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Notes sur l’accord du gouvernement - par Bruxelles Dévie

posté le 19/10/20

Il y a une petite quinzaine de jours, on entendait une "grande nouvelle" : la Belgique est enfin pourvue d’un gouvernement. Il s’agit d’une large coalition alliant ce qui est encore appelé la "gauche modérée" à la droite, qui regroupe les PS et SPA (partis socialistes), ecolo et groen (partis écologistes), l’Open VLD et le MR (partis libéraux) et enfin le CD&V (parti libéral catholique). Nous avons parcouru l’accord qu’a conclu ce gouvernement pour former la coalition, et nous tenions à en faire une courte analyse, qui rejoint celle du média Tout va bien. Avant de commencer, il est important de préciser qu’il ne s’agit que d’un accord, donc, en quelque sorte, des "projets futurs" du gouvernement ; rien n’a encore été mis en oeuvre.

La première chose qui saute aux yeux, c’est qu’ils et elles n’ont pas prévu un plan pour nous faire sortir du train en marche. Ce train, c’est le système capitaliste, patriarcal, raciste et écocidaire dans lequel nous vivons. Les derniers mois ont pourtant révélé l’ampleur des problèmes auxquels nous faisons face. La pandémie a montré le problème de privatiser et sous-financer des secteurs vitaux, comme celui de la santé. Les mobilisations antiracistes et contre les violences policières ont souligné qu’un racisme systémique gangrène la Belgique. Le mouvement féministe révèle toujours un peu plus le rôle du patriarcat. Les catastrophes écologiques sont trop nombreuses pour être citées ; elles nous rappellent tous les jours l’urgence d’agir. Bref, le train dans lequel nous sommes fonce droit dans un mur. Le gouvernement n’a pas choisi d’en sortir. Il n’a même pas choisi de lui faire prendre un virage important. Il a, tout au plus, fait quelques aménagements pour que la collision avec le mur soit moins pénible.

Au sujet de la police, le moins que l’on puisse dire c’est que le gouvernement a plus écouté les policiers que les jeunes qui y font face. L’accord prévoit le recrutement de 1600 policiers par an et une injection de 213 millions d’euros de budget. Une réforme de la formation des agents est aussi prévue : il s’agit de la rendre plus courte. Dans un pays où les violences policières sont devenues la norme, le gouvernement veut donc envoyer plus d’agents sur le terrain et les former moins, ce qui mènera très probablement a une augmentation des abus. Pour ce qui est des suites judiciaires, la majorité veut hausser le ton et s’assurer que toute personne qui s’en prend aux policiers sera jugé le plus rapidement possible. Par comparaison, il est seulement prévu une modification du statut des agents "pour garantir un traitement plus fluide des affaires disciplinaires" dans le cas où un policier serait poursuivi (alors même que le policier qui a renversé Mehdi vient de se faire acquitter). Le discours est en total décalage avec la situation : les personnes qui s’en prennent aux forces de l’ordre sont déjà jugé (trop) fermement ; c’est par rapport aux agressions commis par les policiers qu’il faudrait lancer une grande réforme, mais ce n’est pas l’idée du gouvernement.

Concernant l’Asile et la migration, l’idée est d’harmoniser la politique migratoire avec les autres pays européens. Nous allons donc continuer dans le même sens que les années précédentes : enfermer et expulser. Le nouveau secrétaire d’Etat a même promis la création de nouveaux centres fermés (centres dans lesquels on enferme les personnes en "séjour irrégulier" ; concrètement, les conditions sont les mêmes qu’en prison). Par ailleurs, on ne trouve pas un mot sur les sans-papiers dans l’accord, qui correspondent quand-même à 150 000 personnes habitant en Belgique. Seul (maigre) bon point : la Belgique va enfin se plier au droit international et arrêter d’enfermer des enfants dans les centres fermés.

