Pour nous, un Centre Social Occupé Autogéré correspond à toute une série de choses. Nous allons revenir dessus par la suite. Mais nous pouvons déjà affirmer que ce que nous croyons être un CSOA ne correspond plus à la réalité du passepartout d’aujourd’hui.
Pour simplifier, nous pouvons dire que le CSOA ne ressemble plus à ce que nous voulions en faire quand nous l’avons ouvert le 23 mai 2010. Les murs ainsi que l’architecture même du lieu (les menaces d’effondrement, les fissures, les fuites, les toilettes, les vitres cassées,...) reflètent concrètement la nécessité d’en faire le bilan. Le CSOA s’est organisé comme un collectif de collectifs mais finalement tous ces collectifs se sont retranchés dans leurs coins respectifs principalement à cause des conflits non résolus. Les difficultés ont surgi et nous avons été incapables de les résoudre. Ce constat est aussi un aveu d’échec car nous n’avons pas pu nous remettre en question ni affronter ce changement.
Un CSOA poursuit une série d’objectifs que nous avons réussi à concrétiser : subvenir à ses besoins, s’habiller, se nourrir, se retrouver, être mobile, construire une autonomie collective en remettant en question les normes de l’individualisme et de la rentabilité,... Cependant, porter un projet de CSOA nécessite aussi le respect d’une série d’engagements : entretenir des liens étroits avec le quartier, avoir une vision réaliste de l’état du bâtiment, expérimenter un fonctionnement collectif et autogestionnaire, défendre et prendre soin du lieu,... Or malgré les nombreuses tentatives pour les respecter, le CSOA s’en est progressivement éloigné. Dès lors nous nous sommes posé la question : quel sens cela aurait-il de continuer notre projet ?
Ce qui a bien fonctionné
Le passepartout est devenu un lieu important à Liège parce que des activités ne trouvant pas place ailleurs s’y sont déroulées. À ses débuts, il a connu une dynamique très enrichissante. Plusieurs collectifs s’étaient réappropriés un lieu déserté par la ville qui comme seule alternative a envisagé celle d’un nouveau commissariat de police, exprimant sa volonté d’assurer un meilleur "contrôle social" du quartier dans la perspective de le gentrifier en renforçant un processus déjà bien entamé (hôtels de luxe, gare, nouvelles constructions,...).
Le CSOA s’est créé dans une perspective de résistance et d’émancipation collective. Un travail préalable à l’ouverture a abouti à l’écriture d’une charte de fonctionnement. En plus des activités récurrentes des collectifs s’y sont développés des ateliers de discussions et des débats, des projections, des soutiens à la logistique d’actionsmilitantes qui ancraient une volonté d’agir sur différents champs afin de porter un projet social en accord avec les valeurs politiques de l’autogestion.
Véritable lieu de rencontre, le CSOA a permis à beaucoup de liégeoisES d’échanger, de militer, de s’amuser, de se retrouver, de se construire politiquement... ce pourquoi il est devenu un lieu cher à nombre de cœurs.
Cela ne nous a pas empêchéEs de nous figer dans un fonctionnement peu propice à la remise en question et de subir le décalage entre la théorie et la pratique. Nous avons donc ressenti le besoin de réfléchir sur cette aventure et de nos discussions ont surgi une série de contradictions que nous avons besoin de développer.
Le collectif VS l’individu.
Le projet du CSOA pose d’emblée qu’il y a un collectif or il n’y en a pas. Cette absence de sentiment collectif s’est fait ressentir à de nombreux niveaux, que ce soit dans la mise en place d’une organisation (AG,...) ou bien dans la représentation du lieu (communication vers l’extérieur,...). Le lieu collectif s’est divisé en autant de pièces qu’il y en avait dans le bâtiment. Ce lien ténu qui nous réunissait n’a pas tenu dans le temps.
Ce centre social créé au départ par et pour des collectifs a été progressivement investi par des individus et déserté par les collectifs. Mais la structure est restée la même, elle n’a pas été remise en question. Et nous n’en avons pas assez tenu compte. Nous aurions peut-être dû rechercher un moyen de fonctionner collectivement avec des individuEs car nous avons fini par être dépasséEs par les initiatives individuelles.
Au sein de cette notion de collectif qui nous échappe, se pose alors la question de l’affinité. Les affinités qu’elles soient politiques ou amicales font partie intégrante d’un lieu comme le passepartout. Or c’était justement le pari, en créant le projet du CSOA, de les dépasser. En tant que laboratoire, le CSOA devait nous apprendre comment fonctionner au-delà de nos affinités. Pour favoriser ce mode de fonctionnement nous avons créé un cadre et des règles difficiles à remettre en cause. Et à mesure que ce cadre s’est délité, l’affinitaire est redevenu de plus en plus présent.
Dans toute dynamique collective, il peut y avoir des conflits ; un des enjeux d’une organisation horizontale est de les dépasser afin d’arriver à un compromis consenti par tous les individuEs ou les sous-groupes d’une assemblée. Malheureusement les rapports de domination qui nous entourent nous ont rattrapéEs. Les personnes qui ressentaient des besoins particuliers n’ont pas assez été prises en compte.
