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Ni Ukrainien, ni Russe ! – Développons notre propre camp, le troisième camp, celui de la révolution sociale !

posté le 20/08/14 Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  antimilitarisme 

Lorsque nous avons écrit il y a un quelques mois dans notre texte « Préparatifs de guerre entre l’Ukraine et la Russie – Show ou réalité ? »i que les conditions d’une nouvelle guerre murissaient en Ukraine, beaucoup de camarades ont exprimé des doutes ou meme des désaccords avec une telle affirmation catégorique. Maintenant nous pouvons affirmer que le conflit en Ukraine a clairement permuté de la phase « froide » a la phase « chaude » et que ce a quoi nous assistons actuellement dans l’est du pays, c’est la guerre sous toutes ses définitions. De Lougansk a la frontiere avec la Russie jusque Marioupol sur la côte de la mer Noire, ce sont deux forces militaires qui se mesurent dans des affrontements quotidiens en essayant d’étendre la zone sous leur contrôle, ils se battent au sol ainsi que dans les airs, a la campagne ainsi que dans les centres industriels, l’artillerie fait pleuvoir des obus sur des villages, l’aviation bombarde des villes (sous le prétexte que leurs ennemis utilisent les habitants comme boucliers humains), des hommes, des femmes, des enfants meurent sous les bombes et les missiles… En quatre mois de conflit armé, plus de 2.000 civils et militaires sont morts et 6.000 autres ont été blessés ; 117.000 prolétaires ont été déplacés dans le pays et 730.000 autres ont trouvé refuge en Russie. Au moment de boucler cet article, les cadavres jonchent les rues de Donetsk, pris dans l’étau de l’offensive gouvernementale.

Dans le meme texte, nous avons aussi écrit que la seule réponse du prolétariat a la guerre, c’est d’organiser et de développer le défaitisme révolutionnaire, c.-a-d. de refuser dans la pratique de rejoindre l’un ou l’autre camp, mais au contraire d’établir des liens entre prolétaires des deux côtés du conflit a travers la lutte contre les deux bourgeoisies. Et meme sur ce terrain, les choses se sont développées, notre texte mérite des lors (trois mois apres sa publication) un post-scriptum.

Ce texte est basé sur des informations puisées a différentes sources (que nous citons en notes), des blogs militants comme des média officiels. Cette courte description des événements en Ukraine nous a demandé des heures d’un travail prudent, de collecte d’informations, de lecture de textes, de vision de vidéos, de comparaison de différentes données, etc. Nous voudrions souligner deux choses : primo, le fait que les événements que nous décrivons ici ne furent pas couverts par France Télévision ou Euronews ne signifie pas qu’ils n’ont pas eu lieu, que nous les ayons inventés (diverses sources gauchistes mais aussi les média ukrainiens et russes les ont décrits). Secundo, il est clair que les informations que nous avons obtenues d’Ukraine sont chaotiques, incompletes et parfois contradictoires. Cependant, cela ne signifie pas que nous devrions abandonner notre tentative de saisir ce qui se passe la-bas. Nous sommes persuadés que nous devons opposer aux informations sélectives de l’État la position critique et radicale du mouvement anticapitaliste ; nous devons développer et partager les informations et les analyses qui comprennent le monde a travers le prisme de la perspective de le révolutionner.

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L’idéologie guerriere (qu’elle soit basée sur la défense d’un état national uni ou sur le droit a l’autodétermination des sympathisants pro-russes) plonge ses racines en Ukraine, les organisations de la société civile organisent des campagnes de collecte de fonds pour supporter l’armée, les popes bénissent les armes d’un camp ou de l’autre, et la télévision diffuse des scenes de babouchkas qui fournissent aux hommes armés leur dernier pot de compote. Tous les prolétaires cependant ne se soumettent pas au lavage de cerveau de la propagande guerriere provenant de l’un ou de l’autre camp, pas tous ne veulent se sacrifier « pour leur patrie ». Des expressions du refus pratique des massacres guerriers apparaissent toujours plus fréquemment et les deux camps du conflit ont de grandes difficultés pour recruter de nouveaux effectifs pour leur massacre mutuel.

