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Les Effroyables Imposteurs du 12 janvier

posté le 26/03/15 par luftmensch Mots-clés  réflexion / analyse 

Combattre l’antisémitisme ET l’islamophobie, une idée folle ?

Dans le contexte culturel et idéologique actuel, oui, sans doute. Depuis dix ans, on nous somme de choisir. Parce que ce sont « des arabes et des musulmans qui tuent les Juifs » , nous dit-on. « Parce que l’accusation d’antisémitisme est la forme la plus courante d’islamophobie » nous dit-on aussi.

Depuis dix ans, il a fallu choisir son camp, ou passer pour un hurluberlu. Entre celles et ceux qui prétendaient que l’antisémitisme n’existait plus, avant que des Juifs soient assassinés et puis d’autres encore, avant que le premier remplisseur de salles de spectacles en France soit un néo-nazi. Et entre celles et ceux qui prétendaient, eux, que l’islamophobie n’existait pas , qu’il y avait juste une saine réaction contre « toutes les religions ». Et ce avant que des enfants de huit ans soient convoqués pour une prétendue « apologie du terrorisme » au commissariat, avant que les agressions contre des musulmanes ne deviennent monnaie courante.

Pendant quelques brèves semaines, après les attentats de janvier, pourtant, une partie des gens n’a plus voulu choisir. Confrontée à la montée de l’horreur raciste et antisémite, certains ont à nouveau rêvé de se battre ensemble, tous ensemble, nous qu’on avait séparés.

Mais ce sera déranger des intérêts bien installés désormais. Les intérêts des forces et des organisations politiques qui ne vivent que de la division et de la séparation, qui n’ont rien d’autre à proposer que la haine de l’autre en partage.

Le « Deux poids deux mesures » est devenu un business politique. Pas seulement pour Dieudonné, qui ne serait rien sans avoir conquis les esprits avec cette idée que les Juifs seraient une communauté surpuissante , conquérante et heureuse. Pas seulement pour Marine Le Pen, qui entend dénoncer le privilège des « racisés » , sujets de toutes les attentions supposées pendant que le « vrai français » croulerait sous leur invasion organisée. Mais aussi pour toute une partie de la gauche française qui a sombré, de diverses manières, dans la lepénisation des esprits globale, et s’en accommode fort bien.

Houria Bouteldja, quoi qu’elle en dise est une bonne réprésentante de cette gauche là. La porte-parole des Indigènes de la République peut toujours prétendre se distinguer de la « gauche française » : mais au quotidien depuis dix ans, elle passe une bonne partie de sa vie politique dans les meetings de cette gauche dont elle prétend être autonome . Il ne suffit pas d’y jouer le rôle de la « petite voix rebelle » pour faire oublier qu’elle y est à la tribune, applaudie par ses pairs universitaires. Il ne suffit pas de prétendre qu’on est une « bannie » et une « ostracisée » pour tromper celles et ceux qui le sont vraiment : des colloques à l’université de Berkeley aux plateaux de Ce Soir ou Jamais, Houria Bouteldja a la vie ordinaire d’une responsable de gauche radicale, avec ses tribunes médiatiques et politiques régulières ….tant qu’elle reste dans les clous que d’autres ont planté pour elle.

Aujourd’hui, les Indigènes de la gauche radicale antisémite sont là pour dire tout le mal des Juifs que le militant franco-français ne veut pas exprimer en premier. Aussi bien depuis les attentats, on sent évidemment comme un flottement dans la partie de la gauche qui n’a jamais reconnu l’antisémitisme que du bout des lèvres, pour reprendre aussitôt ses diatribes contre le CRIF et l’ « instrumentalisation d’un antisémitisme résiduel ». Cette gauche qui a soutenu Dieudonné très, très tard, cette gauche qui voit des « sionistes » partout, le clame haut et fort, pour ensuite s’étonner qu’on la prenne au mot et qu’on attaque des synagogues ou des commerces Juifs.

Devant tous les morts parce que Juifs, elle s’est sentie obligée de se taire. A regret sans doute. Le temps du silence est désormais terminé , les affaires reprennent. Mais il fallait une pirouette. Et les Indigènes sont là pour la faire : en effet, pour pouvoir à nouveau cracher sur les Juifs et nier l’antisémitisme, le plus confortable est encore d’avoir le prétexte d’un combat contre un autre racisme, et mieux encore d’avoir à portée de main, la virulente diatribe d’une victime de ce racisme.

Tout le monde n’est pas Roland Dumas avec son âge, son prestige et ses réseaux politiques : tout le monde ne peut pas déclarer tranquillement que le gouvernement français est sous influence juive chez Bourdin , un matin, et s’en sortir seulement avec quelques cris d’indignation vite oubliés.

A d’autres il faut des boucliers idéologiques : il faut pouvoir dire « je n’aime pas les Juifs, mais c’est seulement parce qu’ils font du mal aux Arabes, et d’ailleurs ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les premiers concernés par l’islamophobie ».