Horizontaliser les décisions et les rapports humains n’est pas un fonctionnement acquis. Comment pourrions-nous le considérer comme tel alors que nous sommes etavons été bercéEs dans des relations de pouvoir ?
Nous considérons qu’il faut envisager l’horizontalité comme une finalité, un but à atteindre nécessitant des remises en questions perpétuelles. Privilégiant la gestion de l’agenda plutôt qu’une des valeurs fondamentales du lieu, l’AG a cristallisé un fonctionnement qui s’est verticalisé au fur et à mesure du départ des personnes frustrées par une mauvaise gestion des conflits.
La charte VS la réalité.
Il y a clairement un conflit entre les engagements (règles fondamentales) tels qu’ils sont énoncés dans la charte (responsabilisation individuelle et collective, rejet du capitalisme et de toutes ses formes de domination notamment) et la pratique. Et en nous confrontant à la réalité, nous avons constaté qu’il existait une différence claire entre les règles organisationnelles et les valeurs fondamentales qui sous-tendaient le CSOA via sa charte. La charte posait le projet comme une réalité atteinte alors qu’elle exprimait des objectifs à atteindre sans envisager les outils nécessaires à sa réalisation. C’est précisément cette distinction que nous n’avons pas su voir.
D’autre part nous n’avons pas su remettre en question les règles de vie, régulièrement enfreintes : pas de chien au CSOA, pas de lieu d’habitation, etc. Cela a contribué à générer des règles informelles en contradiction avec le projet de départ et des manques de communication et d’attention à l’autre... Or le fonctionnement n’étant pas donné, il aurait fallu être encore plus attentif-ve aux besoins de touTEs.
Par ailleurs la charte précise quelles activités se tiennent au CSOA. Nous ne pouvons que constater que beaucoup de choses très diversifiées se sont déroulées au CSOA. Mais nous constatons également que de nombreux collectifs qui portent un contenu politique ont déserté le passepartout. Le sens des activités qui se déroulent au CSOA aurait disparu.
De la même manière, la volonté d’ouverture vers le quartier n’a jamais vraiment abouti, d’une part par manque de suivi et de soutien entre nous dans nos projets aussi beaux nous semblaient-ils (l’exemple des bacs potagers sur le parking ou de la bibliothèque) et d’autre part par manque de réponse positive de la part des voisins.
Les causes de cette distance sont multiples et il faudrait consacrer du temps à les identifier et à les exprimer. Par contre le magasin comme l’atelier vélo sont des exemples concrets de réussite à ce niveau-là. Mais d’une manière générale le CSOA est resté retranché derrière ses murs comme derrière une barrière au sein du quartier. Cet isolement de la même manière que la transformation du centre social en un lieu d’activités culturelles alternatives ne contribuait-il pas à long terme à une gentrification du quartier ?
Ce sentiment nous amène à une autre contradiction : la notion même d’engagement.
L’engagement
Nous avons besoin de développer des expériences et des réflexions politiques différentes (rejet des partis, recherche de prise de décisions collectives, partage des tâches,...) et en même temps nous avons besoin de public pour vivre ces expériences, ensemble hors de la norme. Or certaines activités qui amènent du monde ne nous permettent pas d’être cohérentEs car la démarche politique se perd facilement au profit de la démarche consommatrice.
Parallèlement, suite à la désertion du collectif dans les AG et dans le lieu, un groupe d’individuEs s’est retrouvé prisonnier d’obligations et du rôle de responsable, en opposition avec celui de consommateurICE du lieu. Or dans le projet d’autogestion que nous envisageons, il n’est pas censé y avoir des individuEs responsables d’un côté et des consommateurICEs de l’autre. Cela nous a menéEs vers une verticalisation du fonctionnement, passivité consommatrice en bas et activisme forcené en haut. C’est une opposition que nous n’avons pu résoudre.
Conclusion
Cette situation problématique ne serait-elle pas le signe de l’impossibilité de poursuivre notre projet sans en faire un bilan indispensable et conséquent ?
Nous concluons sur le constat d’un échec. Celui-ci n’est pas forcément négatif. Nous avons pris du plaisir à faire vivre un territoire en dehors des normes, c’est aussi pourquoi nous y sommes tellement attachéEs. Nous espérons aussi apprendre de nos erreurs et faire vivre d’autres lieux, d’autres espaces de résistance.
Il nous paraît aujourd’hui légitime de considérer que le projet du CSOA le passe- partout est arrivé à sa limite. Finalement ce ne sont ni la police ni la presse populiste ou encore la ville qui ont eu raison de nous mais bien nos propres difficultés à communiquer, à nous écouter, à dépasser nos egos, à construire des rapports égalitaires, à vivre collectivement et à nous émanciper qui nous ont conduitEs dans cette impasse. Tels sont encore les défis que nous chercherons à relever pour recommencer de plus belle.
Et comme la terre est à celleUI qui la travaille, les murs du 8 rue Hocheporte sont toujours debout...
Signé : AG du passepartout, avril 2015
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