Des milliers de soldats de l’armée ukrainienne, que le gouvernement a envoyé dans les soi-disant opérations antiterroristes dans l’est du pays, ont déserté ou changé de camp avec tout leur matériel, y compris des tanks et des véhicules blindés. A titre d’exemple, la 25eme brigade aéroportée ukrainienne (troupe d’élite par excellence), dont les hommes sont accusés « d’avoir fait preuve de lâcheté » lors des combats a Kramatorsk, sera dissoute sur instruction présidentielle le 17 avril apres avoir fait part de son refus de « combattre d’autres Ukrainiens ».ii Tout récemment, ce sont 400 soldats d’une meme unité qui ont déserté et se sont réfugiés du côté russe de la frontiere apres s’etre retrouvés sous un feu nourri et sans munitions. Ces soldats qui seront, comme la Russie l’a déja annoncé, extradés vers le territoire ukrainien, ont déclaré qu’ils préferent etre accusés de désertion plutôt que de continuer a tuer et etre tués sur le front oriental. Tous ces déserteurs déclarent qu’ils ne veulent pas se battre contre « leur propre peuple » et ils dénoncent aussi leurs conditions de vie désespérées auxquelles ils doivent faire face dans l’armée – solde minable, nourriture dégueulasse, ou meme manque de nourriture, etc. D’autres unités n’ont meme pas été déployées dans l’est pour leur manque de fiabilité. De la meme façon que le précédent président Ianoukovitch ne put les utiliser pour réprimer les manifestants, pas plus l’actuel gouvernement n’ose envoyer au combat des troupes connues pour leur loyauté minimale.

Environ un millier de soldats d’unités de la région de Volhynia se sont mutinés a Mykolayiv le 29 mai. Les soldats du 3eme bataillon de la 51eme brigade ont refusé d’etre envoyés au front, ils ont refusé les ordres de leurs supérieurs et ils ont commencé a décharger leurs équipements lourds et d’autres matériels déja prets pour le transport. Apres que leur unité ait subit de lourdes pertes lors d’une confrontation avec les séparatistes pres du village de Volnovakha, on leur avait promis de retourner dans leur casernement permanent a Rivne. Au lieu de cela, ils furent déplacés de l’est vers le sud, puis retour a la case départ, de telle sorte qu’on put finalement leur annoncer qu’ils vont continuer leur entrainement avant d’etre renvoyés au front. « Ayant perdu toute confiance dans leurs généraux a la lumiere des derniers événements a Volnovakha et durant les funérailles a Rivne, ainsi qu’a cause de la trahison de leurs généraux, les soldats ont entamé une rébellion ouverte. »iii

Le 2eme bataillon de la 51eme brigade, qui se trouvait dans la caserne de Rivne au meme moment et qui fut le témoin des funérailles des soldats du 3eme bataillon tués dans la fusillade de Volnovakha ainsi que de la direction chaotique et mensongere des opérations, ce bataillon se mutina également. « Les généraux nous disaient ‘allez au nord’ puis ‘allez au sud’ au point que les soldats sont prets a leur tirer dessus. Les généraux ont commencé a porter des gilets pare-balles de peur des fragging ! »iv Environ 1.200 soldats ont participé a la mutinerie, ils ont refusé d’etre transférés a Mykolayiv. « Ils nous ont promis, lorsqu’ils nous ont mobilisé, que nous garderions la frontiere entre l’Ukraine et la Biélorussie. Nous sommes prets a le faire, mais pas a foncer sur ces clowns du Donbass. »v

Une rébellion semblable a aussi éclaté a Poltava.

Quatre jours plus tôt, apres que six soldats originaires de la région de Volhynia ne soient tués, des meres, des femmes et des parents de soldats de la 51eme brigade ont bloqué les routes dans la région de Volhinya pour protester contre la poursuite du déploiement de l’unité dans le Donbass.vi

