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Par monts et par vaux, en bas et à gauche

posté le 24/01/15 par Tuttle et Batchi Mots-clés  alternatives  Mexique  Peuples natifs 

L’EZLN a convoqué en cette fin d’année 2014 le premier festival mondial
des résistances et rébellions contre le capitalisme. Cette initiative est
une nouvelle tentative des zapatistes de s’ouvrir hors secteurs indigènes
tout en réaffirmant avec détermination la nécessité de l’union des forces
indigènes regroupées au sein du Congrès National Indigène. La
modernisation du capitalisme en capitalisme d’extraction entraîne
d’énormes projets d’infrastructure dans le monde et donc aussi au Mexique.
Les terres, entre autres indigènes, sont menacées par de tels projets.
Comment unir les forces ? Comment s’organiser ? Comment faire face à la
répression brutale et arbitraire ? Quelles solidarités construire ? Voici
quelques-unes des questions soulevées dès le départ par ce Festival, avant
que l’ignominie des morts et disparus d’Ayotzinapa n’influe sur le fond et
sur la forme de cette rencontre.

Contexte général

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de recontextualiser
ce festival dans l’actualité zapatiste mais aussi mexicaine.
Au printemps 2014, les zapatistes ont subi une attaque paramilitaire au
caracol de la Réalidad, attaque qui a fait un mort, le compa Galéano. A la
suite de cet événement, l’EZLN a “détruit” son icône médiatique, le
sous-commandant insurgé Marcos. Au delà du symbole de la disparition du
porte-parole officiel, métis et hautement médiatisé de l’EZLN, le
remplacement de Marcos par le Sous-commandant insurgé Moises marque une
cristallisation de l’identité indigène de la commandance zapatiste.
L’importance de se (re)centrer sur cette identité indigène s’est vu aussi
en août 2014, lors de la semaine de compartición (rencontres d’échanges)
organisée entre les zapatistes et le Congrès National Indigène. Le C.N.I
est un espace politique plus ou moins formel ouvert à l’initiative des
zapatistes lors des négociations avec le gouvernement qui devait aboutir
aux accords de San Andrès de Larrainzar sur les droits et cultures
indigènes. Accords signés en 1996 et jamais appliqués par les
gouvernements successifs.

Le C.N.I intègre quasiment toutes les différentes ethnies en lutte contre
le capitalisme et ses promoteurs : partis politiques ou narcotrafiquants,
qui souvent ont des liens de cosanguinités importants. Cet espace,
distinct et autonome de tous partis, mais aussi de l’EZLN, tente de
fédérer les différentes luttes et de défendre les prisonnièr-e-s qui en
sont issu-e-s. Souvent ils se basent pour leur organisation sur les “us et
coutumes” (usos y costumbres) des peuples originels. Cette forme
d’organisation de la vie des communautés est théoriquement reconnue dans
la constitution mexicaine, mais évidemment comme on verra plus loin,
souvent bafouée.

Néanmoins les zapatistes savent très bien qu’unir un front indigène, si
nécessaire que ce soit n’est pas suffisant. C’est pourquoi, après les
rencontres d’août 2014 a surgi l’invitation pour le 1er Festival mondial
des résistances et rébellions contre le capitalisme, du 21 décembre au 3
janvier 2015. L’invitation lancée conjointement avec le C.N.I était
destinée aux adhérent-e-s nationaux et internationaux de la 6ème
déclaration de la jungle lacandone. La sexta, comme on dit entre initié-e,
était la énième tentative lancée en 2006 par les zapatistes pour s’ouvrir
aux secteurs non-indigènes de la société et aux secteurs internationaux en
lutte contre le capitalisme, en bas et à gauche. Une des particularités de
la sexta est la volonté de sortir du calendrier de ceux d’en haut ainsi
que le refus des partis politiques et de la voie électorale comme
stratégie de changement social. Ce refus a, pendant un temps, coupé le
mouvement zapatiste de possibles soutiens de gauche toujours dans la
croyance électoraliste.

Mais nous sommes loin de 2006 et la situation au Mexique a beaucoup évolué
depuis cette initiative. Le refus des partis, tous en collusion avec les
narcos à un niveau ou à un autre, est beaucoup plus partagés et dans les
organisations, collectifs, luttes mais aussi au sein de la société
mexicaine en général.

