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Pillées et cachées – les archives palestiniennes en Israël

posté le 07/07/17 Mots-clés  solidarité  antifa  Peuples natifs 

Merci à L’AURDIP pour la traduction d’un document passionnant que vient de publier Haaretz, et qui montre que l’armée israélienne a pillé et caché jusqu’à aujourd’hui des documents qui mettent à mal le négationnisme israélien concernant l’existence et le développement de la Palestine depuis 1919, bien avant la création de l’Etat d’Israel. Nous reproduisons quelques extraits de cet article de 9 pages, et nous y joignons plusieurs photos que nous avons sélectionnées dans "A photographic history of the Palestinians, 1876-1948, by Walid Khalidi.".

Dans un article intitulé : "Que font de vieilles photos et de vieux films de Palestiniens dans les archives de l’armée israélienne ?", Ofer Aderet révèle dans le quotidien israélien que des photos et des films palestiniens saisis par les troupes israéliennes se sont empoussiérés aux archives de l’armée et du ministère de la défense jusqu’à ce que Rona Sela, conservatrice et historienne d’art, en révèle l’existence.

"Le matériau offre une alternative au récit sioniste qui nie la présence ici de Palestiniens’, dit-elle.

"Le premier lot est étiqueté en hébreu, « Histoire de la Palestine depuis 1919 », le second « Dessins d’enfants scolarisés dans un camp de réfugiés où ils vivent et aspirent à retourner en Palestine ». Le troisième : Description de la brutalité du traitement des Palestiniens des Territoires par l’armée israélienne ». Il se trouve à Tel Hashomer, près du centre du conseil de révision nationale à proximité de Tel Aviv.

Ces trois objets sont à peine une goutte dans l’océan de 38 000 films, 2,7 millions de photos, 96 000 enregistrements audio et 46 000 cartes et photos aériennes rassemblées aux archives de l’armée depuis 1948, sur ordre de celui qui fut le premier Premier Ministre et ministre de la défense d’Israël, David Ben Gourion. Mais un examen plus minutieux révèle que cette « goutte dans l’océan » particulière est subversive, exceptionnelle et hautement significative.

Ces images font partie d’une collection – dont la taille exacte et la totalité des détails restent inconnues – d’un butin de guerre filmique pris par l’armée israélienne aux archives palestiniennes dans des attaques menées au cours des années, mais majoritairement lors de la guerre du Liban de 1982.

Récemment, cependant, à la suite d’une longue et persistante bataille juridique, les films confisqués au Liban, qui s’étaient empoussiérés pendant des années, ont été sauvés de l’oubli, avec aussi de nombreuses photos. La personne responsable de cette évolution est Rona Sela, conservatrice et chercheure en histoire visuelle de l’Université de Tel Aviv.

Depuis près de vingt ans, Sela a exploré la mémoire visuelle sioniste et palestinienne. Elle a un bon nombre de révélations importantes et de découvertes à son actif, qu’elle a publiés dans des livres, des catalogues et des articles. Parmi les titres en hébreu : « La photographie en Palestine/Eretz Israël dans les années 1930 et 1940 » (2000) et « Rendues publiques : photographies palestiniennes des archives militaires en Israël » (2009). En mars, elle a publié un article dans une revue de sémiologie sociale en langue anglaise sur « La généalogie du pillage et de l’effacement coloniaux – le contrôle israélien sur les archives palestiniennes ».

Sela vient de faire son propre film, « Pillées et cachées : les archives palestiniennes en Israël », un documentaire en anglais qui examine le sort de photos et de films palestiniens « capturés » et déposés aux archives israéliennes. Le film comporte des fragments jusqu’ici non vus de films saisis par l’armée israélienne dans les archives palestiniennes de Beyrouth. Ces dossiers documentaires, dit Sela, « ont été effacés de la conscience et de l’histoire » pendant des décennies.

Il n’a pas été facile d’accéder aux films, explique Sela. Son expédition aux archives a commencé en 1998, alors qu’elle menait une recherche sur les films et photos de propagande sioniste visant à montrer le « juif nouveau », musclé, labourant fièrement la terre, en contradiction, selon la perception sioniste, avec l’Arabe palestinien supposé dégénéré et rustre.