Des manifestations et des protestations organisées par des femmes et d’autres parents de conscrits demandant le retour a la maison des soldats ou essayant de bloquer leur départ au front se sont étendues pendant ce temps a autres régions de l’Ukraine (Bucovine, Lviv, Kherson, Melitopol, Volhynia, etc.). Les familles des soldats bloquaient les routes avec des arbres abattus dans la région de Lviv au début de juin.vii Une manifestation de parents a bloqué l’entrée du bureau de recrutement militaire a Lviv quelques jours plus tard.viii A Iavorivo (région de Lviv), des membres d’une famille ont occupé un terrain d’exercice de la 24eme brigade mécanisée et ils ont exigé la suppression du départ vers la ligne de front.ix Des manifestations de parents a Dnipropetrovsk et Kharkov ont exigé le retour des soldats dans les casernes de leurs régions natales.x Des femmes de Kharkov ont occupé l’aéroport militaire local. Le bureau de recrutement militaire local a Kherson a été occupé par des meres et des femmes de soldats. Elles ont appelé a la fin de la guerre avec des slogans comme : « Femmes contre la guerre », « Ou les fils des oligarques font-ils leur service ? » ou « Nos enfants ne sont pas de la chair a canon ».xi A Tchernivtsi, des femmes ont bloqué l’autoroute vers Jitomir pour plusieurs jours et elles ont réclamé le retour a la maison des soldats.xii Le 24 juin, des parents ont établi un barrage au kilometre 125 de l’autoroute Kiev–Tchop, ils portaient des bannieres disant : « Ramenez nos enfants, envoyez a l’est les enfants de généraux. »xiii Le 8 juin, un groupe de 100 parents de soldats ont bloqué les troupes de la 3033eme unité militaire basée a Melitopol, dans la région de Zaporojie. La protestation a réussi a empecher les soldats d’etre envoyés au front. Les parents impliqués dans le mouvement de contestation ont aussi protesté contre la propagande étatique qui les décrit comme des « séparatistes prorusses » : « Hier les nouvelles ont dit que ‘des séparatistes prorusses ont organisé un blocus de l’unité militaire’. Mais il n’y avait aucune mention de la Russie a la porte d’entrée de l’unité militaire ! Nous ne voulons juste pas perdre nos soutiens de famille. (…). Donetsk est un massacre, et nos enfants ont 20-21 ans. (…) Vous nous voyez, nous sommes des meres ! Comment pouvez-vous nous appeler des séparatistes ? », déclarait une des participantes.xiv Des meres et des femmes de soldats ont protesté contre leur envoi au front en face de la base militaire de Ternopil le 15 juillet.xv

Et ce n’est pas la premiere fois que les familles de soldats s’affrontent a une action militaire. Pendant la période dont le résultat fut finalement la chute du précédent président Ianoukovitch, des parents et d’autres personnes ont organisé des réunions devant les casernes, ils ont discuté avec les soldats afin de leur apporter des informations sur ce qui se passait vraiment dans les rues et pour les persuader de refuser de participer a une répression potentielle contre les manifestants.

Pendant ce temps, de nouveaux hommes continuent d’etre enrôlés dans l’armée. Meme s’ils doivent etre recrutés sur la base d’une carte militaire obligatoire, le gouvernement les fait passer pour des volontaires. « Nous ne sommes pas des volontaires (…) nous ne voulons pas tuer des gens (…) nous n’irons pas n’importe ou, nous enleverons nos uniformes et nous rentrerons chez nous », ont proclamé des conscrits lors d’un rassemblement de protestation a Lviv.xvi

Apres l’entrée en vigueur du décret présidentiel de Porochenko a propos de la troisieme vague de mobilisation dans les forces militaires le 24 juillet, dont la conséquence est l’envoi de davantage de milliers de prolétaires au front, des troubles ont éclaté dans différents endroits en Ukraine de l’ouest avec une force accrue : dans le village de Voloka, toute la population a résisté a la conscription de 50 hommes. « Ils ont commencé, qu’ils résolvent eux-memes (leurs problemes). Nous mourrons mais nous ne donnerons pas nos enfants. Ils doivent le comprendre et ne pas venir ici avec leurs ordres de mobilisation », déclarent un vieux manifestant.xvii Des parents de soldats ont bloqué une route pres du village de Korovia le 25 juillet exigeant la fin de la mobilisation et que les fils des autorités publiques soient envoyés au front a leur place.xviii Le meme jour, une route dans le district d’Oboukhivs’kyi, pres de Kiev, fut également bloquée par des familles de soldats. Les blocages continuaient de plus belle le 28 juillet dans au moins sept villages dans la région de la Bucovine et l’autoroute Kiev-Tchop fut également bloquée, une fois de plus. Lors d’une manifestation anti-guerre en face d’un bureau de recrutement a Novoselytsa, des protestataires ont molesté un membre du conseil municipal qui essayait de leur parler.xix Des habitants de plusieurs villages de la région d’Ivano-Frankivsk sont entrés de force dans les bureaux de l’administration militaire locale le 22 juillet et ont allumé un feu de joie avec les ordres de mobilisation et d’autres documents concernant la mobilisation. La meme chose eu lieu le meme jour a Bogorodchany.xx Dans différent villages, les gens ont massivement brulé leurs documents de conscription distribués par la poste.xxi A Moukatchevo, en Transcarpathie, la situation s’est aggravée a tel point que le commandement militaire local qui s’inquiétait de la continuation des protestations a, pour l’instant, suspendu la mobilisation et a promis qu’aucun des habitants du coin ne sera envoyé au front dans un futur proche.xxii D’autres mobilisations militantes contre la guerre ont encore eu lieu dans la région de Zaporojie le 4 aout ainsi que devant le parlement a Kiev le lendemain.xxiii

