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Préparons la suite

posté le 17/09/17 Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  antifa 

Les attaques sociales de Macron s’annoncent si fortes qu’il n’est pas complètement illusoire de croire que des mouvements sociaux d’ampleur devraient également faire leur apparition dans les mois à venir. Les manifestations du 12 septembre donneront sans doute le ton, même si elles peuvent aussi facilement prendre la forme d’un coup d’épée dans l’eau où la suite se fait attendre. Sans émettre de pronostic hasardeux sur ce qui pourrait arriver, la perspective de la journée du 12 septembre est en tout cas l’occasion de faire un retour critique sur le mouvement conte la loi travail du printemps 2016 à Toulouse et d’esquisser quelques pistes pour les mobilisations futures, qu’elles tardent ou non à émerger.

Depuis des années, le marronnier de la fin de l’été reste le même : « la rentrée sera chaude ! » prophétisent en chœur éditorialistes et cadres du NPA. À force d’appeler au loup, difficile d’y croire encore, mais pour le coup, certains signes sont là. Macron, candidat du capitalisme fraîchement élu l’a été face au Front national, sans que personne ne se fasse d’illusion sur la politique qu’il allait mener. Il n’y a d’ailleurs pas eu de manifestation monstre dans la rue qui appelait à « faire barrage au fascisme » comme ça avait été le cas en 2002, car le duel Le Pen – Macron, avec la victoire du second, était annoncé depuis des lustres. Aucune surprise. Personne n’est dupe. Depuis des mois, les classes dirigeantes avaient désigné Macron comme le futur président, les masses électorales ont simplement suivi par dépit. Dans le fond, avec le vote, il n’y avait pas d’autre alternative.

Ce qui n’empêche nullement que l’ampleur des attaques sociales qui se préparent soit sans précédent. Pour désigner la politique gouvernementale à l’œuvre, certain·e·s parlent pudiquement d’uberisation de la société. Ce qui se cache derrière ce néologisme répugnant n’a en réalité rien de nouveau : c’est la réapparition d’un capitalisme primaire, débarrassé tant que possible des encombrants droits sociaux, vieillots et ringards. C’est comme cela que l’on peut comprendre le second acte du plan de restructuration global du travail en cours avec ses attaques coordonnées, via ses ordonnances et ses coupes budgétaires, contre les salarié·e·s, les emplois aidés ou les minima sociaux.

En vue des probables mobilisations à venir — qu’elles se fassent ou non attendre —, il peut être intéressant d’essayer de voir ce qui a réussi et échoué en 2016 à Toulouse, car les mobilisations n’ont, ici, pas atteint la même intensité qu’à Paris, Rennes ou au Havre. Les « réussites » du mouvement dans d’autres villes en 2016 n’ont pas forcément été reproductibles ici et elles ne le seront sans doute pas plus dans les mois à venir. Dans un mouvement social, il n’y a jamais de recette miracle, il faut sans cesse savoir réinventer les façons de lutter et faire avec les réalités locales.

Sortir la tête du cortège de tête

Constituer un bloc de gens en noir derrière des banderoles renforcés produit de la puissance collective lorsqu’il y a effectivement du monde pour tenir face aux charges policières, lorsqu’un objectif à atteindre a été prédéfini collectivement, mais surtout lorsque ce bloc ne donne pas l’impression d’être complètement extérieur au reste de la manifestation. À défaut, il est suivi de près par un cortège de flics en civils qui, de par sa simple présence et la tension qu’il provoque, réussit assez bien à imposer qu’il ne se passe à peu près rien au sein du cortège radical. C’est ce que l’on a vu lors de la plupart des manifestations du printemps 2016 à Toulouse. Par ici, la stratégie de l’émeute a été un échec cuisant : il n’y a pas eu le début d’une riot sur toute la durée du mouvement social et le nombre de vitrines brisées en manif’ doit se compter sur les doigts d’une main.

Quant au cortège de tête, mythe typiquement parisien, qui rassembla jusqu’à 10 000 personnes le 14 juin 2016, il n’a jamais non plus fait son apparition de façon significative dans une manifestation toulousaine. À vrai dire, le cortège radical n’a jamais réellement essayé de prendre la « tête » de la manif’. Mais d’ailleurs, à quoi bon ? A Toulouse, les trajets restent, manif’ après manif’, invariablement les mêmes : d’Arnaud Bernard à François Verdier et vice-versa. Prendre la tête du cortège ne ferait alors sens que si la tête cherchait à quitter l’ennuyeuse routine de ces promenades toutes tracées. En 2016, les tentatives en ce sens se sont heurtées autant aux uniformes qu’aux activistes de la pacification que se sont révélé·e·s être certain·e·s militant·e·s de Nuit Debout. N’en déplaisent à celles et ceux qui, volontairement ou non, prirent dans ces moments le parti de l’ordre, les manifestations réellement subversives ne peuvent être que sauvages. Sortir du cadre autorisé est un préalable à tout débordement.

