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Pierre Stambul, de l’Union juive française pour la paix (UJFP) : « Rien ne changera tant qu’Israël n’est pas sanctionné »

posté le 27/12/16 par Interview de Pierre Stambul Mots-clés  répression / contrôle social  solidarité  antifa  Peuples natifs 

1) Le Conseil de sécurité de l’ONU a voté pour une résolution réclamant l’arrêt des colonies en Palestine. Est-ce un triomphe diplomatique pour le peuple palestinien ?

Un triomphe, non. Un petit coin de ciel bleu dans un horizon bouché oui. Fondamentalement rien ne changera sur le terrain tant qu’Israël, Etat voyou, ne sera pas sanctionné. Et on en est hélas encore très loin.

Sur le point de perdre le pouvoir avec la défaite du parti démocrate, Obama se rend compte de tout ce qu’il n’a pas fait. Mais c’est un peu tard. Obama est arrivé au pouvoir au moment du massacre de "Plomb Durci" à Gaza. C’est en 2009 qu’il aurait fallu voter ce genre de résolution et cesser d’armer Israël. Et c’est tout le contraire qui s’est produit. Les vétos américains se sont succédé pour protéger l’occupant et ses crimes de guerre. Ils ont permis deux autres grands massacres à Gaza. Après celui de "Bordure Protectrice", Obama a donné 3 milliards de dollars à Nétanyahou pour qu’il reconstitue ses munitions. Et juste avant la fin de son mandat, il a autorisé un chèque de 38 milliards de dollars d’aide militaire à Israël sur 10 ans.

Le vote du Conseil de Sécurité signifie juste à Israël, et ce n’est pas mince, le message suivant : "nous ne reconnaîtrons pas un effacement de la Palestine de la carte et une annexion de la plus grande partie de la Cisjordanie". Ça, c’est une victoire.

2) Israël a précisé qu’elle n’appliquerait pas cette résolution. Quelle serait, donc, l’utilité de cette résolution ?

Bien sûr. Nétanyahou sait qu’il sera soutenu par Trump. La nomination du nouvel ambassadeur en Israël annonce des changements capitaux dans la politique américaine : l’abandon des paroles hypocrites parlant de "processus de paix", de "solution à deux États". Avec Trump, on va arriver très vite à une reconnaissance officielle de l’annexion de Jérusalem et de l’irréversibilité de la colonisation. L’intérêt du vote du Conseil de Sécurité, c’est qu’il annonce à Trump un isolement diplomatique (pour l’instant) des États-Unis sur cette position.

3) Il y a nombre d’autres résolutions de l’ONU non respectées par Israël. En quoi la récente résolution pourrait se distinguer ?

L’ONU depuis le départ a eu un comportement très coupable contre le peuple palestinien. La partition de la Palestine en 1947 était une ignominie. De quel droit ? Imaginez que l’ONU ait voté en 1962 la partition de l’Algérie du genre : "Constantine et Oran deviennent indépendants, mais la France garde Alger et le Sahara". C’est un non-sens semblable qui a eu lieu. L’ONU est responsable de la moitié de la Nakba puisque la quasi-totalité des 400000 Palestiniens qui habitaient dans le territoire défini par l’ONU comme devant devenir un État juif ont été expulsés entre le jour de la partition et le 15 mai 1948, début officiel de la guerre.

Plus tard l’ONU vote la résolution 194 sur le retour des réfugiés palestiniens chez eux. Immédiatement les Israéliens détruisent des centaines de villages palestiniens et interdisent ce retour. Que fait l’ONU ? Elle admet Israël en son sein malgré ce viol évident du droit international et crée l’UNRWA.

Dans toute son histoire, Israël a pu constater qu’elle pouvait tout se permettre, il n’y aurait jamais de sanctions. En 1967, l’ONU vote l’évacuation des territoires occupés (résolution 242). Réaction d’Israël : le début d’une colonisation qui ne s’est jamais démentie : 12% de la population juive israélienne vit au-delà de la ligne verte, la frontière internationalement reconnue. Et le monde n’a rien fait. Il a laissé depuis 70 ans les Palestiniens être expulsés, enfermés, massacrés, humiliés.

Franchement, si vous étiez Nétanyahou, y aurait-il un intérêt quelconque à changer de politique ?

4) Les Américains n’ont pas opposé le veto pour empêcher le vote de la résolution. Est-ce une première dans la politique des États-Unis envers la Palestine ?

