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Moyen-Orient : l’obsolescence historique de l’État-Nation

posté le 18/04/16 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  réflexion / analyse 

Le militarisme et la guerre, expressions principales du mode de vie du capitalisme depuis environ un siècle, sont devenus les synonymes de la désintégration du système capitaliste et de la nécessité de le renverser. La guerre, dans cette période et dans l’avenir, est une question cruciale pour la classe ouvrière.

Dans la période ascendante du capitalisme, les guerres pouvaient encore être un facteur de progrès historique, conduisant à la création d’unités nationales viables et servant à étendre le mode de production capitaliste à l’échelle mondiale : « depuis la formation de l’armée des citoyens, de la Révolution française au Risorgimento italien, de la guerre d’Indépendance américaine à la Guerre Civile, la révolution bourgeoise a pris la forme de luttes de libération nationale contre les royaumes réactionnaires et les classes abandonnées par la féodalité (…) Ces luttes avaient pour principal but de détruire les superstructures politiques surannées de la féodalité, de balayer l’esprit de clocher et l’autosuffisance, qui empêchaient la marche vers l’unification du capitalisme. » (Brochure du CCI : Nation ou Classe) Comme Marx l’a écrit dans sa brochure à propos de la Commune de Paris, La Guerre Civile en France : « Le plus gros effort d’héroïsme dont la vieille société est encore capable est la guerre nationale. »

En revanche, la guerre d’aujourd’hui et depuis les cent dernières années ne peut jouer qu’un rôle réactionnaire et destructeur et menace maintenant l’existence même de l’humanité. La guerre devient un mode d’existence permanent pour tous les États-nations, qu’ils soient grands ou petits. Alors que chaque État ne dispose pas des mêmes moyens pour poursuivre la guerre, ils sont tous soumis à la même dynamique impérialiste. L’impasse du système économique oblige les nations, vieilles ou jeunes, à adopter une politique de capitalisme d’État, sous peine de mort ; et cette politique est mise en œuvre par les partis bourgeois, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Le capitalisme d’État constitue une défense raffinée de l’État-nation et une attaque permanente contre la classe ouvrière.

Dans la période ascendante du capitalisme, la guerre avait tendance à se payer elle-même, à la fois économiquement et politiquement, en brisant les barrières du développement capitaliste. Dans la phase de décadence, la guerre est une dangereuse absurdité, devenant de plus en plus séparée de toute justification économique. Il suffit de regarder les vingt-cinq dernières années de prétendue « guerre pour le pétrole » au Moyen-Orient pour s’apercevoir qu’il faudrait des siècles pour qu’elle soit rentable, et encore, à condition que la guerre cesse dès maintenant.

La nation est un symbole de la décadence du capitalisme

Consacrer une grande part des ressources nationales à la guerre et au militarisme est maintenant normal pour tout État, et c’est ce qui se passe depuis le début du XXe siècle ; cela s’est seulement intensifié aujourd’hui. Ce phénomène est directement lié à l’évolution historique du capitalisme : « La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire. »1 La position qu’on adopte sur la guerre impérialiste détermine de quel côté de la barrière de classe on se trouve ; soit l’on défend la domination du capital à travers la défense de la nation et du nationalisme (compatibles avec à la fois le trotskysme et l’anarchisme), soit l’on défend la classe ouvrière et l’internationalisme contre toute forme de nationalisme. Les « solutions » nationales, les identités nationales, la libération nationale, les « conflits » nationaux, la défense nationale : tout cela ne sert que les intérêts impérialistes, donc capitalistes. Ceux-ci sont diamétralement opposés aux intérêts de la classe ouvrière : la guerre de classe devra en finir avec l’impérialisme, ses frontières et ses États-nations.

En 1900, il y avait quarante nations indépendantes ; au début des années 1980, il y en avait presque 170. Aujourd’hui, il y en a 195. Le dernier État, le Soudan du Sud, reconnu et soutenu par la « communauté internationale », s’est immédiatement effondré dans la guerre, la famine, la maladie, la corruption, la loi des seigneurs de guerre, le gangstérisme : c’est une autre expression concrète de la décomposition du capitalisme et de l’obsolescence de l’État-nation. Les nouveaux États-nations des XXe et XXIe siècles ne sont pas l’expression d’une croissance de jeunesse, mais sont nés séniles et stériles, aussitôt empêtrés dans les rêts de l’impérialisme, avec leurs propres moyens de répression interne (ministère de l’Intérieur, services secrets et armée nationale) et de militarisme externe avec les pactes, les protocoles d’accords de défense mutuelle, l’implantation de conseillers et de bases militaires par les plus grandes puissances.

