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Pour les Noirs à Cuba la révolution n’a pas encore commencé

posté le 07/06/16 Mots-clés  réflexion / analyse 

Pour les Noirs à Cuba la révolution n’a pas encore commencé

source : http://www.polemicacubana.fr/?p=8394

Les dernières informations provenant de Cuba font référence aux changements, mais c’est plus un rêve qu’une réalité pour les Afro-Cubains comme moi. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses interdictions ridicules ont été supprimées pour les Cubains vivant sur l’île, comme dormir dans un hôtel, acheter un téléphone, vendre une maison ou une voiture et voyager à l’étranger. Ces gestes ont été célébrés comme des signes d’ouverture et de réforme, bien qu’en réalité ce ne sont que des efforts pour normaliser la vie. La réalité est qu’à Cuba ton expérience par rapport à ces changements dépend de la couleur de ta peau.

Le secteur privé jouit aujourd’hui à Cuba d’un certain degré de libéralisation économique, mais nous les Noirs, nous ne sommes pas en position avantageuse pour profiter de celle-ci. Nous avons hérité de plus de trois siècles d’esclavage durant l’époque coloniale espagnole. L’exclusion raciale a continué après l’indépendance de Cuba en 1902, et un demi-siècle de Révolution depuis 1959 a été incapable de la surmonter.

Dans les premières années de la décade des années 90, après la fin de la guerre froide, Fidel Castro a entrepris des réformes économiques qui ont été poursuivies par Raúl, son frère et successeur. Cuba a perdu son plus grand bienfaiteur, l’Union soviétique, et elle est tombée dans une profonde récession que l’on a appelé la Période spéciale. Il y avait des pannes électriques fréquentes. Les transports en commun marchaient à peine. La nourriture était rare. Pour canaliser le mécontentement, le gouvernement divisa l’économie en deux secteurs : l’un pour les entreprises privées et les entreprises axées sur l’étranger, essentiellement autorisées à négocier en dollars américains, et un autre qui a gardé l’ancien ordre socialiste reposant sur des emplois publics avec un salaire moyen de 20 dollars par mois.

Il est vrai que les Cubains ont encore un solide filet de sécurité : la plupart ne paient pas de loyer, et l’éducation et les soins de santé sont gratuits. Mais la divergence économique a créée deux réalités contrastées qui perdurent aujourd’hui. La première est celle des Cubains blancs, qui ont équilibré leurs ressources, pour entrer dans la nouvelle économie de marché et récolter les avantages d’un socialisme soi-disant plus ouvert. L’autre réalité est celle de la pluralité noire, qui fut témoin de la disparition de l’utopie socialiste dans les zones les plus défavorisés de l’île.

La majeure partie des envois de fonds de l’étranger provenant principalement de la région de Miami, le centre neurologique de la communauté des exilés, majoritairement blancs va aux Cubains blancs. Ils ont tendance à vivre dans de meilleures maisons, qui peuvent être facilement converties en restaurants ou en hébergements avec pension, les types de commerce privé les plus courants de Cuba. Les Cubains noirs ont moins de biens et d’argent, et de plus ils ont dû faire face au racisme qui prévaut aujourd’hui. Il n’y a pas si longtemps, il était fréquent que les gestionnaires des hôtels, par exemple, embauchent uniquement de la main d’œuvre blanche censée ne pas offenser la supposée sensibilité de sa clientèle européenne.

Ce type de racisme scandaleux est devenu moins acceptable socialement, mais les Noirs sont encore tristement sous-représentés dans le secteur du tourisme sans doute le secteur le plus lucratif de l’économie, et il est encore beaucoup moins probable que les Noirs soient susceptibles de posséder leur propre entreprise comme les Blancs. Raúl Castro a reconnu la persistance du racisme, et des améliorations dans certains domaines (il y a plus d’enseignants et de députés noirs à l’Assemblée nationale), mais il reste beaucoup à faire pour remédier aux inégalités structurelles et les préjugés raciaux qui excluent les Afro-cubains des avantages de la libéralisation.

Le racisme à Cuba a été occulté et renforcé en partie parce que personne ne parle de lui. Le gouvernement n’a pas permis que les préjugé raciaux soient discutés et confrontés politiquement ou culturellement, en prétendant en permanence, en de nombreuses occasions que le racisme n’existait pas. Avant les années 90, les Cubains noirs ont souffert d’une paralysie de la mobilité économique, alors que, paradoxalement, le gouvernement décrétait la fin du racisme dans les spectacles et les publications. S’interroger sur l’extension du progrès racial équivalait à un acte contre-révolutionnaire. Cela a rendu presque impossible de souligner l’évidence : le racisme est bel et bien vivant.

Si les années 60, la première décennie de la révolution, signifiaient une opportunité pour tous, les décennies qui suivirent ont montré que tout le monde ne pouvait pas avoir accès aux avantages de telles opportunités. Il est vrai que les années 80 a produit une génération de professionnels noirs des médecins et des enseignants, mais ces développements ont diminué dans les années 90, quand les Noirs étaient exclus de secteurs lucratifs tels que l’hôtellerie. Maintenant, au vingt et unième siècle, il devient très visible que la population noire est sous-représentée dans les universités et dans les espaces du pouvoir économique et politique, et qu’elle est sur-représentée dans l’économie souterraine, dans la sphère criminelle et dans les quartiers marginalisés.

Raúl Castro a annoncé qu’il mettrait fin à sa présidence en 2018. J’espère que d’ici là, à Cuba le mouvement antiraciste se développera, tant au niveau juridique que logistique, afin qu’il puisse apporter des solutions qui ont été longtemps promises et attendues par les Cubains noirs.

Une première étape importante serait enfin de parvenir à un recensement officiel des Afro-cubains. La population noire de Cuba est beaucoup plus importante que ce qu’indique un recensement récent. Le nombre de Noirs dans la rue met l’accent sur la fraude statistique qui nous considère nous les Noirs comme formant moins d’un cinquième de la population. Beaucoup de gens oublient qu’à Cuba, une goutte de sang blanc ne peut, même si ça n’est que sur le papier, faire d’un métis une personne blanche, alors qu’il s’agit de quelqu’un qui dans la réalité sociale ne se retrouve pas dans l’une de ces catégories. Ici, les nuances qui régissent la couleur de la peau sont une tragi-comédie qui occulte des conflits raciaux ayant une longue existence.

La fin du gouvernement des Castro signifiera la fin d’une époque dans la politique cubaine. Il n’est pas réaliste d’attendre un président noir, étant donné la conscience raciale insuffisante sur l’île. Mais quand Raúl Castro quittera ses fonctions, Cuba devient un pays très différent. Nous ne pouvons qu’espérer que les femmes, les Noirs et les jeunes seront en mesure d’aider à guider le pays vers une meilleure égalité de chances et vers une pleine citoyenneté pour les Cubains de toutes les couleurs.

Roberto Zurbano

Traduit du New York Times : “For Blacks in Cuba, the Revolution Hasnt Begun”


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