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Récupérations politiques de l’Histoire : Asselineau, un cas d’école

posté le 22/06/17 par Veni Vidi Sensi Mots-clés  réflexion / analyse 

Après ma vidéo sur les récupérations politiques de l’Histoire par la classe politique actuelle, plusieurs personnes m’ont demandé mon avis sur le discours de François Asselineau (président de l’Union Populaire Républicaine) à propos de l’Histoire de France. Rappelons les faits pour ceux qui ne le connaissent pas : énarque puis haut fonctionnaire ayant écumé les ministères notamment au service de Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy, il a quitté l’UMP en 2006, la jugeant trop favorable à l’Union européenne et aux États-Unis, et a fondé l’année suivante l’UPR, parti souverainiste se disant « hors des clivages gauche-droite » et dénonçant fréquemment de multiples complots émanant généralement, selon lui, de la CIA.

Le personnage est aussi populaire auprès de ses soutiens qu’inconnu ailleurs, ce qui lui a valu une longue lutte avec Wikipédia pour obtenir un article, et un intense lobbying de ses supporters auprès des médias. Le parti, qui se targue d’avoir un grand nombre d’adhérents, n’en reste pas moins très marginal dans les urnes (Asselineau lui-même n’a pas atteint 1% des voix en Île-de-France lors des régionales). Pourquoi en parler alors ? Parce que, comme bien des mouvements du genre, il est bien ancré sur Internet, appuyé notamment sur des conférences vidéo qui peuvent sembler solides au premier abord, et qu’il importe donc de se pencher un peu sur le fond plutôt que de se contenter de tirer sur l’ambulance.

Étant historien, je vais donc essayer de décrypter sa – longue – conférence sur l’Histoire de France en essayant de voir si, comme le suggéraient ceux qui m’ont indiqué cette prestation, Asselineau est si différent des autres politiciens ou s’il utilise, somme toute, les mêmes grosses et vieilles ficelles.

Attention, notre objet d’étude est long, lisez l’article avant de voir si vous voulez vous infliger ça.

Lorsque j’ai entrepris cet article, je pensais faire une sorte de reprise de son intervention, dans l’ordre, pour en démonter point à point les faiblesses. Et puis je me suis rendu compte qu’en deux heures, j’avais écrit huit pages, et n’avais pas dépassé les 30 premières minutes d’une conférence qui dure pas moins de 3 heures 15. J’ai donc changé de méthode et décidé de d’abord regarder l’intégralité de l’intervention en prenant des notes (et accompagné d’un ami/cobaye pour tenir le coup) avant de rédiger ce bilan que j’essaie de faire plus thématique. Je ne démonterai donc pas tous les points de l’argumentation d’Asselineau : je pense plus important d’initier à la démarche critique qu’il est judicieux d’avoir, et qui s’applique ici à lui, mais peut tout à fait s’appliquer à d’autres. Allons-y donc.

Première étape : cernons le but du discours

François Asselineau est un politicien, qui parle ici d’Histoire. La chose n’est pas rare : il suffit de voir le nombre d’hommes politiques qui rédigent (ou font mettre leur nom sur la couverture) des ouvrages biographiques sur des personnes dont ils se réclament, par exemple. Cette conférence ci, datée de 2010, se faisait déjà dans le cadre de réunions de l’UPR et l’orateur annonce à la fin la tenue d’une deuxième intervention, le lendemain, sur l’influence des États-Unis et de l’Union européenne qui, on le verra, sont considérés par lui comme coupables de tous les maux que nous subissons. Il ne s’agit donc pas d’une intervention à but pédagogique, mais bien d’une conférence politique, présentée et assumée comme telle, et qu’il va donc falloir décrypter comme telle en en comprenant le but.
villepin-napoleon
L’homme politique aime bien se prendre pour un personnage historique. Ici, la comparaison entre la chute de Napoléon et celle de Dominique de Villepin est assez évidente.

