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Le féminisme et ses ennemis. Racisme, mépris de classe et pseudo-féminisme

posté le 21/07/18 Mots-clés  antifa 

Jamais plus qu’aujourd’hui, le féminisme n’aura été instrumentalisé à des fins réactionnaires, devenant un prétexte confortable à la haine de l’islam (affaire du burkini) comme à celui des classes populaires (affaire récente de La Chapelle-Pajol). Retour sur tout ces tartuffes néo-réac’ du pseudo-féminisme.

dans un processus de séparatisme culturel sous l’influence d’un islam radical, ces progrès n’ont pas cours. Dans notre pays, il y a des femmes qui ne peuvent pas se promener où et quand bon leur semble, s’habiller comme elles veulent et fréquenter qui elles veulent [N.B. : E. Levy ne parle pas ici des femmes musulmanes que l’on n’autorise pas à se promener en burkini sur la plage ou avec un voile dans les crèches, ni des élues et journalistes harcelées à l’Assemblée Nationale, ni d’ailleurs de toutes les femmes victimes de harcèlement sur leur lieu de travail]. Et tant que les féministes préféreront faire la police du langage et de la pensée que de mener ce combat, je les combattrai ». C’est bien Babeth, tu es décidément bien courageuse : dans une France votant à plus de 40% pour l’extrême-droite et la droite conservatrice, être sexiste et raciste, c’est vraiment ce qui s’appelle aller à contre-courant.

Le féminisme islamophobe (qui ne garde bien sûr rien du féminisme, et tout de l’islamophobie) fait sa grande apparition dans l’espace public avec la parution, quelques temps après le 11 septembre, de La Rage et l’orgueil, de la journaliste italienne Oriana Fallaci, un ouvrage qui s’est vendu à des millions d’exemplaires. Or, que peut-on y lire (je reprends ici une transcription de Mona Chollet) ? Que les musulmans, « ces millions et des millions de fanatiques », aux « visages grimaçants, menaçants, hostiles », aux voix « enrouées, chargées de haine, bestiales », « au lieu de contribuer au progrès de l’humanité, passent leur temps avec le derrière en l’air, à prier cinq fois par jour », « se multiplient comme des rats », sont en guerre « pour la conquête de nos âmes et la disparition de notre liberté et de notre civilisation », et « vaincront si nous ne nous défendons pas » ; que les Albanais « inoculent aux Italiens la syphilis et le sida » ; que « les braillements du muezzin étouffent le son des cloches » ; que les palais de Gênes, « réquisitionnés par les fils d’Allah, souillés, décrépis, meurent comme des belles femmes violées par une horde de sangliers » ; que les « barbares » « transforment les autels des églises en chiottes » ; qu’« il y a quelque chose, dans les hommes Arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût » ; etc. Daniel Lindenberg, plus tard, comparera avec pertinence ce torchon arabophobe et islamophobe au pamphlet antisémite de Céline (à cette différence que c’était un écrivain de génie, au contraire de Fallaci) Bagatelle pour un massacre.