Non, c’est un geste désespéré d’Obama qui est sincèrement affolé sur tous les plans par ce que Trump s’apprête à faire. Mais Obama porte une lourde responsabilité. Après le discours du Caire (2009), il aurait pu arrêter les fous furieux au pouvoir en Israël et il ne l’a pas fait.

Deux fois dans l’histoire, les États-Unis ont sanctionné Israël et les deux fois, ils ont obtenu satisfaction. En 1957, les États-Unis ont voté à l’ONU l’évacuation du Sinaï que les Israéliens venaient de conquérir et ceux-ci ont été obligés de s’exécuter.

En 1991, Georges Bush (père) rêvait de remodeler le Proche-Orient avec la chute de l’URSS, mais le gouvernement israélien de Yitzhak Shamir refusait de négocier. Bush a menacé de ne pas cautionner le prêt israélien pour l’émigration des Juifs soviétiques. Le gouvernement Shamir est tombé.

Donc on peut sanctionner efficacement Israël. Ce qui vient de se passer n’est hélas pas une sanction.

5) Donald Trump, qui s’est exprimé contre la résolution, a promis que "tout va changer" à partir du 20 janvier 2017 (date de son investiture au poste de président des États-Unis. Comment voyez vous la suite des événements en Palestine avec le nouveau chef d’État américain ?

Avec des gens comme Trump ou Poutine, on s’achemine vers l’ère des soudards, celle où les grands de ce monde ne vont plus faire semblant de respecter le droit ou la justice. On va vers une période très inquiétante de brutalité assumée et de crimes annoncés et réalisés.

Trump va dire officiellement aux Palestiniens qu’ils n’auront jamais d’État. Jusqu’ici, les États-Unis faisaient tout pour qu’ils n’en aient pas mais n’assumaient pas les conséquences de leurs actes.

En fait, tous les projets sur la Palestine sont actuellement irréalisables : deux États sur la base des frontières de 1967, ce n’est pas juste et c’est devenu irréalisable. Un seul État où tout le monde aurait les mêmes droits, c’est juste mais actuellement irréalisable, vu l’état de l’opinion israélienne et l’impunité actuelle. Le projet sioniste initial (un État juif homogène) a été tué par la conquête de 1967 et la colonisation.

La situation actuelle, c’est le pire apartheid. Trump va officiellement appuyer cette politique avec tout ce qui en découle : l’enfermement de la majorité des Palestiniens dans des petites zones surpeuplées non-viables et l’expulsion des autres avec annexion officielle de territoires. Le tandem Trump-Nétanyahou en a-t-il les moyens ? Non. La résistance palestinienne et la solidarité internationale l’empêcheront.

6) Israël a rappelé son ambassadeur en Nouvelle-Zélande après le vote de la résolution. Assiste-t-on à une crise diplomatique ?

Israël va se faire des ennemis qui hésitaient à s’engager et c’est tant mieux. La tentative de criminaliser le BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) va échouer car tout le monde va finir par comprendre qu’il n’y a pas mieux à faire aujourd’hui. Les dirigeants israéliens pensent que tout le monde occidental est dans le même état idéologique que leur propre société qui a perdu sens moral et capacité de se réguler. Ils se trompent et je fais le pari que l’opinion mondiale va évoluer vers l’idée des sanctions.

Le vote du Conseil de Sécurité traduit un isolement qui devra avoir des suites économiques et commerciales.

7) Certains médias parlent de rapprochement Arabie Saoudite/Israël. Cela n’encourage-t-il pas Tel-Aviv dans sa politique de colonisation en Palestine ?

Pour tenir le Proche-Orient, l’Occident a besoin d’Israël et des monarchies féodales, esclavagistes et pétrolières du Golfe. Ça donne une indépendance certaine, et à Israël, et à l’Arabie Saoudite. J’ai fait récemment deux voyages, en Cisjordanie et à Gaza et j’ai entendu des Palestiniens dire à juste titre : "l’Arabie Saoudite et Daesh, ce sont des créations de l’Occident". Ils ont en partie raison. Il est sûr que si l’Arabie Saoudite utilisait le dixième de la somme qu’elle consacre à la guerre du Yémen pour aider les Palestiniens, on n’en serait pas là. Pour Israël, avoir des "ennemis" comme la dynastie saoudienne, c’est une situation rêvée. On peut rappeler qu’avant même la guerre de 1948, les dirigeants sionistes avaient passé un accord avec une autre dynastie (les Hachémites de Jordanie) pour dépecer la Palestine.