De ce point de vue, Asselineau a l’honnêteté de ne pas avancer masqué et d’annoncer directement la couleur dans son « préambule » (de 0:50 à 5 minutes environ). En demandant à quoi sert l’Histoire, il répond qu’elle permet de prévoir l’avenir (il l’explique en invoquant de grosses formules tournant autour de la symbolique de la « chouette de Minerve » ; l’homme aime dire de façon complexe des choses souvent simples, voire simplistes). Comment le permet-elle ? Eh bien il sort ici deux règles qu’il considère comme absolues. D’une part, que ce qui s’est déjà produit plusieurs fois est voué à se reproduire ; et d’autre part, que ce qui ne s’est jamais produit ne se produira jamais.

Ceci permet d’introduire l’idée générale : pour Asselineau, les événements ne peuvent être pleinement compris qu’avec du recul ; ce n’est que 50, 100 ans après, dit-il, qu’on comprend « qui tirait les ficelles » (une idée sur laquelle il faudra revenir). Mais si les choses sont vouées à se reproduire, que tout se repasse toujours de la même manière, la connaissance du passé devrait nous permettre de savoir de qui nous méfier. En revenant sur des exemples bien choisis, Asselineau veut donc nous montrer de qui nous devons nous méfier (spoiler : l’Empire américain et l’UE, son jouet).

Comme toute la démonstration va reposer sur ces affirmations, il va donc falloir s’interroger pour comprendre si ces deux prérequis sont vrais :

Ce qui s’est passé plusieurs fois se reproduira forcément.
Ce qui ne s’est jamais produit ne se produira certainement jamais.

L’argument de base tient-il debout ?

Voyons donc la valeur de ces deux arguments, en commençant par le second, le plus simple à éliminer. Par définition, tout événement qui se produit une première fois ne s’était jamais produit avant ; donc si ce qui ne s’était jamais produit ne devait jamais se produire, pas mal des événements qui occupent notre Histoire ne seraient jamais survenus : il faut une première fois à tout. Prenons un exemple simple pour illustrer : la Russie n’avait jamais été communiste avant 1917, ça ne l’a pas empêchée de le devenir pour près d’un siècle. De même, personne n’avait attaqué le Japon à l’arme nucléaire avant 1945, et pourtant… Bref, on pourrait multiplier les exemples et cette idée n°2 ne tient pas, par la simple logique. Éliminons-la.

La première idée, en revanche, nécessite un peu plus de réflexion. Il s’agit, en somme de dire que « l’Histoire se reproduit sans fin », qui est un des poncifs les plus éculés que l’on puisse trouver sur le sujet, et qui est d’ailleurs extrêmement repris dans les discours politiques de tout bord. On le retrouve aussi beaucoup dans les copies de fac et, généralement, ce genre d’analyse se révèle digne du bistro du coin (bistros dans lesquels je passe pas mal de temps, donc je sais de quoi je parle). C’est un biais courant chez nous autres, êtres humains, de chercher des choses qui nous sont familières (ce n’est pas pour rien qu’on a tous eu l’impression que les phares et les pare-chocs des voitures, ça faisait vaguement un visage souriant). Dans l’Histoire, c’est pareil : plus on remonte dans le temps, plus on se confronte à des époques très différentes de la nôtre : les façons de vivre, les mentalités, les croyances, les habitudes étaient différentes. On se raccroche donc, pour les comprendre, à ce qui ressemble et, bien souvent, on tord les faits pour qu’ils rentrent dans notre grille de lecture (exactement comme notre cerveau tord la réalité pour voir un visage là où il n’y en a pas).

Le coup de l’Histoire éternel recommencement, j’ai déjà pu en parler ici dans le cas de la bataille de Poitiers. Tous les camps, en politique, usent et abusent de ce concept.