L’organisation du festival a réactivé la sexta nationale, plutôt atone
depuis quelques années. Et elle se déroulait dans le moment de
mobilisation pour Ayotzinapa.

Le 26 septembre 2014, dans l’Etat du Guerrero, six personnes (dont trois
étudiants) sont tués et quarante-trois élèves de l’école normale rurale
[1] Raùl Isidro Burgos d’Ayotzinapa sont enlevés et à ce jour toujours
portés disparus. Les premières versions officielles sur ces actes disent
que les policiers municipaux étaient les premiers responsables et que
ceux-ci avaient livré les étudiants au cartel des “guerriers unis” et que
tous agissaient sous les ordres du maire d’Iguala (du PRD, parti dit de
gôche) [2].

L’horreur de ces actes alliée à la dignité et la clarté politique des
familles et ami-e-s des disparus a réveillé la société mexicaine. Le
réveil est brutal : tout le monde connaît l’importance des cartels et du
narcotrafic mais Ayotzinapa est la preuve que le Mexique s’est transformé
en narco-état, toutes institutions, tous partis politiques confondus. On a
souvent l’image que les narcos se concentrent sur le trafic de drogue. Or,
ils sont impliqués dans nombre de trafics (arme, organes, migrant-e-s,
traite des blanches…) mais les cartels sont aussi les têtes de pont de la
modernisation capitaliste car, par leurs politiques de terreur, ils
forcent les gens à fuir et laisser leurs terres aux grands projets
d’infrastructure. Il semblerait que le capitalisme n’ait plus besoin de la
paix sociale pour se développer. Il crée le chaos pour s’approprier les
vies et les territoires.

Une semaine environ avant le début du festival, l’EZLN a annoncé que les
zapatistes ne seraient pas présent-e-s en tant que zapatistes dans le
festival. Il-le-s préféraient laisser la place d’honneur aux parents et
ami-e-s des disparus.

Le festival

L’invitation au festival nous a touché car nous sentions bien que la force
des mouvements mexicains pouvaient nous inspirer et enrichir, sans compter
que les multinationales à l’origine des projets sont souvent issus de
notre monde, l’Europe occidentale.

Avant le début du festival prévu le 21 décembre, il a fallu s’inscrire.
L’organisation de cet évènement pour l’accueil des participant-e-s a
demandé un cadre assez bureaucratique, aussi bien au niveau des
inscriptions que pour la gestion des transports et pas seulement, mais
commençons par là.

Dans notre cas nous nous sommes inscrits sur internet, Nom – Prénoms - … -
Quelles routes souhaiterions-nous empruntées ? On nous proposait 4 “ruta”,
4 chemins sillonnant le sud du pays, organisés en convoi, sur deux temps.
Nous en avons choisis deux, les plus longues qui nous permettaient de
découvrir et rencontrer le plus d’endroits et de personnes possibles. Nous
ne sommes pas venus pour nous reposer et nous en avons bien fait les
frais…
Arrivés au D.F.(Distrito Federal), Mexico city et banlieues, nous étions
conviés à passer au Rincón Zapatista. Un espace politique, culturel, de
vente, qui génère des ressources pour l’EZLN et où se distribue des
produits et du matériel d’information.

Là, C., grande organisatrice de caravanes depuis la nuit des luttes, nous
attendaient en compagnie d’autres personnes, visages découverts.
Nous avons joints à notre inscription aux différentes routes, 2
photocopies de passeport qui nous assureraient un passage plus rapide en
cas de contrôle des agents de l’Etat ou de l’armée. On nous promettait la
vue d’animaux sauvages sur les routes du Campeche et c’est seulement ces
chiens de l’Etat que nous avons croisés.

Chaque étape de la caravane s’est déroulée dans des endroits de luttes, en
confrontation directe avec l’Etat, des entreprises et leurs sbires.
Xochicuautla

Xochicuautla, communauté au nom imprononçable au début comme ceux de ses
peuples, les Nhato et Nañu (tous appelés Otomi par les espagnols
conquistadors) nous accueillait pour l’inauguration du festival. Perchée à
environ 3000 mètres d’altitude, entourée de forêts de résineux où régnait
une fraicheur hivernale, cet endroit ne collait pas avec les cartes
postales du Mexique.