« [Aujourd’hui, la phrase nationale] ne sert plus qu’à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu’elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes. »2 Depuis que Rosa Luxemburg a écrit ces lignes, il n’y a plus eu de révolution bourgeoise dans les pays sous-développés, mais seulement des luttes de cliques entre gangs bourgeois rivaux et leurs appuis impérialistes locaux et mondiaux. L’État militariste et la guerre deviennent le mode de survie pour l’ensemble du système comme pour chaque nation, chaque proto-État, toute expression nationaliste, chaque identité ethnique ou religieuse deviennent l’expression directe de l’impérialisme.

Regardons de plus près le rôle réactionnaire de l’État-nation à travers un bref aperçu de la situation au siècle dernier dans l’importante région du monde que constitue le Moyen Orient.

La guerre au Moyen Orient : de la Première Guerre mondiale à la Guerre du Golfe

La nation capitaliste a été préservée, et même multipliée par quatre, tout au long des cent dernières années. Mais son programme démocratique bourgeois et sa tendance unificatrice sont morts et enterrés ; désormais ses « peuples » ne peuvent qu’être soumis à la répression ou mobilisés pour défendre les intérêts impérialistes comme chair à canon. « Pour compléter le tableau, les nouvelles nations surgissent avec un péché originel : ce sont des territoires incohérents, formés par un agrégat chaotique de différentes religions, économies, cultures. Leurs frontières sont pour le moins artificielles et incluent des minorités appartenant aux pays limitrophes ; tout cela ne peut que mener à la désagrégation et à des confrontations permanentes. »3

Cela est illustré par la multitude des nationalismes, des ethnies et des religions qui cohabitent au Moyen-Orient. Les trois religions principales sont ici démultipliées en en une myriade de sectes, avec des conflits internes et externes permanents : les Chiites, Sunnites, Maronites, Chrétiens orthodoxes et coptes, les Alaouites, etc. Il y a des minorités linguistiques importantes et de plus en plus de peuples sans terre : les Kurdes, les Arméniens, les Palestiniens et maintenant les Syriens.

La Première Guerre mondiale a vu l’effondrement de l’Empire Ottoman et de ses trésors, ainsi que l’effondrement de la position stratégique du Moyen-Orient (entre l’Est et l’Ouest, l’Europe et l’Afrique, le canal de Suez, le détroit des Dardanelles) qui suscitait la cupidité des grandes puissances. Même avant que le pétrole ne soit découvert dans cette région, et bien avant que l’on ne se rende compte de l’ampleur des réserves de pétrole, la Grande-Bretagne avait mobilisé 1,5 million d’hommes de troupes dans la région. Ayant résisté à la menace représentée par l’Allemagne et la Russie, et malgré les rivalités existant entre la Grande-Bretagne et la France, ces deux puissances ont donné leur forme aux pays de cette région : la Syrie, l’Irak, le Liban, la Transjordanie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le « protectorat » Palestinien, les frontières de ces pays ont été dessinées par les deux pouvoirs impérialistes victorieux, chacun surveillant à la fois ses partenaires et les anciens rivaux du coin de l’œil. Ces « nations » absurdes sont devenues un terreau fertile pour une instabilité et des conflits ultérieurs, pas seulement à cause des rivalités entre grandes puissances mais aussi à cause de luttes régionales entre elles. Cela a souvent donné lieu à des déplacements massifs de populations, justifiés par la nécessité de former des entités nationales distinctes : en un mot, elles ont fertilisé le sol pour les pogroms, l’exclusion, la violence entre les religions et les sectes que nous sommes obligés de supporter aujourd’hui ; de plus, cette violence se répand et devient de plus en plus dangereuse : Sunnites contre Chiites, Juifs contre Musulmans, Chrétiens contre Musulmans et des sectes encore plus anciennes qui auparavant étaient laissées tranquilles, mais qui sont maintenant entraînées dans le maelstrom impérialiste. La région est devenue une fusion violente des régimes totalitaires, de conflits religieux, de terrorisme et de la loi des seigneurs de guerre, une preuve supplémentaire qu’il n’y a pas de solution à la barbarie capitaliste, à part la révolution communiste. Avec la Déclaration Balfour, en novembre 1917, l’Angleterre avait promis un soutien à l’installation d’une patrie juive en Palestine ; elle pensait l’utiliser en tant qu’alliée locale contre ses grands rivaux. C’est dans le cadre militariste de luttes sanglantes avec les dirigeants arabes que l’État sioniste est né.4 Les États-Unis, principal bénéficiaire de la Première Guerre mondiale, commencèrent à supplanter la Grande-Bretagne comme premier gendarme du monde et cela devint une évidence au Moyen-Orient.

