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Post-modernisme contre universalisme : un faux débat

posté le 17/12/18 Mots-clés  luttes sociales  antifa 

On peut parfois entendre amalgamer sous le nom de post- modernisme, de façon d’ailleurs assez arbitraire, les divers courants intellectuels, surtout français, de la seconde moitié du vingtième siècle qui ont entreprit une remise en cause des modèles de pensée occidentaux, notamment l’universalisme, la notion de sujet et plus généralement la pensée métaphysique.

Pour définir un peu : la métaphysique [1] est la partie de la philosophie qui traite des catégories dite a priori du jugement, comme la Vérité, la Justice, l’Amour avec une majuscule etc. Ces catégories sont dites a priori du jugement parce qu’elles ne sont pas élaborées à posteriori d’une méthode expérimentale. Ne reposant pas sur une méthode expérimentales elles ne sont donc pas réfutables mais reposent sur une croyance, elles ne sont pas critiques mais normatives : elles s’imposent telles qu’elles, ou se refusent telles qu’elles, sans se discuter.

Rapidement, les catégories expérimentales sont élaborées selon une méthode scientifique dans une démarche critique, c’est-à-dire basée sur l’observation, la formulation d’hypothèses mesurables et réfutables par des expériences reproductibles où l’on cherche à démontrer leur fausseté. En cas d’échec à les considérer comme fausses, elles sont considérées comme vraies... pour le moment.

On reproche au « post- modernisme » d’être relativiste mais c’est une critique absurde : il ne s’agit pas d’un courant philosophique mais simplement de l’irruption de la méthode scientifique en matière de théorisation du social.

Or la science est « relativiste » dans la mesure où elle n’est pas dogmatique mais critique : une théorie scientifique n’est jamais une loi d’airain, elle n’est qu’une hypothèse considérée momentanément comme vraie car permettant d’obtenir des résultats prédictibles et reproductibles, et elle est susceptible d’être abandonnée à la prochaine découverte. La théorie de la relativité générale d’Einstein supplante la mécanique Newtonienne pour expliquer les phénomènes de gravité : ce n’est pas parce que la science est relativiste mais parce qu’elle est discipline critique, dont les découvertes peuvent donc être réfutées en permanence.

Le conflit d’une partie de l’extrême- gauche avec le « post- modernisme » n’est donc pas un conflit idéologique mais une réaction contre la méthodologie des sciences- sociales. Pour résumer : on peut globalement analyser l’histoire de la philosophie en Occident comme celle d’une méta- discipline, d’une espèce de matrice qui contenait toutes les futures sciences : physique, mathématique, sciences- sociales etc. Au fur et à mesure de son histoire, chaque discipline s’est détachée de la philosophie pour devenir une discipline à part entière : ce fut d’abord le cas des dites « sciences- dures » (terme qui ne veut pas dire grand chose) puis, vers la fin du 19e siècle, des sciences- sociales.

Cependant, s’il ne viendrait plus aux philosophes l’idée de prétendre donner leurs avis sur des équations de physique quantique, ceux- ci ont encore du mal à admettre que l’analyse du social est aussi une science, et qu’elle fait l’objet d’une spécialisation et d‘une formation spécifiques. En réalité, avec l’émancipation des sciences « dures » et des sciences- sociales, c’est toute la tradition critique qui a progressivement quitté la philosophie : la philosophie en est désormais réduite à une discipline non- scientifique, donc non- critique.

Dans ces conditions pourquoi la philosophie existe-t-elle toujours comme discipline ?

Ici nous allons faire un peu de sociologie, justement. Le degré d’abstraction et la portée non- critique de la philosophie contemporaine se prêtent parfaitement à la fonction qui lui est assignée : reproduire, via le système d’enseignement supérieur, une fraction spécifique de l’élite intellectuelle chargée elle-même de produire l’éventail des discours dominants. La métaphysique, la morale, et la science- politique sont ainsi devenues ses domaines de prédilection (ne manque que l’économie qui fait bande à part dans les discipline de propagande) ; et l’essai ou le pamphlet ses genres favoris parce qu’ils ne reposent sur aucune donnée empirique ou expérimentale.

Le conflit entre « post- modernistes » et « universalistes » est donc un faux conflit qui en dissimule un autre, à savoir que la tradition philosophique ne veut toujours pas abandonner le terrain du discours sur le social à la méthode scientifique.

Même si dans le « post- modernisme » on amalgame également un certain nombre de philosophes (Deleuze, Guattari), à l’heure actuelle ceux que l’on appelle les « post- modernistes » dans les milieux contestataires sont, en réalité, ceux qui privilégient un discours issu de la méthode critique et des sciences- sociales sur le discours philosophique et la métaphysique. Ceci ne veut nullement dire que toute personne considérée comme « post moderniste » est rigoureuse ou méthodique, nous parlons de « privilégier un discours issu de cette méthode » et pas de privilégier cette méthode elle-même. Ainsi, certaines personnes qui seraient normalement rangées sous l’étiquette de « post- modernistes » et étalant leur avis sur les réseaux sociaux se contentent bien souvent de reprendre des morceaux de discours élaborées à partir de méthode scientifique, sans reprendre la méthode elle- même. Or c’est celle- ci qui importe, faute de quoi on annule la portée réellement critique des conclusions qu’on en tire pour en faire des arguments d’autorités.

Il y aurait plusieurs autres exemples à donner, mais on peut également s’arrêter sur un des plus courants, à savoir l’utilisation du mot déconstruction. La déconstruction désigne initialement une méthode d’analyse consistant à considérer un discours comme une construction. Derrida l’utilise pour décrire une méthode d’analyse de discours. Se déconstruire soi- même, en revanche, relève de l’abus de langage du milieu gauchiste, et qui s’est généralisé par la suite. Se déconstruire ne veut rien dire, on n’abolit pas les rapports sociaux de dominations parce que... il s’agit de rapports sociaux justement, pas de disposition d‘esprit individuelle. Si le socialisme- dans- un- seul- pays ne fonctionne pas, l’antiracisme- dans- une- seule- personne encore moins : on peut essayer d’être critiques et méthodiques, et si on arrive un tant soi peu c’est déjà pas mal, mais on ne peut pas être déconstruit.


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