Sur la colonisation, il n’y a aucun doute à avoir. Nétanyahou va encore l’accélérer et quand on va en Cisjordanie ou à Jérusalem, on est épouvanté par l’exiguïté de ce qui reste aux Palestiniens. Le projet d’en faire les Indiens du Proche-Orient enfermés dans leur réserve est plus que jamais à l’œuvre.

8) Nétanyahou a refusé une initiative française pour un sommet pour la paix israélo-palestinienne. Le Premier ministre israélien prévilégie-t-il les négociations directes avec les Palestiniens ?

Cette initiative, les Gazaouis nous ont demandé en mai-juin dernier ce qu’on en pensait et on a répondu : "rien". Comment penser qu’Hollande qui a organisé un bal pro-israélien à l’ambassade de France à Tel-Aviv pendant le massacre de "Bordure Protectrice" et qui considère qu’on est antisémite dès qu’on critique Israël puisse être pour une paix juste ? La position française est assez obscène : elle consiste à dire aux Palestiniens que s’ils abandonnent Jérusalem, les blocs de colonies et le droit au retour des réfugiés, on peut signer la paix. C’est stupide.

Sur l’idée de négociations, soyons clairs. Rien ne remplacera la nécessité de sanctionner l’occupant. Rien ne viendra "à froid" de la diplomatie. Depuis 23 ans ce qu’on appelle "processus de paix", c’est une pression terrible sur les Palestiniens pour qu’ils capitulent sur leurs revendications essentielles.

Nétanyahou pense qu’il a un rapport de force qui lui permet de ne plus jouer la comédie. Il ne négociera pas et il se prépare à proclamer unilatéralement des annexions comme ont déjà eu lieu celles de Jérusalem et du Golan syrien.

9) L’éventuelle politique pro-israélienne de Donald Trump ne mènera-t-elle pas à une nouvelle "Intifada" ?

Les Palestiniens ont tout essayé : la résistance armée, la résistance pacifique, la lutte armée, les attentats, la diplomatie. Le droit international reconnaît à un peuple occupé le droit de se défendre. Personne ne peut prédire le choix qui sera fait. Ce que j’ai pu constater en Cisjordanie comme à Gaza, c’est l’extraordinaire capacité de "résilience" des Palestiniens. Ils refusent d’être des assistés. Ils continuent à tout faire pour produire, pour vivre dignement. Ils ont créé un nombre considérable de petites associations et de mécanismes qui font que leur société ne s’écroule pas, que les enfants continuent de s’éduquer et les paysans continuent de cultiver. De ce point de vue, ceux qui tablent sur un écroulement de la société palestinienne sont pour l’instant en échec.

De toute façon, si la brutalité de Trump est inédite, la politique américaine a toujours été celle d’une complicité inconditionnelle.

10) Le nouveau président américain peut-il délocaliser l’ambassade américaine à Jérusalem comme il dit souhaiter le faire ?

Je pense qu’il va le faire. Et qu’il ne sera pas suivi par ses alliés. Et que par ce geste, il va se couper de toute une opinion arabe qui s’efforçait de ne pas condamner l’Amérique. Et qu’il va avoir des problèmes avec tous les régimes arabes pro-américains (pays du Golfe, Jordanie, Égypte). Toucher à Jérusalem comme cela, c’est aussi une incitation pour que Nétanyahou accélère la "judaïsation" de Jérusalem-Est.

Cela peut être une incitation pour que les fous de Dieu israéliens s’attaquent aux lieux saints chrétiens ou musulmans.

11) Quel impact de la guerre en Syrie avec la situation en Palestine ?

Les Palestiniens sont bien sûr des victimes indirectes de cette guerre. Leur cause et leurs droits sont oubliés. Les Palestiniens de Syrie ont payé un très lourd tribut avec les massacres et le nettoyage ethnique perpétrés contre eux dans le camp de Yarmouk. Eux aussi aspirent à la démocratie, à la dignité et à la fin de la corruption comme la plupart des peuples arabes l’ont montré en 2011. Pour Israël, la guerre en Syrie est une bénédiction pour leur propagande affirmant "qu’Israël est la seule démocratie du Proche-Orient".


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