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Les luttes radicales avant et après la Pride de Nuit

posté le 28/07/18 Mots-clés  luttes sociales  genre / sexualité 

Samedi dernier, des militantEs engagéEs dans la Pride de Nuit dès son imagination ont publié un texte sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle représente aujourd’hui. C’est vraiment un texte que j’ai trouvé super. Je vous incite vraiment à la lire1. Iels cherchent à nous interpeller.

De mon côté, qu’est-ce que je garde de leur volonté de nous réveiller ? L’idée qu’il faut constamment lutter contre l’engourdissement et les habitudes. Qu’il ne faut jamais être là où on nous attend. Qu’il faut savoir varier ses coups (comme aux échecs ou quand on boxe !) pour avoir le plus de chance de déstabiliser l’adversaire. Car oui, c’est un combat, c’est un rapport de force et nous avons besoin de toutes nos ressources, de toute notre créativité. Les auteur·e·s évoquent la nécessité d’inventer de nouveaux outils. Et bien, pour me/vous stimuler dans vos actions, j’ai envie de me reconnecter à une histoire, à une pensée, celle de Queer Nation.

Queer Nation Manifesto, c’est quoi ?

« Queer Nation était un groupe transpédégouine radical fondé en mars 1990 à New York aux Etats Unis par des militantEs d’ACT UP. Les quatre activistes à l’origine du groupe étaient outragéEs par l’augmentation de la violence homo et lesbophobe dans les rues et les préjugés dans les arts et les médias. Le groupe est connu pour ses stratégies « dans ta face », ses slogans, et la pratique du « outing » (le fait de révéler publiquement, sans son consentement, qu’une personnalité a des relations homosexuelles). Queer Nation était un groupe d’action directe, se démarquant ainsi des associations lesbiennes, gaies, bi et trans assimilationnistes ».2


Notre vie ne peut être qu’un acte de lutte et de rébellion

« Comment te dire. Comment te convaincre, frère, soeur, que ta vie est en danger, que tous les jours où tu te réveilles vivantE, relativement heureuSE et en bonne santé, tu commets un acte de rébellion. En tant que queer vivantE et en bonne santé, tu es unE révolutionnaire. Il n’y a rien sur cette planète qui valide, protège ou encourage ton existence. C’est un miracle que tu sois là à lire ces mots. Selon toute logique, tu devrais être mortE. »

Oui, rien n’a changé. Etre vivant·e·s, aujourd’hui, c’est déjà énorme. Combien connaissons nous de personnes LGBTQI qui sont mortes à cause de cette société dans laquelle nous vivons ? Directement où indirectement ? Cette société nous apprend à penser que nous n’avons pas de valeur, que nous sommes faibles, que nous sommes des erreurs de la nature.

Ça donne un sentiment d’impunité à celleux qui nous veulent nous nuire de le faire, que ce soit par une agression homophobe, par des décisions médico-judiciaires qui pourrissent la vie des personnes trans, par des chirurgies génitales non-consenties sur les personnes intersexes, etc.

Ça nous donne le sentiment qu’on ne peut pas agir. Si dans nos têtes nous sommes convaincu·e·s que tout est déjà perdu d’avance, comment pouvons nous gagner dans nos luttes concrètes ? C’est l’une des choses que l’autodéfense féministe nous apprend : 1) nous devons avoir la conviction que nous avons de la valeur, que notre vie mérite qu’on se batte pour elle 2) il faut d’abord s’imaginer que le combat est possible pour s’y engager sinon on est bloqué·e·s par la peur, on se pense déjà mort·e·s, on pense qu’en ne bougeant plus, en se soumettant, on a une petite chance de s’en sortir. Non, nous devons lutter contre cette tentation que la société nous a inculqué depuis que nos vies ont commencé.
L’un des textes de ce manifeste dit que les hétéros cisgenres ne céderont pas parce qu’on leur demande gentiment, parce qu’on aurait fait ce qu’il faudrait pour mériter qu’on nous donne quelques miettes. Non, nous devons utiliser notre force. « Personne ne va nous donner ce qui nous revient. Les droits ne sont pas accordés, ils sont pris, par la force si nécessaire »

