Nous avions l’habitude de jouer dans le jardin de ma tante, quand nous étions plus jeunes… filles et garçons, il n’y avait pas de différence… nous grandissions ensemble… nous avions l’habitude de nous mesurer à la course, de jouer, de rire… quelquefois nous nous battions, toujours pour rire… nous regardions la télévision ensemble… pleurions lorsque les dessins animés se terminaient mal… nous sommes devenus un peu plus vieux… nous avons commencé à étudier ensemble… nous nous menacions les uns les autres de nous dénoncer auprès du professeur… nous nous moquions de nous mêmes… nous avons ri de tout notre cœur…
Et ainsi les jours passaient…
Ma cousine et moi, nous regardons par la fenêtre… nous regardons vers le jardin où nos cousins et leurs camarades jouent… c’est le jardin où nous jouions auparavant ensemble… ils étaient nos amis en ce temps là… c’étaient les garçons avec lesquels nous jouions… qu’est-il arrivé ? Pourquoi sommes-nous prisonnières à la maison, alors qu’ils jouent au ballon dehors, si libres… qu’avons nous fait ? Avons nous vieilli trop vite ? Nos corps ont-ils changé ? Sommes nous devenues de tels objets de tentation qu’ils nécessitent d’être mis à l’abri des regards ? Ne sont-ils pourtant pas ces garçons que nous connaissions depuis notre plus tendre enfance ? Qu’est ce qui a changé ? Pourquoi sommes nous devenus des étrangers ? Pourquoi dois-je courir me cacher dès que j’entends leurs voix ? Est-ce juste parce que le timbre de ces voix a changé ? Est-ce pour cela que nous ne sommes plus amis ? Sommes nous supposer agir autrement les uns avec les autres ? Autrement qu’hier ? Nous avons commencé à nous comporter avec précaution et timidité avant de nous parler… nous avons arrêté de jouer avec L’Autre… Ma cousine et moi avons alors commencé à passer nos loisirs à regarder des séries mexicaines, comme si nous avions déjà atteint nos 50 ans.
Et ainsi les jours passaient.
Je suis à l’école… nous apprenons pourquoi une femme doit se voiler… ses cheveux incarnent la tentation… ses sourcils incarnent la tentation… je me rappelle mon chanteur préféré… ses yeux sont beaux aussi… ses cheveux sont beaux … pourquoi ne se voile-t-il pas ? Je me pose cette question et je ne trouve pas de réponse… Je me rappelle que je fus bannie du jardin et de ses jeux à la puberté… alors que pas mes amis garçons… n’étaient-ils pas dans leur puberté eux aussi ? Pourquoi ne devaient-ils pas rester à la maison alors ? Là non plus, je n’ai pas trouvé la réponse…
Et ainsi les jours passaient…
J’entends cela en permanence… « Une femme est un bijou à garder dans un écrin (i.e. voilée) »… et parfois, on dit même que la femme est une sucrerie « si vous retirez le papier de bonbon (i.e. le voile), les mouches se mettent à tournoyer autour »… je regarde la télévision et je tombe sur mon chanteur préféré, je suis si fan de sa chevelure douce, soyeuse et bien brossée, flottant autour de lui avec élégance… ses bras son nus… sa poitrine est nue... pourquoi cet objet de pure tentation n’est-il pas voilé ? Pourquoi n’est il pas enfermé chez lui ? Pourquoi les femmes ne sont-elles pas tentées par lui ? Certains diront qu’une femme ne doit pas regarder ça… alors les hommes ne devraient-ils pas eux aussi baisser les yeux à la vue d’une femelle « objet de tentation » ? Je ne peux pas trouver la réponse…
Et ainsi les jours passaient…
Je suis à l’université… Je vois des personnes distribuer un petit livre religieux… « Tentations d’une femme »… Ses cheveux… ses pieds… ses yeux, et « ainsi, une femme doit cacher l’un de ses yeux, puisque les deux ensemble sont trop tentants »… Je jure que c’est ce que j’ai lu dans ce livre !... c’est comme s’il n’y avait rien d’autre à faire dans ce monde, qu’à scruter une femme après l’autre, pour voir jusqu’où elle est objet de tentation… J’ai décidé d’observer le regard des hommes… Je veux savoir quelles sont les femmes qui attirent leur regard par leur façon d’être si tentantes… devant moi marche une femme entièrement couverte d’une Abaya noire (long châle noir)… aha !... je vois que c’est un objet de tentation… je continue de regarder… devant moi marche une femme vêtue d’une Abaya bouffante, le visage découvert… le garçon la dévisage… aha ! Alors son visage est lui aussi un appel à la tentation… une troisième femme marche devant moi… le visage voilé et elle porte une large Abaya, des pieds à la tête… l’homme la regarde ! Heu ? Je ne comprends pas… qu’il y a-t-il de si tentant dans une Abaya noire ? Pas d’yeux, pas de pieds… Par quoi est donc attiré cet homme ? A ce moment, je réalise que les vêtements n’ont rien à voir avec… les hommes vont se fixer sur nous dans toutes les occasions… mais lui avec ses larges épaules, ses cheveux, ses yeux et ses lèvres, n’est pas considéré comme un objet de tentation quand bien même toutes les femmes du monde le convoiteraient… c’est un homme… il ne doit pas se cacher chez lui… personne ne dit que c’est un bijou… à ce moment je souhaiterais ne pas être un bijou. Je souhaiterais être un homme libre…
Et ainsi les jours passaient…
Je me trouve dans un pays occidental… les femmes marchent autour de moi… l’une porte des pantalons… une autre une jupe courte… une autre encore des shorts… hommes et femmes avancent côte à côte… c’est étrange… aucun ne regarde avec insistance… pourquoi ne vois-je donc pas les regards appuyés des hommes de mon pays ? Ces regards qui déshabillent les femmes… ces regards que je déteste… ceux-là même qui me font haïr d’être venue sur terre, haïr d’être née femme… ces regards qui me nient mon humanité… pourquoi ne les vois-je pas ici ? Toutes les femmes sont bien habillées… pourquoi dans ce cas je n’aperçois aucun de ces regards, alors qu’elles sont si attirantes ? Je vois une femme courir et rire… je me rappelle ne plus avoir eu le droit de courir à la puberté… je me rappelle la fenêtre de ma tante… je me rappelle avoir été un objet de tentation à couvrir… je me rappelle un homme de mon pays vêtu de blanc alors que moi je devais aller tout en noir… je me demandais, pourquoi les hommes ne doivent-ils pas être habillés en noir ? Pourquoi les hommes ne se voilent-ils pas le visage ? Et je ne pouvais pas trouver la réponse
Et ainsi les jours ont passé…