« Après quelques années passées aux archives centrales à Jérusalem et dans d’autres archives sionistes, menant une recherche sur l’histoire de la photographie sioniste et sur la construction d’un dispositif de propagande visuelle soutenant l’idée sioniste, j’ai commencé à chercher aussi une représentation visuelle des Palestiniens, afin d’apprendre sur le récit palestinien et de retracer ses origines et son influence », dit-elle.

Cette tâche fut bien plus compliquée que quiconque aurait pu l’imaginer. Dans certains films et certaines photos sionistes, Sela put discerner, souvent incidemment, des épisodes de l’histoire palestinienne qui les avaient « infiltrés », comme elle le dit. Par exemple, dans les Actualités Carmel de 1951 (actualités hebdomadaires projetées dans des cinémas locaux) qui montrent l’installation de Juifs à Jaffa, des maisons arabes démolies et abandonnées sont clairement visibles.

Ensuite, Sela a repéré des traces et des restes de véritables archives visuelles palestiniennes surgissant, occasionnellement, des archives israéliennes. Ainsi, elle a remarqué un jour dans les archives de la Haganah, la milice qui a existé avant la création de l’État, des clichés portant la mention « Photos Rissas ». Approfondissant sa recherche, elle a découvert l’histoire de Chelil Rissas (Khalil Rassas, 1926-1974), un des pères du photojournalisme palestinien. Il est inconnu du grand public, palestinien comme israélien, mais, d’après Sela, c’était un « photographe audacieux et révolutionnaire », qui, mû par un sentiment de conscience nationale, a documenté la lutte palestinienne d’avant 1948.

Puis elle a trouvé des centaines de photos, légendées par des soldats ou par le personnel des archives qui avaient essayé de plaquer un récit sioniste dessus et de les déconnecter de leur contexte d’origine. La source des photos était un jeune juif qui les avait reçues de son père, un officier de l’armée israélienne qui les avait rapportées de la guerre d’indépendance, en guise de butin.

Cette découverte était sans précédent. Par contraste avec les images de la propagande sioniste qui exaltaient l’héroïsme des troupes juives et faisaient à peine référence aux Palestiniens, les photos de Rissas avaient pour sujets principaux les combattants palestiniens. Incarnant une posture palestinienne toute de fierté, elles se concentraient sur la lutte nationale et militaire et sur ce qu’elle produisait, dont l’entraînement militaire palestinien et le déploiement dans la bataille.

Les archives rassemblées par Habashneh contenaient des travaux oubliés qui rendaient compte de la souffrance palestinienne dans les camps de réfugiés, de la résistance à Israël et des batailles contre l’armée d’Israël, aussi bien que de la vie quotidienne. Les archives contenaient les films et le matériau brut des cinéastes de l’ICP, mais aussi une collecte d’autres films palestiniens anciens, d’avant et d’après 1948.

Cette activité reflète « un esprit de libération et de révolte et les jours de la révolution » dit Habashneh dans le film de Sela, en se référant aux années du début du mouvement national palestinien. Cet esprit a été capturé dans des photos underground et avec un budget minimum, sur des films développés dans les cuisines, projetés sous des tentes et dans les camps de réfugiés et distribués à l’étranger. Des documents existent ainsi sur des femmes, des enfants, des combattants, des intellectuels, des personnalités de la culture et des événements d’importance historique, a rappelé Habashneh. « Pour ce qu’on en sait, c’étaient là les premières archives visuelle palestiniennes officielles », note Sela.

Mais en 1982, après l’entré de l’armée israélienne à Beyrouth, ces archives ont disparu et on ne les a jamais revues.

Ce qu’Habashneh n’a pas pu réaliser en commençant en 1982 dans le cadre d’une recherche à l’échelle mondiale, Sela a réussi à le faire en quelques années de recherche en Israël. Elle a commencé en localisant un ancien soldat de l’armée israélienne qui lui a parlé du jour où plusieurs camions sont arrivés devant l’immeuble de Beyrouth qui abritait bon nombre des archives palestiniennes et s’est mis à le vider. Ce témoignage, accompagné d’une photo, a été crucial pour Sela, au sens où il corrobore les rumeurs et les récits sur le fait que les archives palestiniennes avaient été emportées en Israël.

