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Massacre d'étudiants au Mexique : le vrai visage du capitalisme pourrissant

posté le 17/12/14 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  réflexion / analyse 

Le 26 septembre dernier, dans l’État de Guerrero au Mexique, situé à environ 400 km au sud de Mexico, des étudiants de l’École Normale d’Ayotzinapa se sont rendus à Iguala, ville distante de 250 km, pour préparer avec d’autres une manifestation devant avoir lieu la semaine suivante, le 2 octobre, en mémoire du massacre des étudiants en 1968 sur la place des Trois-Cultures de la capitale (Tlatelolco). Cette commémoration se déroulait en parallèle à la mobilisation massive et spontanée des étudiants de l’École Polytechnique qui protestent actuellement contre une réforme du système éducatif qui, entre autres attaques, va les léser particulièrement en rabaissant leur future qualification professionnelle, et donc aussi leur futur salaire, en les faisant passer du statut d’ingénieur à celui de technicien.

Au retour, pour ne pas payer leur déplacement, les jeunes d’Ayotzinapa ont "emprunté" un autobus. Ils ont alors été pris en chasse et mitraillés par la police municipale d’Iguala. Cette fusillade a fait 6 morts parmi les jeunes. Quelques-uns ont pu s’enfuir mais les 43 autres ont été capturés et immédiatement livrés au gang mafieux "Guerreros Unidos"[1], sur ordre téléphonique du maire d’Iguala, membre du PRD[2] et sous le couvert du gouverneur de l’État, lui aussi membre du PRD. Les narcotrafiquants se sont alors chargés de "faire disparaître" les étudiants.

Quelques jours plus tard, à proximité du lieu de la fusillade, un charnier visiblement récent a été découvert, dans une fosse commune contenant une vingtaine de cadavres dont certains étaient calcinés — on avait brûlait vifs les corps — et d’autres étaient affreusement mutilés — la peau de leur visage était arrachée — indiquant que les victimes avaient subi les actes de torture et de barbarie les plus abominables qu’on puisse imaginer. Sous couvert de la longue procédure d’identification des corps, la bourgeoisie parle encore hypocritement de "recherche de disparus" alors que le sort de ces malheureux jeunes prolétaires — ils avaient tous entre 17 et 21 ans — ne fait aucun doute.

Depuis lors, c’est un battage quotidien écœurant et assourdissant : d’un côté le gouvernement Peña Nieto et sa clique au pouvoir (le PRI), comme son allié, le PAN, aux côtés du procureur de la République qui diligente l’enquête ont déclaré vouloir "faire toute la lumière" sur les événements et "châtier les coupables" en se posant comme les vrais et seuls défenseurs de la justice (le supposé chef des "Guerreros Unidos" a d’ailleurs été arrêté une quinzaine de jours plus tard avec un zèle triomphal !) tandis que le maire et le chef de la police locale sont en fuite et qu’une vaste campagne populaire et médiatique a été lancée pour réclamer la démission du gouverneur. D’un autre côté, les partis de gauche[3] y compris le PRD lui-même, les syndicats, les organisations gauchistes et une pléiade d’organisations humanitaires (des Droits de l’Homme aux ONG de tout poil) qui se sont lancés dans une vaste campagne de ravalement de façade, du style de l’opération "mains propres" en Italie pour réclamer la destitution de tel ou tel politicien convaincu de liens étroits avec les cartels, de tel ou tel policier corrompu, en profitant de l’indignation et de l’émotion suscitées par cet odieux massacre pour essayer d’entraîner derrière eux les parents des victimes, l’ensemble des étudiants, un maximum de prolétaires et la population en général dans un vaste mouvement pour redorer le blason de l’État et relancer les illusions sur un État propre, impartial, défenseur d’une justice au-dessus des classes et garant d’un "droit du peuple" et des exploités tandis que les dirigeants bourgeois et les médias aux ordres du monde entier font mine de s’indigner en pointant du doigt les "dérives" de leurs congénères mexicains et la collusion maintes fois avérée entre les politiques et les trafiquants de drogues pour mieux masquer le degré de pourriture de leur propre corruption et de leurs propres crimes.