D’une certaine façon, notre erreur a sans doute été d’avoir voulu faire déborder la manifestation, plutôt que de chercher à être la manifestation qui déborde. Notre extériorité au cortège, depuis son intérieur même, a produit un sentiment d’échec, mais aussi celui d’une perte énorme de temps. Fabriquer des banderoles renforcées, des œufs de peintures, ramener du matos, essayer de dévier le cortège, c’est chronophage. De l’énergie gâchée, qui l’aurait sans doute été moins à rédiger des tracts, les distribuer, coller des affiches, préparer des occupations ou saboter la routine quotidienne.

Comment lutter ensemble sans se rencontrer ?

Nous avons sérieusement manqué de lieux où nous rencontrer, où nous organiser, d’où pouvaient partir des initiatives autonomes, des actions, des blocages ou des manifestations. Il y a bien sûr eu la tentative de la Maison du 32 mars, mais malgré l’enthousiasme que provoqua l’ouverture de ce bâtiment en plein centre-ville, l’expérience ne fut que trop courte et il sembla impossible de rebondir collectivement après l’expulsion. Peut-être le bâtiment a-t-il été occupé trop tôt, sans doute l’a-t-il été par une composante perçue comme trop radicale et minoritaire par le reste du mouvement social. Il n’empêche : pour lutter ensemble, il nous faut nous organiser et ce n’est pas au milieu du brouhaha existentiel et politique de la place du Capitole que cela aurait pu être possible. Les occupations ont toujours été des outils de lutte nécessaires, elles peuvent exister de mille manières et il serait absurde de s’en priver.

Contrairement à ce que beaucoup semblent encore croire, c’est rarement dans les rangs des militant·e·s révolutionnaires de longue date que se trouvent les enragé·e·s. Ce n’est pas plus dans une bibliothèque anarchiste de l’est parisien que dans une épicerie de la montagne limousine que se sont rencontré·e·s la majeure partie des émeutièr·e·s du printemps 2016. S’il a certes des aspects rassurants, ce n’est pas en cultivant un entre-soi radical que l’on élargit des pratiques de luttes, que se tissent des complicités et que s’élaborent des perspectives de transformations sociales. Par bien des aspects, lors du printemps 2016, nous n’avons pas su nous rendre audibles auprès de celles et ceux qui étaient dans la rue avec nous. Quant aux autres qui n’y étaient pas, nous n’avons même pas essayé de leur parler — ou si peu —, les laissant face au néant d’un journal télévisé ou, au mieux, d’un tract passéiste de la CGT. Par facilité sans doute, on a bien souvent l’envie d’oublier que l’on ne naît pas révolutionnaire, mais qu’on le devient. Lorsque nous réussirons collectivement à nous débarrasser du mépris envers celles et ceux qui ne maîtrisent pas les codes, normes et langages de nos milieux, il nous sera sans doute plus facile de trouver des allié·e·s là où on ne s’y attendait pas, de nouer des liens forts dans les luttes, dépassant des clivages parfois plus identitaires que politiques.

Pour l’action directe

Partir du constat de l’échec de l’émeute et du cortège de tête à Toulouse en 2016 ne vise évidemment pas à dénoncer ces pratiques d’un point de vue moral, ni à affirmer qu’elles n’auront jamais lieu ici. Bien au contraire. Il s’agit plutôt d’une invitation à les repenser, en partant de ce qu’il est possible de faire ici et non d’une projection sur ce qui se passe ailleurs. La déambulation en fanfare dans l’ultra-centre toulousain dans l’entre-deux tours a par exemple permis de reprendre la rue ensemble, ignorant joyeusement la présence policière, avec un discours radical assumé, laissant sur notre passage tags et affiches.

Il ne s’agit pas non plus de dire qu’il faudrait abandonner toute volonté de casse ni laisser nos envies d’antagonisme à la simple sphère du discours. Mais les actions directes en manifestation se sont avérées au printemps 2016 bien rares. Il faut dire qu’à Toulouse, l’ordre policier a su se servir des manifestations de l’automne 2014, suite à la mort de Rémi Fraisse, pour expérimenter et peaufiner un dispositif somme toute assez efficace pour que rien ne se passe. Fort heureusement, l’ordre policier n’est pas encore total et il est possible d’agir à des moments où l’on ne nous attend pas. Tout comme l’émeute, les actions directes ne devraient pas être la spécialité de quelques un·e·s. Il n’est pas si difficile de trouver quelques complices, d’identifier une cible, de prendre quelques mesures de sécurité et de passer à l’action. Qu’elles soient coordonnées ou non, revendiquées ou pas, médiatisées ou invisibilisées, les actions directes participent à un climat de révolte sociale. Nul besoin de faire allégeance à un groupe révolutionnaire aux allures de société secrète pour pratiquer le sabotage.

Rien n’assure qu’un mouvement social important arrivera de sitôt, mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à comment nous souhaiterions y intervenir.

Participons au désordre, discutons, agissons.


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