Et le moins que l’on puisse dire est que cette façon de vomir l’islam à travers le prisme du pseudo-féminisme va faire tâche d’huile. Deux associations féministes ultra-médiatisées, Ni Putes ni Soumises et les Femen, en sont la triste incarnation. La première est placée sous le patronage de SOS Racisme et de l’inénarrable Malek Boutih (qui a d’ailleurs commis un livre avec la Lévy), qui dans un entretien pour le Monde, le 13 juin 2002 -cité par Chollet dans son article Aicha et les "gros tas"- s’emportait contre « les barbares des cités », « cinq mille gangsters [qui] terrorisent les quartiers, violent les filles en tournantes, cament leurs petits frères jusqu’à l’os, s’équipent en armes de guerre et tiennent chambres de torture dans les caves », et concluait : « Il n’y a plus à tergiverser, il faut leur rentrer dedans, taper fort, les vaincre, reprendre le contrôle des territoires qui leur ont été abandonnés par des élus en mal de tranquillité. » Assimiler tous les jeunes des banlieues à des sauvageons machistes, violents et drogués et appeler à toutes les forces de répression de l’État, en voilà une bonne idée. Avec un tel mentor, après avoir, au début de sa carrière, pris ses distances avec les risques d’amalgames, Fadela Amara n’a malheureusement pas tardé à rejoindre les rangs de la droite conservatrice islamophobe, intégrant le gouvernement « d’ouverture » de karcher-Sarkozy-Tolérance 0 et venant, lors de l’affaire du voile, s’extasier de cette mesure dans les colonnes, par exemple, du Parisien. Morceaux choisis et commentés. « Que pensez-vous de la décision du Conseil d’Etat ? -Elle est excellente, légitime, particulièrement crédible parce qu’elle se fonde sur les valeurs de notre République. En 1989, quand le Conseil d’Etat affirmait que le port du voile à l’école était compatible avec la laïcité, cela n’avait pas été le cas. Son avis avait permis aux intégristes religieux de gagner du terrain [Ah, c’est donc ça qui a été la cause de l’essor des intégrismes, et non pas l’effondrement du Moyen-Orient post-guerre froide, la hausse du racisme s’observant avec l’explosion du Front National, le conflit israélo-palestinien, la solidification des alliances avec les pétromonarchies wahhabites du Golfe, etc., mais tout simplement dans le fait de considérer qu’un morceau de tissu sur la tête n’était pas incompatible avec la République]. Aujourd’hui, son arrêt est un couperet républicain qui rétablit complètement la situation. C’est un vrai tremplin pour l’émancipation et la liberté des femmes [Bien plus, à n’en pas douter, que le travail des collectifs de femmes des quartiers prenant clairement le contre-pied de Ni Putes Ni Soumises et ne bénéficient pas de la même médiatisation[iii], ou que celui des intellectuelles et militantes montrant que le sexisme n’est propre ni à une classe sociale, ni à une religion]. -La justice va-t-elle être amenée à se prononcer de plus en plus sur des affaires touchant aux questions religieuses ? -On est entré dans une phase de clarification. Les courants intégristes qui passent par la fenêtre quand on leur ferme la porte obligent à des mises au point. On est en train de réaffirmer le principe de l’égalité des sexes [Grâce au couplage stigmatisation & répression, je le rappelle]. C’est mieux qu’un avertissement. La République, quand elle est sommée de répondre, prend des positions fermes sur ses valeurs. Elle dit enfin : « Ce n’est pas négociable ! » -Faites-vous la différence entre le voile et la burqa ? -Tout est question de centimètres de tissus. Mais pour moi, c’est la même chose. Je ne suis pas favorable au port du voile, qui n’est pas un signe religieux mais, comme la burqa, un signe d’oppression des femmes [Enfin une chose vraie : le voile n’est pas foncièrement un signe religieux, et le Coran n’en fait d’ailleurs pas mention, -même s’il est courant dans les pays de culture musulmane. C’est un élément vestimentaire extrêmement répandu dans de nombreuses cultures, notamment paysannes, à travers le monde : les femmes Ladakhie, dans l’Himalaya, portent un voile ; dans de nombreux pays Africains, les chrétiennes l’arborent ; les femmes orthodoxes, en Roumanie et dans toutes les Balkans, portent le voile une fois mariées, etc. Fadela Amera, dans cet ordre d’idée, serait donc prête à défendre sans rire que le chapeau traditionnel porté par les femmes Quichwa, en Amérique du Sud, serait un stigmate de leur oppression ? On nage en plein délire]. Je ne parle pas de nos mères mais des filles qui sont nées en France [Et pourquoi pas ? Pourquoi ce qui serait toléré chez les unes, les vieilles, ne le serait pas chez les autres, les jeunes ?]. -Que souhaitez-vous dire à cette Marocaine qui s’est vu refuser la nationalité française ? -Qu’elle redevienne ce qu’elle était au Maroc, avant d’arriver en France, quand elle ne portait ni le voile ni la burqa [Et qu’est-ce qui autorise Machine à dire à qui que ce soit ce qu’il doit être ?]. L’amour rend aveugle [Notamment l’amour du pouvoir]. Elle a sûrement cédé en tombant sous le charme d’un islamiste. Je pense que c’est une victime [Étant bien entendu hors de question de considérer une seule seconde que la dame aurait pu, éventuellement, choisir de porter le voile : non, cette cruche s’est nécessairement laissée embobinée par un barbu]. » Voilà résumé, en quelques réponses d’une bêtise abyssale, l’esprit NPNS : éloge de la répression étatique comme outil de régulation des « déviances », assimilation de l’islam à une religion obscurantiste et arriérée, mépris total du point de vue des victimes du sexisme républicain que sont les femmes voilées. Un féminisme hors-sol centré sur l’injonction stérile de l’autonomie et incapable de concevoir une vision contextualisée de la lutte contre la domination masculine.

