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Marolles : audacieux coup de filet ou violent abus policier ?

posté le 22/04/20 par pave-marolles.be Mots-clés  répression / contrôle social 

Les médias n’en ont pas parlé. Et pourtant, il semble qu’un coup de filet de toute première importance ait eu lieu ce dimanche 19 avril dans les Marolles. Une vidéo postée sur Instagram et visionnée près de 50.000 fois témoigne qu’un déploiement policier digne d’un film hollywoodien s’est déroulé ce jour-là. Nous avons voulu en savoir plus.

Nous sommes rue des Tonneliers, dans la cité de logements sociaux Hellemans. Un homme est plaqué au sol, deux policiers assis sur lui, pendant que plusieurs de leurs collègues, munis de matraques, tiennent les voisins et les passants à l’écart. Par terre, un sac et une touffe de cheveux arrachés. Sur la vidéo, il manque le début de la scène, mais le plaquage au sol dure environ 5 minutes, alors que l’homme n’oppose aucune résistance. Finalement, il est menotté, mis à l’abri des regards, puis embarqué dans un fourgon. A cet instant, on dénombre pas moins de 29 agents et deux chiens policiers présents pour mener à bien cette arrestation. La plupart d’entre eux n’ont pas de gants et un seul est doté d’un masque.

Une autre vidéo, filmée au même moment depuis la place du Jeu de Balle, montre l’arrière-scène de cette opération : dans la rue de la Rasière, perpendiculaire, une dizaine de fourgons et voitures de police sont mobilisés et bloquent la voirie. « Ils sont arrivés toutes sirènes hurlantes », commente la personne qui a filmé, « ils sont restés 5-10 minutes maximum avant de tout remballer et de repartir aussi vite qu’ils étaient arrivés ». Il ne manque que l’hélicoptère et les autopompes pour parfaire le spectacle.

On s’interroge sur ce qui a pu motiver un tel déploiement : le démantèlement d’une cellule terroriste tapie dans l’ombre, d’une importante cache de stupéfiants, d’un réseau de pédophiles, d’un laboratoire clandestin de chloroquine… ? Sur les vidéos disponibles, il manque en effet le début de l’opération qui nous permettrait de comprendre pourquoi l’événement a pris une telle envergure.

Alors, sur les réseaux sociaux, la scène suscite des réactions diverses. D’un côté, les commentaires rageurs de ceux qui y voient la parfaite illustration des situations disproportionnées et abusives vécues quotidiennement par des jeunes Bruxellois de quartiers populaires. De l’autre, les réflexions dubitatives de ceux qui supposent que l’homme devait être traqué de longue date ou avoir commis un délit grave, suscitant une précipitation telle que les forces de l’ordre en ont oublié l’importance d’enfiler leurs masques de protection et de respecter les gestes barrières. Car sinon, comment expliquer que des policiers prennent le risque de créer des attroupements, d’attiser la haine et la violence, à l’heure où les travailleurs sociaux sont absents du terrain, et une semaine à peine après qu’un contrôle de routine ait abouti à la mort du jeune Adil (19 ans) et à des émeutes à Anderlecht ? Comment expliquer que la police persiste à se comporter de la sorte, comme si elle n’avait pas pris conscience que dans le contexte actuel, une simple allumette suffit à embraser les quartiers denses dans lesquels la tension est particulièrement palpable ? Comment justifier que des policiers s’en prennent ainsi à des locataires sociaux pour qui le confinement est particulièrement étouffant, alors qu’à Woluwe-Saint-Lambert certains de leurs collègues s’affichent ostensiblement en train de danser avec des habitants qui ne respectent pas la distanciation physique ?

Dérapage

Pour en savoir plus, nous avons retrouvé la sœur de l’homme qui a mobilisé tant de policiers pour son arrestation. Elle s’appelle Olga, et son frère Kezy est âgé de 20 ans. Selon elle, il est environ 17 heures ce dimanche quand Kezy sort pour fumer une cigarette juste devant l’appartement familial situé au rez-de-chaussée de la rue des Tonneliers, l’une de ces ruelles privatives de la cité Hellemans peu fréquentées si ce n’est par ses habitants. Kezy ne sort jamais loin, et seulement à des horaires précis : il porte depuis décembre un bracelet électronique qui doit lui être retiré ce jeudi 23 avril. Vers 17h15, un véhicule de police s’arrête rue de la Rasière, quatre agents en descendent et encerclent Kezy pour le contrôler. Mais sa carte d’identité est restée à l’intérieur. Embrouille, coup de poing au visage de Kezy, altercation, plaquage au sol, sac jeté à terre, arrachage de cheveux. Les agents, se rendant compte qu’ils sont “dans un quartier chaud”, appellent du renfort. Les vidéos nous montrent la suite…