L’entrée était bien contrôlée, normal, par nos premiers encapuchados, les
“encapuchés”. Une chose surprenante était que l’accès au village était
délimité et interdit à nous autres. Nous ne savons dans quel sens allait
cette “protection” : de nous envers les villageois, ou l’inverse, ou les
deux.

Plusieurs tables d’accueil étaient installées à l’entrée d’un immense
chapiteau où pas loin de mille chaises faisaient face à la scène. Une fois
dûment enregistrés, on nous a décoré d’un badge à garder toujours visible
et qui allait nous suivre jusqu’à la fin festival.

Nous avons commencé à déambuler dans le chapiteau, en admirant les muraux,
banderoles, photos alliant art et lutte. Cette esthétique sera toujours
présente lors des autres étapes, s’enrichissant même de nouvelles
réalisations.

Puis ce fut l’inauguration. Des chants venus de loin ont débuté, des
parfums d’encens, des rythmes battus des pieds, un mélange de cultes
indigène et catholique nous a tenu sur nos chaises. Une vingtaine de
personnes ont traversé l’espace et parmi les chants d’adultes et d’enfants
sont arrivés à nos oreilles des noms connus comme jésus ou vierge.

Après une heure, le temps des discours entrecoupés de musiques et chants a
démarré.

Xochicuautla lutte depuis 2007 contre la construction d’une autoroute
reliant le D.F. et Toluca pour que l’accès aux zones de loisirs ou
d’habitations des riches métropolitains se fasse le plus rapidement
possible. Destruction de terres sacrées et communales, expropriations,
incarcérations arbitraires suite à des affrontements, pollutions ont déjà
commencé.

No Estan Solo

La présentation de cette lutte a précédé celle de la douleur et de la rage
des parents, familles et amis des morts et disparus d’Ayotzinapa. Ce sont
des voix lourdes, des fois tremblantes, qui exprimaient leur condition de
gens pauvres, souvent de simples agriculteur-ice-s, qui se battent pour
l’éducation de leurs enfants. Sous formes d’interrogations parfois mais
surtout convaincus, ils et elles nous ont exprimé tour à tour leur refus
de l’Etat, celui des partis, celui de se faire acheter pour se taire. Ils
et elles ont dénoncé le mensonge permanent, mêlé leur douleur et leur rage
à celle d’autres massacres et luttes du Mexique. Ils et elles ont remercié
le C.N.I et l’EZLN de leur invitation en précisant à la fin du festival
qu’il était dommage que l’EZLN n’ait pas plus parlé.

Chacune de leurs interventions nous serrait la gorge, et pour certain-e-s,
les larmes coulaient. A chaque fois un slogan revenait “no están
Solo-a-s”, vous n’êtes pas seul-e-s.

Au début de chaque étape, les parents, familles et amis des morts et
disparus d’Ayotzinapa ont pris la parole.

Amilcingo

Mais déjà une partie d’entre nous devait grimper dans les bus pour
Amilcingo. Les deux jours suivant se déroulait sur ces deux lieux en
parallèle.

Les bus devront, sur toute la durée du festival, voyager ensemble en
caravane ce qui nous assurait à la fois sécurité et pauses interminables.
C’est entre plaisir de quitter le froid de Xochicuautla pour aller au sud
de Mexico dans l’Etat du Morelos et la frustration d’effleurer cette lutte
et les gens qui la mènent, que nous avons pris la route.

Six heures plus tard… Un feu au milieu de la route immobilise la caravane.
Ce n’est que l’arrivée à Amilcingo contrôlée par de jeunes encapuchés,
ouf.
Ce comité d’accueil nous a mis dans l’ambiance. Tout nous réchauffait les
os ; le climat, ces encagoulés et les gens du village qui nous ont offerts
leur sourire, des yeux pour les uns ou des bouches pour les autres.
Bien ordonné-e-s en cinq files nous passons les différentes tables :
d’enregistrement, des médias libres et enfin des logements. Ils avaient
prévu de pouvoir accueillir 3500 personnes et ont donné un numéro de
dortoir ou un emplacement de tente aux quelques 500 personnes que nous
étions.