Le même soldat a ajouté qu’il avait été saisi de peur à la vue, parmi les photos confisquées aux archives, des photos qui montraient des soldats israéliens dans les territoires. Il figurait lui-même sur l’une d’elles. « Elles nous ont marqués » a-t-il dit à Sela.

Un autre ancien soldat a parlé à Sela d’un étrange album de photos pris (ou pillé selon le point de vue adopté) en 1948 dans la maison de la famille Nashashibi, bien connue à Jérusalem. Le soldat a ajouté que son père, qui avait été officier dans l’armée lors de la guerre d’indépendance, était entré dans un studio de photos et était parti avec les archives qui s’y trouvaient, tandis que d’autres soldats étaient occupés à piller des pianos et autres objets de valeur chez les Nashashibi. Un autre ancien soldat a certifié avoir pris une photo sur le cadavre d’un Arabe. Avec le temps, toutes ces images ont fait leur chemin vers des archives en Israël, en particulier les archives de l’armée.

En 2000, Sela, encouragée par ses découvertes initiales, demanda la permission auprès de ces archives, d’examiner le matériau visuel saisi par l’armée dans les années 1980. Elle essuya d’abord un refus : le matériau n’était pas en Israël, lui dit-on.
« Mais je savais ce que je cherchais, parce que j’avais des témoignages de soldats » dit-elle aujourd’hui, ajoutant qu’en insistant elle s’est trouvée face à « des difficultés, diverses restrictions et au torpillage de la possibilité de consulter le matériau ».

L’ouverture s’est faite lorsqu’elle s’est adjoint l’aide des avocats Michael Sfard et Shlomi Zacharia en 2008. Ils ont tout d’abord reçu un mot du conseiller juridique du ministère de la défense, disant que diverses prises faites à Beyrouth étaient désormais aux archives de l’armée. Sela a néanmoins été informée par la suite que « les archives photographiques de l’OLP », ainsi que le ministère de la défense désigne généralement le matériau photographique pris aux Palestiniens, était « du matériau d’archive sur des questions d’affaires étrangères et de sécurité, et en tant que tel était d’accès restreint comme défini en partie 7(a) du règlement des archives ».

Quelques années de ce que Sela appelle « questionnement sans fin, discussions et correspondance » passèrent, qui débouchèrent sur l’autorisation qui lui fut donnée de visionner des dizaines de fragments de films.

À côté de « L’appel urgent » - dont des extraits figurent dans le documentaire « Pillés et cachés », Sela a aussi trouvé un autre film de Shammout dans les archives de l’armée. Sous le titre « Souvenirs et feu », il fait la chronique de l’histoire palestinienne du vingtième siècle, « depuis les jours décrivant la vie idyllique en Palestine, en passant par le statut de réfugié, jusqu’à la documentation de l’organisation pour la résistance. Pour reprendre les termes du réalisateur et spécialiste palestinien du cinéma, George Khleifi, le combattant offensif prit la place du réfugié au destin tragique », ajoute-t-elle.

Sela a aussi trouvé un film du réalisateur irakien Kais al-Zoubaidi, qui a travaillé un temps dans la section des arts et de la culture du l’OLP. Au nombre de ses films de cette période, on trouve « Loin du foyer » (1969) et « La visite » (1970) ; en 2006 il a publié une anthologie intitulée « La Palestine dans le cinéma », une histoire de ce sujet, qui mentionne quelque 800 films traitant de la Palestine ou du peuple palestinien.

Certains des films palestiniens se trouvant dans les archives de l’armée y sont avec leurs titres d’origine. Mais dans bien d’autres cas, ce matériau archivé a été renommé pour coller à l’optique israélienne, si bien que des « combattants » palestiniens se sont mués en « gangs » ou en « terroristes » par exemple. Dans un cas, un film sur des Palestiniens s’entraînant au maniement des armes, est enregistré comme « Camp terroriste au Koweït : distribution d’uniformes, filles rampant avec des armes, terroristes défilant armés dans les collines, instruction à la pose de mines et au maniement des armes ».

