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Ni Dieu, ni César, ni Tribun (extraits)

posté le 29/04/17 par Daniel Saint-James Mots-clés  histoire / archive  réflexion / analyse 

Ni Dieu, ni César, ni Tribun (extraits)

Lorsque, parmi plusieurs sectes voisines et rivales, l’une d’elles vient à triompher, elle a dû et su ‘‘composer avec le siècle’’, et doit continuer de le faire. Il lui faut transformer, adapter, réformer l’enseignement de ses héros ou de ses fondateurs. C’est pourquoi son hagiographie prend l’apparence d’une version affadie de leur paroles, voire même en devient une sorte de négation. Les mots disent alors le contraire de ce qu’ils sont censés exprimer.

Ceci n’empêche pas la secte triomphante, devenue Eglise, de continuer de prétendre détenir la Vérité, et, forte de cette détention, non seulement spirituelle mais séculaire, elle ne peut traiter ceux qui la contestent que comme des hérétiques qu’il convient de faire disparaître ou à tout le moins de rendre inoffensifs.

Ainsi se créent des sectes de schismatiques et d’excommuniés. Avec les autres petites sectes, cet ensemble minoritaire se trouve rangé parmi les hérétiques. Certaines sectes s’en glorifient. Souvent persécutées, elles ont aussi leurs héros. Ce sont souvent presque tous les mêmes que ceux de la secte triomphante. Leur vie ne diffère donc guère de celles de leurs homologues des sectes ‘‘arrivées’’. D’ailleurs la secte ‘‘arrivée’’ était elle-même, hier encore, une secte minoritaire. Ce qui est caractéristique cependant, c’est que l’idéologie des minoritaires met davantage l’accent sur le côté ‘‘négatif’’ malchanceux de ses héros. Par une sorte de renversement dialectique, l’idéal de la secte devient juste puisque le héros a été sacrifié, qu’il est devenu un martyr, qu’il a été en proie aux persécutions, qu’il a été rejeté, exécuté. C’est dans ce renversement que la secte prend ses raisons de vivre : en effet, et l’exemple des sectes victorieuses, bien que honnies par les minoritaires, est là pour le prouver, la Vérité finit toujours par triompher, si ce n’est sur cette terre, du moins dans un monde meilleur. Il suffit d’attendre avec confiance et la persécution même de la secte est là pour lui indiquer qu’elle est toujours sur le chemin de la Vérité.

Cette attitude ne va pas sans un fort sentiment de supériorité, d’autant plus développé que la secte est minoritaire. Il peut même déboucher sur le pessimisme intégral : la preuve même de la vérité d’une attitude se trouve alors dans le fait, non seulement qu’elle est persécutée, mais qu’elle n’a aucune chance de triompher, voire de s’étendre.

Alors la secte se cantonne dans une sorte de masochisme de la pureté. Et, comme la pureté est une chose difficile à partager, elle éclate en petits groupes, chacun prétendant détenir la vraie Vérité, la vraie image du héros. Ainsi possède-t-on la vraie lecture de la Bible, la vraie lecture du Capital, le vrai Dieu, le vrai Jésus, le vrai Marx, le vrai Lénine, etc. voire, demain, le vrai Hitler. Et chaque petit groupe se sent renforcé dans sa conviction de détenir la Vérité ultime, par le fait même qu’il n’a que des ennemis.

C’est pourquoi les différences sectaires, aussi futiles qu’elles puissent apparaître aux yeux d’observateurs non prévenus, sont d’une telle importance aux yeux des sectaires eux-mêmes. C’est pourquoi, aussi, ce qui caractérise les sectes, c’est leur profonde incapacité d’évoluer, si ce n’est par des à-coups qui se traduisent toujours par des scissions, des exclusions, des excommunications. La pensée et l’idéologie de la secte scissionniste se sclérosent et se fixent sur les raisons parfois infimes de la scission. C’est pourquoi les sectes minoritaires ont souvent plus de haine et de rivalité entre elles, qu’elles mettent plus de hargne à s’opposer qu’elles n’en mettent à se défendre contre les sectes ‘‘arrivées’’ qui, insensibles à leurs différences, les persécutent également.

L’histoire de la secte bolchevique est une illustration frappante de ce qui précède.

[…][L]es sectes minoritaires, une fois séparées de leur grande famille, ne peuvent poursuivre qu’une vie larvaire retombant dans les discussions et les rivalités stériles, d’autant plus chauvines qu’elles sont sans pouvoir réel, s’abandonnant à la rancœur et à la nostalgie, glorifiant leurs héros et leur attitude passée. Faibles, divisées, elles se répandent, comme nous l’avons remarqué, en anathèmes, non seulement contre ceux qui les ont chassées, mais aussi les unes contre les autres, éclatant en myriades de chapelles. L’absence de mouvement, de prise sur le réel imposant la répétition obsessionnelle des mêmes thèmes entre les mêmes personnes, interdit rapidement la coexistence, dans un même groupe, d’individus présentant, sinon des opinions tranchées et différentes, du moins des positions affirmées. Dans leur sein se déroulent des luttes pour le pouvoir, caricatures de celles du passé, souvent justifiées par référence à celles-ci, d’autant plus ridicules et caricaturales qu’elles sont des luttes pour rien, pour la domination d’une coquille de noix absolument vide. C’est pourquoi, le plus souvent, les idées agitées dans ces sectes donnent une impression de déjà vu, d’absence totale de dynamisme, de rabâchage, de pinaillages mesquins, d’impossibilité de procéder à une véritable critique de l’activité d’autrefois comme d’aujourd’hui, de se dépasser. Bref, elles donnent l’impression de la sclérose, accompagnée de… vociférations. Rapidement, nombre de leurs membres, du moins ceux qui ne sont pas englués dans la foi ou l’admiration béate d’un leader, finissent par les quitter, le plus souvent découragés et perdus pour les idéaux qu’ils prétendaient viser. Ne correspondant à rien, si ce n’est de servir d’exutoire à un mécontentement latent teinté de nostalgie, elles ne peuvent croître au-delà d’une certaine taille et végètent.

Telle se présente l’histoire de Trotsky et des sectes trotskystes.

(Daniel Saint-James, 1979)


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