Le réveil collectif nous a emmené vers les café-haricots-riz-tortilla en
attendant l’inauguration.

Au pied de la haute scène une cérémonie Nahua commence.

Mains en l’air, incantation envers dieu sait quel dieu, tambours, encens,
danses nous convient au respect du culte et nous poussent aux
questionnements sur liens entre luttes et religions, sur l’évolution des
traditions, sur les schémas normés…

La voix du "prêtre" résonne, telle celle de John Trudel, au dessus de
rythmes et chants sacrés, une voix langoureuse peu coupée de ponctuation
se tournant tour à tour vers les quatre points cardinaux.

Puis les compartición ont démarré.

Après les prises de paroles d’Ayotzinapa, c’est une présentation de la
lutte d’Amilcingo. Ce municipe fait parti des 82 communautés réparties sur
trois Etats (Morelos, Tlaxcala et Puebla) touchées par le P.I.M., Projet
Intégral Morelos. Ce mégaprojet regroupe la construction d’une centrale
thermoélectrique, un aqueduc, un gazoduc et comme projet d’avenir un
couloir industriel. Nous nous trouvons à une quarantaine de kilomètres du
volcan toujours en activité Popocatepetl, sur une zone sismique
régulièrement agitée où la construction d’un gazoduc est plus qu’un
danger, une aberration. La construction de l’aqueduc et de la centrale
thermoélectrique prive les communautés d’une grande partie de l’eau
nécessaire. On peut déjà observer un appauvrissement du sol. Le tout se
réalise avec le plus haut dénigrement des populations, début des travaux
sans permis, sans consultation ou information publique. Une résistance
s’est développée avec blocage de route, détention d’autorités corrompues,
affrontements avec les policiers fédéraux et bien sûr la répression
inévitable. Pour appuyer cette lutte une radio a vu le jour en 2013, Radio
Communautaire Amilcinko.

S’ensuit les compartición des autres membres du C.N.I, de la sexta
national et international, dans cet ordre. Le cadre des compartición se
retrouvera quasi à l’identique sur les autres étapes.

Deux jours, deux fois huit heures où, tour à tour, les différent-e-s
intervenant-e-s présenteront leur lutte, leur réussite ou échec, leur
soutien et solidarité en 5 à 15 minutes chacun-e-s. Les centaines
d’interventions de représentant-e-s formel-le-s de communautés ou groupes
différaient entre celles du C.N.I et celles de la sexta. Pour le C.N.I, on
se retrouvait presque toujours sur le modèle d’Almicingo : une communauté
fait face à un grand projet d’infrastructure qui tend à s’accaparer les
terres collectives et les ressources naturelles. Les gens s’organisent et
luttent. La répression s’abat. Dans la biodiversité des projets on peut
citer des aéroports, des autoroutes, des zones touristiques, des éoliennes
industrielles, du gaz de schiste, des OGM, etc.

Les adhérent-e-s de la sexta sont souvent plus urbains et ne se retrouvent
pas à s’appuyer sur une communauté villageoise. Les thèmes variaient donc
plus : migrations, prisonnièr-e-s politiques, occupations de terres ou de
logement, projets collectifs, médias libres…

Un point commun était la solidarité exprimée.

L’écoute et l’attention patiente nous impressionnera. Les réactions nous
réuniront.

A chaque fin d’intervention, le compañero ou la compañera terminera sa
présentation par un, voire des slogans, que le "public" scandera et les
enchainera avec nombres d’autres. Cela donne une impression vivante de
force collective.

Amilcingo a en quelques mois organisé cette étape au rythme de réunions et
d’assemblées régulières avec la participation d’une soixantaine de
communautés. Cela s’est traduit aussi par dix commissions. Des moins
voyantes mais néanmoins importantes était celle de l’enregistrement des
participants, du son, de l’hospitalité, la commission compte-rendu qui
s’appliquera à retranscrire toute les présentations du festival. Ou celle
des médias libres qui demandera formellement de ne pas réaliser de films,
de prendre des photos panoramiques seulement dans les moments culturels.
Il n’y avait pas de problème pour les enregistrements audios.