En réalité, cet épisode tragique n’est nullement une manifestation aberrante d’une quelconque "dérive" de la bourgeoisie locale ou nationale mais bien une illustration du franchissement d’un pas supplémentaire dans la décomposition du système capitaliste au niveau mondial qui enfonce toute la société dans une barbarie et un chaos croissants, dans la même spirale que l’exacerbation actuelle des conflits impérialistes entre États qui utilisent et manipulent des milices tortionnaires armées, des bandes terroristes de "fous de Dieu" fanatisés, des hordes de nationalistes ou séparatistes rebelles, etc. Cela traduit une gangstérisation généralisée de l’appareil d’État, de la bourgeoisie et de tous ses représentants. La pègre, les bandes armées mafieuses, les narcotrafiquants sont devenus un bras armé régulier de l’État comme instrument de la violence de sa domination et surtout comme organe de répression sanguinaire des mouvements sociaux, comme la police et l’armée, s’exerçant en particulier contre la classe ouvrière et ses luttes, pour le maintien de l’ordre capitaliste. Il est tout à fait significatif que le narcotrafic ou le trafic d’armes qui ont pris une place prépondérante dans le commerce international et dans les économies nationales, installent des bandes armées de narcotrafiquants comme auxiliaires indispensables de toutes les fractions de la bourgeoisie pour assurer leur pouvoir contre leurs rivaux ou pour exercer une répression impitoyable envers toute tentative jugée susceptible de menacer l’ordre établi.

Mais cette évolution implique aussi le rejet absolu de toute valeur morale. Même dans la pègre et la sphère du grand banditisme, étaient conservées naguère, même sous une forme clanique et totalement réifiée un espèce de "code d’honneur", des tabous moraux. Aujourd’hui, ces éléments ont disparu, ils se sont dissous dans ce processus de décomposition sociale, de putréfaction du capitalisme, dominé par l’intérêt immédiat, le "chacun pour soi", la "guerre de tous contre tous", dans un déchaînement de violence, de terreur et de barbarie sans limites. Cette militarisation sociale, cette "banalisation du mal", selon l’expression de la philosophe Hannah Arendt, tend de plus en plus à échapper au contrôle de la bourgeoisie elle-même et prend un caractère irrationnel de plus en plus prononcé. Sous l’oppression et le conditionnement exercés en permanence par le système, elle tend à s’exprimer par l’explosion brutale de pulsions, de "folies" meurtrières, individuelles ou collectives, dans une barbarie aveugle et poussée à l’extrême, dont le Mexique avec ses milliers de "disparitions", ses centaines de fosses clandestines emplies de cadavres n’est qu’une illustration tragique.

Nous publions ci-dessous la traduction d’un tract réalisé au Mexique, rédigé, diffusé et signé par "des prolétaires communistes internationalistes". Nous partageons leur indignation et saluons leur saine réaction authentiquement prolétarienne et internationaliste ainsi que l’essentiel de leur prise de position politique.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

L’État assassin ! La justice ne peut provenir de l’État !

La façon avec laquelle l’État a assassiné des dizaines de personnes à Igualada est déjà bien connue : la police du "mouvement progressiste" a encerclé et ouvert le feu contre les étudiants de l’École normale d’Ayotzinapa. Le reste de la besogne, qui a consisté à assassiner plus de 40 étudiants, à brûler et dissimuler les cadavres, a été mené à bien par un groupe armé lui aussi lié à l’État : le groupe narco, appuyé par la police de la commune d’Iguala. L’indignation et la rage devant cette atrocité est indescriptible, mais immense est aussi l’hypocrisie de tous les partis, ONG et instances officielles et non officielles de l’État.

"Guerre entre État et narcotrafiquants"ou État toujours plus lié au trafic de drogues ?

L’étroite collaboration entre la police du "Mouvement progressiste" et les groupes armés du trafic de drogues ne signifie pas la "pénétration" du "crime organisé" dans l’État, mais révèle plutôt que la bourgeoisie, engluée dans la décomposition du capitalisme et toujours plus aux prises à des luttes internes, doit toujours plus recourir à une extrême violence et à des pratiques criminelles. Le trafic de drogues n’est pas un secteur séparé de la bourgeoisie et les intérêts du narcotrafic n’ont jamais cessé d’être présents dans l’appareil d’État, cette forme supérieure d’organisation de la classe des capitalistes contre la classe ouvrière.

La presse, une des armes de la bourgeoisie, essaie de renforcer l’idée que les policiers d’Iguala étaient le bras armé des "Guerriers Unis", mais qu’à présent, grâce à l’armée et à la gendarmerie, l’ordre était revenu dans les rues. Prolétaires, souvenons-nous ! L’État est une machine de répression d’une classe, une machine pour soumettre et exploiter une autre classe.

