Noël Godin, l’entarteur: "BHL restera toujours la tête à tarte par excellence"
Samedi 30 mai, le célèbre entarteur belge Noël Godin, 69 ans, s’en est pris pour la huitième fois à Bernard-Henri Lévy, invité d’un dialogue croisé avec Jan Fabre dans l’église Saint-Loup de Namur. Pourquoi un tel acharnement ? D’où sort la dédicace à Siné ? Et qu’est-ce que Baudelaire vient faire là-dedans ? Entretien avec Noël Godin, dit « Le Gloupier ».
Pourquoi avoir entarté pour la huitième fois celui qui semble être votre ennemi de toujours, Bernard-Henri Lévy ?
Noël Godin - Il restera toujours pour nous la tête à tarte par excellence. C’est l’incarnation du pouvoir dans toute son horreur et nous avons le poil particulièrement hérissé par son arrogance nombrilesque. Il se prend tragiquement au sérieux, est de plus en plus influent et absolument antipathique. Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de chauffeurs de taxi et de barmen que nous avons rencontrés qui nous ont dit : "Il nous a pris de haut." Nous luttons contre cette personnification méprisante du pouvoir.
Est-ce ce qui relie toutes vos victimes, de Marguerite Duras à Jean-Luc Godard?
Non, c’est beaucoup plus complexe que ça. BHL fait partie de la deuxième phase de notre croisade pâtissière. Au début, on s’en prenait canularesquement à ce que nous appelons des "cornichons culturels" qui nous agaçaient particulièrement. Mais Godard, par exemple, reste mon réalisateur favori. J’adore Adieu au langage. Nous l’avons entarté car durant le tournage de Je vous salue Marie, voilà que Godard se convertit ! Le film scandalisait pas mal d’intégristes alors qu’il s’agissait pour nous d’une Saint-Sulpicerie. Donc, quand on a appris qu’il faisait retirer le film des salles avoisinant le Vatican, que le grand mécréant Godard s’agenouillait devant le gangstérisme pontifical, ça a été un coup dur pour nous. On a alors monté le safari pâtissier avec des godardophiles au festival de Cannes.
Comment a-t-il réagi ?
Souverainement bien, en déclarant lors d’une conférence de presse à Cannes : "C’est le cinéma muet qui rattrape mon cinéma !". C’est sublime! Il a appris que je n’étais plus accrédité à Cannes, et, alors qu’il n’était plus sur le festival, a exigé qu’on me rende mes laissez-passer de presse. Il a été grand seigneur et ça tombe bien car c’est la seule d’entre toutes nos victimes célèbres que nous aimions vraiment.
BHL n’a, lui, pas l’air de bien réagir !
Lui c’est tout le contraire, il réagit très très mal ! Comme il est très accroché à son image, il s’agit d’une véritable catastrophe pour lui. Il en oublie les caméras pendant quelques instants et réagit par des coups de poing nerveux. Mais la vraie cata, c’est quand des humoristes le reprennent, quand les Guignols reconstituent ses désagréments avec la chantilly, quand Desproges s’en empare, ou la chanson de Renaud… C’est terrible pour lui quand les entartrements ont des rebondissements !
Comment s’est déroulée l’action de samedi ?
Comme il y avait beaucoup de chances qu’elle soit attendue, et que le dispositif de sécurité soit sophistiqué, nous sommes venus en nombre pour pouvoir surgir de partout. Les quatre tartes qui ont atteint son auguste visage étaient d’ailleurs balancées par de belles pétroleuses déchaînées. Ce qui est important à souligner, puisque BHL incarne aussi le phallocratisme le plus gluant. On a tous entonné des "gloup gloup" et le cri de guerre gloupinesque "entartons, entartons les pompeux cornichons". Nous sommes ensuite partis bras dessus bras dessous pendant qu’il allait se changer. On s’est retrouvés à l’autre bout de la ville avec trois combi de la gendarmerie, qui ont relevé nos identités. Mais nous avons eu la chance de tomber sur des flics courtelinesques, très amusés par ce qui s’était passé ! (Rires)
Y a-t-il déjà eu des poursuites en justice ?
BHL n’a jamais porté plainte, car ça serait cata pour son image ! Moi j’ai eu de gros problèmes en France avec Jean-Pierre Chevènement, qui a porté plainte [il avait été entarté en 2002 au Salon du Livre, ndlr]. Ça s’est plaidé en grand procès comique totalement mémorable, Chevènement expliquant sans rire, comme si c’était un Debord, que les hommes politiques ne vivent qu’à travers leur image, qu’elle est leur principal capital, que la souiller revient à les souiller dans leurs fonctions fondamentales, et qu’il préférerait dès lors recevoir des gifles plutôt qu’une tarte à la crème. Nous avons été condamnés, en appel et en Cassation. Chevènement voulait même que la tarte à la crème soit désormais considérée comme une arme par destination.
On était dans l’absurde le plus ubuesque. C’était la catastropphe pour nous, car si on avait un avocat gratos pour les deux premiers procès, ça n’était pas le cas pour celui en cassation. On devait sortir beaucoup d’argent. Mais ce fut le conte de fées, nous avons monté une "gloup gloup party" dans une boîte à la mode à Bruxelles. Un millier de personnes sont venues en soutien, et des people nous ont offert des cadeaux pour la vente aux enchères, comme Lio et sa petite culotte bateau légendaire ! On a donc pu rassembler la somme qu’il fallait en quelques heures et recommencer !
D’où vient votre fameux cri de guerre, "gloup gloup" ?
