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Maccarthysme à la française, l’indignité du CRIF

posté le 25/07/18 par  Dominique Vidal Mots-clés  antifa 

Dimanche, Francis Kalifat a utilisé la tribune de la Journée à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites pour m’attaquer ad hominem. Voici ma réponse.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les dirigeants du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) pratiquent le chantage à l’antisémitisme pour mieux soutenir la politique de la droite et de l’extrême droite israéliennes.

Nombre d’intellectuels critiques en ont été victimes depuis une quinzaine d’années, d’Edgar Morin à Pascal Boniface et de Daniel Mermet à Danièle Sallenave, de Charles Enderlin à Sami Naïr et de Rony Brauman à Eyal Sivan...

L’attaque à laquelle Francis Kalifat, le président du CRIF, s’est livré contre moi dimanche est toutefois très particulière. Parce qu’il l’a lancée à l’occasion d’un discours officiel. Et parce qu’elle était ad hominem. Selon lui, la tribune que j’ai publiée récemment sur le site du Monde relèverait d’"un anachronisme dangereux" et d’une "naïveté coupable" en niant le caractère antisémite de l’antisionisme : je reproduis ci-dessous cet article, afin que chacun puisse mesurer l’absurdité de l’accusation.

Mais la démarche du président du CRIF a d’abord, je tiens à le dire, quelque chose d’obscène. Car cette Journée à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites, qu’il dévoie pour s’en prendre à moi, est aussi celle de MA famille : du côté de mon père, presque tous les siens ont été déportés pendant la Seconde Guerre mondiale, dont lui-même à Auschwitz. Mon grand-père est mort à Dachau. Sur le Mur du Mémorial de la Shoah figurent d’autres Sephiha. Quant à ma mère et à ses frères et sœur, lorsque leurs parents, Pierre-René et Geneviève Wolf, entrèrent dans la Résistance, il fallut les cacher chez des chrétiens d’Auvergne.

Politiquement, l’initiative de Francis Kalifat est liberticide. Car elle consiste ni plus ni moins à créer un délit d’opinion dans notre pays, qui n’en connaît - officiellement en tout cas - aucun. Cela contredirait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Car le président du CRIF prétend, il l’a affirmé à plusieurs reprises, interdire légalement l’antisionisme. Imagine-t-on que, lui emboîtant le pas, les communistes exigent l’interdiction de l’anticommunisme, les gaullistes celle de l’antigaullisme et les néolibéraux celle de l’altermondialisme ?

L’antisionisme est une opinion que l’on peut accepter ou refuser, mais pas un délit à l’instar de l’antisémitisme et des autres racismes. Il ne consiste pas à nier le droit à l’existence de l’État d’Israël et a fortiori des Israéliens, mais à défendre le droit des Palestiniens à jouir eux aussi de l’autodétermination. Et le droit des Juifs de la "Diaspora" qui ne souhaitent pas quitter leur pays d’y rester, comme le fait, d’ailleurs, la majorité d’entre eux. Tous ces Juifs qui refusent d’émigrer vers Israël seraient-ils pour autant antisémites ? Comme, rétrospectivement, tous ceux qui, au fil des décennies, ont rejeté le projet de Theodor Herzl ? C’est ridicule.

Le président du CRIF me reproche enfin d’ignorer que des antisémites patentés se camouflent derrière l’antisionisme pour exprimer leur haine des Juifs. Cela prouve seulement qu’il n’a pas lu mon livre. J’y dénonce en effet longuement, entre autres, les manœuvres d’un Soral et d’un Dieudonné, que j’ai toujours combattus - comme lors de la "Tournée des villes et des banlieues" avec Leila Shahid et Michel Warschawski.

En réalité, les exigences de Francis Kalifat évoquent un nouveau totalitarisme, dont il serait le McCarthy français. Sait-il combien la démocratie américaine a souffert des méfaits de son lointain prédécesseur ? Il est vrai qu’on ne passe pas impunément par le Betar...

Pour en arriver à de telles extrémités, il faut vraiment que le CRIF s’inquiète. On comprend pourquoi : le président de la République et son Premier ministre n’utilisent plus, semble-t-il, la petite phrase du 16 juillet 2017 amalgamant antisionisme et antisémitisme. Et, selon un sondage récent de l’IFOP, 57 % des Français ont une « mauvaise image d’Israël », 69 % une « mauvaise image du sionisme » – et 71 % pensent qu’« Israël porte une lourde responsabilité dans l’absence de négociation avec les Palestiniens ». À cette enquête, qui date d’avant le massacre de Gaza, s’en ajoute une plus récente, toujours de l’IFOP : 67% des sondés souhaitent qu’Emmanuel Macron évoque avec Benjamin Netanyahou de possibles sanctions.

Il n’est d’évidence pas facile de défendre un gouvernement israélien dont tout - sa politique annexionniste, ses lois liberticides, ses alliances avec les populismes et les extrêmes droites européens - atteste la radicalisation, voire la tendance à la fascisation. La loi fondamentale votée il y a quelques jours marque, hélas, une étape majeure sur cette pente tragique.

Ma réponse à Francis Kalifat tient donc en une phrase : le terrorisme intellectuel ne m’impressionne pas, il ne me fera pas taire.