Les Femen, ensuite. Je serai plus bref, en commençant par l’opinion que je me fais des bases théoriques et pratiques de ce mouvement : montrer ses nibards ne me paraît pas la meilleure façon de faire valoir la cause féministe, sachant, en plus, que le dévoilement de ces parties de l’anatomie féminine constituant le plus vaste réservoir de fantasmes masculins dans la culture occidentale ne s’accompagne pas d’une pensée de très haute volée, la philosophie Femen pouvant se résumer à quelques slogans publicitaires vaguement transgressifs. Dé-politisé, désintellectualisé, dopé au buzz médiatique, ce groupe a à mes yeux pour seul intérêt de faire chier, avec ses happening, les conservateurs de tous bords, notamment en intervenant lors des meetings d’extrême-droite, et d’avoir permis notamment le geste courageux de la jeune égyptienne Aliaa El-Madhy, qui cependant ne fut pas reçu sans ambigüité dans nos contrées. Comme l’a noté Mona Chollet dans son excellent article intitulé Femen partout, féminisme nulle part : « le geste d’El-Mahdy est porteur d’une charge transgressive indéniable dans le contexte égyptien. Il lui a d’ailleurs valu des menaces intolérables. Mais le problème est que sa démarche, purement individuelle, reste impuissante à faire évoluer les mentalités dans son pays. Elle s’avère même contre-productive : en Occident, la jeune femme a été récupérée par des commentateurs dont les discours — ou les arrière-pensées — ne sont pas toujours bienveillants envers sa société d’origine ». Car c’est bien là le problème ; les Femen, qui de préférence doivent correspondre, afin de rendre leur nudité plus esthétique et plus agréable à l’œil masculin, aux standards de la bombe à forte poitrine (en poire ou en pêche, pas en gants de toilette) peuvent faire rire, exciter, ou choquer, selon le cas, mais on ne peut pas dire que, du point de vue de la cause des femmes, leurs péripéties médiatiques soient bien utiles. A noter que je suis, à titre personnel, très sensible au spectacle d’un beau corps de femme nu, mais de préférence dans une chambre, par forcément à la une des journaux ou dans la rue.

