"En organisant un partenariat entre Paris Plages et la ville israélienne, les édiles socialistes semblent tout ignorer de la réalité, des plages de Tel-Aviv comme du contexte politique en Israël.
Trois falafels et un peu de musique justifient-ils une telle polémique estivale autour de la manifestation « Tel-Aviv sur Seine » organisée jeudi 13 août par la mairie de Paris ? À première vue non, tellement cette histoire semble montée en épingle à partir de bons sentiments et de réactions épidermiques. Mais à y regarder de plus près, cette polémique est éminemment symbolique d’une absence complète de compréhension des réalités contemporaines de la part du pouvoir socialiste, place de l’Hôtel-de-Ville de Paris, rue de Solférino ou à l’Élysée.
Le symbole, tout d’abord : que sont les plages de Tel-Aviv ? Pour partie des plages privées, gérées par des restaurants ou des grands hôtels, où il faut donc payer pour s’allonger sur un transat. Inutile de dire que si l’on est palestinien, résident ou non en Israël, il est plutôt délicat d’obtenir un coin pour bronzer, même en payant. Il y a bien entendu quelques espaces publics (dont une plage pour les religieux, où les femmes se baignent un jour, les hommes le lendemain, une autre « gay-friendly », et même une pour les animaux), mais il faut aimer être surveillé par des militaires avec des Uzis, susceptibles de contrôler les papiers de tout un chacun. Par ailleurs, les gamins des quartiers arabes tout proches qui tentent de s’incruster sur les plages de Tel-Aviv par les rochers et le bord de mer sont régulièrement chassés par les plagistes et les vigiles…
Est-ce donc ce symbole de plages privées et ségréguées qu’Anne Hidalgo et son équipe entendent célébrer avec l’opération « Tel-Aviv sur Seine » ? Est-ce un modèle pour Paris Plages ? On peut en douter au vu de la communication de la mairie sur le sujet depuis le lancement de l’opération sous Bertrand Delanoë en 2002. Paris Plages s’est toujours présenté comme inclusif, ouvert, participatif et gratuit. Tout le contraire des plages de Tel-Aviv.
Palestine : Monsieur le Président, vous égarez la France
Par Edwy Plenel
Cet aveuglement aux réalités (et on ne parle pour l’instant que de plage, pas de géopolitique) en dit long sur le rapport des socialistes français à la fois à Israël, mais aussi à leurs propres électeurs des classes populaires. Comme si la matrice du PS restait bloquée sur l’époque des kibboutz et d’un parti travailliste progressiste, une époque où la question palestinienne n’était pas aussi présente et n’irriguait pas l’essentiel du rapport à Israël. Comme si l’échec d’Oslo, l’assassinat de l’ancien premier ministre israélien Yitzhak Rabin, l’extrême-droitisation du spectre politique israélien, la colonisation à outrance, les guerres de Gaza et l’assentiment passif des Israéliens eux-mêmes à cette impasse israélo-palestinienne, n’avaient pas imprimé la rétine d’Anne Hidalgo et de ses camarades. Comme si la question du mouvement BDS (boycott-désinvestissement-sanctions), dont on peut légitimement débattre, n’était pas devenue une des principales questions (lire ici notre enquête) posée aux autorités politiques, économiques et culturelles internationales dans leur rapport à Israël. Les socialistes parisiens n’ont apparemment rien perçu de tout cela.
Tel-Aviv n’est pas qu’une ville de fête et d’amusement bon enfant comme la mairie de Paris veut nous le faire croire. Tel-Aviv est avant tout la capitale internationalement reconnue d’Israël (qui, pour sa part, s’est donné Jérusalem pour capitale, au détriment des Palestiniens qui en sont régulièrement expulsés ou qui y habitent encore), le poumon économique et financier du pays. Et, comme le souligne la responsable du marketing de la cité, c’est aussi un argument de vente en faveur d’Israël. Ainsi, pour Hilda Oren, « Tel-Aviv fait partie d’Israël. Nous sommes fiers d’être israéliens. Simplement, nous utilisons [cette image] intelligemment : dans les endroits où la connexion à Israël nous est favorable, nous utilisons la marque du pays. Et dans les endroits où il peut y avoir une connotation négative, nous utilisons la marque Tel-Aviv pour dépasser le conflit » (lire ici le texte du chercheur et membre du parti NPA, Julien Salingue, qui a souligné le premier le discours marketing de Tel-Aviv).
Ainsi, l’argument avancé par les organisateurs de Tel-Aviv sur Seine, qui peut se résumer à l’idée d’une exception culturelle, sonne creux. Il est fondé sur le fait qu’il existerait une dichotomie entre la politique de l’État d’Israël, et la ville de Tel-Aviv, ouverte et pacifique. C’est faux : depuis la fin des années 2000, toutes les guerres menées par le gouvernement sont massivement soutenues par la population israélienne, y compris par celle de Tel-Aviv. En 2008-2009, en 2012 comme en 2014, les manifestants anti-guerre se comptaient en quelques centaines, régulièrement agressés et souvent contrôlés par une police qui profitait de ces rassemblements pour photographier et accumuler les informations sur les participants à ces manifestations. Ces mobilisations ont par ailleurs le plus souvent lieu à Jaffa (lire ici l’un de nos reportages sur place), port plurimillénaire devenu le quartier arabe de la ville, et sont principalement le fait d’associations palestiniennes.
L’argument qui considère qu’il existerait aujourd’hui deux Israël, l’un guerrier et obscurantiste, l’autre pacifique et éclairé, est très loin de la réalité sociétale et politique israélienne (lire ici le constat sévère du chercheur israélien et militant de gauche Hagai Katz, interrogé au lendemain de la dernière guerre à Gaza), qui n’a plus rien à voir avec les espoirs de paix esquissés au cœur des années 1990. C’est la droite qui a été portée à nouveau au pouvoir par les électeurs israéliens en mars 2015 pour mener la même politique que celle déployée depuis 2008, et qui revient à asphyxier Gaza par un blocus, à mener une offensive militaire tous les 18 mois et à continuer de construire des colonies. En Israël, la droite est aujourd’hui toute-puissante, à Jérusalem comme à Tel-Aviv. Et elle ne veut pas la paix.
Le maire de Tel-Aviv depuis 1998, Ron Huldai, un ancien général d’aviation, est surnommé « le maire de la bulle », c’est-à-dire d’une cité qui prospère, fait la fête et se regarde le nombril plutôt que de se préoccuper des problèmes du pays : logement, inégalités sociales, cohabitation avec les Palestiniens. De ce point de vue, le partenariat avec la mairie de Paris fait finalement sens. L’élite socialiste parisienne vit dans le même type de bulle : ignorante des réalités d’Israël et des plages de Tel-Aviv, ignorante du contexte politique international dans lequel Israël est de plus en plus isolé (l’accord sur le nucléaire iranien l’a montré une fois de plus), ignorante du sentiment des gens que Paris Plages prétend défendre.
Delanoë, puis Hidalgo, ont toujours vendu l’opération Paris Plages comme un moyen d’offrir un morceau de sable à ceux qui ne pouvaient pas s’offrir la mer, c’est-à-dire aux classes populaires de la capitale et de sa banlieue (dont une partie non négligeable est de culture musulmane et particulièrement sensible à la question palestinienne). Tel-Aviv sur Seine ressemble donc à une moquerie de ces belles intentions. Et le symbole d’un pouvoir socialiste aveugle, dans sa bulle.
http://www.europalestine.com/spip.php?article10890