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Les soldats de « l’armée de défense israélienne » apprennent à tuer des civils désarmés. Mais ils jouissent de l’immunité face à toute enquête

posté le 03/02/19 par Amira Hass Mots-clés  antifa 

Une armée qui forme des soldats qui tuent un enfant de 11 ans à 100 mètres de distance ne peut pas être prête pour une vraie guerre, sauf pour déposséder et expulser des civils palestiniens.

Le général de division de réserve Yitzhak Brik, ombudsman de l’armée israélienne, n’est pas prêt à reconnaître le véritable problème de l’armée israélienne et de ses soldats. Quel genre d’armée pouvons-nous avoir lorsque les soldats, les commandants et les juristes ont été formés – et formeront d’autres – à penser qu’il est légitime et naturel de tuer des manifestants civils non armés de l’autre côté de la clôture frontalière de la bande de Gaza et d’entrer par effraction, masqués et armés jusqu’aux dents, dans des logements gazaouis pleins d’enfants au milieu de la nuit ?

Ces soldats et ces commandants sont persuadés qu’ils méritent le titre honorifique de « soldat combattant » parce qu’ils bloquent des routes et chassent les gardiens de troupeaux sur ordre des colons juifs, blessent les agriculteurs sur leurs terres ou escortent les fonctionnaires de l’administration civile lorsqu’ils démolissent une citerne et une conduite d’eau. Pire encore, leurs parents et leurs enseignants, ravis, sont convaincus qu’ils sont dignes d’être appelés « soldats combattants ». Comment pouvons-nous imaginer que ces gens soient prêts à la guerre ?

Brik du reste se protège de manière confortable de toute critique, d’une surveillance externe à l’institution militaire et de toute réprimande. Brik se préoccupe avant tout d’armes à feu qui n’ont pas été bien nettoyées, des responsables soucieux du montant de leurs pensions ou de leur retraite anticipée. Cette protection lui est assurée par la multitude de numéros de téléphones portables et de moyens de communication similaires.

Voilà quels sont les « graves problèmes » qui suscitent l’intérêt des politiciens et des médias depuis six mois. Par contre, le fait que nos soldats – en tant que fidèles représentants du peuple d’Israël – soient formés pour servir de gardiens de prison, au besoin en recourant à une violence meurtrière contre 2 millions d’êtres humains (à Gaza), n’est pas considéré comme étant un « grave problème ». Pas plus le fait que nos soldats soient déployés pour garantir le succès des projets d’expulsion de leurs terres par des colons de Palestiniens.

Hébron, 2014. Dans le nouveau recueil de témoignages de l’organisation « Occupying Hebron », un lieutenant de la brigade Nahal raconte à Breaking the Silence [ONG composée d’anciens combattants de l’armée israélienne au cours de la Seconde Intifada, en 2002, et qui perpétue cette tradition de témoignages] : « Il y a eu aussi un cas où l’un des colons a donné une hache à un soldat qui avait tiré dans le genou d’un Palestinien. Une hache [qui, symboliquement, implique de lui couper la jambe]. Mais le commandant du bataillon dit aussi que quiconque tue un terroriste ou « détruit » un genou pour handicaper à vie la personne. Il s’agit ici d’une phrase décrivant le fait de viser les jambes d’une personne avec l’intention de blesser et non de tuer, conformément aux règles d’engagement de l’armée israélienne. Ce soldat a eu droit à un congé spécial pour le week-end, c’est-à-dire partir dès le jeudi. »

Autre témoignage : « Un de mes soldats qui avait tiré une balle dans le genou [d’un Palestinien] avant que je n’arrive, a reçu une médaille ainsi qu’un congé de fin de semaine à partir de jeudi. Après tout, ils vous entraînent à devenir soldat et un soldat est censé vouloir se battre. Et ensuite on arrive dans un endroit comme Hébron, où ce n’est pas la guerre, alors tout votre enthousiasme à vous battre se résume finalement à tirer dans le genou de quelqu’un. »

Pour nos soldats, appuyé par un système de protection au plan militaire, légal et philosophique, « l’héroïsme patriotique » signifie tirer dans les genoux de jeunes désarmés (ou armés de pneus en feu) à une distance de 100 à 150 mètres (c’est ainsi que, suite aux démonstrations du vendredi sur la frontière, la Bande de Gaza est pleine de jeunes hommes qui sont blessés à vie, entre autres aux membres inférieurs) ou viser un enfant et le tuer, un enfant qui tenait à la main – ou non – un « missile nucléaire » (c’est-à-dire… une pierre).

