RSS articles
Français  |  Nederlands

1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10

Le plaisir de ne rien branler

posté le 28/11/18 par https://lundi.am/Le-plaisir-de-ne-rien-branler Mots-clés  luttes sociales 

« La Réunion est en train d’expérimenter la décroissance, et ça, ça leur fait mal au fondement : un pauvre, ça doit consommer, bosser, et bien fermer sa gueule. Tout l’inverse d’en ce moment. »

Sur l’île de la Réunion, le mouvement des gilets jaunes est allé plus loin qu’en "métropole" : plusieurs nuits d’émeutes, un couvre-feu peu respecté et voici le gouvernement et la presse qui tentent à tout prix de pointer du doigt « des jeunes gens qui n’ont rien à voir avec les “gilets jaunes” » (Annick Girardin). Les jeunes, toujours eux. En cherchant plus d’informations, nous sommes tombés sur un site local, Le Tangue, dont le ton nous a plu : nous publions ici deux articles (Le plaisir de ne rien branler et La Réunion flambe, la France a peur… pour ses vacances) qui reviennent d’une façon très différente sur ce qu’il se passe depuis deux semaines à la Réunion, du point de vue de la vie sur l’île et du traitement médiatique qui lui est réservé par la métropole.

Nous remercions Le Tangue de nous avoir permi de diffuser ces articles.

Le plaisir de ne rien branler

Moins de voitures dans les rues, une consommation limitée aux produits de première nécessité, des vacances pour beaucoup de Réunionnais… Vous avez dit catastrophe ?

Ça y est, la CCIR nous parle de “catastrophe économique”. Avec une croissance à plus de 3% depuis quatre ans, ça va aller, les gars, détendez-vous. Le communiqué de la Chambre de commerce n’est que le dernier avatar d’une série de plaies d’Égypte qu’on nous agite devant le nez : “paralysie“, “asphyxie“… La Réunion serait en proie au chaos parce que, depuis une semaine, ses habitants consomment moins et ne peuvent plus aller travailler.

C’est oublier d’abord une chose : avec 23% de chômage sur l’Île, cela fait déjà pas mal de personnes qui ne pouvaient pas aller travailler. Pour les autres ? Demandez-leur, donc, s’ils ne sont pas finalement peinards, avec ces congés imposés ? Les chefs d’entreprise, ça les ennuie sûrement. Les petits patrons, ils doivent serrer les fesses. Mais les salariés, l’immense majorité des travailleurs ? Demandez aux caissières, aux secrétaires, aux serveurs, aux ouvriers, s’ils ne goûtent pas goulument à cette oisiveté bienvenue ? Les parents, les enfants sont à la maison, c’est dimanche tous les jours ! Catastrophe ?

Depuis une semaine, La Réunion achète moins de bagnoles. Depuis une semaine, on n’a plus la boule au ventre au passage du facteur, il est en vacances, lui aussi. Pour trouver à manger, on va vers ce qui est ouvert, les petits commerçants de proximité, les forains du bord de route. On n’avait jamais vu autant de monde au Petit Marché mercredi ! Et quoiqu’il arrive, on ne va pas crever de faim. Alors, catastrophe ?

Depuis une semaine, hors barrages, il y a moins de voitures. On peut circuler à l’intérieur des villes, on utilise même un peu plus son vélo ou ses pieds. Depuis une semaine, La Réunion a sans aucun doute diminué ses émissions de gaz à effet de serre. Depuis une semaine, La Réunion ne branle rien, c’est tout simplement parfait.

“Au fur et à mesure des jours, les gens sont de plus en plus sympas, nous confiait-on hier sur le barrage de Gillot. Ils se plaignaient plus les premiers jours, maintenant, c’est cool…” Là-bas, les “gilets jaunes” cassent la blague avec les autos, ils leur filent à boire au besoin. Hier, c’était distribution de pommes. Au Tampon, ils ont fait venir des forains pour qu’ils vendent leurs fruits et leurs légumes. Il y a des familles, sur des chaises de pique-nique, ça se partage les caris, ça joue un peu de musique, ça rigole pas mal.

