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Lettre aux confiné-es

posté le 19/03/20 Mots-clés  solidarité 

Chères Bruxelloises, chers Bruxellois,

Nous vous écrivons cette lettre de notre cocon saint-gillois où nous passons notre confinement avec Giuseppe, le petit chien. Comme tous et toutes, nous sommes bombardées d’informations de tous les côtés, 24h/24 depuis le début de la pandémie, et nous voulons apporter nos réflexions à celles déjà existantes, nombreuses, sans avoir peur de la répétition : ce n’est pas grave de répéter ces choses-là.

Les inégalités et la précarisation seront notre sujet. Parce qu’elles vont grandir. Et sans même parler de cet accroissement, elles deviennent plus visibles, c’est peut-être le moment de se sentir véritablement concerné-es.

Ce matin, nous avons accompagné Giuseppe pendant sa promenade. Commençons par ce que nous avons observé, ce qui n’a pas pu échapper à notre regard.

Les personnes sans abri se trouvent toujours dans les rues, dans les parcs : comment se confinent-elles ? Qui les aide et s’en soucie ? Au-delà de ces questions que nombre d’entre-nous s’est déjà – à raison – posées, considérons-en d’autres.
Les réseaux associatifs qui distribuent des repas aux personnes qui en ont besoin, heureusement continuent leur travail : bravo et merci ! Mais, les mesures de distanciation obligent à attendre dehors, dans une longue file étendue : user des réseaux de solidarité existants devient manifeste, cela se fait aux yeux de tous et toutes. Il en résulte une violence pour celles et ceux qui ne souhaitent pas cette exposition. Avec la situation actuelle, elle est nécessaire : elle n’en reste pas moins dramatique.
Les quelques personnes croisées dans la rue sont des hommes. Plus que d’habitude. L’espace public se défait de ses femmes : elles sont à la maison à s’occuper des enfants, elles remplissent massivement les emplois nécessaires : infirmières, caissières, employées d’entretien, de crèche. Que cela nous serve de signal d’alarme : les fonctions nécessaires sont les « basses » fonctions, assumées par les femmes, et plus généralement, par les personnes fortement susceptibles d’être en situation de précarité. N’excluons tout de même pas les médecins, évidemment nécessaires, mais qui semblent être les seul-es à qui s’adresse les remerciements.

Regardons plus loin, ce qui saute moins aux yeux lorsque l’on se promène, mais qui existe, et que nous devons considérer.
La présence accrue de la police constitue un danger croissant pour les personnes qui sont habituellement les premières victimes de pression policières : les personnes sans-abri, racisé-es, sans-papiers.
Pensons également aux personnes enfermées dans les centres fermés et les prisons : on ne les voit pas dans la rue, mais alors que nous parlons sans cesse de distanciation sociale, que leur proposons-nous ? Les émeutes dans les prisons italienne n’ont eu que peu d’écho : plusieurs morts, assassinés parce qu’inquiets pour leur santé. Ici, on demande aux détenus de se rendre « efficaces » en confectionnant des masques de protection : enfin une utilité à ces parias ! ont-ils eux-mêmes des masques, des gants, des gels nettoyants pour se protéger ? permettez-nous d’en douter. Quant à celles ou ceux qui se sont proposé d’elles ou d’eux-mêmes de le faire, les honorerons-nous ?