La contre-révolution stalinienne des années 1920-30, aidée et encouragée par les puissances occidentales, a entraîné l’augmentation des machinations impérialistes au Moyen-Orient, jusqu’à et pendant la Deuxième Guerre mondiale. À cette période, les Turcs, les factions arabes et les sionistes oscillaient entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne ; la majorité choisit l’Allemagne. Cette région était importante pour les deux grandes puissances5, mais elle a été relativement épargnée par les destructions, dans la mesure où les champs de bataille principaux se trouvaient en Europe et dans le Pacifique. Dans l’ensemble, et la fin de la guerre devait le confirmer, la Grande-Bretagne et la France ont mené une guerre perdue d’avance au Moyen-Orient et ailleurs, car la hiérarchie impérialiste a été bousculée par l’émergence de la superpuissance américaine. Ceci fut encore renforcé par la création d’un État sioniste, qui a été fortement soutenu par les États-Unis (et aussi au début par la Russie), au détriment des intérêts nationaux britanniques. L’établissement de l’État-nation d’Israël a déterminé une nouvelle zone de conflits dont la naissance a entraîné la création d’un énorme et permanent problème de réfugiés, qui, en grossissant, a renforcé un état de siège militaire permanent. L’existence d’Israël est probablement l’un des exemples les plus frappants de la façon dont un pays formé dans la décadence capitaliste est encadré par la guerre, survit par la guerre et vit dans la peur constante de la guerre.

Un autre chapitre de l’impérialisme a été ouvert lorsque le Moyen-Orient est devenu un enjeu de la Guerre Froide entre les blocs américain et russe qui se sont consolidés après la Deuxième Guerre mondiale et ont effectué plusieurs interventions par l’engagement interposé de puissances militaires entre les deux grands. Ainsi, lors des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, les deux blocs s’affrontaient d’une certaine façon par procuration ; les victoires écrasantes d’Israël ont considérablement réduit la capacité de l’URSS à maintenir les points d’appui qu’elle avait établis dans la région, en particulier en Égypte. Dans le même temps, déjà dans les années 1970 et au début des années 1980, on a pu voir les germes des conflits multipolaires et chaotiques qui ont caractérisé la période qui a suivi l’effondrement de l’URSS et de son bloc. Le renversement du Shah d’Iran en 1979 a entraîné la formation d’un régime qui a tendu à s’affranchir du contrôle des deux blocs. La tentative de la Russie de se renforcer en profitant du nouvel équilibre des forces dans la région, sa tentative d’occupation de l’Afghanistan en 1980, l’a entraînée dans une longue guerre d’usure qui a grandement contribué à l’effondrement de l’URSS. Au même moment, en favorisant le développement des Moudjahidines islamistes, incluant le noyau qui allait devenir Al Qaïda pour lutter contre l’occupation russe, les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Pakistan étaient en train de fabriquer un monstre qui leur mordrait bientôt la main. Pendant ce temps, l’impérialisme américain procédait au retrait de ses troupes du Liban, qu’il n’avait pas réussi à soustraire aux forces agissant comme mandataires de l’Iran et de la Syrie.

C’est durant cette période que l’on assiste au début de la perte de puissance des États-Unis, qui est à la fois une expression et une contribution à la décomposition ambiante d’aujourd’hui. Après l’effondrement du bloc russe, est venue la désintégration des alliances autour des États-Unis et le développement centrifuge du chacun pour soi des différentes nations. Les États-Unis ont réagi énergiquement à cette situation, tentant de rassembler leurs alliés en lançant la Guerre du Golfe de 1990-91, qui a abouti à la mort d’environ un demi-million d’Irakiens (alors que Saddam Hussein restait en place). Mais la réalité de cette tendance était trop forte et la domination américaine avait irrémédiablement vécu. Après le 11 septembre 2001, les néo-conservateurs évangéliques agissant pour le compte de l’impérialisme américain ont engagé de nouvelles guerres en Afghanistan et en Irak, prenant l’apparence d’une croisade contre l’Islam, attisant ainsi les flammes du fondamentalisme islamique.