« Nous sommes une armée parce que nous devons l’être »

« Les queers sont en état de siège. Les queers sont attaquéEs sur tous les fronts et j’ai bien peur que nous l’acceptions. En 1969, les Queers furent attaquéEs. Ils/Elles ne l’ont pas accepté. Les queers se sont défenduEs, ont pris la rue. Ils/Elles ont crié ! »3

Et nous aujourd’hui, que faisons nous ? Avons nous oublié que nous sommes une armée parce qu’il le faut, parce que nous voulons survivre et même vivre ? Quand le Queer Nation Manifesto a été distribué, on était au début des années 90. On était en pleine épidémie du Sida et le tract dénonçait l’inaction des gouvernements. Qu’en est-il aujourd’hui ? Sur le terrain du Sida et d’une homophobie institutionnalisée, ce n’est vraiment pas terrible. Les campagnes de préventions efficaces et ciblées ne sont pas faites. Des pénuries de traitements contre la syphilis se produisent régulièrement sans que l’état n’agisse sérieusement. Surprise, 80% des diagnostics concernent des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Et sinon, pour rester dans l’homophobie institutionnalisée, on en est où avec la PMA ? L’Elysée y réfléchit en recevant les représentants des mouvements « pro-vie » et des prêtres « spécialistes des questions de bioéthiques ». Et sur les questions de chasse aux migrant·e·s et des expulsions des migrant·e·s LGBTQI, où en est le ministre de l’intérieur ? Et sur les procédures de changement d’état civil pour les trans et pour leur accès à la préservation de leur fertilité, tout va pour le mieux aussi on imagine ?? Et les intersexes, on va laisser encore combien de temps les médecins les mutiler et se faire payer par la sécu pour ça alors que l’ONU a déjà condamné trois fois la France à ce sujet ?

Oui, nous sommes en lutte pour nos vies et ce contre quoi nous luttons ce ne sont pas seulement des homophobes ou des transphobes qui nous tabassent dans la rue parce qu’on est visibles. Nous sommes en guerre contre un système. Et nous ne nous retrouvons pas dans la docilité de l’Inter-LGBT qui prépare les Gay Games et scande « Les discriminations au tapis, dans le sport comme dans nos vies » mais sans dire un mot sur ce que subissent les athlètes trans et/ou intersexes »4 et sans parler des discriminations systémiques d’une manière générale.

« Que faudrait-il pour que l’on cesse d’accepter Cela ? Enragez-vous. Si la rage ne vous donne pas envie d’agir, essayez la peur. Si cela ne marche pas essayez la panique. Sois FierE ! Fais ce que tu dois faire pour te tirer de ton état d’acceptation coutumier. »

Il faut agir maintenant et collectivement !

Oui, je le reconnais, parfois je suis épuisé. Epuisé de voir que nos actions militantes, qu’elles soient en ligne, auprès d’autres associations, dans l’espace public ne produisent pas les changements espérés malgré toute l’énergie investie. Parfois j’ai juste envie de repos. De fermer les yeux, de boucher mes oreilles, de rester chez moi et de ne plus être en contact avec le monde. Mais dans d’autres moment je me remobilise parce qu’il le faut. Je pense que nous sommes beaucoup à vivre ces différents moments.

Parfois on l’oublie mais c’est toujours là. Pour la société, pour les hétéros cisgenres, on a moins de valeur qu’elleux. « En fait, je hais chaque secteur de l’ordre établi hétéro de ce pays – dont les pires veulent activement la mort de touTEs les queers, dont les meilleurs ne lèverait pas le petit doigt pour nous garder en vie. »

Quoi qu’il arrive, nous avons à nous rappeler la place qui est la nôtre. Notre précarité financière, notre obligation d’être dans l’hypervigilance dans la rue, notre impossibilité de parler de certains aspects de nos vies avec nos collègues, avec notre médecin, notre difficulté à trouver un logement, à récupérer un colis à la poste quand on n’a pas les papiers qui correspondent à notre apparence, etc. Et n’oublions pas, comme cette lesbienne le disait à une autre en 1990 : « Tu ne peux pas attendre que les autres gouines rendent le monde safe pour toi. Arrête d’attendre un meilleur futur plus lesbien ! La révolution pourrait être déjà là si on la commençait. »

Sachons écouter celleux qui nous ont précédé

Je laisse maintenant la place à deux citations que j’ai trouvé particulièrement fortes. J’espère qu’elles vous inspireront également.

