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Le FN est un parti bourgeois

posté le 19/11/13 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  antifa 

L’élection cantonale de Brignoles (Var) du 13 octobre dernier, qui s’est conclue par la victoire du candidat presque inconnu du Front National, a été l’occasion d’un déchainement médiatique démesuré au regard de la faiblesse des enjeux politiques1 et du faible taux de participation caractéristique de ce type de scrutin. Après deux scrutins annulés en 2011 et en 2012 pour fraude, où les candidats du FN et du PCF l’avaient successivement emporté, les "citoyens" se sont visiblement lassés de cette mascarade, donnant une vigueur inouïe à la "vague bleu marine" désormais composée de... 216 élus, soit 0,003% des plus de 562 000 élus français.2 Si l’élection sans enjeux de M. Lopez sur un territoire où l’extrême réalise depuis longtemps des scores importants n’est pas un événement remarquable, la presse et les politiciens y ont pourtant vu un nouvel échelon gravi dans la "stratégie de conquête du pouvoir" de Marine Le Pen et, surtout, une preuve de la "lepénisation des esprits".

Incontestablement, la société capitaliste en décomposition est un terrain propice à l’affirmation des fractions politiques les moins lucides de la bourgeoisie et des idéologies les plus irrationnelles. La haine féroce et presque psychotique de l’étranger, de l’homosexuel ou du "gaucho" se répand dans une société où, sous le poids énorme de ses contradictions et des difficultés rencontrées par la classe ouvrière pour développer sa propre alternative politique, les structures économiques, sociales, politiques et idéologiques se décomposent de manière dramatique.3

Toutefois, le succès croissant des partis populistes dans le monde entier est loin d’échapper à la logique des appareils politiques bourgeois. Au contraire, comme nous le précisions dans le numéro 441 de Révolution Internationale4, l’extrême-droite remplit parfaitement son rôle avant tout idéologique, à la fois comme véhicule d’un programme destiné à pourrir les consciences sur le terrain de l’ultra-nationalisme, mais aussi comme repoussoir pour la défense du piège démocratique. L’élection de M. Lopez dans le canton de Brignoles est à ce titre significative de la manière dont la bourgeoisie instrumentalise le Front National, comme l’a souligné dans Le Monde du 14 octobre 2013, l’historien Nicolas Lebourg : "C’est incroyable tout ce cirque que l’on observe autour de ces cantonales. On est déconnecté des réalités, on est en train de construire quelque chose de toutes pièces. On est dans la prophétie autoréalisatrice. Le FN est maintenant surexposé et devient mainstream." Tout était en effet réuni pour une victoire du candidat de l’extrême-droite. Non seulement le FN est fortement implanté dans la région depuis la fin des années 1980 et compte plusieurs victoires électorales, mais, surtout, le récent scrutin à Brignoles s’inscrit dans un contexte d’instabilité politique typique de la phase de décomposition et favorable au populisme.

Lors de la première élection de 2011, le candidat du FN, Jean-Paul Dispard, l’emportait de 5 voix sur le candidat du PCF, Claude Gilardo, avant que le scrutin ne soit annulé pour irrégularité à la demande du vaincu. En 2012, les rôles s’inversèrent avec la courte victoire de M. Gilardo (13 voix d’écart) et une nouvelle annulation du scrutin. Finalement, les protagonistes furent remplacés à l’occasion du troisième scrutin de 2013 qui a vu M. Lopez triompher. Par ailleurs, l’ambiance nauséabonde construite de toutes pièces par la bourgeoisie et stigmatisant un jour les Roms et les Arabes, et l’autre les fainéants qui refusent de travailler le dimanche est certainement pour beaucoup dans le succès frontiste à Brignoles.

Une observation superficielle de la situation suggérerait que la dilution de l’idéologie d’extrême-droite dans la population, et notamment dans une part non négligeable du prolétariat, est un véritable don du ciel pour la bourgeoisie. Néanmoins, si celle-ci instrumentalise depuis des décennies les partis d’extrême-droite pour pousser la classe ouvrière vers les urnes au nom de la "défense de la démocratie", le succès croissant des partis populistes signifie en réalité une dangereuse perte de maîtrise du jeu politique.

Pour la bourgeoisie, le danger n’est nullement la conquête du pouvoir par le FN. Les fractions d’extrême-droite de l’appareil politique véhiculent en effet un programme en complet décalage avec les besoins objectifs du capital national, tant au niveau de la gestion de l’économie et des conceptions impérialistes qu’à celui, et surtout, de l’encadrement de la classe ouvrière dont elles ont beaucoup de difficultés à comprendre les enjeux. C’est une des raisons pour laquelle la classe dominante ne laissera pas ses fractions d’extrême-droite disposer du pouvoir, préférant muscler le discours des partis traditionnels et plus responsables de la droite pour contenir électoralement les partis populistes.

