LE MONDE D’ APRÈS

(Nouvelle fantaisiste)

Un peu partout dans le monde, il y a un avant et un après. Autrefois privilège divin, le levier bascule de plus en plus côté Hommes. Et même la nature n’y suffit plus pour garder la main.

On voudrait nous faire croire que Pierre, Paul et Jacques sont autant responsables l’un que l’autre des calamités qui s’abattent sur nos têtes.

Cependant Peter au terme de sa vie, vigneron des Carpates, m’a raconté que son plus grand voyage était de 40 km. Le jour où il avait quitté son village pour se rendre en ville, demander la main de sa promise.

Paulo est né dans un bidonville qu’il n’a pas construit et qu’il n’a pas non plus réussi à bonifier. Dans la favela de son saint-patron, la vie suit le cours des autres. Il peut mourir du jour au lendemain, aucun journal n’en fera une affaire d’Etat.

Quant à Jacques le puiné, il a eu plus de chance. Du moins aux yeux du commun de ses frères. Il a fréquenté les bancs de l’école. Il a choisi ensuite un métier, un qui lui rapporte tout ce que les autres ambitionnent. Il a fait quelques enfants, s’est mis en ménage deux ou trois fois et défile de temps à autre pour dire qu’il n’est pas content.

Ces trois messieurs qui représentent aussi trois générations pourraient ignorer tout l’un de l’autre. Ils pourraient même a fortiori se renvoyer la balle et s’accuser mutuellement : l’un de fausser le jeu, l’autre de détraquer la machine, le troisième de prendre la clé des champs.

Un jour Paulo a pris son courage à deux mains et s’est enrôlé comme matelot sur un porte-conteneurs qui rejoint le Brésil à l’Escaut.

Peter a une petite-fille qui a quitté les Carpates pour venir étudier à l’université de Liège. Elle s’appelle Rosanne. Elle vient d’épouser René, le fils de Jacques, en présence de Paulo, son témoin. Peter a beaucoup pleuré, et c’est dans l’émotion du banquet qu’il m’a conté son deuxième voyage le plus long.

Paulo, Peter et Jacques ont trinqué l’an dernier au nom de l’amitié. Ils ont entrechoqué leurs verres, sans mesurer l’effet papillon que cela entraînerait.

Sur un même petit pré carré, qui était à la fin du 19e siècle la cinquième puissance du monde, s’est abattu en moins d’une décennie ce que le toast des trois compères est sur le point d’achever.

A commencer par les papillons, les abeilles qui ont déserté nos champs. Les arbres qui ont vidé nos forêts. Le béton qui s’est imposé partout en maître d’œuvre. Et le pétrole qui monte au ciel en permanence en guise d’oraison funèbre.

Tout cela est passé inaperçu aux 4 coins du monde.

C’est quand l’air s’est vicié au point de remplacer les nuages par d’épaisses couches de fumée, d’obstruer l’horizon, jusqu’à le rendre irrespirable sans masque, qu’on a compris que le véritable feu aux poudres était de la poudre au feu.

Pierre, Paul et Jacques ont porté le masque, chacun chez soi.

Quand la nourriture a vu nos poulets, nos porcs, nos sangliers, nos œufs trembler comme des feuilles, nos bœufs, dans l’interdiction de péter, seul Peter a repris sa bèche comme le pauvre Martin.

Tandis que chez les tantes de Paulo le feu embrasait l’Algarve et l’Amazonie, la maison de Jacques prenait l’eau par le bas. Peter lui n’avait que sa télévision pour pleurer.

D’un côté comme de l’autre des croix rouges sillonnaient les rues, tandis que des croix noires désignaient les maisons à abattre.

La terre n’a pas tremblé ce jour-là parce qu’en Haïti les trois fléaux étaient déjà au taquet.

Sans se soucier un seul instant de ce que la proche physique quantique ferait comme amalgame de nos flashes infos : Elon Musk a débarqué ce matin sur mars, les talibans à Téhéran et les Américains au sommet extraordinaire de l’OTAN.

En toile de fond, une petite centrale nucléaire qui devait être démantelée depuis belle lurette. Au cœur de l’Europe, un réacteur, le dernier sans doute encore à réagir…

Il est question de guerre chaude.

Incroyable le pouvoir de trois coupettes qui s’entrechoquent !