Pour l’historien, il est donc vital d’être conscient de ce biais, et de l’éviter, en insistant autant sur les différences que les similitudes. Le passé peut permettre de comprendre le présent en y trouvant des points ponctuellement proches, mais il ne permet pas de prévoir l’avenir. Prenons un exemple simple : j’ai analysé en vidéo il y a quelques mois la Révolution de 1848, au moment où, justement, débutait le mouvement Nuit Debout. La proximité entre celui-ci et la campagne des banquets de 48 pouvait sauter aux yeux et pas mal l’ont remarquée dans les commentaires. Néanmoins, je serais sorti de mon rôle d’historien si j’avais commencé à expliquer que les choses étaient vouées à se produire de la même manière ; d’autant que, si cette théorie des cycles similaires était exacte, alors l’Élysée aurait été pris suite à des émeutes après la première interdiction de manifestation. On en est loin, et pour plein de raisons qui font qu’à chaque fois, la contextualisation est très importante. On peut relever des similitudes entre des faits passés et actuels, ou entre des discours qui se font écho (ce que j’ai fait concernant le paquebot Normandie et les Juifs, pour rappeler ce qu’était concrètement un cas d’antisémitisme à l’époque) sans pour autant s’en servir pour « prédire » l’avenir (je n’ai pas annoncé la survenue probable d’un génocide européen de Musulmans) : cela serait stupide car être historien, c’est s’attacher aux différences autant qu’aux similitudes. Or, Asselineau passe systématiquement sous silences les différences.

Pourquoi l’argumentation d’Asselineau tombe à plat avant même la fin de son intro

Mais pourquoi, au juste, tient-il tant à ces deux prérequis ? Parce que tous deux étayent (en tordant un peu les faits, il est vrai) sa pensée politique, de la façon suivante :

L’Histoire se répète inlassablement, or, dans l’Histoire, à plusieurs reprises, les élites ont trahi le peuple français et lui ont confisqué la souveraineté populaire au profit d’empires de l’étranger, donc elles nous trahissent à nouveau en confisquant notre souveraineté populaire au profit de l’UE et des États-Unis.
Ce qui ne s’est jamais produit ne se produira probablement jamais, or, jamais aucun empire n’a pu mettre la main sur toute l’Europe ou durer indéfiniment, donc l’Empire américain finira par s’effondrer, donc il serait peu judicieux de notre part de le soutenir.

Voici l’essentiel de l’argumentation de sa conférence et sa faiblesse logique suffit à s’épargner ces 3 h 15 de visionnage. On peut en effet lui répondre que :

L’Histoire ne se répète pas forcément : depuis 1066, aucune armée n’a pu conquérir l’Angleterre alors que plusieurs l’avaient fait par le passé. Nos élites pourraient très bien avoir décidé d’arrêter de nous trahir. Ou non, mais dans tous les cas, la répétition de l’Histoire n’est pas une preuve.
Il y a une première à tout, donc l’UE pourrait très bien réussir là où les précédents ont échoué, si l’hégémonie sur l’Europe est son but.

D’un point de vue logique, sa démonstration ne tient pas. On peut tout à fait être convaincu que l’Union Européenne n’est pas démocratique et ne respecte pas la souveraineté des peuples ; on peut tout à fait penser qu’elle est soumise diplomatiquement aux États-Unis. Simplement, ici, Asselineau ne démontre rien de concret : il établit ses propres lois sur l’Histoire et son interprétation et, de fait, les utilise pour parvenir à la conclusion qu’il souhaite.

Cet article pourrait s’arrêter ici car il montre d’ores et déjà, et alors que nous n’avons pas dépassé les cinq premières minutes, que cet argumentaire repose sur des bases inexistantes. Il est d’ailleurs intéressant de voir que, si Asselineau affirme haut et fort ses deux idées de base, elles sont également celles qui guident la plupart des appels politiques à l’Histoire, sans être aussi clairement affirmées. En étudiant les failles historiques du récit d’Asselineau, nous allons donc voir que ces grosses ficelles ne sont pas utilisées que par lui, et cela devrait donner quelques clés de compréhension qui compléteront celles que je donnais à travers le cas Sarkozy.

