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Le pouvoir de l'achat

posté le 04/12/14 par Nico Mots-clés  économie 

Le pouvoir de l’achat

C’est dans l’osmose entre l’homme et la consommation que l’idéologie dominante trouve une de ses portes d’entrée favorites pour venir nous habiter. Après des années d’évolution sous le libéralisme, l’esprit qui manufacture les biens de consommation va jusqu’à trouver écho en nous. La norme sociale et le développement individuel sont par l’achat. Dans la consommation et le mode de vie qui lui est propre se trouve l’idéologie qui nous domestique. Le pouvoir de l’achat est là : c’est celui de la conquête permanente de l’individu par le libéralisme.

Le pouvoir d’achat commence avec le fordisme. Mr Ford comprit que le travail aliénant devenait acceptable si le travailleur changeait de statut et que son activité changeait de finalité. Il augmente les salaires et réussit à garder en poste les ouvriers qui fuyaient cette nouvelle forme de travail. En adhérant à ce nouveau mode de fonctionnement, son personnel s’efface sur les chaînes de production pour faire la part belle à la marchandise, tandis que la création de sa richesse personnelle supplante la valeur de son activité quotidienne. Le glissement du statut de travailleur vers celui de consommateur s’opère, dégradant en même temps la valeur du travail, qui n’est plus un moyen de s’accomplir personnellement mais juste un passage obligé pour obtenir le pouvoir d’achat. Dans l’acceptation de cette nouvelle condition, l’irrationnel au service de la valeur marchande devient admissible. Le libéralisme marque ici une grande victoire sur l’homme, lorsque celui-ci consent à vider sa vie professionnelle de sens, pour obtenir les moyens d’accéder à un nouveau mode de vie tourné autour de la consommation. La finalité n’est plus dans la valeur de l’activité mais dans le potentiel en consommation qu’elle représente. Le consommateur s’est suicidé au travail pour naître dans l’aliénation.

"C’est dur la chaîne, moi maintenant je peux plus y aller, j’ai la trouille, la peur qu’il te mutile encore d’avantage, la peur que je ne puisse plus parler un jour, que je devienne muet."1

Avec un plus gros salaire et l’apparition du crédit a la consommation, il est désormais possible de consommer l’objet de sa misère. La marchandise sort des usines et tout comme elle a gagné du terrain sur l’ouvrier par une nouvelle forme de travail, elle gagne l’homme dans son quotidien via un nouveau mode vie.
La consommation est un carcan extrêmement complet puisqu’elle est à la fois le mode de vie et le moyen technique pour y accéder. Sa potentialité à s’ancrer dans nos vies et à les influencer croit à mesure que nous misons toujours plus sur elle pour nous accomplir en tant qu’individu faisant partie intégrante de cette société. C’est ici que le libéralisme devient une composante de notre quotidien, les outils forgés dans sa veine sont nécessaires pour intégrer le monde qu’il crée, leur utilisation amène son mode de vie. Sans eux impossible d’être hyper-connecté, d’être dans les temps, de gérer son temps ou de se démultiplier, leurs facultés sont indispensables pour suivre la marche de la société moderne.
L’achat possède ce malin pouvoir dans sa nouvelle finalité qui plaît à l’esprit libéral qui y réside. L’intérêt pour l’objet n’est plus uniquement dans son usage, il est dans sa valeur symbolique. Dans une société qui tend à juger les personnes par leur être plus que dans leurs actes, la valeur des objets n’est plus nécessairement dans ce que l’on « fera avec » mais dans ce que l’ont « sera avec ». La consommation étant devenue indispensable pour intégrer le mode de vie actuellement libéral, les valeurs que nous cherchons dans l’achat pour coller aux mœurs diffuse en nous cette même idéologie. Ne pouvant plus s’accomplir par le travail l’homme se construit par la possession des objets, c’est ainsi qu’il peut être colonisé jusque dans son fort intérieur. Les moyens matériel dont nous nous entourons sont la garantie de nous maintenir dans l’hégémonie culturelle de la norme actuelle. La dangerosité de ce matérialisme est de permettre au libéralisme d’intégrer l’humain et de le coloniser. Il devient une des composantes de l’homme nous rendant incapable de penser en dehors de sa norme et nous faisant perdre de vue les rivages d’autres possibles.

Pourtant le pouvoir d’achat semble être l’un des derniers bastions du progrès social à défendre. Il nous enfonce dans un modèle qui a été pensé par les hommes qui nous exploitent en vue de nous faire accepter leur monde et de tirer un plus grand profit de notre potentiel. Il rend l’obsession de la croissance populaire et derrière la promesse de sécurité et de confort qu’est censé apporter le pouvoir d’achat, se cache en réalité la manière de pérenniser le pire des modèle en matière de violence sociale, d’injustice et de précarité généralisée. Il est vrai qu’un faible pouvoir d’achat mène à la précarité, mais il permet de s’exclure de la logique consumériste et de se libérer ainsi de la pensée libérale qui nous y est injecté.

1 "Avec le sang des autres" Bruno Muel


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