Depuis le début des manifestations du vendredi placées sous le nom symbolique de Marche du retour [faisant référence au droit du retour], dès la fin du mois de mars 2018, nos soldats combattants, ces héros, ont abattu 35 enfants (on a utilisé le terme équivoque de « mineurs » , car après tout, ce ne sont que des Palestiniens) qui ont protesté près de la clôture de barbelés [fil d’acier intégrant des lames similaires à des rasoirs] contre leur étranglement, en tant que Gazaouis, étranglement fruit du blocus [qui empêche l’importation d’aliments, de médicaments, de matériel de reconstruction, etc.].

Quatre enfants tués
La cible habituelle de nos soldats étant si vulnérable et facile à atteindre, comment pourraient-ils être prêts pour mener une guerre contre une vraie armée ? Brik ne se pose pas cette question.

Le 21 décembre 2018, nos soldats ont tué trois manifestants palestiniens près de la clôture de ce camp de concentration qu’est la Bande de Gaza. L’un d’entre eux était Mohammed al-Jahjuh, âgé de 16 ans, du camp de réfugiés de Shati. Selon le Centre palestinien pour les droits humains, une balle l’a touché au cou.

Brik, comme une grande partie de la société israélienne et de ses politiciens, n’a même pas imaginé de tenir compte d’un rapport palestinien. Mais même les rapports de B’Tselem [Centre israélien pour les droits humains] et de Breaking the Silence dépassent les limites de sa franchise et de sa volonté de mener une enquête.

Fin novembre, B’Tselem a publié un rapport sur quatre enfants qui ont été tués par balle par nos soldats combattants, des soldats anonymes et les enfants adorés par leurs fiers parents. Les assassinés sont : Naser Musbeh, 11 ans ; Fares Sarsawi, 13 ans ; Ahmed Abu Habal, 15 ans et Suhayb Abu Kashaf, 16 ans.

Les témoignages sont émotionnellement pénibles à lire. On en lit quelques phrases et on s’arrête pour reprendre sa respiration. La solution de Brik comme celle israélienne habituelle, consiste à ignorer les rapports d’enquête comme ceux-ci et comme des milliers d’autres.

Le petit Naser Musbeh, né au milieu de la guerre et du siège de Gaza, s’était joint à ses deux sœurs volontaires du Croissant-Rouge palestinien pour les aider à évacuer les blessés lors des manifestations près de la clôture de barbelés. Ces enfants grandissaient aussi rapidement que ceux du ghetto de Varsovie et de la ville d’Alep [Syrie] sous les bombardements de Bachar al-Assad et de ses alliés russes.

Pour répondre aux besoins, Naser a couru de la clinique mobile pour apporter des fournitures de premiers soins. Le 28 septembre, à 17 h 45, après avoir couru pour apporter quelque chose à sa sœur, on l’a vu, debout, à 90 ou 100 mètres de la clôture, dans la région de Khuza’ah, à environ 80 mètres d’une autre clôture de barbelés posée par l’armée israélienne dans la même zone. Il regardait vers les tentes, qui se trouvaient encore plus loin. Soudain, il est tombé par terre.

Un médecin volontaire qui a couru vers lui a raconté : « Quand je suis arrivée vers lui, il était allongé sur le dos. On lui avait tiré une balle dans la tête et une partie de son cerveau s’écoulait de son crâne. »

Une armée qui forme des soldats pour abattre un enfant de 11 ans à plus de 100 mètres de distance ne peut pas être prête pour une vraie guerre, elle n’est capable que de déposséder et expulser des civils palestiniens [dans le cadre d’une politique de colonisation].

(Article publié dans le quotidien israélien Haaretz le 31 décembre 2018 ; traduction A L’Encontre, titre de la rédaction A L’Encontre)


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