D’ailleurs, partout où l’extrême-droite a eu l’occasion de participer à la gestion de l’Etat, les éléments programmatiques les plus en contradiction avec les intérêts nationaux ont été soigneusement enterrés. En 1995, par exemple, le Mouvement social italien, parti alors ouvertement néo-fasciste de Gianfranco Fini, adopta un programme pro-européen de centre-droit afin de se maintenir au gouvernement de Silvio Berlusconi, tandis que la Ligue du Nord, tout en conservant son verbiage populiste, enterra rapidement son programme indépendantiste. La même logique s’imposa, en Autriche, à Jörg Haider, contraint d’assouplir ses positions et d’adopter un programme plus responsable, tout comme elle s’impose encore aujourd’hui à la coalition indépendantiste flamande (Vlaamsblok) en Belgique.

Pendant l’entre-deux-guerres, les programmes fascistes étaient alors la réponse aux besoins des nations vaincues ou lésées par la Première Guerre mondiale et qui devaient préparer le terrain à l’éclatement d’une nouvelle boucherie afin de repartager le marché mondial en leur faveur. La bourgeoisie allemande comme italienne soutenait à ce titre les fractions fascistes pour qu’elles puissent concentrer l’ensemble des pouvoirs dans les mains de l’État, empêcher les dissensions internes au sein de la classe dominante et ainsi accélérer l’établissement de l’économie de guerre.

Surtout, le fascisme fut un instrument d’embrigadement de la classe ouvrière sous les drapeaux impérialistes, que seul le contexte de la période contre-révolutionnaire permettait. Sans l’écrasement préalable du prolétariat allemand orchestré par la gauche et les partis démocratiques pendant la Révolution en Allemagne ou celui des grèves de 1920 en Italie, jamais le fascisme et sa militarisation délirante du travail, n’auraient pu voir le jour. De même, dès la guerre civile espagnole de 1936, la bourgeoisie des pays démocratiques usa de la propagande antifasciste pour enrôler les ouvriers sous les drapeaux de la démocratie.

Bien que la contre-révolution des années 1920-1960 pèse encore de tout son poids sur la conscience du prolétariat, la classe dominante n’est aujourd’hui pas en mesure d’imposer la militarisation du travail et de nous entrainer vers un nouveau conflit mondial sans se heurter à de violentes réactions ouvrières. Surtout, elle ne peut pas prendre le risque de se priver dans les pays centraux d’un élément au cœur de son dispositif idéologique : les illusions démocratiques. Si la propagande antifasciste ne joue donc plus son rôle de préparation à la guerre, elle demeure néanmoins un puissant poison idéologique destiné à pousser le prolétariat sur le terrain de la défense des institutions et de l’État démocratique.

Mais, si la bourgeoisie ne craint pas en soi une dynamique électorale du FN aboutissant à la conquête du pouvoir, cette intrusion institutionnelle et la "lepénisation" forcée de l’aile droite de l’UMP fait perdre à l’extrême-droite son aura de parti repoussoir, laissant ce terrain à des groupuscules radicaux et ultra-violents mais sans potentiel électoral. En accédant aux responsabilités, l’extrême droite perdrait en partie sa crédibilité idéologique, comme le PS a largement perdu avec la victoire de François Mitterrand en 1981 sa capacité à se présenter comme le défenseur du progrès social.

Ainsi, le problème fondamental de la bourgeoisie à Brignoles n’est nullement la montée en puissance du FN qui n’a, en l’occurrence, rien gagné en nombre de voix par rapport aux élections précédentes dans la même ville. En revanche, la classe dominante est très inquiète d’un phénomène qui s’est manifesté tant à Brignoles que lors d’autres scrutins partiels : la faible mobilisation des électeurs pour barrer la route du FN. Cela signifie que les manœuvres pour renforcer la défense de la démocratie ne fonctionnent plus aussi bien qu’avant. De l’eau a coulé sous les ponts depuis les immenses manifestations contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 !

La classe ouvrière ne doit donc pas se laisser berner par le prétendu danger fasciste et bien comprendre que l’ensemble des fractions politiques de la bourgeoisie, populistes ou démocrates, sont pareillement réactionnaires et barbares. Elles laisseront se répandre le pire des chaos pour défendre leur système moribond.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

1 Au Conseil général du Var, l’UMP et ses alliées possèdent une majorité écrasante de 32 sièges sur 43 que l’élection de Laurent Lopez ne pouvait aucunement ébranler.

2 Brignoles : un élu FN de plus, mais combien y-a-t-il d’élus au Front ?, Le Huffington Post (14 octobre 2013).

3 Voir notre article : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste. dans le numéro 62 de la Revue Internationale et sur notre site. (http://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ultime_de_la_decadence_du_capitalisme.html)

4 Cf. La montée du populisme est un produit de la décomposition du système capitaliste.


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