire repenti, membre de l’aristocratie ouvrière, procède en s’appuyant sur sa famille de notables anarchistes, ennoblis par leur participation à la Résistance, et en dénonçant les incartades et la veulerie d’anciens complices, à une sorte de réhabilitation littéraire sur l’honneur...

Exercice qui ne nécessite ici ni tribunal ni avocat mais des lecteurs.

C’est donc à un divertissement pour bourgeois avisé, voulant visiter les arrières boutiques burlesques du gauchisme parisien et toulousain plutôt qu’à une analyse rétrospective de Mai-68 (Floréal ne croit pas à l’instant révolutionnaire ; son horloge anarchiste est bloqué comme une montre molle de Salvador Dali à 1936) auquel nous sommes conviés.

Fabrication d’une bombe au LSD, attentats tarte à la crème, entraînement militaire de boy-scout, hold-up de pieds nickelés, organisation comptant trois individus, escroqueries bancaires et bancales, kidnapping bidon, les aventures se succèdent ridiculisant les partisans de la lutte armée.

Deus ex machina du roman, le vaurien en pleine impasse relationnelle et en exil trouve à Caracas sur le chemin une enveloppe bourrée de billets de banque.

Il y a toujours chez l’anarchiste franco-espagnol, au coin de la rue, l’ombre ricanante d’une église.

L’auteur préfère, pour raconter ses pérégrinations, l’esprit loufoque de Cervantès à celui de Miguel de Unamuno.

La violence des images qu’il fabrique ne heurtera pas la sensibilité d’un jeune public : tout tragique de l’existence ou dolorisme sont ici éludés ; le procès puis l’exécution au garrot de Puig ANTICH, sous le régime franquiste, qui donna naissance aux GARI, les interrogatoires musclés, dans les commissariats de police, la longueur des peines infligées aux membres et sympathisants d’Action directe, y sont à peine montrés.

Les dix millions de grévistes de Mai-68, les grandes grèves ouvrières des années soixante-dix, le combat des mineurs lors de la liquidation du bassin industriel, dans les années quatre-vingt, l’augmentation de la population carcérale à mesure qu’on ferme les usines, la révolution sécuritaire, sont nullement évoqués.

Pas un murmure de la grande manifestation du 23 mars 1979, à Paris, où les autonomes chez lesquels Action directe recruta ses membres affrontèrent, avec les mineurs de Lorraine, les CRS et le service d’ordre de la CGT, ne vient troubler ce que fomente, dans le plus profond de son coeur, l’anarchiste désenchanté.

Floréal CUADRADO, dirigeant du Syndicat des correcteurs parisiens, blessé par les attaques personnelles d’anciens companeros qui l’accusent d’avoir monnayé son savoir-faire de faussaire, règle, à l’heure de la retraite, ses comptes.

La chose est peu glorieuse.

Si l’auteur, fidèle à son ressentiment, est honnête avec lui même, il ne l’est pas avec le lecteur ni avec l’Histoire.

Il oublie d’écrire, par exemple, alors que le livre est riche en notes et index, que le camarade, responsable de sa première arrestation, Jean-Marc ROUILLAN (l’homme qui ne se débarrasse jamais de son pistolet), a fait contrairement à lui presque trente ans de prison !

Ce dernier, déchu de tout droits civiques, interdit de séjour et de parole, mérite-t-il, aujourd’hui, sarcasmes et propos diffamatoires ?

Il n’est pas certain que « le premier venu » à qui l’auteur adresse le livre comprenne cet acharnement à vouloir cracher joyeusement sur une porte de cellule derrière laquelle agonise, stigmatisé, un homme.

HIMALOVE

1. En 1980, des révolutionnaires italiens, espagnols et français en cavale et en déshérence braquent la perception de Condé-sur-l’Escaut et raflent l’ensemble des retraites des mineurs du nord, soit 16 millions de francs ; Floréal CUADRADO assure la logistique des fuyards en fournissant de faux papiers.

2. Les groupes d’action révolutionnaire internationalistes (GARI) sont une coordination de groupes autonomes qui, de septembre 1973 à janvier 1975, se fédérèrent afin de commettre des attentats sur les sols français et espagnol, lors du procès puis de l’exécution du militant libertaire, Puig ANTICH.

3.L’auteur indique incidemment qu’un représentant tunisien à l’assemblée de l’ONU (p.340) à qui il avait fourni des faux documents au temps de son exil est un de ses amis ; sans l’appui de telles personnalités et d’autres comme le député socialiste, Jean-Pierre WORMS, le faussaire dont les activités étaient suivies – et peut-être supervisées – discrètement par la DST n’aurait pas connu pareille clémence en cour d’assises.

4.Les analyses « anarchistes » de CUADRADO (référence à l’insurrection hongroise de 1956, insistance sur l’appartenance de l’avocat Klaus CROISSANT à la STASI ou celle de Carlos au KGB) laissent à penser que l’auteur, pendant la Guerre froide, avait choisi son camp. Le manque de réflexion quant à l’évolution du capitalisme et l’absence curieuse du mot « impérialisme » dans l’ouvrage ne sont pas dus simplement à l’égotisme ou à l’insupportable légèreté de l’être...

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article146387


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