Véritable ovni de la pensée antiraciste et anticolonialiste, le livre d’Houria Bouteldja (porte-parole du PIR, Parti des Indigènes de la République), "Les Blancs, les Juifs et nous - Vers une politique de l’amour révolutionnaire" qui sort aujourd’hui (lundi 14 mars) aux éditions La fabrique, ne laissera personne indifférent. Un réquisitoire puissant à la plume acérée et décomplexée.
Mais au-delà de l’esthétisme de son style et de sa pertinence rhétorique, pour la première fois, la plus connue des Indigènes de la République se dévoile un peu. Sans tabou et sans langue de bois, comme à son habitude, ses propos risquent de déstabiliser certains. A l’heure où la "République de Charlie" brandit la liberté d’expression comme un sacerdoce, l’essai d’Houria Bouteldja trouvera toute sa place. Une rencontre littéraire avec l’auteure est organisée le 17 mars au Lieu Dit, 6 rue Sorbier, dans le 20ème arrondissement de Paris, à 19h.
Qu’avez-vous ressenti à la fin de l’écriture de cet ouvrage ?
Cela fait plusieurs années que l’idée de ce bouquin trotte dans un coin de ma tête. J’avais le titre, j’avais l’introduction, j’avais même la conclusion ; il me fallait l’essentiel : trouver le contenu. Alors je suis allée puiser dans les dix ans de luttes au sein du Parti des Indigènes de la République pour donner plus de consistance encore à mes écrits. Et je dois avouer qu’en finissant d’écrire ce livre, j’étais plutôt satisfaite.
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire cet essai ?
Nous, "les issus de l’immigration" postcoloniale, nous étions collectivement pris dans la spirale d’un piège infernal. Les prophéties auto-réalisatrices me rendent dingue ! On nous présente comme des barbares imaginaires et on finit par le devenir (NDLR: les attentats). Conclusion : cela donne raison à ceux qui nous accusent. L’exercice ici a pour but, non pas de nous innocenter, car je ne nous crois pas innocents, mais de rétablir les responsabilités et d’identifier les sources de la violence à laquelle nous faisons face. Celle-ci n’a rien à voir avec l’Islam ni avec nos cultures, auxquels je suis très attachée, elle est le fruit d’un système que je qualifie d’impérialiste ou plus précisément de "contre-révolution coloniale". Ce livre m’a permis également de soulager ma conscience de fille d’indigènes vivant en France et de rendre hommage aux sacrifices de nos parents.
Contrairement à Jean Genêt, vous dites que Sartre est mort blanc. Qu’est-ce qui différencie les deux ?
Il y a une différence entre Camus et Sartre et une plus grande encore entre Sartre et Jean Genêt. Camus, c’est l’Algérie française avec un brin d’humanisme pour soulager la conscience française. Sartre quant à lui était un anticolonialiste, un vrai. Des comme lui, il n’y en a plus. Mais concernant le sionisme (dont je rappelle qu’il est une idéologie occidentale), sa prise de position n’a pas été à la hauteur de ses engagements précédents. Soutenir le projet sioniste lui permettra de soulager sa mauvaise conscience vis à vis des juifs et ce n’était pas leur rendre service d’agir ainsi. Céder à la mise en place d’un foyer national juif en Palestine ou ailleurs, c’est glisser sur le terrain de l’antisémitisme et appuyer l’idée que les juifs ne sont pas chez eux en France.
Tel a été le grand paradoxe de Sartre. A la fois ami des opprimés, des juifs en particulier, et serviteur de l’impérialisme malgré lui. Inconsciemment Sartre, tout comme Camus, ont voulu sauver quelque chose de la "blanchité". Ainsi, Sartre est mort blanc, parce que mort sioniste.
Contrairement à Jean Genêt qui a su cerner, depuis toujours, le caractère criminel de l’Occident sans se laisser impressionner par les idées fumeuses des Lumières, des droits de l’homme...etc. Plus que jamais, au vu de la situation politique désastreuse que traverse la France, (état d’urgence, déchéance de nationalité, racisme galopant...), la parole de Jean Genêt apparaît aujourd’hui indispensable.
N’avez-vous pas peur d’être taxée de "raciste anti-blanc" par vos détracteurs ?
On n’a jamais vu une raciste parler d’amour à sa victime...
Propos recueillis par Nadir Dendoune