Kiev qui ne peut actuellement compter qu’a peine sur son armée réguliere dépend par conséquent des armées privées de quelques oligarques et de la Garde Nationale, une milice de volontaires principalement formée de nationalistes du Pravyi Sektor (Secteur droit) et du parti Svoboda (Liberté) pendant le mouvement de protestation contre Ianoukovitch. Les nouvelles unités de la Garde Nationale ne sont pas spécialement formées pour les actions militaires, mais principalement pour réprimer les protestations de masse et les émeutes, comme cela a été révélé lors de leur parade a Kiev a la fin de juin. D’ailleurs, des centaines de fascistes de l’Assemblée National-socialiste et les Patriotes Ukrainiens avaient déja attaqué en juin une manifestation contre l’opération anti-terroriste qui avait lieu a Kiev.

Néanmoins, les membres de la Garde Nationale ne sont pas non plus en dehors des contradictions qui secouent les deux camps. Radio Europe Libre a récemment publié une vidéoxxiv qui montre un soldat de la Garde Nationale qui reproche au gouvernement de n’etre pas capable de fournir assez de nourriture, d’eau et d’armes aux volontaires : « Nous sommes utilisés comme de la chair a canon » affirme-t-il. Les conditions matérielles rattrapent ici meme ceux qui pensent qu’ils sont idéologiquement au-dessus d’elles.

Des mercenaires provenant du monde entier se battent aussi dans le camp de Kiev, ils ont été embauchés pour le gouvernement par des agences privées (il s’agirait de troupes mercenaires de Pologne, de la République tcheque, de l’ex-Yougoslavie, mais aussi de la région d’Afrique équatoriale).

Le recrutement de nouveaux combattants n’avance pas selon le souhait des seigneurs de guerre locaux, et dans le camp des séparatistes non plus. La majorité des mineurs de la région du Donbass refuse toujours de rejoindre leur camp. Au lieu de cela, ils forment des unités d’autodéfense qui se positionnent contre les séparatistes et les troupes du gouvernement. Une de ces unités s’est affrontée aux séparatistes et les a empechés de faire sauter une mine dans le village de Makiivka. A Krasnodon, dans la région de Lougansk, les mineurs ont organisé en mai une greve générale et ils ont pris le contrôle de la ville. Ils ont ouvertement refusé de se joindre tant au camp des séparatistes « anti-Maidan » a Lougansk que le camp des oligarques du Maidan a Kiev, et ils ont plutôt exigé l’augmentation de leurs salaires ainsi que l’arret de l’embauche de main-d’ouvre pour la mine par des agences privées.xxv