Les partis au gouvernement se sont engagés à “aboutir à un consensus sur les matières éthiques avec un respect réciproque pour les points de vue de chacun”. Problème ? Ils ont inclu l’avortement dans ces “matières éthiques”. Pour rappel, l’avortement n’est pas autorisé dans la loi belge ; les poursuites judiciaires sont seulement suspendues dans les cas où l’avortement a lieu selon certaines conditions (moins de 12 semaines de grossesse, sauf pour quelques exceptions). Durant l’été, le parlement belge avait rejeté une proposition de loi qui dépénaliserait totalement l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Le nouveau gouvernement n’a pas l’intention de revenir à la charge avec ce projet, notamment parce que le CD&V y est opposé, ce qui empêche le fameux "consensus sur les matières éthiques".

Ensuite, le rapport parle d’un plan interfédéral contre le racisme, ce qui est positif. Malheureusement, il y a très peu de détails sur le contenu de ce plan, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une promesse pour faire belle figure, mais que les partis ne se sont pas réellement penchés sur la question. En plus, lutter contre le racisme en Belgique demanderait de questionner le fonctionnement de plusieurs institutions, comme la police et la justice, pour s’attaquer au racisme systémique, mais le rapport ne s’y intéresse pas. L’idée est donc simple : on parle d’un plan contre le racisme, à la limite on met en place deux ou trois bricoles pour pouvoir dire "on a fait quelque chose", mais on ne remet rien fondamentalement en question (ni la police, ni la justice, ni la machine à expulser des migrant·e·s).

Autre point important : l’écologie. L’accord ne prévoit en aucun cas une remise en question de la croissance, qui est pourtant la cause majeure des changements climatiques. Le gouvernement a simplement promis de refinancer la SNCB, ce qui veut dire concrètement : elle sera de nouveau financé comme elle l’était avant le 2014. Ce qui est problématique, c’est que l’accord prévoit aussi de tester la privatisation du rail et donc de laisser des entreprises concurrencer la SNCB. Pourtant, il existe une règle d’or : chaque fois qu’on privatise un bien commun, ça finit par coûter plus cher à l’usager. A Londres, par exemple, depuis que les chemins de fer ont été privatisés, les prix des billets ont explosés. En Belgique, une des seules ligne qui n’est pas gérée par la SNCB est celle qui mène à l’aéroport de Zaventem. Les tickets sont bien plus chers que sur le reste du réseau belge. Par ailleurs, le gouvernement continue à investir plusieurs milliards par an dans les voitures de société, véritables cadeaux faits aux entreprises (si une entreprise donne une voiture de société à un·e travailleur·se, elle peut le payer moins … c’est donc comme si l’Etat payait une partie du salaire des travailleur·se·s à la place des entreprises).

En termes de soins de santé, on pourrait avoir l’impression que le gouvernement s’est racheté : il a promis une augmentation de la norme de croissance budgétaire, qui passe de 1,5 à 2,5% en 2022 et un investissement d’1,2 milliard d’euros. La norme de croissance budgétaire correspond à l’évolution du budget alloué à la santé. La santé en lutte a rapidement expliqué que ce ne serait même pas suffisant pour combler l’augmentation des besoins (en effet, plus les années passent, plus on est en Belgique, plus on a donc besoin de structure de soins). Par ailleurs, il est important de rappeler que 2,5%, c’est un taux très bas par rapport à ce qu’on a connu au début des années 2000 (environ 4,5%). Lorsque le gouvernement parle d’une augmentation historique, il veut dire que le budget restera répressif, il le sera juste un peu moins que le précédent.

Pour terminer, intéressons-nous à la sécurité sociale. L’accord promet une augmentation progressive de la pension à 1500 euros d’ici 2024. Ce chiffre a été brandi comme une grande victoire par les partis socialistes et écologistes. Pourtant, il faut savoir qu’il ne concerne que les travailleur·se·s ayant effectué une carrière complète (c’est à dire longue de 45 ans). Seul.e.s 29% des belges rentrent dans ces critères, dont majoritairement des hommes ; le reste de la population touchera donc une pension moins importante. On ne sait d’ailleurs pas si les périodes de maladie influenceront le calcul ou non. Concernant les allocation sociales, enfin, les moyens mis en place ne permettent absolument pas d’arriver à ce que toutes les personnes qui touchent des allocations vivent au dessus du seuil de pauvreté, ce qui devrait pourtant être l’objectif du gouvernement.


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