Aujourd’hui, on assiste à un glissement plus profond dans la barbarie capitaliste

Dans le film de 1979 réalisé par Francis Ford Coppola Apocalypse now, un colonel renégat américain demande au tueur à gages appointé par la CIA ce qu’il pense de ses méthodes ; l’assassin répond : « je ne vois aucune méthode. » Il n’y a pas de méthode dans les guerres d’aujourd’hui au Moyen-Orient, à l’exception d’un grand précepte : « faites ce que vous voulez ». Il n’y a aucune justification économique (des milliards de dollars sont partis en fumée juste pour les guerres d’Irak et d’Afghanistan), seulement une descente permanente dans la barbarie. Aussi fictif qu’il soit, le personnage du colonel Kurtz dans le film est le symbole de l’exportation de la guerre « du cœur des ténèbres », qui se trouve en fait dans les centres principaux du capital plutôt que dans les déserts du Moyen-Orient ou les jungles du Vietnam et du Congo.

En Syrie aujourd’hui, il y a une bonne centaine de groupes qui combattent le régime et se battent entre eux, tous plus ou moins téléguidés par des pouvoirs locaux ou plus importants. La nouvelle « nation », le prétendu califat de l’État islamique, avec son propre impérialisme, sa chair à canon, sa brutalité et son irrationalité, est à la fois une expression à part entière de la décadence du capitalisme et le reflet de toutes les grandes puissances qui, d’une façon ou d’une autre, l’ont créé. L’État islamique est actuellement en expansion partout dans le monde, gagnant de nouvelles filiales en Afrique, s’emparant de Boko Haram au Nigeria. L’État islamique est également en concurrence avec les Talibans en Afghanistan, qui eux-mêmes sont en danger dans la région de l’Helmand, qui a été si longtemps la base de l’armée britannique. Mais si l’État islamique était éliminé demain, il serait remplacé immédiatement par d’autres entités djihadistes, tels que Jahbat al-Nusra, une filiale de Al Qaïda. La « guerre contre le terrorisme » chapitre 2, comme pour le chapitre 1, ne fera qu’augmenter le terrorisme existant au Moyen-Orient avec son exportation au cœur du capitalisme.

L’une des caractéristiques du nombre grandissant de guerres au Moyen-Orient est la réémergence de la Russie sur le plan militaire, avec pour couverture idéologique les « valeurs » de la vieille nation russe. Pendant la Guerre Froide, la Russie a été expulsée de l’Égypte et du Moyen- Orient en général, car sa puissance avait décliné. Maintenant, la Russie est réapparue, non sous la forme d’une tête de bloc comme avant (elle a seulement quelques ex-républiques anémiques comme alliées) mais comme une force drapée dans la décomposition qui doit soutenir l’impérialisme pour son « identité » nationale. La faiblesse de la Russie est évidente dans ses tentatives désespérées pour installer des bases en Syrie, les plus importantes pour elle à l’extérieur de son territoire. Un autre facteur qui aura une incidence importante, y compris pour elle, est l’actuel rapprochement entre les États-Unis et l’Iran, lié à l’accord sur le nucléaire de 2015. Cet accord exprime aussi une faiblesse fondamentale de l’impérialisme américain et est la source de tensions importantes entre les États-Unis et leurs principaux alliés régionaux, Israël et l’Arabie Saoudite.

Quel que soit le côté où l’on regarde, le désordre impérialiste au Moyen-Orient devient de plus en plus impossible à démêler. Il existe aussi dans cette situation le positionnement de la Turquie, qui n’a pas hésité à verser de l’huile sur le feu de la guerre. Sa guerre contre les Kurdes n’aura pas de fin et par ses agissements, elle monte les uns contre les autres, les États-Unis, la Russie et l’Europe. Ses relations avec la Russie en particulier se sont refroidies après la destruction d’un avion de chasse russe, alors qu’elle a utilisé le grossier prétexte d’attaquer l’État islamique pour pilonner des bases Kurdes. Il y a la participation de l’Arabie Saoudite qui, bien que prétendument alliée des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a été un bailleur de fonds important pour différentes bandes islamistes dans la région, grâce à l’exportation non seulement de son idéologie wahhabite mais aussi des armes et de l’argent.

Aussi loin que les États-nations s’enfoncent dans la décadence, l’Arabie Saoudite est l’une des pires farces historiques qu’on puisse trouver.6 Minée par la chute des prix du baril d’or noir, qui a été encouragée par l’Iran (désignant le pétrole non comme un facteur d’ajustement économique mais comme une arme impérialiste) et craignant que la théocratie iranienne rivale ne redevienne le gendarme de la région après ses récents accords avec les États-Unis, le régime saoudien a porté un coup contre l’Iran avec l’exécution du célèbre imam chiite Sheikh Nimr al-Nimr, et d’autres décapitations qui ont été à peine mentionnées dans les médias occidentaux. Cette provocation planifiée contre l’Iran montre un certain désespoir et une faiblesse du régime saoudien ainsi qu’un danger que la situation ne dérape et devienne hors de contrôle. Les actions récentes du régime saoudien révèlent à nouveau les tendances centrifuges de chaque nation au chacun pour soi et la difficulté des grandes puissances, particulièrement des États-Unis, à les contenir. Une chose est certaine concernant l’épisode actuel de rivalité Iran/Irak : la perspective de l’aggravation de la guerre, des pogroms et du militarisme à travers la région, avec de multiples tensions et la précarité des alliances provisoires gagnant du terrain. Des accrochages étaient signalés plus loin en Égypte (que l’Arabie Saoudite a financés dans le cadre de son combat contre les Frères Musulmans) et tout cela ne pourra que s’aggraver.