Les mineurs de six mines dans le bassin du Donbass ont déclenché une greve a la fin du mois de mai pour demander la fin de l’opération anti-terroriste dans l’est du pays et le retrait des troupes.xxvi Leur action fut le résultat de leur propre initiative et n’a pas été imposée en aucune façon par des hommes armés de la République Populaire de Donetsk, d’apres certains médias. Selon les grévistes, la guerre représente un danger pour l’existence meme des mines et provoque le chômage. « Le lundi 26 mai, lorsque l’armée ukrainienne a commencé le bombardement des villes, les mineurs ne sont tout simplement pas retournés au boulot, parce que le ‘facteur externe’ des hostilités, ayant lieu presque au pas de leur porte, a sérieusement augmenté le risque d’accidents du travail dans leur entreprise. Par exemple, si jamais une bombe avait frappé la sous-station électrique, les mineurs auraient été pris au piege sous terre, ce qui aurait inévitablement signifié pour eux la mort. »xxvii La greve fut déclenchée par quelque 150 mineurs de la mine Oktiabrski et elle s’est étendue comme une réaction en chaîne a d’autres fosses de Donetsk (Skochinskiy, Abakumov, « Trudovskaya », etc.), mais aussi a des mines d’autres villes, en particulier Ougledar (« Yuzhnodonbasskaya n°3 »). Dans les mines dont le propriétaire est Rinat Achmetov, l’homme le plus riche d’Ukraine et qui possede un empire industriel contrôlant économiquement presque toute la partie orientale du pays, les travailleurs ont été forcés de continuer a travailler, ils ont continué a descendre dans la fosse, malgré le bombardement du voisinage proche. A l’initiative des mineurs de la mine Oktiabrski également (et a nouveau sans aucun soutien de la République Populaire de Donetsk), une manifestation anti-guerre de plusieurs milliers de participants a été organisée le 28 mai.xxviii Le 18 juin, plusieurs milliers de mineurs ont a nouveau manifesté dans le centre de Donetsk pour la fin immédiate des opérations militaires. Les participants ont fait valoir qu’ils ne sont pas séparatistes, mais des gens ordinaires du Donbass. Ils ont également déclaré que si le gouvernement de Kiev ne répondait pas a leurs revendications, ils prendraient les armes.

Les séparatistes ainsi que les oligarques locaux pro-Kiev tentent de manipuler et d’interpréter ces assemblées chaotiques et contradictoires en fonction de leurs propres intérets. Rinat Achmetov, l’oligarque de Donetsk, a donc organisé sa propre « greve » pour l’Ukraine unie, les séparatistes pour leur part essayent de faire passer les manifestations de mineurs comme une expression d’une position pro-russe des travailleurs du Donbass.

Malgré les consignes nationalistes ou séparatistes qui apparaissent dans les manifestations de mineurs, les travailleurs ne sont pas tres désireux de rejoindre la Milice Populaire du Donbass. Un des commandants séparatistes, Igor Girkin, s’est récemment plaint en public de ce que les populations locales prennent les armes de son arsenal, mais au lieu de se mettre au service des milices séparatistes, ils les ramenent chez eux pour protéger leurs familles et leurs villages contre les deux camps du conflit.xxix Les séparatistes continuent donc de compter sur les gangs criminels locaux qui (apres avoir été payés) leur ont permis de prendre le contrôle de bâtiments publics, de postes de police, de dépôts d’armes, de grandes arteres et de moyens de communication dans la région de Donetsk et de Lougansk. La majorité des forces séparatistes est néanmoins faite de mercenaires provenant de l’autre côté de la frontiere (russe), en particulier les anciens combattants des guerres en Tchétchénie.

