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Réécrire l’histoire de la Palestine à l’usage des enfants

posté le 04/06/21 par Ivar Ekeland Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  antifa  luttes décoloniales  antiracisme 

Les manuels d’histoire britanniques ont été réécrits discrètement pour effacer le récit palestinien.

L’avenir de la Palestine se dispute aussi dans les manuels scolaires. Une étude très complète de la manière dont est présentée la fin du mandat britannique en Palestine, la naissance d’Israel et la résistance palestinienne dans les manuels d’histoire, en Israel, en Palestine, en France et en Suède, a été effectuée en 2014 et on la trouvera ici1. Une nouvelle pièce est à verser au dossier en ce qui concerne la Grande-Bretagne. Le Board of Deputies of British Jews et le United Kingdom Lawyers for Israel ont approché l’éditeur Pearson pour lui demander des modifications dans deux manuels d’histoire couramment utilisés pour la préparation au GCSE (General Certificate of Secondary Education), un examen que les élèves des établissements secondaires britanniques passent à l’âge de 16 ans et qui correspond à la fin de la période scolaire obligatoire dans certains pays anglophones.

Dans un rapport2 établi à la demande du BRICUP (British Committee for Universities of Palestine), les professeurs John Chalcraft et James Dickins, spécialistes du Moyen Orient respectivement en histoire et en langue arabe et membres du Comité britannique pour les universités de Palestine (BRICUP) ont trouvé des centaines de modifications dans les manuels – en moyenne trois par page. En dépit de l’étendue des modifications les livres ne mentionnent aucunement qu’ils ont été révisés. Cependant le rapport montre que des modifications ont été apportées au texte, à des chronologies, des cartes et des photos, ainsi qu’à des grilles d’évaluation et des questions à des élèves . Il conclut que « l’on ne devrait pas livrer de la propagande à des élèves en guise d’éducation ».

Le bureau du syndicat national de l’éducation (NEU) a exprimé sa préoccupation sur les modification découvertes dans le rapport ainsi que sur le processus éditorial qui a conduit à ces changements dans les manuels . Il a annoncé qu’il allait contacter l’éditeur pour une clarification.

Ces livres, publiés par Pearson, avec pour titres Conflict in the Middle East (Le Conflit au Moyen Orient et The Middle East : Conflict, Crisis and Change (Le Moyen Orient : Conflit, Crise et Changement), sont lus par des milliers d’élèves qui préparent le GCSE et le GCSE international chaque année. Les changements dans le texte comprennent des références erronées au droit international, le retrait de références faites à des événements historiques et l’insertion d’autres références, des changements dans le langage employé pour décrire des événements particuliers ou de groupes de gens, le changement d’énoncés de faits en énoncés d’opinions et inversement. John Chalcraft, l’un des auteurs du rapport a expliqué : « Les narratifs dans cette région sont inévitablement contestés. De façon écrasante, les changements qui ont été faits sur ces textes ajoutent ou substituent des énoncés, de l’information et des interprétations en faveur d’un narratif israélien et retirent ou remplacent ceux qui soutiennent des narratifs palestiniens. Dans l’ensemble, cela a pour effet de rendre ces livres dangereusement trompeurs ».

Un aspect de ce qui est noté dans le rapport et qui a été le point focal d’intenses révisions réside dans la description d’actes de violence et de ceux qui les ont commis. De nombreuses références à de la violence et des agressions juives et/ou israéliennes ont été ôtées ou adoucies, tandis que des références à de la violence ou des agressions arabes et/ou palestiniennes ont été systématiquement ajoutées ou aggravées. Dans la version originale du manuel CGSE national, il y a dix références au terrorisme juif et 32 au terrorisme palestinien (avec utilisation dans chaque cas des mots « terreur », « terroriste » ou « terrorisme »). Après révision, il y 4 références au terrorisme de groupes juifs et 61 références au terrorisme de groupes palestiniens.