La commission culture a travaillé avec les enfants qui nous ont montré
leur réalisation de masques, poèmes et musiques à la fin des compartición.
Puis viennent les commissions cuisine, toilette et santé aussi efficaces
que les précédentes. Les femmes (évidemment) nous ont préparé de très bons
repas dans une ambiance joyeuse et reposante. Une certaine fusion s’est
réalisée malencontreusement entre ces trois commissions. Après être
passé-e par la première, quelques heures plus tard dans la nuit un défilé
muet, main sur le ventre, se dirigeait vers la seconde pour enfin tous se
retrouver au petit matin à la troisième, puis retour à la seconde…
Efficace, tout est rentré en ordre dans nos intestins au cours de la
seconde journée.

Une grande partie des hommes se retrouvaient (eux) dans la commission
vigilance.

Cette impressionnante délégation, masquée ou pas, a assuré la garde du
village et ses alentours jour et nuit en piquet ou à vélo.
Nous avons pu rencontrer cette fois des gens du village et des
"compartiteurs" avec des discussions riches où l’on ressentait une
curiosité réciproque et une base commune qui accélère la rencontre, mais
déjà nous devions grimper dans les bus, direction Mexico city.

Le lienzo charro

C’est le FPFVI-UNOPI, Front Populaire Francisco Villa Indépendant - Union
Nationale des Organisations Politiques de Gauche (la France n’a pas de
leçon à donner au Mexique en terme d’acronyme) qui accueillait le festival
dans un de ses lieu, le lienzo charro.

Ce front que l’on surnomme les "panchos" occupent neuf lieux dans des
quartiers pauvres de la ville. Il-le-s accueillent des gens dans le besoin
de logement et ouvrent des lieux de grandeur conséquente. Ils essaient d’y
construire une organisation autogérée de base communiste, sans police,
avec un fonctionnement apparemment carré. Huit cent familles habitent la
plus importante communauté, d’autres regroupent 100, 500 voire 600
familles.
Le lienzo charro, et ce dans tout le Mexique, est une sorte de manège pour
le dressage des chevaux et est utilisé pour des spectacles équestres.
Principalement activité de riches, les "panchos" l’ont mise en place pour
les populations pauvres du quartier. C’est un lieu qui accueille de grands
évènements comme ce festival.

Ici, il-le-s assuraient l’accueil du C.N.I et la sécurité, impressionnant
dispositif d’environ 200 personnes, dont 70% de femmes, muni-e-s d’un
drapeau du front au manche ressemblant plus à celui d’une masse qu’à un
porte drapeau.

C’est un festival culturel qui nous attendait en cet endroit, trois jours
de ventes de produits zapatistes AOC et de concerts.

Monclova

Au matin du quatrième jour, le 27 décembre, nous avons attendu quatre
heures durant les bus pour partir dans l’état du Campeche à Monclova, qui
se trouve à la frontière du Guatemala à quelques 1.000 km de Mexico City.
Ce voyage fut une petite aventure qui a duré pour les plus chanceux 21
heures et pour les autres 38 heures. Quelques fois arrêté-e-s par la
police ou les services d’immigration comme il est de coutume sur les
routes mexicaines, les fédéraux ont voulus sur quelques kilomètres nous
escorter, à un rythme très lent, pour notre sécurité. A ce moment-là, nous
considérions que celle-ci n’était plus assurée, mais cela n’a duré qu’une
heure ou deux.

Monclova nous attendait. Sa nature et son climat tropicaux nous ont
surpris, ses moustiques agacés, ses alligators empêchés les bains de nuit
dans la magnifique rivière.

La vie et les compartición ressemblaient fort à l’étape d’Amilcingo, le
tout rythmé par les pluies.

Monclova est une communauté où les femmes et les hommes du “mouvement de
résistance civile du non paiement de l’électricité” luttent depuis 2006
pour le droit au bon accès de l’énergie électrique et à un tarif juste.
Deux jours encore trop courts et nous repartions pour le centre du monde
de la lutte, le Chiapas.

