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Laïcité et Service National Universel : la fausse neutralité de l’Observatoire

posté le 10/01/19 par https://m.facebook.com/notes/printemps-r%C3%A9publicain/la%C3%AFcit%C3%A9-et-service-national-universel-la-fausse-neutralit%C3%A9-de-lobservatoire/1074314842748102/ Mots-clés  antifa 

L’Observatoire de la laïcité a rendu publique en tout début d’année une « Etude à propos de l’application du principe de laïcité (…) dans le cadre du service national universel (SNU) ».
Rappelons que la mise en place d’un Service National Universel est un engagement du Président de la République, « visant à impliquer davantage la jeunesse française dans la vie de la Nation, de promouvoir la notion d’engagement et de favoriser un sentiment d’unité nationale autour de valeurs communes ». Il entend se substituer au dispositif mis en place depuis la suspension du service national, qui associe pour l’heure une Journée de la Défense et de la Citoyenneté (JDC) et le Service Civique ; l’hypothèse d’un retour au service militaire a été, en revanche, écartée.
Où en est-on ?

Tel qu’il a été préfiguré dans le rapport d’un groupe de travail remis au Président de la République le 12 avril dernier, le SNU devrait se composer de deux phases : la première, obligatoire pour toutes les filles et tous les garçons d’environ seize ans, et d’une durée d’un mois, sera en quelque sorte l’aboutissement du « parcours citoyen » accompli durant la scolarité. Il comportera une phase en internat d’une quinzaine de jours et constituera un temps de vie collective, axée autour des valeurs de la République. La seconde phase, facultative, ressemblerait davantage à l’engagement citoyen prévu par l’actuel service civique.

A ce stade, le Gouvernement a « validé les grands principes d’architecture proposés par le groupe de travail ». Une phase de consultation s’est engagée depuis la remise de ce rapport ; la saisine de l’OdL intervient donc dans ce cadre, avant que les pouvoirs publics n’arrêtent leurs arbitrages.
Questions légitimes : le principe de laïcité s’appliquera-t-il à ce SNU ? qui sera concerné, les encadrants uniquement, ou bien également les futurs appelés ? faut-il distinguer les deux phases, etc.

Que dit l’Observatoire ?

L’Observatoire répond longuement (15 pages) en distinguant 9 cas de figures. Dans l’ensemble, cette analyse reprend scrupuleusement, au point de les paraphraser, des avis, études, arrêts du Conseil d’Etat. La grande majorité des analyses et des conclusions de cette note n’appelle pas d’observations, qu’il s’agisse de la neutralité des encadrants, de la pratique du culte par les appelés en internat, des autorisations d’absence, etc.

Tout au plus peut-on regretter que la question de la restauration durant la première phase, abordée en pages 10 et 11, soit uniquement la reprise textuelle de la jurisprudence applicable aux…prisons, sans d’ailleurs que cela soit précisé [1]. Or si l’on suit à la lettre cette jurisprudence, l’administration des futurs centres du SNU serait tenue, non seulement de proposer une offre de menus variés, ce qui se conçoit bien ; mais aussi, ce qui est nettement plus contestable, de laisser les appelés acheter leur propre « menu confessionnel » à l’extérieur mais aussi de fournir une contrepartie en nature aux appelés dont les ressources seraient insuffisantes : en clair, leur fournir des menus halal ou casher, ce à quoi l’hôpital, par exemple, n’est nullement tenu. Que l’Observatoire estime que c’est la « jurisprudence carcérale » qui s’imposera, très bien : encore faut-il avoir la rigueur intellectuelle de le préciser.


Dans la phase d’internat, les appelés peuvent-ils être soumis au principe de laïcité ?

Car la vraie question est là : celle de la « restriction ou non à la manifestation d’une appartenance religieuse » pour les usagers de la première phase d’internat (pp 6-8). Là, l’Observatoire suit un raisonnement qui va progressivement enfermer le sujet dans une solution minimaliste, en fermant méthodiquement toutes les portes à une solution qui ferait de cette courte phase d’internat un temps véritablement laïque.

