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Petit Dictionnaire de la Novlangue : 2. Grogne

posté le 25/04/17 par Gérald Mots-clés  médias 

Petit Dictionnaire de la Novlangue

Immersion au sein de l’évolution médiatique et politicienne du langage.

Aujourd’hui : 2. GROGNE. Nom féminin.

Usage : La régularité de ce terme semble augmenter, de manière générale mais aussi ponctuellement, en période agitée sur le terrain social. Cette augmentation d’usage se réalise en parfait parallèle avec la montée de la contestation des politiques gouvernementales.

Définition : Action de protestation, à catégoriser négativement aux yeux du public. Au plus l’action sera décrite comme néfaste, au moins le quidam pensera aux légitimes revendications affirmées par l’action, ni ne sera tenté de se solidariser avec les protestataires et d’embrayer dans son milieu professionnel.

Expressions : « Mouvement de Grogne des transporteurs » (Sudpresse). « Nous allons nous intéresser à cette Grogne, au niveau de la magistrature » (Matin Première - RTBF). « La perte est estimée entre 75 et 100 millions d’euros, à cela il faut aussi ajouter l’impact des mouvements de Grogne sociale » (JT RTBF).

Synonymes : Avant les glissements de sens de la novlangue : grève, manifestation, mouvement social.

2. GROGNE

Alors là, en matière de Novlangue, c’est du tout bon ! Du gros calibre, mon bon Monsieur : du pro-to-type ! Lorsqu’on est ministre, que rêver de mieux qu’une disqualification de la grève et des mouvements sociaux par le langage médiatique ?

Ce terme, très à la mode dans la presse, révèle à quel point la Novlangue peut servir la gamelle de soupe au pouvoir en place. Il est toujours intrigant de s’interroger sur le journaliste qui, en premier, a bien pu décider, bloqué en plein embouteillage : « Foutre, cette fois je me venge, en arrivant au journal j’efface grève et j’écris Grogne ! »... Nous ne connaîtrons sans doute jamais l’identité de ce pionnier du langage, mais s’il se reconnaît, qu’il écrive au journal ! Ses fiers aveux seront publiés et nous lui fournirons un abonnement gratuit, car nous nous devons de lui reconnaître son efficacité ! Il a fait école ce petit, plus une semaine ne s’écoule dorénavant sans qu’apparaisse sa trouvaille : Grogne par-ci, mouvement de Grogne par-là... Les infirmières grognent. Les magistrats grognent. Les étudiants grognent. Les fonctionnaires grognent. Les chauffeurs de bus grognent... Sacrés journalistes, si prompts à revendiquer le caractère neutre de leurs informations : tout le monde y en a grogner ! Même flics grogner quand eux pas contents !

De quoi parle-t-on, en réalité ? Dans l’actualité sociale, accolés à ce terme se trouvent par exemple des postiers héritant du travail auparavant effectué par plusieurs individus, à des rythmes hallucinants et chronométrés à la seconde près. Ou encore des infirmières réalisant un travail fondamental et éreintant, pour des salaires de misère. Des enseignants travaillant dans des classes surpeuplées, sans matériel adéquat. Des avocats, honteux des conditions dans lesquelles ils vont devoir défendre leurs clients. Un peuple face à des licenciements massifs, par paquets de cent ou de mille, réalisés par des encravatés milliardaires à la têted’entreprises en bénéfice. Ou encore des chômeurs, exclus de leurs droits aux allocations quand les journalistes, toujours eux, vanteront le mois suivant la politique gouvernementale et la baisse du nombre d’unités de chômeurs... Cette énumération n’est pas exhaustive et toutes et tous, pour nos neutres professionnels de l’info, ne revendiquent pas, ne contestent pas, ne se mobilisent pas... Non : ils grognent !

La Novlangue a également pour effet d’orienter le contenu faisant suite au titre. Là où la relation de faits de grève devrait démarrer par les raisons du mouvement, les revendications des grévistes, le ras-le-bol du système économique et politique en place..., l’exposé d’un mouvement de Grogne, lui, démarre par des témoignages d’individus prétendument lambda. Mais lambda-râleurs, lambda-exaspérés par la Gr... ogne ! Bloquée sur la route, madame pas contente. Pas de train pour aller au travail, monsieur pas content. Rue commerçante bloquée, jeune homme pas content. Avion pas pris, valise non restituée, famille pas contente... Fichtre, comme il est ennuyeux de les avoir sous les yeux en pleine lumière, ces gens luttant pour leur survie ! Diantre, qu’ils sont pénibles de sacrifier leur salaire pour nous ouvrir les yeux sur l’état de notre société ! Il serait semble-t-il dommageable d’assister à une pleine prise de conscience par tous les lecteurs, auditeurs et spectateurs, des problèmes dans lesquels nous sommes plongés.

Jamais à court d’inventivité pour la Novlangue, dans le même domaine les gens de pouvoir ont inventé un autre terme. Les Belges... enfin les Wallons... les Bruxellois aussi... on ne sait plus très bien... peut-être les Flamands aussi finalement, sont des... tadaaam : « Gréviculteurs » ! Ça laisse rêveur ! Tel un légume d’un type nouveau, la grève doit être arrosée tous les deux jours... Encore un néologisme à l’origine incertaine, mais sans aucun doute issu d’une sphère dominante. Si les travailleurs sont des gréviculteurs, alors le fournisseur-grainetier tient son quartier général au 16 rue de la Loi. Le plus fou, dans cette situation médiatico-politique contemporaine, c’est que face à l’ampleur phénoménale des scandales économiques observables au quotidien, nous constatons plutôt un calme d’une ampleur tout aussi phénoménale ! Face au désastre social, quel incroyable calme ! Journalistes adeptes de la Novlangue, vos journaux sont chaque jour plus édifiants et redéfinissent votre profil de fonction : maintenir le calme. Vous êtes devenus des militants anti-grèves. Bravo, proficiat, congratulations.

Il nous reste à nous intéresser précisément au mot d’aujourd’hui... d’où vient-il ? Il s’agit d’un cri, mais pas n’importe lequel, celui d’un animal. Là où le cerf brame, le cheval hennit. Là où le chat miaule, la chouette hulule. Et là où l’éléphant barrit, la girafe meugle ou mugit. Et qui c’est-y qui Grogne ? Le cochon ! Oui, le PORC ! Gruuîîîîk !

Est-ce à dire que dans votre langage journalistique, lorsque vous êtes face à des travailleurs en lutte pour leur survie, vous y voyez une porcherie ? Vous attendez-vous à l’amour des travailleurs en grève, lorsqu’ils entendent ou lisent qu’ils grognent ? Journalistes, promettez de ne surtout pas jouer aux vierges effarouchées si un jour prochain vous vous faites canarder à votre arrivée au piquet de Grogne... Ou si un jour un collègue se retrouve allongé sur la chaussée, le crâne ouvert, aux côtés de policiers violents...

Avec tout ça, nous ne connaissons toujours pas quel journaliste a tenté en premier le coup de la Grogne, ni s’il l’a fait de sa propre initiative ou poussé par l’un ou l’autre ministre MR ou PS... Une certitude, en revanche : le mouton, lui, il bêle !

Bêêêêê, bêêêêê, bêêêêê !

Gérald Hanotiaux


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