Si le mouvement anti-guerre réel, le mouvement du défaitisme révolutionnaire, veut réussir, il doit devenir non seulement massif et généralisé, mais il doit aussi s’organiser, se structurer. Nous n’avons que peu d’informations sur les structures organisationnelles du mouvement en Ukraine. Nous pouvons conclure a l’existence de certaines structures a partir des événements eux-memes (des manifestations ou des greves répétées de plusieurs milliers de personnes ne peuvent pas etre le résultat d’une explosion spontanée de colere, de la meme façon que les protestations des parents de soldats, comme nous les avons décrites ci-dessus, exigent un certain niveau de coordination, une collaboration organisée sur le plan du contenu et de la pratique), l’existence d’autres structures formelles ou informelles est confirmée par des informations incompletes que nous avons obtenues sur le terrain. Certaines associations déja existantes se sont transformées en cadres de centralisation des activités anti-guerre – par exemple la Communauté des parents de la région de Donetsk « Kroha »xxx, qui a publié un appel a la population le 10 juin, tout limité, contradictoire et pacifiste qu’il puisse etre : « Nous, les parents de la région de Donetsk, en appelons a vous, politiciens, personnalités publiques et personnes intéressées. Aidez-nous a sauver les gens de Slaviansk, Krasnyi Liman, Kramatorsk, arretez les opérations militaires. Nous avons besoin de votre aide pour faire comprendre la vérité sur ce qui se passe dans ces villes. Depuis plusieurs semaines, les gens vivent sous les tirs d’artillerie incessants. Les civils meurent constamment. Certains enfants ont été blessés, la mort de trois enfants est confirmée. Des maisons, des hôpitaux, des creches et des écoles sont en train de s’effondrer. Les gens, y compris des enfants, vivent dans un état permanent de stress, en se cachant dans les sous-sols pendant plusieurs heures des attaques qui ne s’arretent presque jamais. (…) Nous demandons votre aide pour sauver la vie de ces personnes et pour l’arret des actions militaires. »xxxi Une autre association, les Meres du Donbass, affirme dans sa déclaration : « Nous voulons juste vivre ! Nous, des gens ordinaires : maris et femmes, parents et enfants, freres et sours. Nous, des civils pacifiques, nous sommes les otages du conflit dans notre région, les victimes des affrontements militaires. Nous sommes fatigués de la peur et aspirons a la paix. Nous voulons vivre dans nos maisons, marcher dans les rues de nos villes, travailler dans les entreprises et organisations de notre région, et cultiver notre terre. (…) Nous, les meres du Donbass, nous insistons pour que soit mis un terme immédiat a l’opération anti-terroriste et aux actions militaires dans notre région ! (…) Nous sommes sures que le conflit dans notre pays peut etre résolu pacifiquement ! Arretez la guerre ! Évitez le déces des enfants ! Sauvez le peuple du Donbass ! »xxxii La Voix d’Odessa a organisé une manifestation contre la guerre le 13 juillet a Odessa. Les participants criaient des slogans comme « Nous sommes contre la guerre ! », « Arretez l’opération antiterroriste a l’Est ! » ou « Nous voulons la paix ! » Pendant cette flash-mob, d’effrayants enregistrements audio de tirs d’artillerie et d’impact sur des civils étaient diffusés.xxxiii A Kharkov, des associations anti-guerre locales (entre autre le Mouvement des Femmes de Kharkov « Kharkivianka ») ont organisé le 20 juin une manifestation en face de l’usine de chars VA Malyshev. Cette usine a reçu une commande de 400 véhicules blindés pour etre envoyés au front. Les manifestants ont exigé l’annulation de la commande et ont scandé des slogans comme « Non a la guerre » ou « Arretez le massacre insensé ! »xxxiv

Pendant ce temps, la situation économique et sociale dans toute l’Ukraine s’empire. La dévaluation de la monnaie locale, l’augmentation des prix des produits de base, des transports et des services ainsi que la réduction de la production dans de nombreuses entreprises conduisent a une forte baisse des salaires réels estimés entre 30 et 50% de perte. Le gouvernement de Kiev, sous la pression des institutions financieres internationales, doit adopter une série de mesures d’austérité qui va encore aggraver les conditions de vie du prolétariat, et dans le meme temps, il prépare la plus grande vague de privatisation depuis 20 ans. Le gouvernement central a cessé depuis mai le paiement des salaires des employés de l’État, des prestations sociales et des pensions dans les territoires qui ne sont pas sous son contrôle, des milliers de travailleurs sont donc sans revenus. La situation dans les régions ou des opérations militaires ont lieu est encore pire – les fournitures d’électricité et d’eau sont interrompues, les médicaments et la nourriture sont rares.

Des troubles sociaux précipités par cette situation apparaissent depuis un certain temps. Outre les greves de mineurs dans la partie orientale du pays, les prolétaires dans les régions de l’ouest commencent aussi a en avoir assez. Les mineurs de Krivoy Rog ont entamé une greve illimitée générale en mai exigeant le doublement de leurs salaires. Ils ont commencé a organiser des milices armées d’autodéfense. Dans leur déclaration adressée aux travailleurs de toute l’Europe, ils décrivent les oligarques russes et ukrainiens, dans quelque camp qu’ils soient (séparatiste ou celui de Kiev), comme la raison principale de la crise : « Nous nous adressons a vous en vous demandant de soutenir notre lutte contre les oligarques, qui ont provoqué la crise actuelle en Ukraine et qui continuent a la déstabiliser davantage, menaçant de provoquer une guerre fratricide en Ukraine qui sans aucun doute aura des conséquences catastrophiques pour toute l’Europe. »xxxv