Voilà c’est fait , les Indigènes de la République, par la voix de leur porte-parole ont pondu la tribune -alibi avec son délicieux parfum de scandale . Voici Houria Bouteldja qui invite à combattre « l’islamophobie et le philosémitisme d’Etat ». Attention, pas le « complot Juif », pas « le gouvernement sous influence juive », on n’est pas chez Soral, on est de « gauche décoloniale », s’il vous plaît.

L’antisémitisme est la mort de la gauche, alors forcément l’antisémitisme de gauche produit des discours totalement incohérents dans leur conclusion : soyons antisémites pour combattre l’antisémitisme, cela ne veut évidemment rien dire.

Et cela ne dit rien à personne, où plutôt les trois quarts du public retiennent la première partie de la phrase pour aller ensuite vers ceux qui en tirent la conclusion logique : c’est la raison pour laquelle aujourd’hui , non seulement les Indigènes de la République, mais toute la gauche radicale antisémite avec eux, ne sont presque rien , numériquement parlant, et voient partir une bonne partie de leurs troupes vers l’extrême-droite antisémite.

Réduits à une posture tragi-comique : sans cesse à répéter diverses versions du fameux « l’antisémitisme est le socialisme des imbéciles », sans jamais réaliser que l’imbécile, c’est surtout celui qui pense pouvoir utiliser l’antisémitisme pour convertir les gens au socialisme.

Malheureusement, cette imbécillité criminelle est un des traits majeurs d’une partie de la gauche européenne et française depuis le 19ème siècle : celle qui a couru après Drumont, celle qui a couru après les fascistes des années 30, à la manière d’un Doriot ou d’un Bergery persuadés qu’il fallait reprendre leurs thèmes pour leur arracher les masses égarées. Celle des staliniens des années 50 et de leurs obsessions criminelles sur le « complot sioniste ». Celles de l’ultra-gauche acoquinée à Faurisson pour « faire tomber le capitalisme » en faisant tomber son « fondement » , le « mythe des chambres à gaz » . Aujourd’hui, à la gauche radicale, on se montre plus fin, on parle de « religion civile de la Shoah ».

Imbécillité criminelle, le mot est fort mais parfaitement adapté à la situation : sans doute, les Indigènes de la République n’en sont-ils pas à souhaiter, que de nouveau, on tire à bout portant sur de jeunes enfants Juifs. Sans doute, Jean-Luc Mélenchon, lorsqu’il parle de « communauté agressive » ne veut-il pas vraiment que l’on assassine de gens dans une épicerie et qu’on en harcèle, et qu’on en tabasse d’autres.

Seulement, quand on appelle à combattre le « philosémitisme » pour combattre l’islamophobie, on appelle à quoi ? Si ce n’est à attaquer les Juifs, pardon, « des » Juifs et « des » « amis des Juifs ».

La vie politique n’est pas un plateau de « Ce Soir ou jamais », ou un colloque universitaire. Ou plutôt elle ne l’est que pour une infime minorité, définie par son statut social, son « identité de classe », comme dit Houria Bouteldja qui ne parle jamais de la sienne. Celle d’une femme qui a bénéficié des combats « antiracistes abstraits », comme elle dit , menés par les générations précédentes issues de l’immigration. Celle d’une femme qui a pu accéder aux protections sociales et aux privilèges que confèrent les études supérieures , une situation professionnelle dans les classes moyennes supérieures, et le statut de personnel de direction politique d’une des organisations de la gauche radicale française.

C’est ce statut qui lui permet de délirer dans une langue choisie sur les Juifs qui sont "une batte de base-ball pour frapper les Noirs et les Arabes", dans le tract d’un appel à manifester qu’on distribuera gaiement dans les rues de Barbès avant de partir à un colloque à Oslo où ailleurs. Les "jeunes Indigènes" qui prendaient ce tract au sérieux et iraient donc se défendre contre les prétendues "battes de base ball juives", eux, iront pour des années en prison. Et ce "deux poids deux mesures" là n’est pas celui de la "race", mais celui de la classe, qui permet aux idéologues de garder leurs mains toujours blanches , même après avoir trempé leur plume dans le sang pour appeler à la haine. Ce "deux poids deux mesures " là vaut pour Alain Soral comme pour Houria Bouteldja, pour Jean-Marie Le Pen comme pour Dieudonné. Toujours libres de propager la même merde quand d’autres sont morts ou en prison d’y avoir cédé violemment.

C’est aussi ce statut social qui lui permet de proférer des absurdités sur l’abstraction que constituerait la lutte commune contre l’islamophobie et l’antisémitisme.

Dans d’autres parties de la société , cette ligne de lutte est au contraire une évidence pratique trop longtemps délaissée, une nécessité absolue : elle l’est pour la femme voilée qui peut se faire agresser à tout instant comme pour le jeune magasinier Juif qui peut se prendre une balle n’importe quand. Elle l’est pour les éternels sans-voix que sont les prolos qui ne seront jamais invités à un talk show pour contredire un Zemmour, qui nie la responsabilité de l’Etat français dans le génocide commis contre les Juifs et dans le même temps appelle à la guerre civile contre les musulmans. Elle l’est face au terrorisme néo-nazi qui ravage l’Europe en silence. Elle l’est face à un Front National, où voisine l’expression de l’antisémitisme le plus violent avec celle de l’islamophobie la plus décomplexée.