Oventic

Nous sommes parti-e-s le 31 décembre en début d’après-midi de San
Cristobal de Las Casas pour le caracol d’Oventic où devait se dérouler une
fête des résistances mais aussi la célébration de l’anniversaire du
soulèvement zapatiste. Pour qui n’est jamais allé en territoire zapatiste,
l’arrivée à Oventic, en plus dans le cadre du festival avec la masse des
participant-e-s aussi bien zapatistes que autres, est impressionnante.

Les zapatistes, des grands-mères aux enfants, sont tou-te-s en
passe-montagne ou avec le paliacate, le mouchoir-bandana rouge pour se
dissimuler le visage. Le niveau d’organisation ne manque pas
d’impressionner non plus : une scène énorme avec trois espaces de
concerts, un service de sécurité discret mais présent, des ambulances
zapatistes, les écoles transformées en dortoir, etc.

La fin d’après-midi et le début de soirée commencent avec des concerts et
le flux incessant d’arrivée des visiteu-se-s, ainsi qu’une bruine qui ne
s’arrêtera de manière intermittente que pour laisser la place à de la
vraie pluie. Hé oui, nous sommes dans les Altos du Chiapas, et cette
humidité transforme le lieu un peu en “Ovenstock” comme le remarquait un
ami. Les premiers concerts variaient entre le rap ou le reggae et les
passe-montagnes étaient plus observateur-rice-s que danseur-se-s. Ce qui
ne sera plus le cas quand nous passerons aux corridos [3] ou autres
musiques typiquement mexicaine. La scène était décorée par un drapeau de
l’EZLN, des banderoles du festival ou pour la libération des
prisonnier-e-s politiques, et d’un drapeau mexicain deux à trois fois plus
grands que n’importe quelles autres banderoles…

Vers 22h, heure mexicaine, donc vers 23h heure zapatiste (qui est sur le
fuseau horaire de Cuba) “l’acte civique” a commencé. On arrête la musique,
les gen-te-s s’assoient sur le terrain de basket transformé en piste de
danse pour l’occasion. Et aussi on ferme les points de vente (stand de
nourriture ou d’artisanat). La délégation des familles et ami-e-s des
disparus d’Ayotzinapa arrivent sur scène. Derrière elles-eux, une
délégation de la commandance zapatiste et quelques personnes du C.N.I.

Avant les prises de paroles, il y a eu le chant de l’hymne mexicain puis
un simili-défilé de soldats de l’armée zapatiste, sans arme mais avec deux
drapeaux : un de l’EZLN et un du Mexique, forcément. Les discours ont
commencé avec en premier ceux des familles des tués et disparus
d’Ayotzinapa. Toujours émotionnellement très forts, les mots prononcés ont
suscité des larmes chez certain-e-s participant-e-s de l’assemblée. Les
familles ont évidemment remercié l’EZLN de la place qu’ils leur avaient
accordées et ont fortement appuyé la nécessité de changement social
profond, anti-capitaliste. Leurs morts et disparus sont le fait du système
politique et économique qu’il faut abattre.

Le porte-parole du C.N.I a pris la suite, dénonçant avec tout autant de
force et détermination, le capitalisme de plus en plus sauvage. La
situation des indigènes n’est pas très riante entre les grands projets
entraînant l’expropriation de leurs terres et la répression des mouvements
s’y opposant, sans compter le racisme structurel de la société mexicaine
contre elle-eux. Il faut s’organiser en bas et à gauche pour entrevoir une
possibilité de changement.

Le Sous-Commandant Insurgé Moises a terminé les prises de parole avec un
discours d’hommage aux tués et disparus d’Ayotzinapa et à leurs familles
et ami-e-s. Le discours s’est d’ailleurs interrompu lorsque Moises est
allé donner l’accolade à chacun-e des membres de la délégation. Lors de
l’énumération des 46 noms, 46 zapatistes ont défilé sur la scène pour
enlacer les parents et ami-e-s. A chaque nom énoncé, la foule criait
"¡presente !". Moises a terminé par une invitation à continuer et
renforcer la pensée critique, la théorie. Il y a nécessité, y compris dans
les moments les plus difficiles, d’allier la théorie et la pratique, sinon
nous perdons pied avec la réalité.