Pour ce faire, l’Observatoire rappelle qu’il n’y a que deux sujets de droit possibles : l’agent public et l’usager du service. Il rappelle, et cite longuement, l’étude du Conseil d’Etat de décembre 2013, à propos des mères accompagnatrices de sorties scolaires, selon laquelle les notions de « collaborateur occasionnel », « participant », « collaborateur » de service public, n’ont été dégagées par la jurisprudence qu’à des fins « fonctionnelles », pour permettre l’indemnisation d’un tiers qui serait ponctuellement venu prêter mainforte à l’administration, et aurait subi un dommage à cette occasion, mais qu’elles ne créent pas un statut juridique pour autant. Ainsi, ce qu’on appelle un « tiers » au service public, c’est en fait soit un simple usager (la plupart du temps), soit un usager auquel on étend, pour les besoins de la cause, certaines règles de service public, sans pour autant lui conférer la pleine qualité d’agent public. Quand on lit l’étude du Conseil, on s’aperçoit que les cas de figure ne sont quand même pas tous comparables : entre le riverain qui donne un coup de main aux pompiers, le correcteur de copies de fac et le juré d’assises, on ne parle vraiment pas de la même chose. Et les solutions dégagées par la jurisprudence ne son pas les mêmes non plus : plus on tire vers le service public, plus ce sont les règles du service public qui s’appliquent, ce qui est logique.

C’est pourtant sur la base de cet argumentaire que l’Observatoire écarte l’analyse du Groupe de Travail SNU, qui proposait d’assimiler les appelés à des collaborateurs de service public. Ce n’est pas fini : suivant toujours religieusement l’étude du Conseil d’Etat, l’Observatoire admet qu’un « texte particulier » peut prévoir des restrictions à la liberté de conscience et d’expression de l’usager-appelé. En l’occurrence il pourrait y avoir deux références : la loi du 15 mars 2004 relative à l’interdiction de signes religieux ostensibles à l’école, et l’article R112-15 du code du service national, qui fait interdiction aux appelés à la journée de la défense et de la citoyenneté (JDC) de porter des signes religieux « ostentatoires ». Deux fausses pistes, pour l’Observatoire : « Le vote d’un texte particulier…apparait délicat » dans un cas comme dans l’autre. Et telle est, en réalité, sa préconisation ou plutôt son avertissement : toi qui t’apprêtes à légiférer, ne t’engage pas là-dedans !

Une analyse biaisée de la jurisprudence de la CEDH

Pour la loi de 2004, l’Observatoire conteste tout d’abord que l’appelé puisse être considéré comme un élève, et que par suite les règles prévalant dans les établissements scolaires continuent de lui être applicables. L’Observatoire n’a pas tort de faire valoir que cette règle ne s’applique que dans l’enseignement public, mais pas dans les écoles privées, ni bien sûr dans le cadre de l’instruction à domicile. Certes, mais si un « texte particulier » le prévoyait tout de même ? Ce serait d’autant moins absurde que cette première phase du SNU est sensée s’inscrire « dans le prolongement de l’obligation scolaire » : c’est le site officiel du Gouvernement qui le rappelle. L’OdL n’en a manifestement pas tenu compte.

Alors, selon l’Observatoire, apparaitrait un problème de compatibilité avec la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) : « La loi du 15 mars 2004 a été admise par la CEDH notamment parce les requérantes (sic) ont eu la faculté de poursuivre leur scolarité dans un établissement d’enseignement à distance ».

