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Petit Dictionnaire de la Novlangue. 1. MIGRANT.

posté le 19/04/17 par Gérald Mots-clés  médias 

Petit Dictionnaire de la Novlangue

Immersion au sein de l’évolution médiatique et politicienne du langage.

Aujourd’hui : 1. MIGRANT. Nom masculin.

Usage : Fréquent, en 2016. Le terme semble connaître des pointes d’apparition dans le langage courant, lors d’une guerre créant un exode massif en direction de l’Europe.

Définition : Personne dont on ne tient pas à s’occuper, dont la perception de l’état de besoin par le grand public est à neutraliser. Plus le « migrant » sera socialement « déclassé » par le langage, moins la population locale sera tentée par un soutien franc et des initiatives visant le respect des lois internationales de protection des populations en fuite.

Expressions : « La crise des migrants » (Le Soir). « Que pensent les Belges de l’afflux de migrants ? » (La Dernière Heure). « Invasion de migrants : la Côte belge menacée ! » (Sudpresse).

Synonymes : Avant les glissements de sens de la novlangue, mots apparentés : personne en exil, réfugié de guerre.


1. MIGRANT.

Des statistiques exhaustives manquent, mais dans la catégorie des mots les plus cités dans la presse durant les six premiers mois de 2016, nous devrions trouver en bonne place le mot « Migrant ». Avec l’exode humain au départ d’Irak et de Syrie, le glissement s’est opéré et il a fini par s’imposer… Mayday : les migrants débarquent !

Notre attention s’est portée vers ce mot en l’entendant soudain sortir de bouches non soupçonnables de complaisance envers les non-politiques d’accueil de l’Europe ; et certainement pas suspectes d’antipathie pour les Mi… pardon : pour les réfugiés ! Voilà bien le problème avec la Novlangue, elle est tellement matraquée dans la presse, par les journalistes et les politiciens, qu’elle finit par s’imposer, partout ! Parfois jusqu’en nous-même, telle une pollution invasive ressurgissant subrepticement au détour d’une conversation animée.

Soyons clair, nous n’avons rien, mais alors rien du tout, contre des êtres humains qui décident de migrer, de se déplacer pour une raison X ou Y qui ne regarde qu’eux ! Si un Bernard Arnault ou une Odette de la Sainte Exemptée peuvent se déplacer au choix à n’importe quel endroit de la planète, nous ne voyons aucune raison valable pour empêcher qu’un Mamadou, un Aylan ou une Sémira ne puissent le faire également. Cependant, ici, de quoi parlons-nous exactement ?

Les êtres humains désignés récemment par le terme générique de Migrants n’ont nullement choisi de partir. S’ils le pouvaient, ils y resteraient dans leur maison et sur leurs terres... Seulement voilà : là-bas, c’est le chaos ! Un peu comme le cataclysme bruxellois du 22 mars, mais tous les jours ! Sans jamais entrapercevoir le bout du tunnel... Ces personnes fuient des bombardements, de villages et quartiers où parfois quasiment plus rien n’est debout. Ils sont coincés dans des événements sur lesquels ils n’ont aucune prise, n’en peuvent plus, prennent quelques brols dans des sacs, les enfants sous les bras et se tirent, la mort dans l’âme avant de risquer de se la prendre, la mort, sur le coin de la gueule.

Le mot Migrant, dans son usage récent, neutralise l’état de besoin manifeste des réfugiés. Le dictionnaire Larousse nous annonce, en fonction pour la Novlangue, une « dénaturation de la réalité ». Elle est effectivement à l’œuvre ici car, en résumé : les réfugiés, ils arrivent, avec une demande d’aide légitime. Les Migrants, eux, ils débarquent ! Son archéologie est souvent difficile à établir, le cheminement de son imposition difficile à creuser, mais elle arrive toujours accompagnée d’un caractère utile. Et cette utilité sert rarement le quidam anonyme, pour se porter plutôt vers celles et ceux qui prétendent gouverner le territoire où elle s’impose.

Le chaos fui par ces personnes résulte grandement des politiques étrangères des pays occidentaux, notamment celles menées depuis un peu plus de dix ans. De plus, les bombardements auxquels ces personnes tentent d’échapper, la Belgique y participe. Oui, notre pays, qui évoque « la crise des Migrants », a dépensé des millions d’euros là-bas, pour aider à bombarder les territoires dont les populations sont en exode. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais on peut la bombarder !

Les avions F-16 belges déployés sur ce terrain consomment dans les 3.000 litres à l’heure, ce qui nous donne environ 8.000 euros l’heure. Oufti. L’opération lointaine a coûté semble-t-il 14,55 millions d’euros par mois. Oufti-oui. Ces dépenses mortelles ont été menées en parallèle, par exemple, à une politique d’exclusion de chômeurs du droit à des allocations situées sous le seuil de pauvreté... Par ailleurs, le coût n’est pas seulement financier, lorsqu’on fait la guerre au loin, elle peut éventuellement s’inviter un jour ici, tel un boomerang. Et BOUM le 22 mars, à l’aéroport de Zaventem et dans le métro Maelbeek. Au passage, vous aurez remarqué que la vidéo revendiquant ces attentats a nettement moins circulé que le mot Migrant. Les fous furieux présents en Syrie et en Irak y déclaraient clairement : « Dites-leur de retirer leurs avions, dites-leur de retirer leurs soldats. Et vous vivrez en paix. »

Sans cette neutralisation langagière des Migrants, aurait-il été aussi facile de signer un accord de renvoi des réfugiés vers la Turquie ? La communication semble en effet avoir été plus simple que pour un « accord de renvoi des réfugiés fuyant la guerre et les bombardements occidentaux » ! Nos aïeux ont également fui leurs villages, il y a un peu plus de sept décennies. Nous possédons des images de cet exode, de ces colonnes d’êtres humains fuyant la mort sur les routes de Belgique. Cette phrase insolite pourrait donc aujourd’hui sortir de la bouche d’un petit garçon de sept ans, s’adressant à son arrière grand-mère de 98 ans : « - Et toi grand-maman, quand tu as dû quitter ton village pour ne pas mourir, tu es aussi devenue une Migrante ? » Et cette dernière de répondre : « - Non mon petit, car j’ai arrêté de me déplacer, j’ai été accueillie quelque part. Et quand ça s’est calmé, je suis rentrée. »

Gérald Hanotiaux


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