En guise de fin, après le chant de l’hymne zapatiste, un feu d’artifice a
été tiré avec quelques fusées tombant un peu au petit bonheur la chance, y
compris sur les tentes du camping…

La musique a repris ses droits jusqu’au petit matin après ce moment formel
de politique et d’émotions. Sous la pluie et sans alcool, car la loi sèche
zapatiste ne s’applique pas encore aux nuées et aux cieux…

Final et questionnements

Les 3 et 4 janvier avait lieu la clôture au CIDECI [4] de San Cristobal de
Las Casas et c’était la foule des grands jours. Le premier jour a été un
peu chaotique à cause de problèmes organisationnels, mais aussi répétitifs
pour nous qui avions suivi toute les compartición vu que c’était un résumé
des étapes précédentes.

L’ambiance, due au nombre de personnes présentes, nous a un peu
déstabilisée en particulier la distance qui s’est établie entre le C.N.I
et les personnes de la sexta nationale ou internationale. Les personnes du
C.N.I n’étaient plus vraiment accessibles et avaient un traitement
spécifique qui les plaçait dans une position de supériorité. Sans doute
était-ce nécessaire pour le C.N.I lui-même, pour qu’il puisse se
renforcer, mais pour nous qui avions vécu avec elle-eux à Almincigo et
Campeche, on trouvait la séparation un peu brutale. D’ailleurs cette
séparation s’était déjà sentie lors des voyages en bus, le C.N.I ayant ses
bus propres. Même si nous pouvons en comprendre les raisons, nous trouvons
cela un peu dommage, car vu le temps passé en bus, des complicités et
rencontres n’auraient pas manqué de se faire entre le C.N.I et la sexta.

Nous retrouvions aussi l’ambiance de marché alternatif dans les allées du
CIDECI qui rappelait celui vécu à Mexico City. Des groupes, collectifs ou
individus essayaient de payer leur voyage en vendant des articles,
connotés révolutionnairement, sur un grand nombre de petits stands. Quand
on voit l’état de l’économie mexicaine, on comprend qu’il faille trouver
des ressources où c’est possible. Néanmoins, l’ambiance foire peut avoir
un côté pesant.

Puisqu’on est dans les questions, une importante est ce qui s’est passé,
ou plutôt ce qui ne s’est pas passé, lors de l’étape du festival culturel
à Mexico City. L’ouverture a été une prise de parole des parents et
ami-e-s d’Ayotzinapa. Mais pourquoi le 26 décembre, date anniversaire des
trois mois de disparition et alors qu’une manifestation pour commémorer
cette date avait lieu en ville, ne s’est-il rien passé sur le Lienzo
Charro ? Les concerts ont continué.

Un autre point qui a été un peu dur est la forme même des rencontres.
Déjà, la bureaucratie était lourde mais sans doute nécessaire pour
diminuer les risques d’infiltration et pour pouvoir gérer certains aspects
matériels. Mais l’ultraformalisme des rencontres et cette organisation,
très structurées, n’évitaient pas certains écueils. Le manque
d’informations faisait qu’on était assez déresponsabilisé-e-s et qu’on
n’avait pas de prises sur les rencontres. Et la forme : je présente ma
lutte, mon groupe devant l’assemblée, sans question, retour ou discussion,
était aussi surprenante. Depuis notre point de vue,il manquait un espace
d’échanges, de débats formels, petits groupes ou autre. Heureusement que
le côté informel existait. Cet aspect aurait pu être plus importants si
nous avions partagé des tâches d’organisation collectives telles la
nourriture, le nettoyage des espaces collectifs, etc.

Certains ressentis de ce festival touchent aussi au choc culturel. Le
nationalisme mexicain est très présent, et par exemple on n’imaginerait
pas faire une rencontre anti-capitaliste en France sous le drapeau
français. L’histoire colonisatrice de la France n’est pas la même que
l’histoire colonisée du Mexique, et il faut bien réussir à exister à côté
des USA, mais cela n’empêche pas quelques surprises pour nous qui nous
battons pour la disparition des drapeaux nationaux.