Problème : cette analyse d’un arrêt célèbre [2] est totalement fausse, en ce qu’elle laisse supposer que l’existence d’un enseignement à distance, alternative à l’enseignement public laïque, est une conditions substantielle posée par la CEDH pour valider la loi. Or, ce n’est absolument pas le cas : cette mention, qui figure au point 76 de l’arrêt, a uniquement pour objet de vérifier la proportionnalité de la sanction – le renvoi – pour l’élève voilée, refusant obstinément de retirer son voile, non de poser une condition à la restriction posée par la loi. Il s’agit donc d’un point tout à fait secondaire dans un arrêt qui rappelle, à titre principal, que les Etats disposent d’un large pouvoir d’appréciation quant aux limites qui doivent être apportées à l’expression de la liberté de conscience.

L’Observatoire aurait très bien pu citer le point 72 de cet arrêt, qui reconnait l’importance du principe de laïcité comme « fondateur de la République » et rappelle que toute attitude ne respectant pas se principe ne pourra pas ipso facto bénéficier de la protection de l’article 9 de la Convention, relative à la liberté de manifester sa religion [3]. Mais il ne l’a pas fait, préférant mettre en exergue un point important, mais secondaire, pour laissant entendre une conditionnalité que la Cour Européenne n’a jamais entendu poser.

Service minimum de la laïcité

Même punition, même motif pour l’article R112-15 du Code du service national : il s’agit d’une interdiction limitée, qui proscrit les manifestations « ostentatoires » et non « ostensibles », notion qui « renvoie à un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande ». Certes, la distinction entre « ostentatoire » et « ostensible » est intéressante, et elle s’entend fort bien dans le langage courant. Sauf que l’Observatoire ne l’adosse pas à une jurisprudence qui créerait deux régimes juridiques distincts, l’un plus contraignant et l’autre plus souple. Il s’agit d’une interprétation.

Enfin, l’Observatoire balaie purement et simplement toute référence au service militaire « classique » :

les appelé-e-s ne relevant pas du régime militaire, il est impossible de leur appliquer des contraintes exorbitantes du droit commun. Et l’Observatoire de conclure que les appelés « ne pourront a priori pas être soumis ni au principe de neutralité [puisqu’ils ne sont pas des agents publics] ni à l’encadrement de leur manifestation d’appartenance religieuse tel que précisé par la loi du 15 mars 2004 [puisqu’ils ne sont pas des élèves de l’enseignement public] ; mais qu’ils pourraient être soumis à un texte particulier restreignant, pour certaines activités, la manifestation de leur appartenance religieuse ». Un encadrement qui « pourrait difficilement aller au-delà » du texte sur la JDC. Fermez le ban, si l’on ose dire.

Un léger oubli : la révision constitutionnelle

Or c’est là que la principale faille du raisonnement suivi par l’Observatoire saute littéralement aux yeux : à aucun moment il n’est envisagé qu’on pourrait créer un régime juridique spécifique pour les appelés de ce nouveau Service National Universel, qui prescrirait des règles particulières découlant de son caractère propre, tel que le législateur voudrait le définir. Or dans quelle mesure le législateur est-il tenu par la jurisprudence que l’Observatoire martèle comme s’il scellait un coffre-fort ? Il l’est uniquement de deux façons : parce qu’il est tenu d’appliquer à une situation analogue un régime juridique identique ; et surtout parce qu’il doit respecter les normes supérieures à la loi, c’est-à-dire la Constitution et les conventions internationales.

Là, la belle architecture de l’Observatoire s’effondre : premièrement, ses analogies n’ont aucun sens. Quinze jours obligatoires pour tous les jeunes futurs citoyens (âges de seize ans !) ce n’est ni l’école, ni la PJJ à laquelle l’Observatoire fait une curieuse référence, ni surtout la prison ! Deuxièmement, les normes internationales sont, jusqu’à preuve du contraire respectées, et l’Observatoire devrait se montrer humble après avoir prétendu, à tort, que le projet de loi « El Khomri » prévoyant la possibilité d’instaurer une règle de neutralité dans l’entreprise serait contraire au droit européen, alors qu’il n’en est rien.