Kezy est ensuite emmené au commissariat central de Bruxelles. La police refuse à sa famille de l’accompagner et justifie son intervention musclée par le refus de coopérer de Kezy. “J’ai dit que ce n’est pas normal qu’ils aient arraché des cheveux de mon frère, ils m’ont répondu que ça peut arriver, que les cheveux s’attachent aux équipements des policiers.”

Deux à trois heures plus tard, Kezy est libéré et rentre à la maison. Dans l’intervalle, des vidéos de l’opération ont été postées sur les réseaux sociaux et visionnées des dizaines de milliers de fois, bien qu’Instagram ait bloqué la possibilité de les partager.

Les étonnants allers-retours de la police

Mais revenons au témoignage d’Olga, car l’histoire n’est pas finie. Dans la soirée de dimanche, poursuit-elle, une autre patrouille de police procède à un contrôle beaucoup moins spectaculaire dans la cité Hellemans. Deux agents viennent alors voir Kezy et lui expliquent que son tort a été de rester statique devant son appartement lorsqu’il fumait sa cigarette, et qu’en période de confinement il faut être mobile lorsqu’on est dans l’espace public. Confirmant que l’opération s’inscrivait dans l’application des règles de confinement, ils ajoutent toutefois réprouver la tournure qu’a pris le contrôle, et précisent à Kezy qu’il est en droit de porter plainte.

Le lendemain, vers midi, deux autres agents se présentent à l’appartement familial. Kezy est absent, il est parti faire un tour dans la limite du périmètre et des horaires qui lui sont autorisés. Les policiers disent à sa famille qu’ils sont venus lui présenter des excuses, puis repartent. De retour chez lui, Kezy discute avec sa famille et décide d’aller porter plainte. Vers 14 heures, il part vers l’hôpital pour y faire constater les séquelles du contrôle de la veille : coup à la joue, plaies à la tête, douleur à la cheville. Mais il revient un quart d’heure plus tard, anxieux : “il nous a dit avoir rencontré des policiers qui lui ont promis de lui retirer son bracelet électronique et de l’envoyer à la prison de Saint-Gilles.” En effet, une patrouille de police ne tarde pas à arriver, une nouvelle fois, dont les deux agents venus quelques heures plus tôt « présenter leurs excuses ». A l’intérieur de l’appartement, Kezy téléphone aux agents du Centre de surveillance électronique chargés de vérifier ses déplacements via son bracelet. Ceux-ci lui disent n’avoir constaté aucun écart de sa part et ne rien lui reprocher. Mais pendant ce temps, les policiers ont grimpé sur le balcon et donnent des coups dans la porte de l’appartement. Kezy se laisse donc arrêter.

Un jour plus tard, à l’heure d’écrire ces lignes, sa famille ignore encore où il a été emmené et pour quelle raison.

Gwenaël Breës

Mise-à-jour : un article de « L’Avenir » publié ce mardi évoque le sujet. On peut notamment y lire la réaction de la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles, qui que l’incident « se déroule dans le cadre d’un contrôle du respect des mesures Covid-19 ». L’important déploiement de fourgons est justifié par « la venue de plusieurs personnes qui voulaient s’immiscer dans l’intervention ». Il suffit pourtant de visionner les vidéos de l’opération pour constater qu’il n’y a que quelques voisins autour des policiers, que certains filment la scène ou essayent de calmer les policiers mais ne font preuve d’aucune violence.


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Commentaires
  • Je pense que cette "action policière" est totalement disproportionnée. Que, tout en demeurant dans des bases légales, ces policiers devraient êtres sanctionnés aussi sévèrement que faire - se - peut. Ces "actions déplacées" ne peuvent que ternir l’image d’une police qui se doit (normalement) montrer l’exemple et de ceux et celles qui veulent conserver leur intégrité.

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