Les concepts de droit, de justice, de démocratie étaient aussi assez
questionnant. La justice émane-t-elle d’une assemblée communautaire, et de
quelle manière ou est-elle une émergence d’une institution quelconque ? Le
concept de démocratie était aussi souvent employé, sans une certaine
ambigüité entre une démocratie directe, assembléiste et une démocratie
autre qui reste dans le cadre de la représentativité. La critique, juste,
du mauvais gouvernement entraîne par renversement l’apologie du bon
gouvernement. Mais quel est-il ? De quoi ou de qui, encore une fois,
émane-t-il ? Jusqu’à quelle échelle est-il viable ?

Ces quelques points critiques ne sont en aucun cas des points de rupture
ou des accusations faciles. Nous savons très bien les difficultés qu’il y
a à construire un mouvement horizontal, anti-hégémonique et donc divers,
et personne ne détient la vérité. Nous sommes enthousiasmés par ces
rencontres, même si notre point de vue d’européen-ne-s blanc-he-s
l’éclairent d’une lumière particulière et rien n’est jamais parfait.

Avenir

Un “pronunciamento” final a été écrit par le C.N.I et lu à la fin. Il
relate dans des termes généraux les compartición, et il appelle au
renforcement des luttes anticapitalistes, en bas et à gauche. Il n’y a pas
de grandes décisions, accords ou projets dans ce texte, et c’est peut-être
pas plus mal. D’abord qui a la légitimité de prendre de telles décisions ?
Et ensuite, on a trop vu de grandes décisions qui n’étaient jamais
appliquées ou de manière verticale du haut vers le bas. Le chemin, pas à
pas, pour que “là où ceux d’en haut détruisent, ceux d’en bas
construisent” se fera en prenant le temps de se rencontrer et se
connaître. Mais ces formes évitent l’écueil de l’hégémonie d’un groupe,
d’un courant de pensée et permet une diversité des acteurs-trices et des
stratégies suivant les contextes locaux.

Un idée a surgit au sein de celleux qui représentaient la sexta
internationale : l’organisation d’une tournée des familles et ami-e-s des
disparus d’Ayotzinapa en Europe. Il reste énormément de questions sur les
objectifs et les modes d’organisation. Vu la situation au Mexique, en
particulier avec l’armée désormais dans le viseur du mouvement en
solidarité avec Ayotzinapa, une pression internationale sur le
gouvernement ne peut que être bénéfique.

A la prochaine, au prochain festival ?

Tuttle et Batchi

Notes

[1] Les écoles normales sont une des réalisations du Président Lazaro
Cardenas, dans les années 30. Elles ont pour but de former des élèves
indigènes pour qu’ils deviennent maîtres et ainsi développent leurs
communautés. Souvent très pauvres et exclusivement indigènes les élèves
des écoles normales sont très politisés, actifs mais aussi très impliqués
dans les développements qu’ils peuvent apporter à leurs communautés. Les
écoles normales ont la particularité aussi de mélanger apprentissage
théorique et pratique, en particulier agricole. Elles sont non-mixtes,
femmes ou hommes.

[2] Cette version ne tient pas, et le rôle de l’armée est de plus en plus
mis en avant par les groupes et personnes solidaires des disparus. On ne
rentra pas dans les détails de cette histoire, mais la version officielle
de la présidence et des grands médias évacuent les responsabilités des
trois niveaux de gouvernements : municipal, estatal et fédéral.

[3] Les corridos sont des chansons populaires typiquement mexicaines qui
retracent des moments de vie ou de lutte. Ils participent ainsi à
l’écriture de l’histoire réelle des mouvements populaires.

[4] Le CIDECI signifie Centro Indígena de Capacitación Integral –
Universidad de la Tierra (CIDECI-Unitierra) et est un centre
d’apprentissage pour les communautés indigènes. En neuf ans d’existence
sur le terrain actuel, ils ont construit un nombre impressionnant
d’infrastructures, bâtiments, ateliers, etc. Et évidemment, toutes les
constructions sont pleines de couleurs et emplies de décorations et de
couleurs imaginatives. Une des particularités du CIDECI réside dans
l’égalité au niveau de l’apprentissage entre les sphères, trop souvent
séparées chez nous, de l’art, du pratique (agriculture ou menuiserie p.e.)
et de l’analytique au travers des séminaire hebdomadaire d’analyse et de
débat autour de l’actualité locale, nationale et internationale.

https://iaata.info/Par-monts-et-par-vaux-en-bas-et-a-529.html


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