D’autant plus que les Femen ont une obsession : l’islam. Persuadée que le fait de se mettre à poil en public représente le summum de la transgression féministe (on en parlera aux mannequins des pages centrales des magazines pour routiers et aux actrices porno, ça leur fera plaisir de se savoir à la pointe du combat), elles considèrent très logiquement qu’une religion professant bien souvent la décence vestimentaire (comme toutes les religions, du reste ; en 2009, les Femen d’Ukraine ont d’ailleurs également barboté avec l’antisémitisme, en faisant de pèlerins Juifs une menace) est le principal ennemi à abattre. S’éloignant ainsi peu à peu de la critique du christianisme orthodoxe constituant sa matrice originelle, Femen a commencé à faire preuve d’une hostilité quasi-obsessionnelle envers la religion musulmane ; Anna Hutsol, l’une des fondatrices, déclare ainsi qu’il est dommage que la société ukrainienne n’ait pas été capable « d’éradiquer la mentalité arabe envers les femmes » ; en 2012, un rassemblement est organisé avec pour slogan : « plutôt à poil qu’en burqa » et « France, déshabille-toi », une belle façon de mêler impératif machiste et consumériste du dévoilement du corps féminin et rejet d’une culture minoritaire, celle de l’islam en France ; bien joué ; Inna Shevchenko, chef de file du mouvement en France, s’exclame sur Tweeter : « Qu’est ce qui peut être plus stupide que le Ramadan ? Qu’est ce qui peut être plus laid que cette religion ? ». Amina Sboui, militante tunisienne emprisonnée deux mois pour avoir tagué Femen sur un cimetière, quitte d’ailleurs l’organisation en 2013, avec ces mots : « Je n’ai pas apprécié l’action où les filles criaient "Amina Akbar, Femen Akbar" devant l’ambassade de Tunisie en France, ou quand elles ont brûlé le drapeau du Tawhid devant la mosquée de Paris. Cela a touché beaucoup de musulmans et beaucoup de mes proches. Il faut respecter la religion de chacun. » Car oui, respecter les religions tout en menant un combat en faveur de l’émancipation des femmes, c’est possible : les féministes juives (notamment les femmes rabbin), musulmanes, chrétiennes et autres du monde entier en témoignent, même si la plupart n’ont pas eu l’idée géniale de faire leurs conférences à poil.

Le problème vient du conservatisme et de l’intégrisme, pas de la croyance en elle-même, et il est parfaitement possible de combattre les premiers sans balancer l’autre avec l’eau du bain. Et je conclurai mes propos en relevant, à propos de l’islam, que la Grande Mosquée de Paris vient de publier une proclamation qui reste ce qu’elle est, une proclamation, mais qui est symboliquement fort encourageante en termes, justement, de lutte contre les conservatisme : outre le rejet du créationnisme, l’acceptation des « théories scientifiques les plus avancées » (Darwin, Big Bang) et la nécessité d’un islam fraternel, tolérant, non-violent et éclairé, il y est rappelé que l’égalité entre hommes et femmes s’impose, et que le voile n’est pas une obligation (l’important étant d’avoir une « tenue décente »).

Le « féminisme » anti-prolo

En parlant de Ni Putes Ni Soumises, j’ai déjà évoqué cette magnifique citation de Malek Boutih assimilant l’ensemble des jeunes gens de classe populaire des banlieues à de la racaille sans foi ni loi. Ce qui nous mène au deuxième biais dont souffrent les prétendus « féministes » contemporains : celui du mépris de classe éhonté. Comme si le populo avait le monopole du sexisme.

Je ne parlerai pas à nouveau de « l’affaire » du bar se Sevran, déjà évoquée dans mon papiers sur les médias. Mais il y a peu, un article du Parisien a fait beaucoup de bruit, et donné du grain à moudre à ceux qui ne perçoivent le peuple que comme une masse fangeuse et mal éduquée, dangereuse, et frémissent à chaque plongée médiatique dans les bas-fonds, l’enfer moyenâgeux des quartiers populaires. La Chapelle-Pajol, quartier populaire de Paris, à en effet fait l’objet d’une enquête tendant à montrer que l’espace public y est phagocyté par les mâles (avec, en arrière-plan, une hostilité vis-à-vis des migrants). Deux choses sont à souligner, à ce propos. La première, ainsi que l’a montré le Bondy Blog dans une solide contre-enquête, c’est que la réalité est en fait plus nuancée ; certaines femmes « ne veulent pas dramatiser la situation, comme Sarah, serveuse dans un pub à Grands Boulevards, en parallèle de ses études : “J’ai déjà essuyé des remarques lourdes, mais comme partout dans Paris“. Conclusion : ce qui vaut pour A, ne vaut pas forcément pour B » ; « “Cafés, bars et restaurants sont interdits aux femmes”, poursuit la journaliste du Parisien. Sur le terrain, on est loin de ces descriptions. Exemple avec le café Le Capucin, place de la Chapelle, où deux jeunes femmes seules boivent une bière en terrasse et une fillette sirote une grenadine avec son père » ; etc. Plus loin, un militant du quartier constate : « C’est certes une problématique locale, mais l’accent mis sur les femmes a permis de donner une dimension nationale sur un sujet extrêmement sensible. L’idée c’était de marquer les esprits et d’alimenter une polémique. Ça a marché ! Mais je ne suis pas sûr que l’instrumentalisation de la question des droits des femmes soit une bonne chose. Pas sûr non plus que cela profite aux habitants, la réponse policière qui a été apportée n’est qu’une solution à court terme ». Pas sûr, effectivement.