D. V.

P. S. : Ci-dessous le texte de ma tribune sur le site du "Monde" :

Dominique Vidal : « Non, l’antisionisme n’est pas un délit »

Francis Kalifat a de la suite dans les idées. Coup sur coup, en cette première semaine de juillet, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a rencontré les ministres de la justice, Nicole Belloubet, et de l’intérieur, Gérard Collomb, pour exiger qu’on « poursuive systématiquement les appels au boycott » d’Israël, voire qu’on « interdise » le mouvement Boycott-Désinvestissement-Sanction (BDS).

Ce faisant, il se glisse dans la brèche ouverte, il y a un an, par le président de la République. A la fin de son discours à la cérémonie du 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv, le 16 juillet, Emmanuel Macron avait affirmé, devant le premier ministre israélien, invité pour la première fois : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. »

Étrange amalgame : d’un côté l’antisémitisme, délit sanctionné par la loi comme tous les racismes ; de l’autre l’antisionisme, une opinion que chacun est libre d’approuver ou de contester. Estimer que Theodor Herzl (1860-1904) s’est trompé en jugeant les juifs inassimilables et en les appelant à se rassembler dans un même État, est-ce criminel ?

Historiquement, Emmanuel Macron a commis une erreur. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la majorité des juifs – communistes, bundistes, orthodoxes – rejetait le projet sioniste. Après le génocide, des centaines de milliers de survivants, faute de visas pour les États-Unis, gagnèrent la Palestine, d’où le conflit de 1948 avait chassé 800 000 Arabes.

Erreur historique et faute politique

S’agissait-il d’un « choix sioniste » ? La même question se pose pour deux autres vagues d’immigrés : celle des juifs arabes, expulsés ou « importés » par l’Agence juive ; celle des juifs – et non-juifs – soviétiques, empêchés de poursuivre leur périple jusqu’aux États-Unis.

Soixante-dix ans après sa création, Israël et les territoires qu’il occupe comptent 6,5 millions de juifs – et autant de Palestiniens. La majorité des 16 millions de juifs du monde vit donc ailleurs, où leur intégration se double d’une forte proportion de « mariages mixtes ». Plusieurs centaines de milliers de citoyens israéliens ne résident pas dans leur pays. Et, même parmi les Français ayant effectué leur aliya ces dernières années, une proportion significative revient…

Erreur historique, donc, mais aussi faute politique. Car la petite phrase du Vél’ d’Hiv a permis au président du CRIF d’exiger que la « définition, qui prend en compte l’antisionisme comme forme nouvelle de l’antisémitisme, soit transposée dans l’arsenal législatif français ».

La République doit-elle recréer un délit d’opinion ? Elle contredirait, ce faisant, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel censurerait selon toute vraisemblance une telle démarche. Que dirait-on si les communistes prétendaient obtenir l’interdiction de l’anticommunisme, les gaullistes celle de l’antigaullisme ou les néolibéraux celle de l’altermondialisme ?

Manœuvre cousue de fil blanc

D’autant que l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme n’a aucun fondement. Dans une récente enquête d’Ipsos pour la Fondation du judaïsme français, les sympathisants de la France insoumise et du Parti communiste apparaissent comme les plus sévères vis-à-vis de la politique israélienne et « en même temps » les plus empathiques à l’égard des juifs…

La manœuvre est cousue de fil blanc : pour Israël et ses inconditionnels, il s’agit de bâillonner toute critique, au moment même où les alliés (et rivaux) de Benyamin Nétanyahou entendent passer de la colonisation à l’annexion du reste de la Palestine.

Une première loi, votée en février 2017, en jette les bases juridiques.Une autre, en janvier 2018, rend quasi impossible la rétrocession d’une partie de Jérusalem aux Palestiniens et permet d’exclure des quartiers arabes situés au-delà du mur. Et une troisième, en discussion, rattacherait à la ville cinq blocs de colonies, empêchant que Jérusalem-Est devienne un jour la capitale d’un Etat palestinien.

Une sorte d’apartheid

Promoteur de cette ligne dure, le ministre de l’éducation et de la diaspora Naftali Bennett, leader du parti Foyer juif, n’en fait d’ailleurs pas mystère : il enterre la perspective des deux Etats au profit d’un seul, où les Palestiniens annexés ne pourraient pas voter – une sorte d’apartheid. Et le comité central du Likoud s’est rallié à la fin de décembre 2017 à cette orientation.

Cette fuite en avant, qui défie le droit international, ne peut qu’accentuer l’isolement diplomatique de Tel-Aviv. L’Etat de Palestine est déjà entré à l’Unesco (2011), puis à l’ONU (2012) et à la Cour pénale internationale (2015). L’Assemblée générale a prôné, le 19 décembre 2017, le droit des Palestiniens à un État par 176 voix contre 7 (dont les îles Marshall, la Micronésie, Nauru et Palaos) !

Le CRIF n’est pas au bout de ses peines. A en croire l’IFOP, 57 % des Français ont une « mauvaise image d’Israël », 69 % une « mauvaise image du sionisme » – et 71 % pensent qu’« Israël porte une lourde responsabilité dans l’absence de négociation avec les Palestiniens ». Cette enquête date d’avant Gaza…

Un an après, l’exécutif semble hésiter. Au dîner du CRIF, le 7 mars, Emmanuel Macron n’a pas repris son amalgame. De même, Édouard Philippe l’a « oublié » le 19 mars en présentant le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Faut-il en déduire que la lutte d’idées paie ? Pour supprimer ce point d’interrogation, il faudra sans doute poursuivre ce débat avec détermination et sang-froid…


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