L’État-nation du Liban a déjà été déchiré dans les années 1980 ; les tensions vont s’accroître maintenant et les conséquences de la rupture de cet État fragile seraient désastreuses, du moins pour Israël dont la guerre larvée avec les factions palestiniennes et le Hezbollah continuent.

Enfin, il faut mentionner le rôle grandissant de la Chine, même si ses principaux points de rivalités impérialistes (avec les États-Unis, le Japon et d’autres) se portent plutôt sur l’Extrême-Orient. Ayant émergé comme alliée subalterne de la Russie à la fin des années 1940 à 1950, la Chine a commencé à avoir un parcours indépendant dans les années 1960 (la « rupture sino-soviétique »), conduisant rapidement à une nouvelle entente avec les États-Unis. Mais, depuis les années 1990, la Chine est devenue le deuxième pouvoir économique mondial et cela a sérieusement élargi ses ambitions impérialistes, on le voit dans ses efforts pour pénétrer en Afrique. Pour le moment, elle a eu tendance à opérer aux côtés de l’impérialisme russe au Moyen-Orient, bloquant les tentatives américaines de discipliner la Syrie et l’Iran, mais son potentiel pour semer la panique dans l’équilibre mondial des puissances, accélérant ainsi la chute dans le chaos, reste dans une large mesure inexploité. Cela nous donne une preuve supplémentaire que le démarrage économique d’une ancienne colonie comme la Chine n’est plus désormais un facteur de progrès humain, mais apporte avec lui de nouvelles menaces de destructions, tant militaires qu’écologiques.

Nous avons commencé par étudier la nature réactionnaire de l’État-nation, autrefois expression du progrès, qui est maintenant devenue non seulement une entrave à l’avancée de l’humanité mais aussi une menace pour son existence même. L’éclatement virtuel des nations syrienne et irakienne, obligeant des millions de personnes à fuir la guerre et à éviter de se faire enrôler d’un côté ou d’un autre, la naissance de l’État islamique, le projet national de Jahbat al-Nusra, la défense patriotique du peuple kurde, tout cela sont des expressions de la décadence, de l’impérialisme qui n’a rien d’autre à offrir aux populations de ces régions que la misère et la mort. Il n’y a pas de solution à la décomposition du Moyen-Orient au sein du capitalisme. Face à cela, il est vital que le prolétariat maintienne et développe ses propres intérêts contre ceux de l’État-nation. La classe ouvrière dans les pays centraux du capitalisme détient les clés de la situation, compte-tenu de l’extrême faiblesse du prolétariat dans les zones en guerre. Et, bien que la bourgeoisie soumette la classe ouvrière des pays du cœur du capitalisme à un battage idéologique permanent autour des thèmes des réfugiés et du terrorisme, elle n’ose pas encore la mobiliser directement pour la guerre. Potentiellement, la classe ouvrière demeure la plus grande menace contre l’ordre capitaliste. Mais elle doit transformer ce potentiel en réalité si nous voulons éviter le désastre vers lequel nous courrons. Comprendre que les intérêts prolétariens sont internationaux, que l’État-nation n’est plus un cadre viable pour la vie humaine, sera une part essentielle de cette transformation.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

1 Brochure de Junius, la crise de la social-démocratie, 1915, Rosa Luxemburg. Ed. Les Amis de Spartacus, 1994, ch. VII, p. 127.

2 Idem, ch. VII, p. 128.

[3] Bilan de 70 années de luttes de libération nationales, 3

3 2ème partie : les nouvelles nations, Revue Internationale n° 69, pp. 20-21.

4 Voir les Notes sur le conflit impérialiste au Moyen-Orient 1ère partie, Revue Internationale n° 115, p. 21.

5 Voir les Notes sur le conflit impérialiste au Moyen-Orient 3ème partie, Revue Internationale n° 118, été 2004.

6 Nous reviendrons sur ce sujet dans un prochain article.


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