François au pays des anachronismes

François Asselineau, sans s’en rendre compte, raffole des anachronismes ; il n’est pas le seul : nos politiciens en général en abusent. L’anachronisme peut prendre plusieurs formes ; la première, qui nous vient à tous en tête, c’est la drôle, celle d’Astérix ou de Kaamelott, qui consiste à volontairement placer dans le passé quelque chose de notre époque pour faire rire ; par exemple quand, dans Le Cadeau de César, le village d’Astérix parodie un débat télévisé pour les élections présidentielles, ou que le Arthur d’Alexandre Astier milite pour l’abolition de la peine de mort. Ici, l’anachronisme est assumé, donc drôle et intelligent (et, d’ailleurs, Buffy Mars a fait une très bonne vidéo sur cette série et ses ressorts).
J’aime beaucoup Astérix ; dommage que la connaissance historique de nos politiciens sur les Gaulois s’arrête à lui...
J’aime beaucoup Astérix ; dommage que la connaissance historique de nos politiciens sur les Gaulois s’arrête à lui…

Puis il y a le mauvais anachronisme, celui qui consiste à vouloir lire le passé sérieusement, mais avec nos lunettes du présent. J’en avais un peu parlé lorsque j’ai raconté (avec un très mauvais micro, mais vous avez aussi la version écrite) la sexualité des Romains. Avec nos lunettes présentes, nous serions tentés de qualifier Jules César de bisexuel, par exemple : c’est ainsi qu’on le définirait s’il vivait à notre époque, sans l’ombre d’un doute. Mais à l’époque, aucun Romain n’aurait raisonné ainsi, tout simplement parce que le concept d’orientation sexuelle leur était globalement étranger : ils avaient même beaucoup de mal à déterminer ce qu’était l’hétérosexualité, par exemple, si l’on regarde comment le pauvre Suétone galérait pour expliquer que l’empereur Claude était hétéro. Pour comprendre des époques aussi reculées, il faut donc souvent accepter de se mettre dans la peau de ceux qui y vivaient, en mettant de côté des concepts qui nous semblent, à nous, incontournables. C’est d’autant plus difficile que la culture, et surtout la langue était différente. On reviendra d’ailleurs sur ce point et de la question épineuse des citations auxquelles on peut faire dire bien des choses.

C’est ainsi qu’une des premières choses qu’apprend un historien débutant aujourd’hui en fac, c’est à remettre les sources dans leur contexte (à travers le célèbre exercice du « commentaire de document ») ; à comprendre ce qui n’avait pas tout à fait le même sens à l’époque et aujourd’hui, à examiner une source en connaissant son auteur, le but de sa rédaction, les codes et habitudes de l’époque… Tout un travail qui est nécessaire pour ne pas faire dire à quelqu’un ce qu’il ne disait pas.

Or, cette méthode, Asselineau ne l’a pas, ce qui lui fait dire beaucoup de conneries. Entre autres, par exemple, que les Gaulois se sont unis pour défendre leur patrie quand cette notion (au sens moderne de nation) était bien loin d’exister à l’époque. De la même manière, il tombe en plein dedans lorsqu’il parle de la politique monétaire de Philippe IV le Bel (celle-là même qui vaut au roi d’être également très apprécié de certaines figures de gauche comme Mélenchon) : il explique ainsi que cette volonté de garder la souveraineté sur sa monnaie fut très mal vue par le Saint-Empire (qu’il présente comme un ancêtre spirituel de l’UE) et sort de son contexte, pour ce faire, un passage de la Divine Comédie de Dante qu’il a très mal compris. Il est vrai qu’évoquer les importantes questions religieuses qui secouaient l’époque montrerait qu’il n’y a pas une continuité totale : lorsqu’il décalque l’Histoire à différentes époques, Asselineau prend bien soin de ne pas mettre sur son calque ce qui nuirait au rendu final.
Philippe IV, dit "Le Bel", sortant de l’Euro. Ou brûlant les Templiers, je sais plus.
Philippe IV, dit « Le Bel », sortant de l’Euro. Ou brûlant les Templiers, je sais plus.