Le deuxième point, c’est l’idée sous-jacente qui ressort de ce reportage, comme de beaucoup d’autres : à savoir, que les classes populaires seraient plus concernées que les autres par les problématiques de sexisme et de droit des femmes. Ce qui est totalement faux. Les rues appartiennent majoritairement aux hommes à la Chapelle-Pajol ? Mais c’est le cas dans tous les villes du pays, que l’on soit dans un quartier « populaire » ou non -avec des degrés, certes ! En France, la culture ayant gardé de bon gros restes d’hégémonie masculine, les lieux publics sont encore bien souvent la « propriété » des hommes, qui draguent, scrutent du regard, touchent, prennent à parti, agressent verbalement ou physiquement, les femmes. Et pour ce qui est de la violence de genre, les statistiques sont formelles : il y a autant de femmes battues au sein des classes pauvres que des classes supérieures (et la "culture d’origine" n’a bien entendu, elle non plus, aucun rapport prouvé avec le schmilblick). Mais qui va-t-on médiatiser ? Les frasques d’une personnalité connue se comportant comme un mélange de goret et de dictateur domestique (l’article de Mona Chollet intitulé Machisme sans frontière s’ouvre d’ailleurs sur une mention de la biographie de Tarita, la veuve tahitienne de Marlon Brando, qui décrit les sévices horribles qu’elle a eu à subir) ou le Mimile aviné, de préférence « d’origine », pakistanaise ou bosniaque (les pays chrétiens, ce n’est pas intéressant), qui aura d’autant moins de scrupule à se livrer par le menu à la presse qu’il est con comme un balai et peu sensibles aux stratégies de dissimulation, de com’ et de construction de son image publique qui caractérisent les membres des classes supérieures ?

Exit donc, les cadres supérieurs faisant subir leurs blagues graveleuses à leurs employées de bureau ; les PDG de grandes entreprises qui font connaître l’enfer à leur femme, chaque soir, à l’abri des dorures de leurs villas de luxe ; les députés tripoteurs ; les directeurs de FMI violeurs ; les directeurs d’école de danse, de mannequinat, de théâtre, pour qui une pipe, une main au cul ou un doigts dans le vagin ne représente que la contrepartie logique de leur statut de mâle dominant ; exit tous ceux-là en faveur d’une succession d’images, dans les analyse « féministe » des ravages du sexisme en France, de vieux prolos vulgaires en roue libre incarnant l’image que se fait « l’élite » du petit peuple : grossier, violent, tout simplement barbare, pour ainsi dire.