« Après que James Zappalorti, un homme ouvertement pédé, a été assassiné de sang froid à Staten Island cet hiver, une seule manifestation de protestation eu lieu. Seulement 100 personnes sont venues. Quand Yusef Hawkins, un jeune noir, fut abattu pour avoir été sur « White turf » à Bensonhurst, les AfroaméricainEs marchèrent à travers ce quartier en grand nombre encore et encore. Une personne noire a été tuée parce qu’elle était noire et les genTEs de couleur de toute la ville le reconnurent et en prirent acte. La balle qui toucha Hawkins s’adressait à un homme noir, n’importe quel homme noir. La plupart des pédés et des gouines pensent-illes que le couteau qui transperça le coeur de Zappalorti ne s’adressait qu’à lui ?
Le monde hétéro nous a rendu si convaincuEs que nous sommes sans défense et que nous méritons la violence dont nous sommes victimes, que les queers sont paralyséEs quand ils/elles font face à une menace. Soyez indignéEs ! Ces attaques ne doivent pas être tolérées. Faites quelque chose. Reconnaissez que tout acte d’agression envers unE membre de notre communauté est une attaque envers chacunE des membres de la communauté. Le plus nous autoriserons les homophobes à infliger violence, terreur et peur à nos vies, le plus fréquemment et férocement nous serons l’objet de leur haine. Vos corps ne peuvent être une cible ouverte à la violence. Vos corps valent la peine d’être protégés. Vous avez le droit de le défendre. Quoi qu’on vous dise, votre queeritude doit être défendue et respectée. Vous feriez bien d’apprendre que votre vie n’a pas de prix, parce qu’à moins que vous ne commenciez à y croire, elle pourra facilement vous être prise. Si vous savez comment immobiliser gentiment et efficacement votre agresseur, alors par tous les moyens, faites le. Si vous n’avez pas ces talents, alors pensez à lui crever ses putains d’yeux, lui faire rentrer son nez dans son cerveau, tranchez sa gorge avec une bouteille cassée – faites ce que vous pouvez, ce que vous avez à faire, pour sauver votre vie ! »

« Laissez vous aller à la colère Ils nous ont appris que les bons queers ne se mettent pas en colère. Ils nous l’ont si bien appris que nous ne faisons pas que leur cacher notre colère, nous nous la cachons les unEs aux autres. Nous nous la cachons à nous-mêmes.

Nous la cachons par l’abus de substances et le suicide et en visant haut avec l’espoir de prouver notre valeur. Ils nous tabassent et nous poignardent et nous abattent et nous envoient des bombes en nombre toujours plus grand et pourtant on continue de flipper quand des queers en colère portent bannières et pancartes qui disent « Riposte » (NDT : Bash Back !). Laissons nous aller à la colère. Laisse toi aller à la colère devant le fait que le prix de la visibilité soit la menace constante de violence, de violence anti-queer à laquelle pratiquement chaque parcelle de cette société contribue. Laisse toi enrager qu’il n’y ai aucun endroit dans ce pays où nous sommes en sécurité, aucun endroit où nous ne sommes pas la cible de haine et d’agression, de la haine de soi, du suicide – en dehors du placard. »


1. https://friction-magazine.fr/quest-devenue-la-pride-de-nuit/
2. https://infokiosques.net/spip.php?article808
3. Si les émeutes de Stonewall en réaction aux violences policières sont importantes dans l’histoire des luttes LGBTQI, elles ne doivent pas faire oublier qu’il y en a eu d’autres aussi dans d’autres villes et pays. Voir cet article de Paola Bacchetta. https://friction-magazine.fr/re-presence-les-forces-transformatives-darchives-de-queers-racise-e-s/
4. https://www.lemonde.fr/sport-et-societe/article/2018/04/26/hyperandrogynie-le-nouveau-reglement-releve-d-un-controle-scandaleux-du-corps-des-femmes_5291059_1616888.html


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