La “catastrophe économique” crainte par les dirigeants réunionnais, c’est qu’on n’achète pas leurs conneries pendant le “Black Friday”. La Réunion est au contraire en train d’expérimenter la décroissance, et ça, ça leur fait mal au fondement : un pauvre, ça doit consommer, bosser, et bien fermer sa gueule. Tout l’inverse d’en ce moment. Et franchement, pas sûr que les classes populaires soient vraiment plus malheureuses depuis une semaine.

Bonus : quitte à ne rien faire, autant regarder L’An 01, chef d’œuvre utopiste de Jacques Doillon de 1973, dont la vision vous rappellera certainement ce qui se passe en ce moment.

La Réunion flambe, la France a peur… pour ses vacances

“C’est bon ça, coco, des voitures qui crament sous les cocotiers…” Les échauffourées nocturnes auront au moins eu ça de positif : que les médias hexagonaux s’intéressent aux maux réunionnais.

Et si on vous parlait de La Réunion vue de l’Hexagone ? Parce que oui, Le Tangue en a un peu ras le museau de voir, lire, entendre des poncifs sur notre caillou volcanique. Nos confrères adorent les clichés et fuient un peu les sujets de fond : pour parler pauvreté par exemple, il faut une visite présidentielle. Sans ça, pas d’ouverture du flash info sur RTL. Pour qu’un procès intéresse les grands médias nationaux, il faut une pincée de sorcellerie qui va donner du sel et faire couleur locale. Mais des Juliano Verbard, il n’y en a pas dans tous les box des accusés. Pour que La Réunion fasse un “off” au 20 heures, il y a d’autres sujets porteurs : un réveil du Piton de la Fournaise, une attaque de requin et encore, il faut que notre victime y laisse sa vie. Au mieux, s’Il ne perd qu’une guibole il intéressera un mag’ comme Paris-Match qui filera quelques bifetons pour un témoignage sur lit d’hôpital.

Puis il y a les cyclones et les commandes aux journalistes locaux des chaînes qui cherchent des images. Votre serviteur lors de Dumile avait oeuvré pour BFM TV. Un chef d’édition lui avait demandé : “Surtout filme des palmiers qui bougent à cause du vent…” Ah les îles !

Depuis deux jours, La Réunion est revenue sur le devant de la scène médiatique grâce aux “gilets jaunes”. Au couvre-feu, aux bagnoles qui crament. Certains médias comme Le Républicain lorrain ou Le Dauphiné libéré ont titré sur ce pauvre policier qui a perdu une main… C’est vrai. Problème : cette mutilation n’avait rien à voir avec les émeutes mais serait dûe à une mauvaise manipulation à l’intérieur de la voiture de patrouille.

Loin des yeux, loin du cœur

Alors La Réunion flambe et la France a peur… pour ses vacances. LCI s’est, sur son site internet, intéressée à la raison de la violence. Cette fois-ci on nous a épargné le titre “Les raisons de la colère”. Donc LCI (re)découvre à l’occasion de ces émeutes que le chômage atteint des records chez les jeunes, qu’ils sont désabusés, que dès que l’occasion se présente, ils crament et caillassent la police. Sans excuser, c’est aussi là, une façon d’attirer l’attention. Le proverbe populaire dit :”Loin des yeux, loin du coeur”. Or, le regard de l’Hexagone ne se tourne vers La Réunion que lorsque des événements de cette teneur se déroulent. Davantage encore lorsque des forces de l’ordre sont blessées… Car les autres sujets ultra-marins intéressent peu.

Mayotte est dans la même situation. Il est question de Mayotte quand la délinquance bat des records, quand les magasins sont pillés, quand les manifestations dégénèrent, quand des renforts d’Hexagone sont envoyés. Aucun grand média n’a, par exemple, parlé de la crise de l’eau potable due à la sécheresse. Bon, ok, comme votre bête à pique est honnête, elle va tout de même citer le seul site web qui a parlé du problème : Le journal de l’environnement…

Pierre Adrien


posté le  par https://lundi.am/Le-plaisir-de-ne-rien-branler  Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article
Liste des documents liés à la contribution
reunion_-_gilets(...).jpg


Commentaires

Les commentaires de la rubrique ont été suspendus.