Résumons-nous. Mona Chollet : « Par son succès médiatique l’association Ni putes ni soumises, née en 2003, a contribué à accréditer l’idée que la violence envers les femmes n’existait plus que dans les banlieues, et s’expliquait par la « culture » des jeunes hommes d’origine maghrébine. La féministe Christine Delphy, l’anthropologue Christelle Hamel, ainsi que les sociologues Laurent Mucchielli (5), Nacira Guénif-Souilamas et Eric Macé ont analysé cette instrumentalisation du féminisme à des fins de stigmatisation accrue d’une population. « De victimes, les habitants des cités deviennent des accusés, pour le plus grand bien des décideurs qui ont laissé la situation sociale se dégrader », dénonce lui aussi le politologue Hicheme Lehmici. Dirigée par Horia Kebabza, une enquête sociologique auprès d’habitants du Mirail, à Toulouse, a pourtant su traiter les problèmes spécifiques qui se posent entre les sexes dans les banlieues, en les reliant au sexisme ambiant dans l’ensemble de la société, et en bannissant tout essentialisme douteux. On y voit comment la « monofonctionnalité » de l’espace dans la cité tend à la réduire tout entière à un espace privé (l’une des interviewées raconte d’ailleurs qu’elle va acheter le pain en pyjama), ce qui favorise le contrôle des comportements par le voisinage ; comment les ragots deviennent la seule diversion à l’ennui qui règne, et la « réputation », le seul mode de distinction accessible à une population en mal de reconnaissance. Par l’affirmation d’une virilité exacerbée, les jeunes hommes tentent de compenser leur relégation sociale et économique. Dans cette enquête, l’un des interviewés dénonce les images sexistes véhiculées par les médias et la publicité : « A la télé, ils montrent toujours que les femmes sont là pour servir l’homme, que ce sont des putes... Qu’elles sont là pour montrer leurs formes, pour faire vendre plein de choses. » C’est sans doute là, et pas ailleurs, qu’il faut chercher les responsables du sexisme en France : auprès de fabricants d’imaginaire collectif peu soucieux de l’émancipation des femmes –qui n’est jamais, pour eux, qu’un argument de vente-objet de désir et un marché porteur pour les serviettes hygiéniques et les produits de beauté.

Continuons le combat, en prenant garde à la récupération. L’éducation et le dialogue éclairé, seule solution

Le féminisme aujourd’hui a donc beaucoup à faire, tout en évitant les écueils de la récupération. L’enjeu est de taille, et ne connait pas de solutions simples. Pour ce qui est des quartiers, les collectifs de femmes sont des initiatives qui doivent être vivement soutenues et encouragées, notamment par les pouvoirs publics ; des politiques de développement de la mixité sociale sont également à souhaiter. Le sexisme des « élites » doit être enfin abordé lui aussi comme un sexisme répandu et ordinaire, et être analysé et condamné au même titre que celui des classes pauvres. Au sein des religions, le travail des intellectuelles progressiste doit être médiatisé et étudié, afin de ne pas limiter le débat à des lectures et des points de vue simplistes et binaires, comme c’est malheureusement presque toujours le cas avec l’islam –le fait d’inviter un Zemmour, par ailleurs misogyne notoire, pour parler des musulmans, par exemple, alors qu’à l’évidence il ne connait rien de rien à ce propos, est éminemment problématique. Il ne faut jamais oublier non plus que chaque jour, dans tout le pays, des militantes féministes se battent sur le terrain contre les violences et les inégalités. Amara, Badinter, E. Levy et toutes les autres devraient crever de honte devant la noblesse de ces combats, et la petitesse de leurs propres logorrhées de bourgeoise satisfaite de la marche du monde.

Et surtout, en REP+ comme dans les établissements bourgeois, nous devons apprendre aux enfants et aux adolescents, dès le plus jeune âge, à adopter un recul critique vis-à-vis des stéréotypes sexistes auxquels ils sont voués à être confrontés, à la télévision, au cinéma, partout. Qu’ils apprennent à déconstruire eux-mêmes la bêtise d’un Booba ou d’une publicité Axe. Et je terminerai ce papier par un poème, en apparence sans aucun rapport, de la grande poétesse Alejandra Pizarnik :

L’île s’enfuit
Et encore une fois la fille gravit le vent
et découvre la mort de l’oiseau prophète
À présent
c’est le feu soumis
À présent
c’est la chair
la feuille
la pierre
égarés dans la source du tourment
comme le navigateur dans l’horreur de la civilisation
qui purifie la tombée de la nuit
À présent
la fille trouve le masque de l’infini
et casse le mur de la poésie.

Salut & fraternité,

M.D.


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