Ça vient d’une BD de l’époque, que des amis bordelais faisaient. Il n’y a pas de vraie explication. C’est gloup gloup, c’est comme ça. Pour la petite anecdote, ce qu’’il y a de terrible pour BHL ce sont les menaces fictives. Il y a un an, il se trouvait à Barcelone dans le même hôtel qu’une amie, la pamphlétaire Corinne Meyer. Elle lui a déposé un petit message à la réception sur lequel était simplement marqué “gloup gloup”. Il l’a déchiqueté et a refusé de sortir de sa chambre par la suite ! Il est resté confiné juste pour avoir lu "gloup gloup" !
Vous considérez-vous comme une troupe de théâtre ?
On peut considérer qu’on pratique le happening théâtral, entre le Living Theatre de la grande époque, et la première phase du Grand Magic Circus [compagnie du metteur en scène Jérôme Savary, ndlr] puisque l’on se situe dans la drôlerie rocambolesque la plus totale.
Peut-on y voir, aussi, un geste politique ?
Oui, on peut considérer que l’attentat pâtissier est l’équivalent de la fameuse lettre d’insultes que les dadaïstes, puis les surréalistes puis les situationnistes envoyaient à des célébrités qui leur bavaient fort sur les rouleaux. C’est une lettre d’insulte vivante qui vous explose au visage et vous dégouline dans le cou !
Pourquoi avoir choisi la tarte à la crème ?
On s’est dit que pour mettre dans l’embarras les puissants de ce monde, il fallait de la crème. C’est plus symbolique que les œufs ou les tomates. De plus, ayant tous été élevés avec les cartoons comme Bugs Bunny, on est compris dans le monde entier. La tarte à la crème constitue pour nous l’espéranto idyllique.
Vous faites vos tartes ?
Normalement, nous les achetons chez un tout petit pâtissier artisanal. Mais parfois c’est plus compliqué lorsqu’il y a des fouilles à l’entrée, comme samedi dernier où il n’y avait pas moyen d’avoir de belles tartes dans nos bagages. Dès lors, on doit recourir à des méthodes plus grossières : fond de tarte dans les culottes et bombes chantilly pour confectionner la tarte au tout dernier moment. C’est le seuil moyen de réussir sans que notre artillerie soit confisquée.
Pourquoi avoir dédié cette action à Siné ?
Il a été témoin à charge dans le fameux procès intenté par Philippe Val contre Siné, le taxant d’antisémite alors qu’il a passé toute sa vie à guerroyer contre toute forme de racisme. BHL était un témoin de choc de l’accusation. J’ai voulu faire plaisir à notre très bien aimé Siné qui, à 86 balais, circule dans un fauteuil roulant surmonté d’un drapeau pirate !
BHL vous a par la suite qualifié "d’incultes qui ne savent même pas qui est Baudelaire". Noël Godin, connaissez-vous Baudelaire?
Etre traité d’inculte peut être très amusant. En l’occurrence, la plupart de mes complices de samedi étaient des étudiants en lettres et quelques écrivains. Et j’ai à l’instant sous les yeux, Baudelaire: L’irréductible d’Antoine Compagnon, paru aux éditions Flammarion, qui est pas mal du tout. C’est amusant qu’il en soit réduit à nous traiter d’incultes ne connaissant pas Baudelaire. C’est même à mourir de rire qu’il en arrive là !
Vous parlez d’étudiants en lettres, votre groupe d’entarteurs est-il ouvert à tous ?
Nous sommes une internationale composée de plusieurs sections "gloup gloiup" dans différentes métropoles. Nous procédons comme les flibustiers libertaires du XVIIe siècle. C’est-à-dire que nous refondons l’internationale pour des raisons précises comme ici l’entartrement de BHL. Il n’y a pas de chef, pas de hiérarchie. On tombe tous d’accord sur la cible, on boit considérablement lors des réunions, on trousse notre action, puis l’Internationale se dissout aussitôt, comme les pirates qui, une fois qu’ils avaient pris d’assaut un bateau amiral et s’étaient emparé du butin, partaient chacun de leur côté. C’est notre modèle d’organisation, un peu comme certains groupes d’action autonome, comme les Black blocs. On se veut tous anar, opposés à toute forme de pouvoir et d’Etat.
Il s’agit de guerroyer dans le plaisir, comme le faisaient les Yippies américains [Youth international party, parti politique libertaire fondé en 1967 aux Etats-Unis, ndlr], un courant encore plus chouette que celui des situationnistes. Ils ont multiplié les canulars et modes d’agitation contre les pouvoirs avec une inspiration totale. C’est notre modèle à proprement dit : opérer dans la joie de vivre et l’amour, la passion pour toutes les bonnes choses. Nous sommes aimantés par les bières artisanales belges qui nous entraînent à aller plus loin tout en attisant notre lucidité critique !
Quel est votre meilleur souvenir d’entartement ?
Lorsque nous avons attaqué Bill Gates [en 1998 à Bruxelles, ndlr], nous nous confrontions à des gardes du corps armés. Nous avions bu de bonnes bières pour aller au casse-pipe. Nous sommes partis en chantant un vieux chant anar ukrainien (il chantonne). J’avais bien recommandé à tous les complices de sourire et de faire "gloup gloup gloup" pour qu’on ne se prenne pas de rafales dans le buffet. Il s’est produit un entartrement très international. On ne pensait pas qu’il aurait un tel retentissement dans le monde. On s’est alors rendu compte que même le maître du monde effectif pouvait être tué par le ridicule, par de petits garnements sans un sou vaillant mais tous déterminés !