La douleur des familles utilisée dans les conflits entre partis et dans leurs luttes internes

La gauche du capital poursuit une stratégie déterminée à travers les médias : laver l’image du PRD, du PT, de Morena, du "Movimiento ciudadano", en vue des prochaines élections. Alors même que les familles des disparus expriment leur souffrance, ces partis, véritables rouages de l’arsenal assassin de la bourgeoisie, montrent du doigt tel ou tel fonctionnaire, tel ou tel policier, mais se gardent bien de dire que l’État, dont ils font partie, est à l’origine de la barbarie que vivent les exploités jour après jour. Tous les partis qui font partie de l’État (et pas seulement le PRI et le PAN) ainsi que ceux qui aspirent à les rejoindre, tentent d’utiliser à leur profit le mécontentement social tout en le combattant par le sang, la mitraille et la prison quand l’occasion se présente.

Sur quel terrain se placent les fameux "droits de l’homme" ?

Les porte-parole de l’État et leurs officines à visage "démocratique", à la solde du gouvernement ou "indépendants", nous rebattent les oreilles sur les "exécutions illégales" pour inculper tel ou tel fonctionnaire corrompu mais, surtout, pour disculper la bourgeoisie comme classe sociale ayant en charge les tribunaux, l’armée, la police et autres bandes criminelles. Pour ces défenseurs de la loi et de l’ordre bourgeois, il suffirait que les exécutions soient prononcées "dans le cadre de la loi". Ils dissimulent ainsi que la violence et la terreur sont en eux-mêmes la manière brutale dans laquelle l’État garantit le bon fonctionnement des affaires de la bourgeoisie.

Les soi-disant "droits de l’homme" se situent donc sur un terrain que la bourgeoisie contrôle de bout en bout. Peu importe qu’ils soient revendiqués par le corps enseignant, les appareils syndicaux, les prétendus "médias libres" ou les irréprochables normaliens. Il faut rompre avec cette vision bourgeoise des choses ! Pour cela, après les simulacres d’ "enquêtes", il est important de prévoir les étapes du scénario gouvernemental afin de maintenir la fausse idée que la justice peut venir de la bourgeoisie.

La comédie des "droits de l’homme" n’a pour but que le renforcement de la domination bourgeoise

L’essentiel pour la classe des capitalistes est de maintenir le "prestige" de l’État. La comédie des commissions d’enquête et des "droits de l’homme" suivra le même chemin que celui qu’a suivi la bourgeoisie tout au long de l’historique de ses entreprises criminelles : enquête — procès — appel — sentences – renforcement de l’État. Rappelons le massacre du village de Dos Erres au Guatemala en décembre 1982[4], où l’armée a assassiné plus de 500 hommes, femmes et enfants, où la conclusion de tout ce cirque bourgeois a été une sentence macabre, une vaste arnaque : un "monument" a été érigé par les assassins pour "maintenir la mémoire", des morceaux de papier au sceau de l’État pour acheter, faire taire et rendre complices les parents, et une loi dite de Réconciliation nationale, avec la participation de toute la faune d’organismes défenseurs des "droits de l’homme" et du gouvernement, autrement dit, une loi pour s’assurer de la soumission des parents des victimes à la collaboration de classes, à l’acceptation des termes imposés par les assassins. Une fumisterie pour permettre de laver les mains rougies de sang de l’État et de la classe qu’il sert : la bourgeoisie.

Une seule justice : lutter pour la destruction du capitalisme ! Rompre avec toute collaboration de classes !

L’enlisement dans la misère et l’existence de la société bourgeoise sont la cause d’une décomposition plus grande du capitalisme, qui menace aussi de détruire avec elle les exploités. Pris dans cette situation, le prolétariat a rencontré d’énormes difficultés pour développer des luttes de ses propres mains, pour les étendre et pour rompre avec tout l’appareil politique du capital, qui ne se limite pas seulement à la "droite", mais qui intègre tous les partis, syndicats officiels ou "indépendants", groupes gauchistes qui maintiennent toute expression de lutte dans le cadre de la vision bourgeoise, enchaînant le prolétariat avec encore plus de puissance : le nationalisme, instrument idéologique sur lequel se fonde toute collaboration avec la bourgeoisie.

C’est cette gauche du capital que la classe ouvrière doit démasquer. Les méthodes menant aux impasses du gauchisme maintiennent isolées les luttes et, pour cela même, toute lutte des travailleurs est facilement soumise à la répression. L’impuissance des étudiants prolétaires à être reconnus comme une partie de la classe ouvrière et pour développer des formes propres de lutte, qui ne les isole pas en les séparant du reste de la classe travailleuse, est un autre obstacle à dépasser.