Troisièmement, et c’est le point essentiel, la Constitution. Il est temps, en effet, de mentionner un point que l’Observatoire oublie étrangement d’indiquer dans son étude, et qui a pourtant été dûment soulevé par le groupe de travail sur le SNU : mettre en place un service national pour tous les jeunes Français nécessitera une révision de la Constitution, pour asseoir son caractère obligatoire et universel. En effet – et c’est logique : en l’état actuel du droit, il n’existe aucun moyen de contraire tous les jeunes d’une classe d’âge déterminée à subir un stage de quinze jours en internat. Il faudra donc une révision constitutionnelle pour cela, tout comme il faudra, nécessairement, un texte de niveau législatif pour créer le régime juridique du SNU. Dès lors qu’il faut en passer par une révision constitutionnelle, pourquoi ne pas tout simplement écrire, dans le texte suprême : « Il est institué un service national universel (…) Ce service est publique, laïque et obligatoire » ?. A défaut, on peut très bien se « contenter » d’en préciser le caractère laïque dans la loi : comme on l’a vu, ce sera bien suffisant pour les juridictions européennes, qui laissent une grande marge d’appréciation, en la matière aux Etats, bien plus grande que l’Observatoire ne semble le vouloir admettre.

« Il n’y a pas d’alternative » : débusquer l’idéologie derrière les arguties

Voilà, en somme, ce que l’Observatoire aurait pu rappeler. Sans prendre parti, mais tout simplement pour ouvrir le champ des possibles et éclairer complètement la décision politique. Faute de quoi, au terme d’un raisonnement qui, on l’a vu, emprunte nombre de raccourcis et élude certains points de droit dès lors qu’un chemin non désiré y apparait, il entraîne insensiblement mais certainement le décideur vers une solution unique, celle qui a sa préférence.
En réalité, ce mode d’agir, cette façon d’être devrait-on dire, est celle d’une certaine technocratie qui utilise un indéniable savoir-faire technique pour contraindre le choix politique jusqu’à le priver totalement d’alternative. Qu’il s’agisse de budget, qu’il s’agisse de droit, cette idéologie qui ne dit pas son nom et ne se reconnaît pas comme telle endosse le costume de la compétence et se pare des oripeaux d’une neutralité contrefaite pour rabattre l’intérêt général sur la seule vision qui lui parait légitime : la sienne. L’extrême sophistication du raisonnement mise à prouver par a+b qu’il faut surtout ne rien faire porte historiquement un nom : le byzantinisme. Or on sait comment Byzance a fini.

Pour en revenir à notre sujet et s’en tenir à des idées simples : non, « l’étude » de l’Observatoire sur le Service national universel n’est pas qu’une étude juridique neutre, mais bien une prise de position politique. Oui, il est possible de faire autrement que ce qu’elle indique. Chacun son rôle : les administrations – l’OdL en est une – doivent présenter loyalement toutes les options possibles, et non fermer les portes selon leur propre inclination. Et la représentation nationale, sur une proposition de l’exécutif, doit décider souverainement. Au fond la démocratie se bat depuis le premier jour contre de multiples adversaires. Les « bureaux », et leur fausse neutralité, ne sont pas les moins redoutables d’entre eux.

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Notes

[1] Le terme de « cantine », utilisé pour désigner l’achat de produits en provenance de l’extérieur par les détenus, y est du reste repris sans guillemets, ce qui est source de confusion avec le sens commun attaché à ce mot.
[2] Arrêt CEDH du 4 décembre 2008, Dogru c France.
[3] La Cour note également qu’en France, comme en Turquie ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, en particulier à l’école. La Cour réitère qu’une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion, et ne bénéficiera pas de la protection qu’assure l’article 9 de la Convention (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres, précité, § 93). Eu égard à la marge d’appréciation qui doit être laissée aux Etats membres dans l’établissement des délicats rapports entre l’Etat et les églises, la liberté religieuse ainsi reconnue et telle que limitée par les impératifs de la laïcité paraît légitime au regard des valeurs sous-jacentes à la Convention.


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