En règle générale, que dire du confinement à deux vitesses ?
En Belgique, une interdiction de se rendre dans les résidences secondaires à été mise en place (ce qui n’est pas le cas en France qui accueille notamment Berlusconi les bras grands ouverts, à Nice). Nous saluons cette décision, mais le phénomène en lui-même est révélateur que nous ne sommes pas tous et toutes égaux et égales face aux restrictions : certaines personnes ont le luxe (ou l’ont entrevu) de se retirer dans un endroit plus agréable, ont le luxe d’avoir une deuxième maison, alors que d’autres n’en ont même pas une.
Nous avons déjà souligné que les métiers essentiels étaient souvent occupés par les personnes les plus précarisées, mais il existe beaucoup d’autres cas de figure : l’économie doit tourner ! De ce fait, de nombreux travailleurs et de nombreuses travailleuses sont appelé-es à se rendre sur leur lieu de travail, bien que la situation sanitaire ne le requière pas. Ces personnes ne sont pas les cadres, les universitaires, les managers ou encore les chargé-es de communication, qui elles, travaillent en sécurité, chez elles. Avez-vous déjà vu un maçon en télétravail ? Non, mais nous l’avons vu ce matin dans la rue.
Nous ne nous pouvons nous taire sur le fait qu’on considère les précaires comme sacrifiables. L’exemple le plus évident concerne les livreurs et livreuses. Alors qu’ils et elles se battent depuis des mois pour faire valoir leurs droits, s’ajoute aujourd’hui le risque pour leur santé, leur vie. Nous ne pouvons plus aller au restaurant ? Faisons-nous livrer notre nourriture ! Nous voulons nous occuper pendant notre quarantaine ? Faisons-nous livrer de la lecture ! C’est indigne. Limitons nos achats en ligne, maintenant bien sûr, mais aussi après.

Enfin, considérons l’appel aux solidarités émis par les différents États. Oui, soyons solidaires, évidemment. Mais il nous faut garder à l’esprit que cette demande reflète un manquement de ces États : ils appellent à la responsabilité individuelle pour masquer les défaillances d’un système. Nous ne voulons pas vous interpeller pour vous dire d’aller faire les courses pour votre voisin âgé, nous savons que vous le ferez, mais pour que tous et toutes nous nous mettions face à la réalité indécente, violente, révoltante. C’est une globalité qu’il faut revoir. Arrêtons de nous extasier sur les millionnaires qui ouvrent leurs hôtels. Créons une société où aucune vie ne vaut plus qu’une autre.

Pour finir, remercions les oublié-es, que nous avons bel et bien vu à l’œuvre ce matin : le maçon, la femme qui gère la file du supermarché et aide les personnes âgées, l’employée de magasin, et plus généralement, tous ceux qu’on oublie dans les hautes sphères.
Rappelons-nous de nos privilèges : nous avons un toit, nous sommes « enfermé-es » chez nous, mais c’est un enfermement somme tout très partiel, nous avons de quoi faire nos courses dans les supermarchés affolés, nous n’avons pas à risquer nos vies et celles de nos proches pour servir les autres.
Les mesures actuelles visent à protéger les personnes fragiles ; mais n’oublions pas que ces personnes ne sont pas uniquement celles auxquelles on pense : aux personnes âgées et aux personnes malades, viennent s’ajouter toutes celles dont nous avons parlé aujourd’hui. Et sans doute d’autres.
Nous appelons tous et toutes, y compris nous-mêmes, à la bienveillance, à la prise de conscience : veillons sur les autres, qu’ils soient proches ou loin, visibles ou invisibles.

Prenez soin de vous,
Deux féministes et Giuseppe le chien.


posté le Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article
Commentaires
  • 20 mars 2020 15:34, par une bruxelloise

    Merci pour ces réflexions qui montrent les priorités à prendre en compte en ces temps bombardés d’infos

  • 22 mars 2020 02:32, par jean

    Le 2 poids 2 mesuresnest de plus en plus flagrant de nos jours. Pour ma part j’ai choisi de me former durant ma cessassion d’activité.

    Voir en ligne : Formation Gratuite

  • 23 mars 2020 08:11, par Michelle

    comment va-t-on obtenir l’autorisation de sortie pour s’occuper de nos animaux qui restent a l’exterieur ? Nos chevaux en pension a 50km de chez nous. Ca reste un vrai probleme pour la sante de nos pensionnaires.

    Voir en ligne : Notre centre

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