Les Indigènes de la République ont dix ans. 2005, l’année des émeutes dans les quartiers populaires. Un an auparavant, le débat politique avait été phagocyté par une offensive pour interdire d’école une partie des jeunes musulmanes sous prétexte de « laïcité ». C’est dans ces deux années charnières que deux écoles rivales et jumelles ont vraiment émergé à gauche : d’un côté ceux qui ont fait une OPA sur la laïcité en décrétant qu’être laïque aujourd’hui, c’était avant tout passer son temps à chercher de nouvelles mesures propres à exclure les musulmanes de divers secteurs de la vie publique. C’est de cette mouvance là qu’émerge en 2007, le groupe Riposte Laïque , fanatiquement islamophobe et qui va être la matrice idéologique de la récupération par le FN du terme « laïcité ». C’est au même moment, que s’agglomère un autre noyau idéologique, celui d’une gauche prétendûment « anticoloniale » qui va faire de la minorité Juive son obsession et son bouc émissaire . C’est cette gauche là qui propulse Dieudonné sur le devant de la scène politique en en faisant les stars d’une première liste « antisioniste » Europalestine dès 2004 : fort de ce brevet de héros de la cause palestinienne, acquis à peu de frais, Dieudonné ne met que quelques mois à s’afficher ouvertement avec une extrême-droite française dont il répète depuis déjà quelques années les diatribes antisémites.

Dix ans, c’est le temps des bilans : et à part, avoir contribué à constituer la matrice idéologique fasciste , il n’y a pas grand chose à mettre au crédit de ces deux écoles rivales, l’islamophobe et l’antisémite. Le pourrissement des luttes, voilà leur seule victoire : nous sommes en 2015, et il ne se passe pas un mois, sans quel l’on entende parler de tel passage au FN d’un syndicaliste raciste, de telle sortie sur les « pharmaciens Juifs » d’une militante associative.

Pour autant, ni les uns ni les autres ne comptent s’arrêter là : face aux grandes officines fascistes, l’obsession reste de garder quand même sa petite boutique. Et pour que les vaches soient bien gardées, il faut des barbelés autour des prés carrés.

Or une petite inquiétude a saisi les bergers : ces deux derniers mois, timidement, mais sûrement, des gens ont dit « Nous sommes ensemble ». Ensemble dans le chagrin , la peur, l’abattement devant la mort , devant la terreur suscités par des attentats où ont été assassinés des Juifs parce qu’ils étaient Juifs. Ensemble devant la déferlante raciste qui dévaste ce pays depuis si longtemps et qui a amené des enfants de neuf ans au commissariat parce que leurs parents étaient musulmans, donc suspects. Ensemble devant ces mêmes croix gammées qui profanent cimetières et lieux de cultes.

Proclamations timides sur des pancartes faites à la main, fleurs offertes par les uns aux autres, à la sortie d’une synagogue ou d’une mosquée. Deuil et terreur partagées dans ces quartiers populaires dont étaient issus aussi bien le policier abattu devant Charlie Hebdo, dont on apprit ensuite qu’il était musulman, que le jeune vendeur abattu parce que Juif à l’Hypercasher.

Et même dans la gauche radicale, on vit éclore quelques slogans , quelques appels « contre l’antisémitisme et l’islamophobie ». ...et tout aussi vite le déchaînement des boutiquiers inquiets, les uns braillant que reconnaître l’islamophobie revenait à se rallier à Daech, les autres hurlant que certes on tuait des Juifs dans ce pays, mais que c’était à cause du « philosémitisme ».

Les uns et les autres se haïssent mais ne peuvent survivre qu’ensemble. Les uns et les autres ont la même rhétorique d’exclusion : purifier le mouvement en en excluant les prétendus « sionistes » ou les prétendus "islamistes". Les uns ont par le passé osé agresser et insulter des femmes dans des manifestations féministes sous prétexte qu’elles portaient le voile, les autres ont osé exclure des Juifs de manifestations contre des actes antisémites sous prétexte qu’ils étaient du CRIF, alors même que les inscriptions antisémites contre lesquelles la manifestation était organisée visaient le CRIF.

Les uns et les autres assurent leur promotion réciproque et jouent volontiers le spectacle médiatique qu’on leur demande : Houria Bouteldja contre Caroline Fourest Youssef Boussoumah contre Alain Finkielkraut, Christine Delphy contre Annie Sugier, le régal de certains talk-shows à retrouver dès le lendemain sur les sites Fdesouche et Egalité et Réconciliation.

Hurlements de haine ininterrompus, bruit médiatique abrutissant , confortables carrières d’intellectuels polémistes.

Un seul message : ne soyez pas ensemble, restez séparés , nous sommes vos bergers.

Nous ne nous laisserons pas traire, ni dévorer par les loups dont ces gens là n’ont jamais su nous protéger. Soyons ensemble contre l’antisémitisme et l’islamophobie, prenons toute la mesure des oppressions semblables , qui depuis dix ans font peser le même poids dévastateur sur nos vies.


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