Le changement dans l’accentuation est partout, et pas toujours perceptible dans un décompte des mots. Par exemple, la version originale observait que « les Fedayin étaient des combattants de la liberté ou des terroristes, selon le point de vue qu’on adopte ». La révision donne : « Les Fedayin étaient des terroristes qui ont combattu pour la liberté des Palestiniens ». Voici quelques exemples :

La version originale dit que « le droit international établit qu’un pays ne peut pas annexer ou occuper indéfiniment un territoire conquis par la force ». C’est là le consensus international dominant en matière de légalité. La version révisée le remplace par : « Certains défendent le point de vue selon lequel un pays ne peut pas annexer ou occuper indéfiniment un territoire obtenu par la force ».
Dans l’édition originale il est déclaré que durant la première intifada de 1987-93 « les bras et les doigts d’enfants palestiniens qui lançaient des pierres ont été cassés (par des soldats israéliens) ». Ce fait est bien documenté. Il a été enlevé de la version révisée.
L’édition originale comporte une description par un membre de la Haganah (la principale organisation paramilitaire juive) de l’expulsion de masse d’Arabes traumatisés pendant la guerre de 1948-49. Dans la version révisée elle a été remplacée par un récit du départ beaucoup plus paisible d’une seule famille arabe.
La réduction par l’OPEP de la production de pétrole qui a eu pour effet une hausse des prix après la « guerre de Kippour » de 1973 est présentée de façon différente dans les deux éditions. Dans l’édition originale, « cela montre la force de leur colère face à l’avancée d’Israël en Égypte ». Cette explication est remplacée dans l’édition révisée par « l’hostilité des pays de l’OPEP à l’égard d’Israël et de ses alliés ». La raison de cette hostilité a été effacée.
Un Plan D a été tracé par la Haganah en mai 1948, une ébauche pour l’expansion des zones aux mains des Juifs au-delà de celles assignées à l’État juif en germe dans le plan de partage de l’ONU. L’édition originale dit que « même si ce n’était pas son intention, un historien israélien moderne a écrit que le Plan D ’a ouvert la voie à l’opération de nettoyage ethnique en Palestine’ ». Cela a été ôté de l’édition révisée.
Il a été écrit dans l’édition originale que les Palestiniens ont été chassés de Jérusalem Est aux mains des Israéliens ; dans l’édition révisée, cela devient qu’ils ont « ressenti qu’ils avaient été chassés de force »
Les modifications vont jusque dans la nuance : le massacre de Deir Yassine (dans lequel les forces israéliennes ont tué au moins 107 civils palestiniens) est décrit dans la version originale du manuel international du GCSE comme « une des pires atrocités de la guerre (de 1948) ». Dans l’édition révisée, le mot « atrocités » a été remplacé par « actes ».
Je cite pour terminer deux réactions d’historiens, l’un britannique et l’autre israélien :

Étant donnée la responsabilité historique de la Grande Bretagne, il est particulièrement important que ce sujet soit enseigné d’une manière impartiale et objective. Donner à des défenseurs d’Israël l’occasion d’éditer du matériau destiné à l’enseignement sans donner la même opportunité à des défenseurs de la Palestine d’apporter une contribution est une trahison. Le résultat ne peut que porter atteinte à la confiance dans l’impartialité de l’enseignement d’une question hautement complexe et sensible (Eugène Rogan FBA, Professeur d’Histoire moderne du Moyen Orient à l’Université d’Oxford) lk
Par leur analyse rigoureuse de deux manuels scolaires du GCSE, les professeurs John Chalcraft et James Dickins dévoilent comment des centaines de révisions ont été introduites de manière à modifier et à déformer des faits historiques et politiques concernant Israël/Palestine. Leur rapport suggère que lorsque des maisons d’édition accréditées permettent à des groupes lobbyistes de contribuer à élaborer le programme scolaires, au savoir se substitue l’endoctrinement et nos enfants sont encouragés à adopter une pensée biaisée (Neve Gordon, Professeur de droit international et de droits humains à l’Université Queen Mary de Londres)
On ne saurait mieux dire.

Ivar Ekeland

1 https://www.france-palestine.org/IMG/pdf/israel-palestine-actes-colloque2013.pdf

2 http://www.bricup.org.uk/documents/Pearson%20Report%20on%20Revisions%20to%20GCSE%20Textbooks_Final_16%20March%202021.pdf

https://blogs.mediapart.fr/ekeland/blog/180421/reecrire-lhistoire-de-la-palestine-lusage-des-enfants


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