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Le burkini, l’arbre extrémiste qui cache la forêt d’un recul sans précédent de la religion

posté le 22/10/18 par http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1555721-le-burkini-l-arbre-extremiste-qui-cache-la-foret-d-un-recul-sans-precedent-de-la-religion.html Mots-clés  réflexion / analyse 

De quoi la polémique sur le burkini, qui a secoué la France ces trois dernières semaines, est-elle le nom ? Si on se penche du côté de la science, la réponse est sans appel.

C’est rigolo, les polémiques. Qu’est-ce qui fait qu’un sujet, et pas un autre, enflamme l’opinion ? Sur quel bouton faut-il appuyer pour que cela "marche", et surtout, est-ce possible d’isoler des facteurs, des points communs, permettant de prédire avec un tant soit peu de certitude ce qui va générer un pic dans la "conversation nationale" ? Ce qui, au contraire, va autant la passionner qu’un pet de lapin sur une toile cirée ?

Le cas de la "polémique burkini" est exemplaire à bien des égards, mais il l’est sans doute assez spécifiquement sur ce point : rien ne nous affole davantage qu’un sujet dans lequel nous pouvons investir à peu près tout et n’importe quoi. Et dans ce n’importe quoi, il faut entendre tout sauf la réalité.

Les humains réécrivent la réalité à coups de préjugés

Et pour cause, notre cerveau n’est pas fait pour être objectif. Quasiment cinq décennies de recherches en psychologie et en sciences cognitives nous contemplent et nous le certifient : il n’y a pas pire jauge du réel que notre cervelle.

Livrés à eux-mêmes, les humains ne lisent pas la réalité, ils la réécrivent à coup de préjugés, d’inclinaisons morales, de liens affectifs, de réflexes partisans, de goûts et de dégoûts, d’espoirs (un peu), de peurs (beaucoup) – autant de biais dont ils n’ont généralement pas conscience et qui ne les empêchent en rien d’être persuadés de "savoir".

La myriade d’erreurs judiciaires construites sur le "flair" d’un policier ou "l’infaillibilité" d’un témoignage sont là pour en attester, parmi de très nombreux et souvent très tristes exemples.

Le burkini n’est pas le retour en force de la religion, c’est le contraire

La bonne nouvelle, c’est qu’en bon poison-remède spongieux, notre cervelle nous a aussi pondu un magnifique outil pour pallier ses propres manquements : la méthode scientifique, qui aura permis à notre espèce un développement sans nul autre pareil, justement parce que l’effectivité de l’analyse quantitative dégomme (et à très plates coutures) celle des intuitions, impressions, pressentiments et autres certitudes que nos tripes sont toujours prêtes à chuchoter à nos oreilles.

Avec l’affaire du burkini, cet énorme décalage entre subjectivité et factualité s’est fait jour dans la difficulté, pour les journalistes, de trouver des images pour illustrer leurs très nombreux articles sur le sujet. Comme si le burkini, à l’instar du dahu des régions montagneuses, était de ces bestioles dont tout le monde parle sans jamais les avoir vues.

Reste qu’un éléphant de mer encore plus massif trône au milieu du château de sable : ce que signale l’arrivée du burkini sur (quelques) plages françaises, ce n’est pas un retour en force de la religion. C’est même tout le contraire : ce qu’indiquent ces petits bouts de crispation sectaire, c’est que la religion, autant comme structure organisationnelle des communautés, que comme boussole comportementale des individus, n’a jamais été aussi faiblarde.

Il n’y a jamais eu autant d’athées et agnostiques

Le phénomène est observable partout où il a été possible de l’observer – c’est-à-dire de le mesurer. La grande tendance "spirituelle" de notre siècle et de notre monde est à la désaffection religieuse. Jamais autant d’individus ne se sont déclarés athées ou agnostiques. Jamais cette sortie de la religion de la vie intime ou sociale n’a été aussi rapide. Et jamais le projet théologico-politique n’a suscité aussi peu d’assentiment.

On pourrait croire la chose évidente pour les contrées industrialisées et sécularisées depuis belle lurette, elle est tout aussi vraie dans celles où la religion organise encore la vie de la cité. Oui, même quand cette religion est l’islam.

En France, les personnes se disant athées ou "indifférentes" à la religion constituent désormais une large majorité de la population. En ce qui concerne la religion musulmane, la tendance la plus lourde de ces trente dernières années, ce n’est pas la radicalisation et l’extrémisme, mais le fait que les "nouvelles" générations soient beaucoup moins religieuses que les "anciennes". L’an dernier, Patrick Simon, sociodémographe à l’Institut national d’études démographiques (INED), résumait les choses en ces termes :

"Si l’on doit décrire une mobilité chez les jeunes descendants d’immigrés par rapport à leurs parents, on observe plus une désaffection du religieux qu’une radicalisation. Ce qui n’est pas contradictoire avec l’émergence de petits cercles radicalisés."


La religion a perdu la bataille du bonheur

Ce n’est pas contradictoire, et c’est même parfaitement logique et prévisible – là encore, pas grâce au marc de café de tata Rika, mais aux travaux des chercheurs spécialistes de ces questions : l’extrémisme religieux, c’est une histoire de grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf.

Le radicalisme, et toutes les violences qu’il charrie, c’est un chant du cygne, les dernières tentatives de morsure d’une bête autrefois féroce, mais qui se sait désormais à l’agonie. C’est justement parce que la religion a perdu la bataille du bonheur et du bien-être par rapport à tout ce que la raison a pu produire qu’il lui faut prendre des cailloux, des sabres et des kalachnikov pour "convaincre" son monde.

La religion n’a plus le bénéfice du doute. À court terme, elle peut asseoir artificiellement son emprise en empilant les morts, les torturés, les persécutés, à moyen et long terme, elle grossit les rangs de ceux qui s’en détournent et font très bien sans.

La religion, coincée dans une impasse évolutive

En résumé, la religion est adaptée à un écosystème qui n’existe plus. Cette vérité était déjà solide aux lendemains de la Saint-Barthélemy, elle ne cesse de s’alourdir en nos temps de "grande transparence" : les échecs et les tartuferies n’ont jamais été aussi difficiles à dissimuler.

Le problème, c’est que les interdictions juridiquement foireuses du burkini sur certaines plages de France, et le genre de débats qu’elles peuvent générer ("la vraie musulmane va-t-elle ou non à la plage aux heures d’ensoleillement maximal ?" ; "est-ce halal de protéger sa modestie sous du lycra à séchage rapide ?"), ne font que rallonger l’impasse évolutive dans laquelle se trouve la religion, que remettre quelques gouttes de carburant dans un moteur tournant déjà largement à l’inertie.

Encore plus qu’une "conception de la femme" contraire aux "valeurs républicaines", ce que représente le burkini, c’est une bulle rigoriste qui se dilate en réaction à une sécularisation massive des esprits et des communautés, un désaveu de la religion en général, mais aussi et surtout de sa forme individuellement et socialement la plus nocive, celle qui exige que la politique se réfléchisse dans le miroir aux alouettes de la théologie.

Il serait temps que nos gouvernants l’admettent et agissent en conséquence. Après tout, ils ne feraient qu’appliquer l’une des règles les plus basiques de la démocratie : à la majorité, le plus gros mot à dire. Et ce que hurle aujourd’hui cette majorité, c’est qu’elle aimerait vraiment que la religion la mette enfin en sourdine.


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