Ainsi, lorsqu’il évoque les Gaulois, il n’hésite pas à traiter de « collaborateurs » la tribu des Éduens, alliée aux Romains au début de la guerre des Gaules (c’est, d’ailleurs, en prenant leur protection pour prétexte que César et ses légions sont partis en campagne). Comment auraient-ils pu trahir une nation gauloise qui n’existait pas, alors ? Tribu indépendante, comme il y en avait un grand nombre, les Éduens cherchaient juste, justement, à préserver cette indépendance face à des voisines de plus en plus tentées par l’hégémonie sur le territoire. Si s’allier avec les Romains peut passer pour une trahison aux yeux de ceux qui, aujourd’hui, voudraient fantasmer une nation gauloise passée, ce n’était pas le cas à l’époque : on avait ici une tribu qui défendait ses intérêts de tribu et qui, d’ailleurs, changea de camp (de mauvaise grâce, il semble) lorsqu’elle sentit que les Romains représentaient à leur tour un danger pour elle. Mais là encore, ces faits ne passent pas dans le « calque Asselineau », qui voudrait qu’à toute époque, la nation française doive faire face aux empires concurrents.

Sinon, sur la Guerre des Gaules, vous avez le magnifique et agréable résumé fait par la Chaîne Confessions d’Histoire : c’est bien plus sympa à regarder, et beaucoup plus solide.

De la même manière, en évoquant le Moyen Âge, Asselineau ne comprend rien de rien au système féodal et à ses implications. Voulant lire l’histoire sous un angle national à l’époque où ce concept n’existait pas, il fait d’immenses contresens. Prenons un exemple : il explique qu’Hugues Capet monta sur le trône en 987 pour éviter que celui-ci ne passe à Charles de Lorraine, héritier légitime du Carolingien Louis V, mort prématurément. En effet, Charles de Lorraine aurait eu pour principal et terrible défaut d’avoir prêté fidélité à l’empereur germanique Othon. Ce qu’Asselineau oublie de préciser ici, c’est que la dynastie d’Hugues était déjà montée sur le trône du royaume des Francs (on ne parlait pas encore de France) à plusieurs reprises durant la fin de la dynastie carolingienne avec Eudes (888-898), Robert Ier (922-923) et Raoul (923-936). Hugues lui-même était un noble particulièrement puissant du royaume qui prit donc cette crise de succession comme prétexte pour prendre à son tour la couronne, jeu d’influences courant. Du reste, ce qui sauva alors la dynastie capétienne durant les premiers temps fut la faiblesse des rois face aux grands seigneurs qui ne prirent pas ombrage au point de vouloir s’imposer à leur place, sans quoi la dynastie aurait très bien pu perdre la couronne. Mais tout cela, une fois encore, Asselineau refuse de le mentionner (par méconnaissance ou malhonnêteté ?) : cela reviendrait à expliquer que l’élection d’Hugues à la couronne n’était pas seulement un geste de résistance face à l’impérialisme allemand.

On pourrait encore multiplier les exemples d’anachronismes de ce genre mais vous aurez, je pense, retenu l’essentiel : face à ce genre de comparaison qui apparaît totalement calqué sur des événements actuels, il convient d’essayer de revoir les choses avec la mentalité de l’époque, ce qui implique de repenser le monde, non plus à notre façon, mais selon le système antique ou féodal, par exemple. Si Asselineau avait fait preuve de cette déontologie historique, son raisonnement n’aurait pas tenu. Et la même chose est valable lorsque Sarkozy se réclame de Guy Môcquet ou quand Mélenchon vante les mérites de Louis XI. À chaque fois, la contextualisation absente fait tomber leur raisonnement. La lutte contre les anachronismes dans le discours politique est donc à appliquer partout, et pas seulement contre Asselineau. Mais sa conférence pose encore d’autres problèmes de méthode.