Plusieurs manifestations pour « des conditions de vie décentes », contre l’augmentation des prix et pour l’augmentation des salaires et des pensions ont eu lieu dans différentes villes dans tout le pays. (Une série d’actions contre l’augmentation des prix des logements et des tarifs des services publics ont eu lieu a Kiev a la fin de juin et en juillet. Le 1er juillet, une manifestation contre l’augmentation des prix s’est déroulée a Kharkov. La plus importante protestation pour le moment a eu lieu a Kiev le 24 juillet avec des slogans comme « Réduisez les revenus des oligarques, pas ceux du peuple » et « Ne volez pas les citoyens ordinaires ».)xxxvi

Début aout, le dernier carré de résistants qui continuaient d’occuper la place Maidan a Kiev (« parce que rien n’a changé ! ») est attaqué par deux bataillons de la Garde Nationale dans le but de les évacuer. Ils agissent sur ordre du nouveau maire de Kiev, Vitali Klitchko, ce qui démontre une fois de plus que la parole d’un politicien bourgeois (en début d’année, il avait demandé aux occupants de ne pas évacuer la place « tant qu’aucun véritable changement n’ait lieu en Ukraine ») n’engage que ceux qui y croient… De violents affrontements ont néanmoins éclaté lors de l’évacuation, ce dont la presse bourgeoise internationale s’est une fois de plus bien abstenu d’évoquer, tant il est vrai que le gouvernement de Kiev est l’allié occidental et « l’horreur ultime » ne peut etre incarnée que par les séparatistes de l’est et la Russie.

La République Populaire de Donetsk tente de restreindre le mouvement des mineurs qui se soucient plus de leurs intérets matériels que de toute idéologie, tout en jonglant entre les revendications des grévistes a qui on avait promis la nationalisation des complexes industriels et les intérets des oligarques a qui on avait promis l’inviolabilité de la propriété privée.

Le mouvement anti-guerre, meme s’il est pour le moment limité tant dans l’espace que dans le contenu, les greves et manifestations ouvrieres organisées non pas pour une idéologie mais pour les intérets matériels du prolétariat dans les deux camps, tout cela confirme ce que nous écrivions dans notre texte précédent : « (…) le déclenchement de la guerre impérialiste (…) ne signifie pas nécessairement l’écrasement définitif du prolétariat. En effet, historiquement, si la guerre signifie dans le premier temps un relatif écrasement, elle peut ensuite dialectiquement déterminer une reprise des luttes d’autant plus forte qu’elle a mis a nu les contradictions et la brutalité immanente au systeme capitaliste. »
Malgré ça, il nous est arrivé a plusieurs reprises de tomber sur de soi-disant « révolutionnaires » qui défendent l’opération anti-terroriste, parce qu’ils croient que cela permettra un retour a la lutte de classe « normale ». Malgré ça, nous pouvons lire (meme si de maniere fragmentaire et contradictoire) des nouvelles a propos d’« anarchistes » actifs dans des structures administratives des séparatistes, parce qu’ils les considerent comme un moindre mal en comparaison avec le gouvernement de Kiev.

Nous ne soutenons en aucune façon la guerre et ses atrocités et nous sommes conscients que tout conflit militaire signifie l’aggravation des conditions de vie des prolétaires. Cependant, en tant que communistes, nous ne pouvons pas adopter la these selon laquelle nous pourrions éviter un conflit militaire en soutenant l’un ou l’autre camp guerrier. Le prolétariat n’a aucun intéret a préserver les conditions actuelles ou antérieures de sa misere. Le prolétariat n’a pas de patrie a défendre. Le camp du prolétariat dans toute guerre, c’est l’action unie et intransigeante des prolétaires des deux camps qui se font concurrence contre les deux camps guerriers de la bourgeoisie.

La lutte contre la guerre signifie le défaitisme révolutionnaire ! Front prolétarien révolutionnaire contre la bourgeoisie des deux camps guerriers !

Affrontons la guerre par l’action directe, le sabotage, la greve générale, radicale et combative !

Solidarité de classe avec les défaitistes révolutionnaires de tous les camps !

* Aout 2014 *

http://www.autistici.org/tridnivalka/ni-ukrainien-ni-russe/


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