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Prière au Créateur

posté le 30/01/22 par Gigi Damiani Mots-clés  art 

Prière au Créateur


Ô Seigneur — pourquoi en une heure d’ennui nous tiras-tu de la boue où nous grouillions, infimes vermisseaux — et nous formas-tu de tes mains qui avaient tripoté les fumiers de l’Univers — sans te les laver d’abord — et nous douas-tu d’une âme perverse faite à la ressemblance de la tienne ?

Si la Création — au dire des pères jésuites — devait être une œuvre de bonté, quel besoin avais-tu de notre souffrance ?

Pourquoi ne pas nous laisser dans les limbes des choses sans nerfs — et des êtres qui ne pensent pas ?

Pourquoi ne pas donner à nos lèvres un sourire éternel — et à nos fronts une sérénité sans rides ?

Pourquoi nous avoir classés en esclaves et en maîtres — en bouffons et en philosophes — en victimes et en bourreaux — en comédiens et en prophètes — en clients de l’isoloir et en hommes d’état ?

Pourquoi nous avoir mis la haine au fond du cœur et la pitié sur tes lèvres ?

Pourquoi avoir voulu que nos femmes vieillissent après les premières caresses — et que leur beauté se flétrisse au premier déchirement de la maternité ?

♦ ♦

Pourquoi, en hommage à ta toute-puissance — à ta toute-vision — as-tu fixé notre sort, depuis le commencement des siècles — nous as-tu oints de la capacité de délinquer — doués de l’impuissance congénitale à être bons ?

Pour récréer les cœurs des Séraphins déliquescents — ne te suffisait-il pas de faire rouler les mondes dans l’espace sans limites — ne pouvais-tu te distraire durant les interminables veilles de l’Eternité — en jouant au billard avec les satellites ?

Pourquoi nous avoir tiré de l’immense paix du néant ?

Si les ailes des archanges abrutis par la gloire céleste — ne suffisaient pas à écarter les moustiques de ton chef branlant : pourquoi ne pas employer la queue des comètes ?

Quel besoin avais-tu de nos hurlements de douleur — de nos blasphèmes ?

La puanteur soufrée des soleils en combustion — ne suffisait donc pas à te faire éternuer — et à secouer ta somnolence séculaire ?

Qu’avais-tu besoin de nos prières et des psaumes des franciscains ?

♦ ♦

Les rats trottinaient tranquillement dans les égouts du Paradis Terrestre — et tu créas le chat.

Adam — Androgyne — se dorlotait béatement à l’ombre de l’Ignorance qui se suffit à elle-même — et tu lui donnas un sexe — féroce, tu lui attachas une Eve au flanc…

Une Eve qui avait appris du serpent la science des caresses visqueuses — qui lui engendra Caïn — et qui lui inocula la syphilis — la syphilis qu’elle avait contractée en forniquant avec tous les orangs-outangs du voisinage.

♦ ♦

Ô Seigneur… dieu de bonté !…

Le monde regorge de malheureux souffrant de souffrances inutiles.

Il est des insectes qui vivent un jour une vie sans but — des enfants qui ne naissent que pour mourir — il y en a d’autres qui grandissent phtisiques — d’autres encore qui, ayant surmonté toutes les peines de la vie, s’en vont promener par le monde leurs plaies gangrenées.

♦ ♦

Ô Seigneur… dieu de justice !…

Tu as inventé la goutte et l’anémie — tu fais mourir les uns d’indigestion et les autres d’épuisement. — Tu as donné un prix à la virginité — un salaire à l’amour.

Les tables de ta loi oscillent entre la supercherie et le renoncement. — Tes saints ne sont que des poltrons — tes bienheureux des saligauds — et tes héros ont tous les stigmates du criminel né.

Ô Seigneur… tu récompenses le vice ici-bas — et la vertu après la mort.

Tu as empoisonné deux fois Socrate : la première fois avec Xanthippe — la seconde avec la ciguë.

Père dénaturé — tu as laissé mourir ton fils sur la croix pour laver ton péché en son sang. — Tu es le dieu de toutes les armées — et, en maints pays, dans tous les bordels une lampe brûle en ton nom.

♦ ♦

Pourquoi n’avoir pas disparu au fond des abîmes de l’Infini — lorsque, tout seul, tu parcourais la Voie Lactée ? — Pourquoi Satan ne t’a-t-il pas coupé le cou comme à un traître — alors que tu méditais l’égorgement de la Création ?

Cruel, tu as dit : — « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance — donnons-lui tous les désirs et toutes les impuissances — accablons-le de tous les maux.

Donnons-lui l’orgueil et les maladies vénériennes — la foi et les fièvres paludéennes — enivrons-le de l’amour qui passe — donnons-lui l’illusion du libre arbitre du chien attaché à la chaîne — et repaissons-nous de sa douleur durant le cours des siècles.

Il nous maudira aujourd’hui et à toujours — et pour nous, les six jours de notre besogne écoulés — dans l’oisiveté qui durera autant que durera le temps — nous jouirons de la malédiction de tous ses cris. »

♦ ♦

Tu parlas ainsi, ô Seigneur… — mais il en fut autrement.

♦ ♦

Parce que, ô vieux sadique… — Si tu ne t’es pas trompé dans la dix millionième partie d’une seconde dans tes calculs astronomiques — tu as fait erreur en ce qui concerne l’accomplissement de ton désir insensé.

Parce que, ô Seigneur, à ta grande surprise — voici que nous te bénissons.

♦ ♦

Nous te bénissons pour nous avoir donné une langue — pour nous avoir enseigné les paroles de la malédiction — parce que nous, les atomes éphémères, nous pouvons nous dresser et faire front — à ton incommensurable omnipotence et nous écrier :

« Sois maudit pour toute l’éternité, ô Seigneur — à cause de la plainte des enfants qui ont faim — des supplications des vieillards sans gîte — à cause de l’Amour qui agonise — de la Haine qui triomphe — à cause du bien que tu pouvais faire et que tu n’as pas fait — Génie du mal — créateur de l’injustice… — Sois maudit — pour l’éternité… Amen ! »

Gigi Damiani.

(l’en dehors - 3e année - n°37-38 – 20 juin 1924)


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