Citations erronées, erreurs factuelles et historiens anciens

Une des questions qui m’est le plus posée depuis le début de Veni Vidi Sensi, sur la chaîne comme sur le site est les réseaux sociaux est « Tu penses quoi de [personne qui fait de l’Histoire, plus ou moins sérieusement] ? Est-ce qu’il fait pas trop d’erreurs ? » On a en effet tendance à penser que, si les faits donnés sont vrais, alors tout va bien. Comme vont le montrer les catégories suivantes (et même la précédente), donner des faits exacts ne suffit pas, s’ils sont sortis de leur contexte, mal compris, mal utilisés, ou si l’on oublie certains faits nécessaires pour bien les comprendre. Qu’une personne ne fasse pas d’erreurs sur le fond n’est donc pas un gage de qualité pour autant, mais justement, Asselineau fait-il de telles erreurs ?

Eh bien oui, pas mal, même, et souvent par méconnaissance de son sujet (ou pour faire rentrer les faits dans les cases qui l’intéressent, choisissez votre solution). Passons assez vite sur le moment où il explique que Charlemagne était nommé « Carolus Magnus, Charles le Grand, parce qu’il était très grand, 1 m 80 ! » car, pour le coup, même un membre de l’auditoire s’est permis de le corriger sur cette erreur digne de perles du bac (oui, Alexandre « le Grand », « Louis le Grand [XIV] » et les autres n’avaient pas forcément un physique de basketteur ; non, « Napoléon le Petit » n’était pas forcément un nabot).

D’autres erreurs sont plus profondes et gênantes. Ainsi, il explique que Constantin, pour se prémunir des invasions barbares, transféra la capitale de l’Empire romain à Constantinople, abandonnant l’Empire d’Occident. La capitale fut en effet déplacée (ce qui n’était pas nouveau : la période qui vit Constantin émerger comme empereur était un temps de divisions, de multiples empereurs nouant des alliances pour mieux se combattre ensuite) mais l’Empire d’Occident ne fut pas abandonné pour autant ; d’une part parce que la division de l’Empire romain en deux entités eut lieu en 395, à la mort de Théodose Ier, d’autre part parce qu’il survécut encore près d’un siècle et que, même après cela, les Romains d’Orient tentèrent de retrouver la gloire passée, comme en témoignent les expéditions du général de Justinien, Bélisaire, en Afrique et en Italie.

Mais Asselineau a une autre idée : il veut prouver que, une fois les Romains « partis », l’élite romaine décida de s’emparer de l’Église pour conserver sa position. Il utilise pour justifier ce fait un document qu’il admet lui-même être un faux, la « pseudo-donation de Constantin » pour expliquer que bon, même si ce document (par lequel Constantin donnait l’Occident au Pape) est un faux, ça prouve bien que la Papauté est devenue le nouvel empire. Ce qui, historiquement, ne tient pas puisqu’à l’époque, la Papauté était encore très loin d’être ce qu’elle fut par la suite, mais on est pas à une approximation près. Et là, il ajoute ainsi qu’une religion d’esclaves était devenue la religion de l’élite. Le christianisme de l’époque, religion d’esclaves ? Oui, dit Asselineau, puisqu’ils étaient persécutés, c’étaient des esclaves. Raccourci énorme quand on sait qu’en réalité, d’une part, les persécutions chrétiennes furent ponctuelles, avec des pics et des périodes d’apaisement, et que bien des citoyens romains avaient rejoint ce culte avant la conversion de l’Empereur : c’était même là le nœud du problème car cette religion remettait en question le caractère sacré du pouvoir.

Plus grave encore, vient une erreur d’interprétation des textes d’époque. Asselineau cite, parfois, quand ça l’arrange, les personnages dont il parle. Le cas le plus marquant est cette citation attribuée à Vercingétorix : « Cette guerre, ce n’est pas la mienne seulement, c’est la nôtre à tous. C’est la gloire et la liberté de la Gaule. » Cette citation a de quoi surprendre puisque « la Gaule », comme entité n’avait pas d’existence propre (César lui-même ne parlait-il pas de guerre « des Gaules » ? Cette citation prouverait-elle que le patriotisme existait déjà ? Asselineau, en tout cas, en a besoin : il veut ensuite la mettre en parallèle avec une citation du général de Gaulle…
Il faut vraiment que j’explique pourquoi comparer Vercingétorix et Jean Moulin, c’est de l’anachronisme puissance 1000 ?


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