Le pacifisme social-démocrate et la violence minoritaire ont une même origine : la pensée petite-bourgeoise. La seule façon de faire face à la bourgeoisie est la lutte massive, consciente et organisée du prolétariat

La solidarité prolétarienne n’est pas le suivisme aveugle des manifestations et des mots d’ordre, mais la critique sans concession de tout ce qui empêche le développement de la lutte du prolétariat — comme une seule classe à l’échelle mondiale — contre la bourgeoisie, contre l’État, contre le capital. Il lui est indispensable de retrouver les méthodes de lutte qui lui sont propres, étrangères à la violence minoritaire et à l’organisation autoritaire et militariste. Il ne s’agit pas de savoir si les manifestations sont ou non "pacifiques". Il s’agit de leur contenu : savoir si elles contribuent ou non au développement d’une perspective autonome du prolétariat et à sa généralisation ; et par autonomie nous entendons non l’autonomie régionale du petit-bourgeois, mais l’autonomie du prolétariat face aux autres classes. Il s’agit de récupérer, dans l’histoire et l’expérience mondiale de la classe ouvrière, les formes de lutte et les méthodes qui développent vraiment la solidarité avec le reste de la classe ouvrière, sa réflexion et sa lutte sur un terrain de classe. Il est nécessaire, par conséquent, de rompre avec l’idéologie de la martyrologie et la discipline aveugle que prône la FECSM[5], avec le pacifisme social-démocrate des partis et ONG, avec l’isolement qu’imposent tant les syndicats officiels que les "indépendants" ou ceux "de base", avec la violence minoritaire des groupes qui prétendent donner "l’exemple" avec leurs actions individuelles ou minoritaires à ce qu’ils supposent être "de passifs et obéissants ouvriers", parce que l’origine de toutes ces pratiques est, finalement, dans la pensée petite-bourgeoise et dans le cadre de la gauche du capital.

Si la classe ouvrière ne s’organise pas elle-même, si, dès le départ, ne sont pas critiquées toutes les causes de la barbarie, alors toute l’indignation, toute la rage, toute la douleur, toute la force seront dévoyées vers le renforcement de l’État, vers le renforcement de la bourgeoisie.

La "justice" ne viendra pas de nos bourreaux que sont l’État et les multiples fractions de la bourgeoisie.

Il ne s’agit pas de demander justice à l’État, il faut le détruire !

Nous ne réclamons pas les "droits de l’homme", nous appelons à nous organiser nous-mêmes pour satisfaire nos besoins, contre le capitalisme et tout son appareil de gauche comme de droite !

En tant qu’exploités, la meilleure solidarité commence par nous reconnaître comme faisant partie d’une seule et même classe : le prolétariat.

Prolétarios Comunistas Internacionalistas

Avec très peu de ressources, nous faisons un effort pour développer et faire connaître une perspective prolétarienne. Lis, discute et reproduit ce tract.

Sur la perspective que nous défendons, voir sur Facebook :

Izquierda Comunista no es estalinismo ni trotskismo sino Revolución Mundial[6]

[1] Un des cartels de la drogue semant la terreur dans toute la région et déjà responsable de milliers de morts dans les règlements de compte entre gangs qui sévit avec encore plus d’intensité depuis 2006 et l’ère du gouvernement Calderon.

[2] Partido Revolucionario Democratico, parmi les trois grands partis politiques mexicains, c’est celui qui est réputé le plus a gauche, d’inspiration social-démocrate.

[3] Outre le PRD, on trouve Morena (Movimiento Regeneracion Nacional) de Andres Manuel Lopez Obrador, ancien candidat à la présidentielle remplissant comme le Front de gauche de Mélanchon en France ou Die Linke de Lafontaine en Allemagne une fonction de gauche plus radicale dans l’opposition par rapport au PRD, le Movimiento Ciutadino (Mouvement des Citoyens), d’étiquette plus libérale ou le gaucho-stalinisant PT qui se distingue seulement par sa phraséologie "anti-impérialiste" c’est-à-dire antiaméricaine plus virulente.

[4] Ce n’est qu’un exemple parmi les 626 massacres recensés de populations civiles perpétrés par les actions des forces spéciales "anti-insurrectionnelles" (déguisés en geurilleros) qui ont fait plus de 200 000 morts au Guatemala entre 1978 et 1983 (NDLR).

[5] Federacion de Estudiantes Campesinos de México (Fédération des Étudiants en milieu rural du Mexique), syndicat pour les étudiants de l’École Normale mexicaine qui existe depuis 1935

[6] La Gauche communiste ne se réclame pas du stalinisme ni du trotskisme mais de la révolution mondiale


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