Les découvertes de Sela, qui sont d’une importance internationale, ne sont pas seulement une réalisation de recherche, de documentation et de type académique : la collecte systématique de matériau visuel palestinien dans les archives de l’armée israélienne, « rend possible d’écrire une histoire alternative qui contredise le contenu créé par l’armée et par les archives militaires, impulsé quant à lui par des considérations idéologiques et politiques ». Dans le matériau qu’elle a trouvé aux archives de l’armée, elle voit « des images décrivant l’histoire du peuple palestinien et ses liens de longue date avec cette terre et ce lieu, qui offrent une alternative à l’histoire sioniste qui a nié l’existence des Palestiniens ici, de même que leur culture, leur histoire, la longue tragédie qu’ils ont endurée et les nombreuses années de leur lutte nationale ».

D’après la Bibliothèque Nationale, celle-ci détient environ 6 500 livres et manuscrits palestiniens, pris dans des maisons privées dont les propriétaires sont partis en 1948. L’ensemble de la collection est catalogué et accessible au grand public, mais détenu sous la responsabilité du Gardien des Biens des Absents du ministère des finances. Il n’y a donc aucune intention d’essayer, dans un avenir proche, de localiser les propriétaires et de leur rendre ces livres.

Sela voit ces pillages de guerre en Israël comme l’expression directe de l’occupation, qu’elle définit, au-delà de la présence physique d’Israël dans les territoires, comme « le contrôle de l’histoire, l’écriture la culture et la configuration de l’identité ». De son point de vue, « l’exercice du pouvoir israélien sur les Palestiniens n’est pas seulement géographique mais s’étend aussi à la culture et à la conscience. Israël veut effacer cette histoire de la conscience publique, mais il ne réussit pas, parce que la force de la résistance est supérieure. De plus, ses tentatives pour effacer l’histoire palestinienne affectent Israël lui-même au bout du compte ».

À ce stade, Sela a recours à une comparaison lourde de sens, pour illustrer comment le matériau visuel contribue à la création de l’identité personnelle et collective. « En tant que fille de survivants de l’holocauste » dit-elle, « j’ai grandi dans un foyer dépourvu de mémoire historique photographique. Rien. Mon histoire ne commence qu’au moment où mes parents se sont rencontrés, en 1953. C’est seulement à partir de là que nous avons des photos. Avant cela : rien.
« Je sais ce qu’on ressent lorsqu’on n’a aucune idée de à quoi ressemblaient sa grand mère et son grand père, ni de ce qu’était l’enfance de son père », continue-t-elle. « C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de l’histoire de tout un peuple. La construction de l’identité via des matériaux visuels et très significative. Beaucoup de chercheurs en ont traité. Le fait est que les corps constitués sionistes ont fait et continuent de faire un usage extensif et rationnel de (tels matériaux aussi) sur une période qui couvre des décennies ».

Sela admet qu’il y a encore beaucoup à faire, mais en ce qui la concerne, une fois qu’une fissure est apparue dans le mur, il n’y a pas moyen de faire machine arrière. « Il existe une grande quantité de matériau, dont des centaines de films auxquels je n’ai pas encore eu accès », note-t-elle. « C’est un trésor fantastique, qui contient de l’information sur la vie culturelle, éducative, rurale et urbaine du peuple palestinien au long du vingtième siècle – un récit effacé qui doit être restitué aux livres d’histoire » ajoute-t-elle.

Questionnée sur ce qu’elle pense qui devrait être fait avec ce matériau, elle affirme : « il faut bien sûr le rendre. Tout comme Israël bataille constamment pour recouvrer ce que les Nazis ont pillé chez les Juifs pendant l’holocauste. Le contexte historique est différent, mais le même critère s’impose : faites ce que vous prêchez. Ce sont des matériaux culturels et historiques appartenant au peuple palestinien ».

Le fait que ces éléments sont détenus par Israël « crée un vaste trou dans la recherche et la connaissance palestiniennes » affirme Sela. « C’est un trou dont Israël est responsable. Ce matériau ne nous appartient pas. Il faut le rendre à ses propriétaires. Ensuite, si nous voyons les choses intelligemment, nous aussi pouvons apprendre et comprendre des chapitres très significatifs de l’histoire palestinienne et de notre propre histoire. Je pense que la première étape, de base, du processus de conciliation est de connaître l’histoire de l’Autre et aussi notre propre histoire de contrôle sur l’Autre ».

http://la-feuille-de-chou.fr/archives/96437


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